13
février 2007
Depuis Munich (Bavière)
Madame la chancelière
fédérale,
Monsieur Teltschik, [ trois
cents délégués de cinquante États, dont une quarantaine de ministres,
participent dans le cadre élégant de l’hôtel Bayerischer Hof à cette 42ème
édition du Gotha de la défense, organisé par Horst Teltschik,
président de Boeing-Allemagne et ancien conseiller de l’ex-chancelier
conservateur Helmut Kohl. ]
Mesdames,
Messieurs,
Je vous remercie pour cette
invitation à participer à une conférence aussi représentative, qui a réuni
hommes politiques, militaires, entrepreneurs et experts de plus de 40 pays du
monde.
Le format de conférence me
permet d’éviter les formules de politesse superflues et de recourir aux clichés
diplomatiques aussi agréables à entendre que vides de sens. Le format de la
conférence me permet de dire ce que je pense des problèmes de la sécurité
internationale et, si mes jugements vous semblent inutilement polémiques ou
même imprécis, je vous demande de ne pas m’en vouloir. Ce n’est qu’une
conférence et j’espère que dans deux ou trois minutes Monsieur Teltschik n’allumera
pas la « lampe rouge ».
On sait que les problèmes de
la sécurité internationale sont bien plus larges que ceux de la stabilité
militaro-politique. Ces problèmes concernent la stabilité de l’économie
mondiale, la lutte contre la pauvreté, la sécurité économique et le développement
du dialogue entre les civilisations.
Le caractère universel et
indivisible de la sécurité est reflété dans son principe de base :
« la sécurité de chacun signifie la sécurité de tous ». Franklin
Roosevelt avait déclaré au début de la Seconde Guerre mondiale : « Où
que la paix soit rompue, c’est le monde entier qui est menacé ».
Ces paroles restent valables
aujourd’hui. D’ailleurs, le sujet de notre conférence en témoigne : Les
Crises globales impliquent une responsabilité globale.
Il y a vingt ans, le monde
était divisé sur le plan économique et idéologique et sa sécurité était assurée
par les potentiels stratégiques immenses des deux superpuissances.
La confrontation globale
reléguait les problèmes économiques et sociaux urgents à la périphérie des
relations internationales et de l’agenda mondial. De même que n’importe quelle
guerre, la Guerre froide nous a laissé, pour ainsi dire, des « obus non
explosés ». Je pense aux stéréotypes idéologiques, aux doubles standards
et autres clichés hérités de la mentalité des blocs.
Le monde unipolaire proposé
après la Guerre froide ne s’est pas non plus réalisé.
Certes, l’histoire de
l’humanité a connu des périodes d’unipolarité et d’aspiration à la domination
mondiale. L’histoire de l’humanité en a vu de toutes sortes.
Qu’est ce qu’un monde
unipolaire ? Malgré toutes les tentatives d’embellir ce terme, il ne
signifie en pratique qu’une seule chose : c’est un seul centre de pouvoir,
un seul centre de force et un seul centre de décision.
C’est le monde d’un unique
maître, d’un unique souverain. En fin de compte, cela est fatal à tous ceux qui
se trouvent au sein de ce système aussi bien qu’au souverain lui-même, qui se
détruira de l’intérieur.
Bien entendu, cela n’a rien
à voir avec la démocratie, car la démocratie, c’est, comme on le sait, le
pouvoir de la majorité qui prend en considération les intérêts et les opinions
de la minorité.
A propos, on donne
constamment des leçons de démocratie à la Russie. Mais ceux qui le font ne
veulent pas, on ne sait pourquoi, eux-mêmes apprendre.
J’estime que le modèle
unipolaire n’est pas seulement inadmissible pour le monde contemporain, mais
qu’il est même tout à fait impossible. Non seulement parce que, dans les
conditions d’un leader unique, le monde contemporain (je tiens à le
souligner : contemporain) manquera de ressources militaro-politiques et
économiques. Mais, et c’est encore plus important, ce modèle est inefficace,
car il ne peut en aucun cas reposer sur la base morale et éthique de la
civilisation contemporaine.
Cependant, tout ce qui se
produit actuellement dans le monde - et nous ne faisons que commencer à
discuter à ce sujet - est la conséquence des tentatives pour implanter cette
conception dans les affaires mondiales : la conception du monde
unipolaire.
Quel en est le
résultat ?
Les actions unilatérales,
souvent illégitimes, n’ont réglé aucun problème. Bien plus, elles ont entraîné
de nouvelles tragédies humaines et de nouveaux foyers de tension. Jugez par
vous-mêmes : les guerres, les conflits locaux et régionaux n’ont pas
diminué. Monsieur Teltschik
l’a mentionné d’une manière très délicate. Les victimes de ces conflits ne sont
pas moins nombreuses, au contraire, elles sont bien plus nombreuses qu’auparavant.
Nous sommes en présence de
l’emploi hypertrophié, sans aucune entrave, de la force - militaire - dans les
affaires internationales, qui plonge le monde dans un abîme de conflits
successifs. Par conséquent, aucun des conflits ne peut être réglé dans son
ensemble. Et leur règlement politique devient également impossible.
Nous sommes témoins d’un
mépris de plus en plus grand des principes fondamentaux du droit international.
Bien plus, certaines normes et, en fait, presque tout le système du droit d’un
seul Etat, avant tout, bien entendu, des États-Unis, a débordé de ses
frontières nationales dans tous les domaines : dans l’économie, la
politique et dans la sphère humanitaire, et est imposé à d’autres États. À qui
cela peut-il convenir ?
Dans les affaires
internationales, on se heurte de plus en plus souvent au désir de régler tel ou
tel problème en s’inspirant de ce qu’on appelle l’opportunité politique, fondée
sur la conjoncture politique.
Évidemment, cela est très
dangereux, personne ne se sent plus en sécurité, je tiens à le souligner, parce
que personne ne peut plus trouver refuge derrière le droit international.
Évidemment, cette politique est le catalyseur de la course aux armements.
La domination du facteur
force alimente inévitablement l’aspiration de certains pays à détenir des armes
de destruction massive. Qui plus est, on a vu apparaître des menaces
foncièrement nouvelles qui étaient connues auparavant, mais qui acquièrent
aujourd’hui un caractère global, par exemple, le terrorisme.
Je suis certain qu’en ce
moment crucial il faut repenser sérieusement l’architecture globale de la
sécurité.
Il faut rechercher un
équilibre raisonnable des intérêts de tous les acteurs du dialogue
international. D’autant plus que le « paysage international » change
très rapidement et substantiellement en raison du développement dynamique de
toute une série d’États et de régions.
Mme la chancelière
fédérale l’a déjà mentionné. Ainsi, le PIB commun de l’Inde et de la Chine en
parité de pouvoir d’achat dépasse déjà celui des États-Unis. Le PIB des États
du groupe BRIC - Brésil, Russie, Inde et Chine - évalué selon le même principe
dépasse le PIB de l’Union européenne tout entière. Selon les experts, ce fossé
va s’élargir dans un avenir prévisible.
Il ne fait pas de doute que
le potentiel économique des nouveaux centres de la croissance mondiale sera
inévitablement converti en influence politique, et la multipolarité se
renforcera.
Le rôle de la diplomatie
multilatérale s’accroît considérablement dans ce contexte. L’ouverture, la
transparence et la prévisibilité en politique n’ont pas d’alternative
raisonnable et l’emploi de la force doit effectivement être une ultime mesure,
de même que la peine de mort dans les systèmes judiciaires de certains États.
Aujourd’hui, au contraire,
nous observons une situation où des pays dans lesquels la peine de mort est
interdite même à l’égard des assassins et d’autres dangereux criminels
participent allégrement à des opérations militaires qu’il est difficile de
considérer comme légitimes et qui provoquent la mort de centaines, voire de
milliers de civils !
Une question se pose en même
temps : devons-nous rester impassibles face à divers conflits intérieurs
dans certains pays, aux actions des régimes autoritaires, des tyrans, à la
prolifération des armes de destructions massive ? C’est le fond de la
question posée à la chancelière fédérale par Monsieur Lieberman [1] , notre vénérable collègue. Ai-je bien compris votre question
(dit-il en s’adressant à Joseph Lieberman) ? Bien entendu, c’est une
question importante ! Pouvons-nous assister impassiblement à ce qui se
produit ? J’essaierai de répondre à votre question. Bien entendu, nous ne
devons pas rester impassibles. Bien sûr que non.
Mais avons-nous les moyens
de faire face à ces menaces ? Oui, nous les avons. Il suffit de se
rappeler l’histoire récente. Le passage à la démocratie n’a-t-il pas été pacifique
dans notre pays ? Le régime soviétique a subi une transformation
pacifique, malgré la grande quantité d’armes, y compris nucléaires, dont il
disposait ! Pourquoi donc faut-il bombarder et pilonner aujourd’hui à tout
bout de champ ? Manquerions-nous de culture politique, de respect pour les
valeurs démocratiques et le droit, en l’absence d’une menace d’extermination
réciproque ?
Je suis certain que la
Charte des Nations unies est l’unique mécanisme d’adoption de décisions sur
l’emploi de la force en tant que dernier recours. Dans cet ordre d’idées, ou
bien je n’ai pas compris ce qui vient d’être déclaré par notre collègue
ministre italien de la Défense [2], ou bien il ne s’est pas exprimé
clairement. En tout cas, j’ai entendu ce qui suit : l’usage de la force ne
peut être légitime que si cette décision a été prise par l’OTAN, l’Union
européenne ou l’ONU. S’il l’estime effectivement, alors nos points de vue sont différents.
Ou bien j’ai mal entendu. L’usage de la force n’est légitime que sur la base
d’un mandat des Nations unies. Il ne faut pas substituer l’OTAN et l’Union
européenne à l’Organisation des Nations unies. Lorsque l’ONU réunira réellement
les forces de la communauté internationale qui pourront réagir efficacement aux
événements dans certains pays, lorsque nous nous débarrasserons du mépris du
droit international, la situation pourra changer. Sinon, elle restera dans
l’impasse et les lourdes erreurs se multiplieront. Il faut oeuvrer pour que le
droit international soit universel aussi bien dans sa compréhension que dans
l’application de ses normes.
Il ne faut pas oublier qu’en
politique, le mode d’action démocratique suppose nécessairement une discussion
et une élaboration minutieuse des décisions.
Mesdames et messieurs !
Le risque potentiel de
déstabilisation des relations internationales tient également à l’absence
évidente de progrès dans le domaine du désarmement.
La Russie se prononce pour
la reprise du dialogue à ce sujet.
Il est très important
d’appliquer les normes juridiques internationales en matière de désarmement,
tout en poursuivant la réduction des armements nucléaires.
Nous avons convenu avec les
États-Unis de ramener nos charges nucléaires équipant les vecteurs stratégiques
à 1700 - 2 200 unités d’ici au 31 décembre 2012. La Russie a l’intention de
respecter strictement ses engagements. Nous espérons que nos partenaires
agiront en toute transparence, eux aussi, et ne garderont pas sous le coude quelques
centaines de charges nucléaires pour les « mauvais jours ». Donc, si
le nouveau ministre états-unien de la Défense annonce que les Etats-Unis se
garderont de mettre leurs charges excédentaires en stock, ni de les dissimuler
« sous un coussin » ou « sous une couverture », je vous
demanderai de vous lever pour applaudir ses paroles. Ce serait une déclaration
très importante.
La Russie respecte
strictement le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires et le
régime multilatéral de contrôle de la technologie des missiles, et elle a
l’intention de les respecter à l’avenir également. Les principes à la base de
ces documents revêtent un caractère universel.
À cette occasion, je tiens à
rappeler que dans les années 1980, l’URSS et les États-Unis ont signé un Traité
sur l’élimination des missiles à moyenne et plus courte portée sans toutefois
conférer de caractère universel à ce document.
À l’heure actuelle, toute
une série de pays possèdent des missiles de cette classe : la République
populaire démocratique de Corée, la République de Corée, l’Inde, l’Iran, le
Pakistan, l’État d’Israël. De nombreux autres pays sont en train de concevoir
ces systèmes et envisagent d’en doter leurs forces armées. Or, seuls les
États-Unis d’Amérique et la Russie restent fidèles à leur engagement de ne pas
construire ces armes.
Il est clair que dans ces
conditions nous sommes obligés de veiller à assurer notre sécurité.
En même temps, il faut
empêcher l’apparition de nouveaux types d’armes de pointe susceptibles de
déstabiliser la situation. Je ne parle pas des mesures visant à prévenir la
confrontation dans de nouveaux milieux, surtout dans l’espace. On sait que les
« guerres des étoiles » ne relèvent plus de la fiction, mais de la
réalité. Dès le milieu des années 1980, nos partenaires états-uniens ont réussi
à intercepter un de leurs satellites.
Selon la Russie, la
militarisation de l’espace est susceptible d’avoir des conséquences
imprévisibles pour la communauté mondiale, conséquences qui ne seraient pas
moins graves que l’avènement de l’ère nucléaire. C’est pour cela que nous avons
maintes fois lancé des initiatives visant à prévenir le déploiement d’armes
dans l’espace.
Aujourd’hui, je tiens à vous
dire que nous avons préparé un projet de Traité sur le non-déploiement d’armes
dans l’espace. D’ici peu, nous l’enverrons à nos partenaires en qualité de
proposition officielle. Je propose de travailler ensemble sur ce document.
En ce qui concerne les
projets prévoyant le déploiement en Europe d’éléments du système de défense antimissiles,
ils ne manquent pas non plus de nous inquiéter. Qui a besoin d’une nouvelle
relance — inévitable en l’occurrence — de la course aux armements ? Je
doute fort que ce soient les Européens.
Aucun des pays dits « à
problèmes » ne possède de missiles ayant une portée de l’ordre de 5 000 à
8 000 kilomètres et susceptibles de menacer l’Europe. Mieux, dans un avenir
prévisible, leur apparition dans ces pays n’est pas envisageable. Je dirais
même plus : une tentative de lancer un missile nord-coréen, par exemple,
vers les États-Unis via l’Europe serait contraire aux lois de la balistique.
Profitant de mon séjour en
Allemagne, je tiens à évoquer la crise que traverse le Traité sur les forces
armées conventionnelles en Europe.
Signé en 1999, ce Traité
était adapté à une nouvelle réalité géopolitique : le démantèlement du
bloc de Varsovie. Sept ans se sont écoulés depuis, mais il n’a été ratifié que
par quatre pays, dont la Fédération de Russie.
Les pays de l’OTAN ont
ouvertement déclaré qu’ils ne ratifieraient pas le Traité, dont les
dispositions relatives aux limitations dans la zone des « flancs »
(déploiement sur les « flancs » d’un certain nombre de forces armées)
tant que la Russie ne procéderait pas au retrait de ses bases de la Géorgie et
de la Moldavie. Le retrait de nos troupes de la Géorgie est en cours et ce, à
un rythme accéléré. Tout le monde sait que nous avons déjà réglé ces problèmes
avec nos collègues géorgiens. Quant à la Moldavie, on y trouve pour le moment
une formation de 1 500 militaires chargés de maintenir la paix et de protéger
les entrepôts de munitions qui y subsistent depuis l’époque soviétique. Nous
discutons en permanence de cette question avec Monsieur Solana : il
connaît bien notre position. Nous sommes prêts à aller plus loin dans cette
direction.
Mais que se passe-t-il
pendant ce temps-là ? Eh bien, on voit apparaître en Bulgarie et en
Roumanie des « bases états-uniennes légères avancées » de 5 000
militaires chacune. Il se trouve que l’OTAN rapproche ses forces avancées de
nos frontières, tandis que nous - qui respectons strictement le Traité - ne
réagissons pas à ces démarches.
Il est évident, je pense,
que l’élargissement de l’OTAN n’a rien à voir avec la modernisation de
l’alliance, ni avec la sécurité en Europe. Au contraire, c’est un facteur
représentant une provocation sérieuse et abaissant le niveau de la confiance
mutuelle. Nous sommes légitimement en droit de demander ouvertement contre qui
cet élargissement est opéré. Que sont devenues les assurances données par nos
partenaires occidentaux après la dissolution du Pacte de Varsovie ? Où
sont ces assurances ? On l’a oublié. Néanmoins, je me permettrai de
rappeler aux personnes présentes dans cette salle ce qui a été dit. Je tiens à
citer des paroles tirées du discours de M. Werner, alors Secrétaire
général de l’OTAN, prononcé à Bruxelles le 17 mai 1990 : « Que nous
soyons prêts à ne pas déployer les troupes de l’OTAN à l’extérieur du
territoire de la RFA, cela donne à l’Union soviétique des garanties sûres de
sécurité ». Où sont aujourd’hui ces garanties ?
Les blocs de béton et les
pierres du Mur de Berlin sont depuis longtemps des souvenirs. Mais il ne faut
pas oublier que sa chute est devenue possible notamment grâce au choix
historique de notre peuple — le peuple de Russie — en faveur de la démocratie
et de la liberté, de l’ouverture et du partenariat sincère avec tous les
membres de la grande famille européenne.
Or, maintenant, on s’efforce
de nous imposer de nouvelles lignes de démarcation et de nouveaux murs. Même
s’ils sont virtuels, ils ne manquent pas de diviser, de compartimenter notre
continent. Faudra-t-il à nouveau des années et des décennies, une succession de
plusieurs générations de responsables politiques pour démanteler ces murs ?
Mesdames, Messieurs !
Nous préconisons le
renforcement du régime de non-prolifération. L’actuelle base juridique
internationale permet de mettre au point des technologies de production de
combustible nucléaire pour l’utiliser ensuite à des fins pacifiques. Et bon
nombre d’États veulent, à juste titre, développer leur propre nucléaire civil
en tant que base de leur indépendance énergétique. En même temps, nous
comprenons que ces technologies peuvent se transformer rapidement en know-how
pour la production de matériaux nucléaires militaires.
Cela suscite une grave
tension internationale. La situation autour du programme nucléaire iranien en
est un exemple éclatant. Si la communauté internationale n’élabore pas de
solution raisonnable à ce conflit d’intérêts, le monde sera ébranlé, à l’avenir
également, par ce genre de crises déstabilisatrices, car l’Iran n’est pas
l’unique pays du seuil, et nous ne le savons que trop, nous et vous. Aussi,
nous serons en permanence confrontés à la menace de prolifération des armes de
destruction massive (ADM).
L’année dernière, la Russie
a proposé de créer des centres d’enrichissement d’uranium multinationaux. Nous
acceptons que de tels centres se créent non seulement en Russie, mais aussi
dans d’autres pays où le nucléaire civil se développe sur une base légale. Les
États cherchant à développer leur nucléaire civil pourraient recevoir du
combustible, en participant directement au travail de ces centres, évidemment,
sous le contrôle rigoureux de l’Agence internationale de l’énergie atomique
(AIEA).
Or, les dernières
initiatives du président des États-Unis, George W. Bush, sont à l’unisson de
cette initiative russe. Je pense que la Russie et les États-Unis sont
objectivement et également intéressés au durcissement du régime de non-prolifération
des armes de destruction massive et de leurs vecteurs. Et ce sont justement nos
deux pays, leaders pour leur potentiel nucléaire et balistique, qui doivent,
eux aussi, devenir leaders de la mise au point de nouvelles mesures plus
rigoureuses en matière de non-prolifération. La Russie est prête à effectuer un
tel travail. Nous menons des consultations avec nos amis états-uniens.
Somme toute, il doit y être
question de la mise en place de tout un système de leviers politiques et de
stimulants économiques qui n’incitent pas les États à créer leurs propres
capacités en matière de cycle du combustible nucléaire, mais leur permettent de
développer leur nucléaire civil, en renforçant ainsi leur potentiel
énergétique.
À cette occasion, je tiens à
parler plus en détail de la coopération énergétique internationale. Mme la
chancelière fédérale en a parlé, elle aussi, bien que brièvement. Dans la
sphère énergétique, la Russie s’oriente vers l’élaboration de principes de
marché et de conditions transparentes qui soient les mêmes pour tous. Il est
évident que le prix des hydrocarbures doit être établi par le marché et ne doit
pas faire l’objet de spéculations politiques ni de pressions ou de chantages
économiques.
Nous sommes ouverts à la
coopération. Des compagnies étrangères participent à nos plus grands projets
économiques. Selon différentes évaluations, jusqu’à 26% de l’extraction de
pétrole en Russie reviennent - réfléchissez bien à ce chiffre - jusqu’à 26% de
l’extraction de pétrole en Russie reviennent au capital étranger. Essayez donc
de me citer un exemple de présence aussi large du business russe dans les
branches clés de l’économie des États d’Occident. Il n’y en a pas !
Je tiens aussi à rappeler la
proportion d’investissements arrivant en Russie et partant de Russie vers
d’autres pays du monde. Ce rapport est à peu près de quinze pour un. Voilà un
exemple éclatant de l’ouverture et de la stabilité de l’économie russe.
La sécurité économique est
une sphère où tous doivent s’en tenir à des principes uniques. Nous sommes
prêts à une concurrence loyale.
L’économie russe a de plus
en plus de possibilités pour cela. Cette dynamique est objectivement évaluée
par des experts et nos partenaires étrangers. Récemment, par exemple, la Russie
a été mieux notée au sein de l’Organisation de coopération et de développement
économiques (OCDE) : notre pays est passé notamment du groupe à risque 4
au groupe 3. Profitant de l’occasion, ici, aujourd’hui à Munich, je voudrais
remercier tout particulièrement nos collègues allemands de leur concours à
l’adoption de la décision évoquée.
Continuons. Comme vous le
savez, le processus d’adhésion de la Russie à l’Organisation mondiale du
Commerce (OMC) est entré dans sa phase finale. Je rappellerai qu’au cours des
négociations longues et difficiles, nous avons plus d’une fois entendu des
paroles sur la liberté d’expression, la liberté de commerce et des possibilités
égales, mais seulement quand il s’agissait du marché russe.
Et encore un thème très
important qui influe directement sur la sécurité globale. On parle beaucoup
aujourd’hui de la lutte contre la pauvreté. Mais qu’est-ce qui se produit en
réalité ? D’une part, des ressources financières - et souvent importantes
- sont allouées à des programmes d’assistance aux pays les plus pauvres. Quoi
qu’il en soit, et beaucoup le savent ici également, il n’est pas rare que les
compagnies des pays donateurs eux-mêmes « les utilisent ». D’autre
part, l’agriculture dans les pays industrialisés est toujours subventionnée,
alors que l’accès des hautes technologies est limité pour d’autres.
Appelons donc les choses par
leurs noms : il s’avère qu’une main distribue les « aides
caritatives », alors que l’autre entretient l’arriération économique, mais
récolte aussi des bénéfices. La tension sociale surgissant dans de telles
régions dépressives se traduit inévitablement par la croissance du radicalisme
et de l’extrémisme, tout en alimentant le terrorisme et les conflits locaux. Et
si tout cela se produit de surcroît, par exemple, au Proche-Orient dans le contexte
d’une vision aggravée du monde extérieur, en tant que monde injuste, une
déstabilisation globale risque de se produire.
Il va sans dire que les
principales puissances mondiales doivent voir cette menace et organiser, par
conséquent, un système plus démocratique et plus équitable de rapports
économiques qui donne à tous une chance et une possibilité de développement.
Intervenant à une conférence
sur la sécurité, on ne peut pas, non plus, Mesdames et Messieurs, passer sous
silence l’activité de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en
Europe (OSCE). L’OSCE a été créée pour examiner tous les aspects, je tiens à le
souligner, tous les aspects de la sécurité, qu’il s’agisse des aspects
politico-militaires, économiques ou humanitaires et ce, dans leurs rapports
réciproques.
Mais que voyons-nous
aujourd’hui en réalité ? Nous voyons que cet équilibre est manifestement
perturbé. On essaie de transformer l’OSCE en instrument vulgaire au service des
intérêts politiques extérieurs d’un seul pays ou d’un groupe de pays à l’égard
d’autres États. Et c’est pour cette tâche, que l’on a aussi « monté de
toutes pièces » l’appareil bureaucratique de l’OSCE qui n’est nullement
lié aux États fondateurs. On a « monté de toutes pièces » pour cette
tâche également les procédures d’adoption des décisions et d’utilisation des
fameuses « organisations non gouvernementales (ONG) ». Formellement,
il s’agit effectivement d’organisations indépendantes, mais financées
rationnellement et, par conséquent, contrôlées.
Conformément aux documents
fondateurs, dans la sphère humanitaire, l’OSCE est appelée à accorder aux pays
membres, à leur demande, un concours en matière de respect des normes
internationales dans le domaine des droits de l’homme. C’est une importante
mission. Nous la soutenons. Mais cela ne signifie pas qu’on peut s’ingérer dans
les affaires intérieures d’autres pays et encore moins tenter de leur dicter la
manière dont ils doivent vivre et se développer.
Il est parfaitement évident
qu’une telle ingérence ne contribue pas du tout à la maturation d’Etats
authentiquement démocratiques. Par contre, elle les rend dépendants, avec comme
conséquence l’instabilité sur les plans économique et politique.
Nous espérons que l’OSCE se
guidera sur ses tâches immédiates et organisera ses relations avec des États
souverains sur la base du respect, de la confiance et de la transparence.
Mesdames, Messieurs !
En conclusion, je voudrais
retenir ceci. Nous entendons très souvent - et je les entends personnellement —
les appels de nos partenaires, y compris nos partenaires européens, exhortant
la Russie à jouer un rôle de plus en plus actif dans les affaires
internationales.
Je me permettrai à cette
occasion une petite remarque. Nous n’avons pas besoin d’être éperonnés ou
stimulés. La Russie a une histoire millénaire, et pratiquement elle a toujours
eu le privilège de pratiquer une politique extérieure indépendante.
Nous n’avons pas l’intention
aujourd’hui non plus de faillir à cette tradition. En même temps, nous voyons
que le monde a changé et nous évaluons avec réalisme nos propres possibilités
et notre propre potentiel. Et évidemment nous voudrions aussi avoir affaire à
des partenaires sérieux et tout aussi indépendants avec lesquels nous pourrions
travailler à l’édification d’un monde plus démocratique et plus équitable, tout
en y garantissant la sécurité et la prospérité non seulement des élites, mais
de tous.
Je vous remercie de votre
attention.
[1] Favorable à
une action militaire contre l’Iran, le sénateur Joseph Lieberman est le leader
des faucons de la gauche états-unienne. Il se situe dans la ligne du très
anti-russe Henry « Scoop » Jackson, figure tutélaire des néoconservateurs.
NDLR.
[2]
Arturo Parisi. NDLR.