Semaine du 18 octobre 2001
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Reprenons.
Où en étions-nous le 10 septembre ? Ah, oui ! Les grèves de rentrée. La grève
saisonnière de la SNCF. Un peu furtive en cet automne, c'est vrai. Un peu
honteuse. Et même un peu minable : les salaires, les retraites, les effectifs,
les conditions de travail. L'éternelle ratatouille rassembleuse de nos repas de
famille. Cela n'est guère sérieux. Faire une grève pour tout, c'est faire une
grève pour rien. Les syndicats n'en sortiront pas grandis, eux qui n'ont cessé
de rapetisser.
Ah oui ! La
cohabitation. Chirac contre Jospin. Jospin contre Chirac. Un livre du directeur
de cabinet du Premier ministre, Olivier Schrameck, autrement dit le premier
cohabitant de France, nous rappelle que ce n'est pas si bien que les Français
le croient, la cohabitation. Il n'a pas tort, Schrameck. Le livre se termine
par un appel à la candidature de Lionel Jospin à la présidence de la
République. Vraoum ! Quelque chose me dit qu'il sera entendu.
Ah oui !
Les Verts. Eux n'ont même pas observé la trêve de rigueur. Cet étrange parti
venu de nulle part est devenu en quelques années le chaudron de sorcières de
toutes les névroses intellectuelles, le pandémonium de toutes les maladies
politiciennes. Il tient du PSU par la bigarrure des opinions et des radicaux du
temps jadis par les cabrioles et les pitreries de ses dirigeants. Irrévocablement
zozo.
Je pourrais
continuer longtemps. Je préfère m'en tenir là. On aurait pu espérer que le choc
du 11 septembre nous amènerait non pas, bien sûr, à renoncer au quotidien mais
à respecter une certaine échelle des souffrances et des urgences. Eh bien,
c'est raté. Seul Ben Laden a réussi son coup en soulignant l'irrémédiable
frivolité de nos sociétés, leur insignifiance, leur bonne conscience cynique,
leur égoïsme foncier, leur matérialisme de pacotille, en un mot leur indignité
morale. Là est la victoire de Ben Laden. Je ne puis me sortir de l'esprit cette
photo publiée désormais un peu partout du jeune Oussama, entouré de 21 de ses
frères et soeurs, posant à côté d'une Cadillac rose. En vacances en Suède, en
pantalon pattes d'eph et petit polo moulant, il n'est pas le moins play-boy de
la bande. Il a tout pour lui, la jeunesse, l'argent à la pelle, les filles à la
ramasse. C'est pourtant ce même Oussama que l'on retrouve - ou plutôt que l'on
ne retrouve pas - au fond d'un trou à rats en Afghanistan, traqué et canardé
par la plus puissante armée du monde. Sa force n'est pas dans ses kamikazes.
Elle est dans son refus. Son choix de vie, qui porte condamnation du nôtre,
devrait nous faire réfléchir.
Comme
devraient nous faire réfléchir, au-delà de l'anecdote, ces milliers de
sauvageons qui, au Stade de France, acclament l'Algérie où ils ne mettraient
les pieds pour rien au monde, qui sifflent « la Marseillaise », scandent le nom
de Ben Laden et bombardent les ministres présentes avec des bouteilles vides -
en plastique pour le moment. On aurait attendu de celles-ci une réaction de
dignité. « Ce n'est rien, ce n'est rien, laissez s'exprimer les forces de
l'amitié, de la fête et de la joie », s'écrie Mme Buffet, elle qui, en pleine
crise américano-islamiste, a organisé méthodiquement ce choc des cultures à la
française. En vérité, nous ne sommes pas respectés parce que nous ne nous
respectons plus. A qui nous demande des valeurs, du « sens », comme dit la
piétaille sociologique, nous répondons par du football. Football à Saint-Denis,
football à la télé, football en banlieue. Le football, c'est la paix ! Mais
non, dans les banlieues, le football, c'est la guerre.
Et comme
nous ne croyons plus à rien, nous nous étonnons que d'autres croient à des
sornettes et à des loups-garous. Et même soient capables de tuer et de mourir
pour ces sornettes, pour ces loups-garous. Pendant ce temps, la France est
envahie de bobologues compatissants, de sociologues misérabilistes, de docteurs
« ce n'est rien », de jeunologues à l'écoute. Ecoutez donc un peu moins et
tâchez donc de comprendre un peu plus. Ce que ces « jeunes » attendent de nous,
au-delà de leurs bredouillements, c'est de notre part un peu plus de fierté, un
peu plus de croyance dans nos propres valeurs. Il faudrait être à la fois plus
ferme et plus généreux, quand nous sommes complaisants et égoïstes. Il
faudrait, envers les jeunes, sortir de ce cercle vicieux où tout leur est
permis parce que rien ne leur est proposé. Nous savons contre quoi nous nous
battons : le terrorisme, le fanatisme. Mais nous serions bien incapables de
dire pour quoi. Merci Ben Laden. Au-delà de votre acte horrible, vous avez
ouvert la grande crise de la civilisation occidentale.
J.
J.