Défense de la science économique


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Posted by ??? on October 15, 2000 at 07:37:33 PM EDT:

Par OLIVIER BLANCHARD Olivier Blanchard est professeur au Massachusetts Institute of Technology.

Des étudiants de l’École normale supérieure aux membres d’Attac, la science économique est accusée de (presque) tous les crimes: d’être mathématique et stérile, autiste, coupée du monde et des réalités. Et, crime suprême, anglo-saxonne.

En son nom, je plaide non coupable

D’être mathématique est sa force. C’est cette formalisation qui explique son extraordinaire développement. Adam Smith, Karl Marx étaient des génies, capables au long de centaines de pages de poursuivre des raisonnements complexes sans l’aide d’outils mathématiques. Mais même eux se trompaient éventuellement. Et pour le commun des mortels, ou au moins le commun des chercheurs, la complexité des relations entre les acteurs économiques est telle que le seul moyen d’éviter des erreurs de logique est de recourir à la formalisation.

Un peu d’histoire de la pensée économique est utile ici. Il y a plus de deux cents ans, Adam Smith avait expliqué que, dans une économie de marché, les égoïsmes individuels se combinaient pour amener le meilleur résultat collectif possible. La proposition était tellement surprenante, et tellement forte de conséquences, qu’il était essentiel d’en comprendre la nature et les limites. Grâce à Walras au début du XXe siècle, puis à des économistes comme Arrow ou Debreu cinquante ans plus tard, et surtout grâce à un énorme effort d’abstraction et à des outils mathématiques puissants, les conditions du théorème d’Adam Smith furent clarifiées.

Dans les années 60, la science économique paraissait, de fait, très formelle, autiste. Quel rapport y avait-il entre des théorèmes mathématiques et la réalité? Ce n’était que le reflet d’un investissement théorique. Et, depuis, cet investissement a énormément payé. Ayant clarifié les conditions nécessaires au théorème d’Adam Smith, la recherche s’est orientée presque entièrement sur ce qui se passe quand elles ne sont pas satisfaites. Pourquoi certains marchés fonctionnent mal, quel type d’institution il faudrait mettre en place pour améliorer leur fonctionnement. Et, à chaque étape, l’usage des mathématiques a été précieux, pour préciser, affiner les arguments.

Cela m’amène au deuxième point. Aujourd’hui, la science économique est tout sauf autiste. La crise asiatique, les implications des rendements d’échelle dans les entreprises de la nouvelle économie, la meilleure façon de vendre aux enchères les bandes de réseau hertzien, le rapport entre globalisation et inégalité: voilà ce sur quoi les économistes travaillent aujourd’hui, voilà où les progrès sont faits, par l’intégration d’hypothèses bien définies, l’utilisation de méthodes statistiques de plus en plus affinées, l’utilisation de bases de données de plus en plus riches et nombreuses.

Dernier point: l’économie, science anglo-saxonne? La réponse: responsable mais pas coupable. Oui, la domination anglo-saxonne est à peu près totale en économie. Les départements de recherche américains dominent largement la scène. Les liens sont étroits entre les meilleurs centres de recherche étrangers et les Etats-Unis. Mais cette domination veut dire langage commun, méthodes communes. Certainement pas idéologie commune. De fait, la science économique est caractérisée aujourd’hui par son pragmatisme. Pour la plupart d’entre nous, les marchés marchent souvent bien, quelquefois mal. Les gouvernements ont un rôle essentiel à jouer. Ils le remplissent plus ou moins bien. Le rôle des économistes est de les aider, cas par cas. Peu d’idéologie dans tout cela.


M. Ripley s’amuse