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Posted by Voyer on March 07, 1997 at 04:32:57
AM EST
Paris, 15 novembre
1994.
Messieurs,
On
me communique ce matin la copie d’une page datant de mai 1986 où vous me
rangez, à côté de Faurisson, avec les ratés du système de la pensée-barnum où
la bêtise se doit d’être fracassante.
Je
note dans la même page votre fier programme : vous voulez tout
simplement abolir l’État et les classes. Ce grand projet vous honore. Mais
vous voulez et cependant vous ne pouvez pas. Tout est là. Entre le souhait et
sa réalisation il y a un monde qui vous échappe. Si Rome existait encore, vous
voudriez tout simplement l’abolir. Mais Catilina ne le voulait pas
seulement, il le pouvait. Au moins vous ne tombez pas dans le péremptoire
inepte. Vous ne vous embarrassez pas non plus d’arguties imbéciles. Vous vous
contentez du péremptoire impuissant. De même vous évitez la bêtise fracassante
car vous lui préférez la bêtise impuissante. Et vous avez bien raison car cela
ne coûte rien. Chaque matin, ou à n’importe quel autre moment de la journée, et
même plusieurs fois par jour, vous pouvez déclarer, ainsi que n’auraient pas
manqué de le faire Bouvard et Pécuchet si Flaubert y avait pensé*, que vous
voulez tout simplement abolir l’État et les classes sans qu’il vous en
coûte un sou ni le moindre effort. N’est-ce pas admirable ? Tout est donc
pour le mieux dans le meilleur des mondes; mais vous n’avez pas inventé le
calcul infinitésimal (qui n’est que fatras d’arguties pour des gens de votre
trempe) ni rien d’autre. Vous avez d’ailleurs de qui tenir. Je relève dans un
tract du C.M.D.O. daté de juin 1968 cette forte pensée péremptoire et un
tantinet fracassante : « Les travailleurs n’ont pas d’autre voie que la
prise en main directe de l’économie ». Foutre ! Pauvres travailleurs.
Ils n’ont vraiment pas de chance. Il faut dire que c’est des vrais cons. Y a qu’à
abolir l’État, y a qu’à abolir les classes, y a qu’à prendre en main
directement l’économie, y a qu’à dire que c’est la société du spectacle. Voilà
donc des sommations non péremptoires, non fracassantes et non esbroufantes. Ces
audacieuses déclarations demeureront comme votre seule contribution connue à la
majestueuse histoire du monde, à côté des « alea jacta est »,
« veni, vidi, vici », « vixerunt », « vae
victis », « gloria victis », « que d’eau, que d’eau »
et autres « laissez pisser le mérinos ».
Je
note, pour terminer, que votre fougue dévastatrice s’arrête devant le commerce.
Vous ne voulez pas tout simplement abolir le commerce. Je suppose que pour vous
le commerce est une sorte d’argutie sans importance et sans aucun rôle dans le
monde et peut-être même sans aucune sorte d’existence.
Comme
vous pouvez le constater, je ne laisse jamais un message sans réponse. Pour une
âme bien née, la réponse ne craint pas le nombre des années.
Hegelsturmführer
Voyer.
*
En fait il y pensa dans L’Éducation sentimentale.