FIN DU VOYERISME PAISIBLE, 1ere partie (suite et fin)


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Posted by Der K on June 04, 1998 at 10:45:47 AM EDT:

Je dis simplement que ces divisions-là, entre classes selon les moyens de production, ou entre ethnies, ou entre gens au grand nez ou au petit QI, ne sont pas les divisions selon le principe du monde, mais des pièges à cons. Mais quand vous parlez d'esclaves ou de bourgeois de "grande classe", j'y trouve un terme plus en rapport au principe de leur monde que quand vous parlez de "classes sociales". Pour ma part j'appelle ceux qui défendent ce monde (papy Dassault compris) des valets, et ceux qui l'attaquent, des gueux. Cette appellation, pourtant, ne me satisfait pas non plus : si valet convient relativement bien aux défenseurs d'un château, dont le maître, celui qui maîtrise et qui les paye, est le fantôme, l'esprit, gueux ne convient aux pauvres modernes que lorsqu'ils attaquent, ce qui, malheureusement, est l'exception.

Cette division est selon le principe du monde, la communication, entre qui porte la livrée et qui ne la porte pas (soit qu'elle ne va pas, soit qu'on n'y a pas accès). Les premiers sont en pleine réorganisation, de Berlin démuré à Bassora bombardé, réorganisation d'ailleurs plus indécise que construite, sans maîtrise ni projet, et qui, néanmoins se présente non pas comme la réorganisation de l'ennemi, mais comme la réorganisation du monde. Il en émerge une tendance qui rend urgent de critiquer les insuffisances de la théorie de la communication de Jean-Pierre Voyer. Car, entre les héritiers de la bourgeoisie et du prolétariat, entre ceux qui conservent et ceux qui suppriment, s'installe aujourd'hui un fort parti (et c'est bien parti !) dont l'unique préoccupation semble être de séparer les combattants, et qui donc est la forme la plus moderne de la conservation. Cette nouvelle première ligne du parti de la religion contre le parti qui veut supprimer toute religion est le parti de la communication. Il peut très bien adopter une théorie qui prétend justement que la communication est éternelle, que le malheur des temps est que la communication directe est devenue introuvable, et que papy Dassault jouissait pleinement de la richesse inépuisable issue de la division du travail. Ce parti ne connaît pas encore cette théorie, ses grands yeux globuleux fouillant plutôt la pratique, mais un des problèmes principaux de sa croissance est justement son manque de théorie, sa réduction idéologique à de ridicules recettes (à propos : quand je parlais de recettes dans ma première lettre, c'était au second degré ; si vous connaissez des recettes signifie que je suppose qu'il n'y en a pas, et non pas que j'en attends ; maintenant, si malgré cela vous me proposez une recette pour le bonheur, waow, je vais de ce pas à la cuisine aiguiser mon grand couteau). Ce parti est pour l'instant largement identique, mais sa réorganisation va bon train, à l'information occidentale, dont les progrès fulgurants se mesurent depuis le spectacle monumental de Chine en 1989 jusqu'à l'occultation complète de l'insurrection irakienne en mars 1991. A la retraite précipitée, suivie de reconversions bâclées, des populeuses polices staliniennes, ce parti a pris beaucoup de bonnes places. Entre ses cadres sup athées à l'ancienne et le néo-islam, il lui manque une idéologie de la conciliation, qui relativise l'économie politique et le judéo-christianisme, et qui ne fonde pas à travers les brèches ouvertes lorsqu'elle était théorie, c'est-à-dire lorsque Jean-Pierre Voyer recherchait encore la suppression des présupposés ("je n'ai pas pour but de supprimer quoi que ce soit", "mes amis me liront dans cent ans", il n'y a pas besoin d'être un récupérateur bien habile pour faire monter sur ce genre de désinvoltures la bonne mayonnaise entre la théorie de la communication comme principe du monde et l'information occidentale).

Là où les gueux, donc, attaquent, ils parlent un langage nouveau et singulier, celui de cette attaque. Une émeute moderne est pratiquement antithétique à une émeute planifiée par Blanqui il y a un siècle et demi. C'est que la nouveauté change. Ce discours est fait de peu de mots, ce sont plutôt des cris et des coups. Ce n'en est pas moins le début du débat. je ne sais si c'est ce dont la tentative vous est apparue en 1968, et si cela se rapproche de la "communication directe". Mais des événements de ce type, il en commence actuellement plus de cent par an dans le monde. C'est là que se joue la fin des paradoxes, la fin des lieux communs.

DEUXIEME RAISON DU RETARD DE CETTE REPONSE

"Du 9 janvier 1978 au 4 novembre 1979" est un ouvrage que je viens de signer. J'ai attendu sa parution, pour pouvoir la joindre à la lettre présente. En effet, comme elle, ce texte comporte d'amples développements à la fin de ma lettre du 23 juin, que vous dites n'avoir pas comprise, et qui fondait les questions qui la précédaient. Je me permets donc de vous infliger cette volumineuse lecture. Comme son index vous le signalera rapidement, vous êtes d'ailleurs nommé dans cet ouvrage.

 

TROISIEME RAISON DU RETARD DE CETTE REPONSE

La façon dont "L'Imbécile de Paris" a publié ma lettre m'a paru fort insatisfaisante. Je désapprouve cette mauvaise habitude de magasine, qui consiste à truffer d'intertitres ridicules un texte qui n'en comporte pas. Si j'estime qu'il faut des intertitres, comme dans cette lettre-ci, je sais les mettre moi-même. D'ailleurs, votre réponse n'en avait pas.

D'autre part, j'ai bien reçu de vous une lettre datée du 28 juin 1991. Je vous en rappelle le texte : Monsieur, J'accuse réception de votre lettre et je vous en remercie. J'y répondrais dès que possible. Je vous prie d'agréer, Monsieur, mes salutations distinguées. Celle qui est datée du même jour, et qui est parue dans l'Imbécile de Paris, je n'ai jamais pu la lire que lorsque j'ai acquis ce journal, c'est-à-dire à sa parution, le 5 septembre. Pour le maigre public de cet échange, je ne trouve pas conforme à la vérité que vous paraissiez me répondre du tac au tac, et que mon temps de réflexion se trouve additionné du vôtre ; à moins que PTT se soit une fois de plus avéré négligent, voire indiscret, ce que vous seul pouvez m'apprendre.

Dites aux opérateurs de saisie et aux correcteurs, si vous les voyez, que je n'écris pas histoire avec une majuscule.

Étant donné que je tiens ce fade journal pour responsable de ces petites libertés (je comprends mieux en quoi consiste l'ambitieux programme de l'éditorialiste : prendre librement la parole), je préférerais n'y plus paraître. C'est pourquoi cette lettre est envoyée après le numéro 3, et en partie pourquoi elle est si longue.

Adreba Solneman

 

g) Adreba Solneman à Jean-Pierre Voyer, le 23 décembre 1991

 

Paris, le 23 décembre 1991

à Jean-Pierre Voyer

Je suppose que vous n'aurez pas reçu la lettre que je vous ai écrite le 13 octobre dernier en réponse à votre article du numéro 2 de "L'Imbécile" (lettre à laquelle j'avais ajouté, en tant que pièce, mon dernier ouvrage).

Vous en trouverez donc ci-joint une copie. Faites-moi savoir rapidement si vous comptez y répondre, sinon j'en tirerai toutes les conclusions qui s'imposent.

Adreba Solneman

 

h) Jean-Pierre Voyer à Adreba Solneman, le 8 janvier 1992

Paris 8 janvier 1992

Monsieur,

J'avais parfaitement reçu le premier envoi de votre lettre du 13 octobre.

Avant de tirer toutes les conclusions qui s'imposent, laissez-moi, je vous prie, la liberté de ne pas répondre. C'est, il me semble, la moindre des libertés.

Sinon, j'en conclurai, moi, que vous êtes un oppresseur.

J-P Voyer

 

___________________________

Je voudrais rappeler à Jean-Pierre Voyer que généralement l'oppresseur est celui qui impose le silence ; que lorsque l'oppresseur force à parler, cela peut difficilement être autrement qu'en utilisant des bouts de bambou qu'on enfonce sous les ongles, et que je n'ai pas de bouts de bambou ; et que si j'étais tortionnaire, avec le pouvoir d'enfoncer des bambous sous les ongles de Jean-Pierre Voyer, j'obtiendrais peut-être quelque réponse, mais en aucun cas celle que je demande, une réponse intelligente.

La vieillesse, hélas, ronge les meilleures têtes, et souvent les attaque par la mémoire, comme cela semble être le cas chez Jean-Pierre Voyer. Il avait déjà fallu, comme il l'exigeait fermement, que je lui cite le propre passage d'un de ses livres où il dit que l'économie est une religion (et d'ailleurs, il y dit aussi "Nous nous étions fixés comme but ... d'en finir avec l'économie. Nous estimons que c'est chose faite". Par ailleurs il dit que l'économie n'existe pas. Comment peut-on en finir avec quelque chose qui n'existe pas ?) ; il faut maintenant que je lui rappelle une de ses lettres : "En vertu des motifs évoqués plus haut et de tes propres exigences maintes fois affirmées, je ne suis pas décidé à te laisser libre de ne pas te déclarer sur ces différents points. Je saurai me faire entendre avant que ne s'écoulent quatre décennies." Si la liberté de se taire est la moindre des libertés, et que ceux qui ne veulent pas laisser cette liberté sont des oppresseurs, Jean-Pierre Voyer est l'oppresseur de son correspondant (Guy Debord) et je veux bien être, moi, l'oppresseur de l'oppresseur.

Il n'est pas facile d'exprimer tout le mérite d'un des uniques théoriciens contemporains sans le déprécier. Il suffira de savoir que l'auteur de "Révélations sur le principe du monde" est le seul exégète de Hegel en son siècle. De là à se vanter de n'être discuté qu'à la fin du siècle suivant, on glisse dans la bravade d'histrion : si c'est vrai, il sera applaudi alors, mais si c'est faux, qui le sanctionnera ? A ce compte-là, qu'est-ce que je risque à affirmer qu'on ne parlera que de moi dans mille ans ? Tout simplement de voir ma vanité prendre le dessus sur mon intérêt ; j'ai bien envie d'achever l'humanité au moment de ma mort, et c'est bien avant cent ans.

Je tiens donc à reformuler la question de fond de ce débat, qui, j'espère, intéressera davantage ceux qui prennent à la lettre la pensée de Jean-Pierre Voyer que Jean-Pierre Voyer lui-même, qui n'en est plus là. Est-ce que la communication a une fin ? Si oui, laquelle ? Si non, qu'est-ce qui la différencie de n'importe quelle religion ? Je regrette que cette critique de fond (en comble !) de la théorie de Jean-Pierre Voyer ne soit pas celle que Jean-Pierre Voyer désire entendre : prouver l'existence de l'économie (rien de plus simple, en passant. Le premier syllogisme venu y suffit : l'économie est une pensée. Toute pensée existe. L'économie existe.) La pensée humaine n'a pas encore eu de théorie critiquée à partir du point de vue proposé par celui qui l'a élaborée. Evidemment banane : sinon il l'aurait fait lui-même, eh l'autre !

 

Adreba Solneman

(mai 1992, in "Bulletin n° 4" de la Bibliothèque des Émeutes)

 


M. Ripley s'amuse