Connivences.
Voici la reproduction intégrale du texte
croustillant de Laurent Bazin, journaliste d’iTélé, écrit à la sortie d’un
croustillant déjeuner d’avec le croustillant Ministre de l’Intérieur. Texte
d’abord publié sur son site, puis retiré à la demande croustillante de la
hiérarchie du journaliste. A table !
Daté du 6 décembre 2006, et que l’on va pouvoir lire
ci-dessous, a été publié sur le blog de Laurent Bazin.
Laurent Bazin, je le connais. L’année dernière, on
jouait au ping-pong ensemble. Au ping-pong verbal. C’était la revue de presse,
le matin, tôt, sur iTélé. Il était la puissance invitante, l’animateur bonimenteur.
J’étais le chroniqueur bonàrien. On rigolait bien. Je survolais la presse, il
nous survolait tous. Jeux et joutes. Je et Je. Journaliste à journaliste. Lui
et moi, on n’était pas toujours d’accord. Et c’était ça qui était bien. Depuis,
je suis parti. Il est resté. Et voilà que son post nous rapproche...
Sauf que dès le lendemain, il disparaissait de la
home-page de son blog. Disparition assortie de ceci :
« j’ai retiré [le texte] à la demande de la direction de I>télé
(dont je suis salarié) et qui ne souhaite pas que le contenu de ce dejeuner
collectif avec Nicolas Sarkozy soient publié. Je le regrette. ».
Le surlendemain, Laurent Bazin ajoutait :
« "Nicolas Sarkozy n’a pas téléphoné pour le faire retirer (...)
La direction de la chaîne, a simplement estimé que j’aurais du lui demander son
accord avant de publier un texte sur un déjeuner privé qu’elle avait organisé,
elle-même, avec le Ministre. (...) Mais je vais vous dire : ce que cette
affaire révèle à mes yeux de néophyte, c’est le formidable caractère viral du
net. Le fait qu’un texte mis en ligne soit immédiatement lu (et conservé...)
par des dizaines de personnes) et que le même texte ne puisse être retiré sans
que celà se voit et fasse réagir... Tout celà me semble extrêmement saint. »
Le sur-sur-sur-surlendemain, Libé précise :
« Censure sarkozienne ? Autocensure ? Version de Valérie
Lecasble, patronne d’iTtélé : « Je lui ai dit qu’il aurait pu m’en
parler. Il m’a répondu : "Si tu veux, je le retire." Je lui ai
dit : "Tu fais ce que tu veux." » Version Bazin : « On
décide ensemble de le retirer parce que ça met iTélé en difficulté. » »
Puis, le sur-sur-sur-sur-surlendemain, c’est Daniel
Schneidermann, sur un tchat à Libé, qui dit :« Je trouve que la
demande de la direction d’iTélé faite à Laurent Bazin de retirer ce texte de
son blog témoigne d’une profonde et tragique méconnaissance d’Internet [...] je
pense que les journalistes auraient tout intérêt à raconter plus souvent ce
genre de scène. Ces déjeuners entre un homme politique et une rédaction, qui
sont fréquents, sont des nids à connivence. Personne évidemment ne pense à mal,
et les journalistes qui y participent diront que cela n’altère nullement leur
capacité critique. Ils le diront même peut-être sincèrement. Mais partager
ensemble un bon repas et des confidences, qu’on le veuille ou non, cela crée
des liens. On partage quelque chose de commun, évidemment pas un secret,
puisque officiellement rien n’est secret dans ces histoires-là, mais tout de
même quelque chose. D’une manière ou d’une autre, on s’en trouve ensuite
ligoté. Je pense que la bonne solution, quand on assiste à ce genre de scène,
c’est ensuite de faire ce qu’a fait Laurent Bazin, c’est-à-dire le raconter. En
tout cas, c’est la moins mauvaise. » [1]
Puis, puis, le sur-sur-sur-sur-sur-surlendemain,
c’est à dire aujourd’hui, Nicolas Sarkozy, invité d’une croustillante
surprise-partie autour du web 3.0, avec gîte et couvert assurés par son
croustillant ami Loïc Lemeur, et sponsorisé par... iTélé (mais, si [2]), dit à peu près ceci à la
tribune [3] :"vous avez entre les mains
la liberté du monde... il faut respecter la diversité. Internet doit rester le
domaine de l’innovation. Mesdames et messieurs vous représentez l’économie de
l’avenir, la démocratie de l’avenir... Raisonnez aussi sur les valeurs."
Sur ce, à table !
Davduf.
Nicolas Sarkozy
A la tribune de la croustillante surprise partie autour du Web 3.0., Paris, 12/12/06.
Ce mercredi midi [4], la rédaction d’I>télé était
invitée à manger place Beauvau avec le ministre de l’Intérieur. Un déjeuner off
dans la plus pure tradition, bien entendu.
R.V. 13 heures... 13h15, arrivée du Ministre de
l’Intérieur, souriant, costume gris élégant, chemise bleue ciel, cravate bleue
soutenue. Jolie montre au poignet. Le portable est posé sur la table à sa
droite. Un bouton-pressoir noir à coté du verre pour sonner les serveurs.
Entrée en matière simple et de bon aloi :
"Ah, vous êtes plus sympas là que lorsque je
vous écoute parler de moi à la télé. Vous m’épargnez pas... La petite là
(Valentine Lopez du service politique, assise à sa gauche, ndlr) : visage
d’ange, mais elle jamais un mot gentil. Que des méchancetés. Elle me loupe
jamais.
Le tout, bonhomme, sans cesser de plaisanter, en
fixant la directrice Générale de la chaine et le directeur de la rédaction
assis en face de lui.
Suit le refrain désormais bien connu (Charles
Pasqua, l’avais étrenné en 1986 lors des manifs étudiantes) :
"les journalistes de toute façon, vous pouvez
pas vous en empécher. La campagne de Ségolène Royal c’est formidable, mon
entrée en campagne, c’est nul. C’est sociologique, chez vous : vous êtes
2/3 de gauche, pour 1/3 de droite."
L’entrée vient d’arriver : Coquilles Saint
Jacques poëlées. Salade mélangée et volaille émincée pour le Ministre.
Itélé, ce n’est donc pas sa tasse de thé ?
Regard vers son conseiller en communication Franck Louvrier :
"Ah ! Franck m’a dit de ne pas y aller
trop fort, alors... (sourire) Je ne dis pas tout ce que je pense de vous. Je ne
veux pas qu’on se fâche. Mais Cécilia, en revanche, elle aime bien I>télé,
elle dit que c’est la chaine la plus ouverte, la plus variée. Enfin, il faut
reconnaitre que vous avez beaucoup progressé"".
L’entrée en matière épuisée, le rapport de force
installé, on passe aux questions politiques. Arrivée du plat de résistance :
un filet de bar sur un risotto aux champignons et légumes verts pour nous, une
deuxième assiette de crudités et son émincé pour Nicolas Sarkozy (régime,
régime...).
Ségolène Royal ? Elle ne l’inquiète pas, même
si il s’agace des grâces que lui font les medias.
"Non, elle ne va pas s’effondrer, c’est macho
de dire ça. Elle est intelligente, solide, courageuse. Non, elle ne
s’effondrera pas. Mais il faut lui opposer les idées. Moi, je serais sur le
terrain des idées. Poli, courtois, mais intraitable sur le fond. C’est une
femme, mais c’est surtout une responsable politique. Ca fait 20 ans qu’elle est
là. Et puis Ségolène Royal, c’est moi qui lui ai ouvert la voie. Si je n’avais
pas pris l’UMP comme ça, contre Chirac, vous croyez qu’elle aurait pu bousculer
les élephants du PS. Jamais... Maintenant, les français attendent le match. Le
match des nouveaux. Ils ne vont pas être décus. Je la sens bien cette campagne.
Vous allez voir le sondage IPSOS qui sort cet après midi. Je repasse en tête,
j’ai 51% au second tour."
En attendant, il y a débats à l’UMP à partir de
samedi. Ca compte ? Il balaie l’affaire d’un revers de main.
"Le moins possible. De toute façon les jeux
sont faits. Alliot Marie a perdu 9 points dans le dernier sondageMoi je serais
sur une chaise, peut-être même sans cravate. J’écouterais, je répondrais. De ma
chaise. Ne pas en faire trop. Et si MAM me reprend sur la discrimination
positive, cette fois je répondrais calmement. La première fois (lors de la
convention du projet en novembre) j’ai été surpris. C’était une erreur".
Bayrou. "Je n’en parle pas, je ne critique
pas. Ses électeurs voteront pour moi au second tour, je ne l’attaquerai pas. Je
dis juste qu’il se trompe de chemin".
Le Pen. Il l’aura, un jour il l’aura...
"Mais on ne fait pas reculer Le Pen en étant
Ministre de l’Intérieur. Il faut pouvoir agir sur tous les terrains. Redonner
espoir dans l’avenir. Redonner espoir. Dans les années 50/60 l’avenir était un
espoir. Au creux des années 80/90, il est devenu une peur. Il faut redonner
espoir. Le Pen il est là depuis 1983, avec les magouilles de Mitterand... On ne
le chasssera pas comme ça... "
Et Jacques Chirac ? Il parait qu’il regarde
LCI, lui.
"Oui. Il regarde toute la journée mais on ne
parle plus beaucoup de lui. Franchement, je ne voudrais pas être à sa
place".
Il revient sur sa gestion de medias. Pas trop,
"ca use"... Depuis la rentrée il n’a fait que PPDA, Chabot
("Trois heures, six millions de télespectateurs, vous avez vu ca ? Je
suis le seul à faire ça."), Inter une fois, RTL une fois et deux fois
Europe 1. "Elkabbach c’est le meilleur. Lui, il travaille. Ca me
rassure".
Le dessert arrive. Un flan au pomme, très fin avec
sa boule de vanille couronnée d’une chips de pomme. Pour nous... Nicolas
Sarkozy se contente d’un bol de fromage blanc avec son coulis de fraise (sans
sucre ?) et enchaine sur sa vision de l’ecole.
Spectaculaire mémoire. Il connait par coeur, mot
après mot le discours prononcé quelques semaines plus tôt sur l’Education. "entre
l’uniforme et le jean qui laisse beaucoup trop voir, il y a une marge",
dit-il (mais il ne dit pas "string", parce Ségolène Royal l’a
déjà fait). Je veux une école sans casquettes vissées sur la tête, sans
portables, ou les élèves se lèvent lorsque le prof entre dans la pièce".
Nostalgie ? Non, retour à quelques bonne
vieilles valeurs dans un monde qui "change si vite". Les
parents attablés acquiessent. Nathalie (Ianetta) demande dans un éclat de rire
si il ne veut pas venir chez elle donner quelques leçons à son fils Oscar.
Nicolas Sarkozy rigole à son tour.
A cet instant, les assiettes ont disparu. On sert le
café avec de joli truffes carrées et du sucre de canne. Sarkozy le guerrier,
l’homme dont la jambe droite n’a pas cessé de s’agiter depuis une heure, se
laisse - apparemment - aller à l’évocation de quelques souvenirs.
Il raconte les plaisirs simples de son enfance. Les
escapades au café avec "son grand père qui l’a élevé", le
trajet en métro, le jus d’orange presque rituel de ces sorties magiques, la
main dans celle du Docteur Malah. Sarkozy enfant se damnait, dit-il, pour
ces moment là. Pour aller au spectacle on reservait quatre mois à l’avance. Ma
mère nous achetait des vètements neufs, pour y aller... Des vètement neufs,
c’était quelque chose. Attention, hein... On n’était pas pauvres. On était des
bourgeois. Ca allait. Mais c’était tout de même quelquechose".
Il parle de sa première émotion de cinéma. "Ben
hur". "Avec Charlton Eston, celui de 59, hein, pas l’autre...
quand je l’ai vu au Kino, ça faisait quatre ans qu’il était à l’affiche. Quatre
ans, aujourd’hui un film ca rester quoi ? Trois semaines à
l’affiche ?".
Aujourd’hui, il adore les bronzés 3 : "14
millions d’entrées. Il faut pas cracher sur un film parce qu’il a rencontré le
public. C’est comme Jonathan Littel et ses "Bienveillantes" (qu’il a
lu et apprécié même si certains passages l’ont mis mal à l’aise) :
"250.000 exemplaires vendus sans un seul article de presse. Il s’est bien
passé quelque chose, non ? On ne peut pas le nier". Et il
affirme : "moi j’ai vendu plus de 400.000 exemplaires de
"Témoignages". Ca c’est quelquechose, non ?".
Retour à la littérature. Il dit que son livre
préféré c’est le "voyage au bout de la nuit" de Celine. Qu’il adore
Albert Cohen, et ces quarante pages ou Ariane attend Solal dans "Belle du
seigneur". Que l’écrivain ait su se glisser avec une telle précision dans
la tête d’une femme l’épate. Il est très sensible à ces quarante pages ;
C’est "son coté femme", dit-il.
Et le voilà érudit : "C’est un livre
que Cohen a écrit en 68, sur les bords du lac de Genève. en 68... Il devait
s’emmerder comme un rat". Il redevient sérieux : "Mais
mon préféré de Cohen c’est le "livre à ma mère". Celui là, il l’a
écrit en en 59. Et la préface, vous savez : "aux insensés qui pensent
que leur mère est immortelle". Ca c’est fort, très fort. Il est 14.35,
retour à la politique. Nicolas Sarkozy confie qu’il ne se voit pas faire ça
toute sa vie.
Surprise générale.
"Deux mandats et c’est tout ?",
glisse une journaliste. "Et encore, répond le candidat, si ca ne
tenait qu’à moi je n’en ferais qu’un. Mais je ne peux pas. Tant d’espoirs
reposent sur moi. Des millions de gens comptent sur moi. Je ne peux pas faire
ça."
Et après ? "Après j’irai dans le privé,
gagner de l’argent. Je suis avocat, je peux réussir là. Mais j’ai aussi des
amis qui me confieraient bien la tête d’une grande entreprise privée. L’argent,
ça compte. Je n’ai pas de fortune personnelle. Ce qui compte dans la vie, c’est
l’amour. De l’argent, c’est pour les siens, pour acheter une maison, un bel
appartement. Offrir un appartement à ses enfants... Je ne veux pas être comme
Giscard et Raffarin, un ancien le reste de ma vie à me trainer là, à me
lamenter sur ce que je ne suis plus".
14.45. Le ministre-président-candidat est reparti
avec une franche poignée de main et un petit mot pour chacun. "C’était
très sympa", me dit-il en me serrant chaleureusement le coude.
Bien entendu, cher Zbiegnew c’était off. Et oui,
Charles, les cuisiners de la Place Beauvau ont le tour de main... Mais on sait
maintenant à quoi servent ces rencontrent off... Alors pourquoi se priver de
vous le raconter. A moins que vous ne vouliez pas savoir ?
Laurent Bazin.
__________________________________
[1]
A dire vrai, dès le 9 décembre, Daniel Schneidermann bloguait une brève sur
l’affaire.
[2]
cf. http://www.leweb3.com/ !
[3]
Source : Point Blog
[4]
6 décembre 2006, NDLR