Lettre à M. Houellebecq


Posted by Jean-Pierre Voyer sur le Debord off on October 12, 1998

Lettre à M. Houellebecq

"– La question est de savoir quels ont été votre but et vos motifs pour ne peindre que des scènes de vices et de démence.

– Ça a été d’arracher le manteau sous lequel la société, à force de mensonges et de spectacles, dérobe la vue des vices, et de montrer le monde tel qu’il est."

"Me supposez-vous d’autres intentions que d’avoir voulu m’amuser et amuser les autres, écrire une satire badine avec aussi peu de poésie que possible"

Byron à propos de Don Juan

Le cant auquel se heurtait Byron existe plus que jamais de nos jours et cette fois sur le continent. C’est la gauche et sa prétendue pensée qui n’a même plus l’excuse de l’aristocratie. La gauche, c’est le cant chez les plébéiens enrichis. Une définition du cant par un druide Gallois de ma connaissance est : "insulter le vrai Graal", ce qui autrefois était le triste privilège d’une certaine classe des Anglais. Le vrai Graal n’est autre que l’Espérance. L’immonde gauche n’est immonde que parce qu’elle trafique de l’espérance. Elle prétend représenter toute l’espérance possible et elle seule. Aujourd’hui, en France, les insulteurs du vrai Graal sont au gouvernement et majoritaires dans l’industrie idéologique.

 

Mécanique hamiltonienne. Apologue.

Dans la mécanique hamiltonienne, contrairement à ce qui se passe dans la mécanique newtonienne, on s’arrange pour pouvoir traiter séparément l’énergie cinétique et l’énergie potentielle. L’énergie cinétique est une fonction des seuls moments tandis que l’énergie potentielle est une fonction des seule positions. La somme de ces énergie est une fonction dite fonction hamiltonienne ou hamiltonien qui décrit l’énergie totale du système en fonction des moments et des positions. Dans les équations de la mécanique hamiltonienne, la dérivée par rapport au temps du moment est égale à moins la dérivée partielle du hamiltonien par rapport à la position et la dérivée de la position par rapport au temps est égale à la dérivée partielle du hamiltonien par rapport au moment. Donc, bien qu’indépendantes en apparence, les variables moment et position sont en fait conjuguées dans ces équations.

Je prétends, contrairement à ce que vous prétendez, qu’il en est de même dans votre monde à deux dimensions (lapsus, en fait à deux sous-systèmes). Le système économique (exceptionnellement, je ne chicanerai pas ici sur le terme économique) et le système sexuel sont seulement en apparence indépendants, ils sont en fait conjugués et régis par une fonction de la communication totale. La séparation qui agit dans l’un est la séparation qui agit dans l’autre. Plus grande est la séparation dans l’un, plus grande est la séparation dans l’autre, je suis tenté de dire en vertu de la loi de séparation maximum. La différence est que cette unique séparation a des effets différents dans chacun des systèmes.

Une des conséquences dans le système sexuel est que, de même que dans la dynamique, plus grande est la séparation, plus grande est l’énergie popotentielle – s’agissant de popotins – (on regarde seulement) au détriment de l’énergie cinétique (on peut toucher). La souffrance, de ce fait, est aussi maximum : on peut regarder mais on n’a pas le droit de toucher. Il faut remarquer que la distance qui sépare les popotins a lieu dans un espace comparable à l’espace des phases ou à un espace fonctionnel. La distance dans l’espace de tous les jours peut bien être nulle, réduite à un frôlement, la distance dans l’espace des phases, le seul qui compte, n’en demeure pas moins immense comme en fait l’expérience le pauvre Tisserand.

Le système sexuel fait d’ailleurs penser à l’électrodynamique plutôt qu’à la dynamique étant donné que l’on se trouve en présence de masse chargées, de polarité contraires, Mars ou Venus. L’énergie popotentielle est due non seulement à la gravitation mais aussi aux charges dans le champ érotique ce qui semble s’accorder avec l’expérience. (les pédés et les gouines n’ont pas de charge, et seule joue pour eux la gravitation, c’est à dire des popotins neutres)

Autre conséquence, si la séparation dans le système économique décroît, l’attraction sexuelle dans le système sexuel décroît. J’ai pu constater expérimentalement ce résultat quand tout s’est arrêté en mai 1968. D’une part les popotins ont moins d’attrait, d’autres part il deviennent soudainement facilement accessibles. On n’y accède pas plus cependant car on a autre chose à faire. On est occupé ailleurs ce qui entraîne que les popotins cessent d’être la seule affaire de la vie. Ainsi devaient être les Grecs quand ils avançaient à marches forcées dans les plaines de l’Euphrate quoiqu’ils ne dédaignassent jamais un petit pillage associé de viols et d’assassinats par-ci par-là. Là encore, les règles d’attraction des popotins ressemblent étrangement aux règles d’attraction du champ électromagnétique. Toute création de force électromotrice entraîne la création d’une force contre-électromotrice. Plus les popotins sont inaccessibles, plus ils sont attractifs, et plus ils sont attractifs, plus ils sont inaccessibles comme si tout effort pour les atteindre engendrait un contre-effort. C’est ce qui explique que les ondes électromagnétiques ne s’amortissent pas car toute tendance à l’amortissement dans le champ magnétique, par exemple, provoque une contre-tendance à l’amortissement dans le champ électrique (Richard Feynman, cours de physique, 1962). Moins ils sont inaccessibles, moins ils sont attractifs quoiqu’ils demeurent néanmoins fort appétissants. Mais quiconque, alors, devant ces appas, garde sérénité et sang froid comme Phidias et se contente de dire "comme c’est beau, comme c’est vaste" ce qu’il dit aujourd’hui devant les monts d’Auvergne et seulement devant les monts d’Auvergne. Je suis toujours frappé par le contraste entre la douceur des paysages, forgés par deux mille ans d’histoire, et la dureté de la vie dans ce monde et dans les commissariats de police. Si les populations du Moyen-Age et de l’Ancien Régime n’avaient pas déboisé atrocement lesdits monts, laissant seulement, ça et là, quelques carrés d’épicéa afin que le poète Debord puisse pincer sa lyre, ceux ci ne seraient pas aussi beaux aujourd’hui. Ces gens se sont conduit alors exactement comme des urbanistes dans une ZUP ou une ZAC ou comme la COGEMA et le CEA partout en France.

Comme vous le notez justement, dans un système social-démocrate où le droit de licencier serait limité et où l’adultère serait réprimé, chacun trouverait du travail et chacun trouverait sa chacune. Notez que c’est là un bienfait de la civilisation. Chez les animaux, certains mâles sont écartés à vie des femelles. Cela n’a pas grande importance pour un cervidé qui va brouter ailleurs ; mais qu’en est-il pour le lion, ce maquereau qui est nourri par les femelles. De plus, chez les animaux, la saison des amours est brève et s’il y a tourment, il est bref aussi.

Il est un meilleur exemple. Chez les sauvages il y a un seul système de la communication totale où il est impossible de distinguer un système économique et un système sexuel. Autrement dit, les sauvages n’avaient pas encore inventé l’atroce communication hamiltonienne avec sa fonction productive et sa fonction sexuelle. Chez les sauvages, il n’y a pas d’activité productive. Il n’y a de fonction productive que dans le monde de l’infâme Locke, cet homme qui ne répondit pas à l’inventeur du calcul infinitésimal.

Je relève en passant quelques unes de vos propositions qui me paraissent injustifiées.

Ainsi, vous affirmez que le supermarché est l’authentique paradis moderne et que la lutte s’arrête à sa porte. Vous ajoutez que les pauvres, par exemple, n’y entrent pas. Je ne discuterai pas le fait que vous jugiez les supermarchés comme l’authentique paradis moderne alors que je les tiens simplement pour un des cercles de l’enfer, les boîtes de nuit en étant un autre ; mais ce que vous tenez sans doute pour une preuve : que les pauvres n’y entrent pas. Je vous mets au défi de me montrer un seul riche dans un supermarché. A ma connaissance, seuls des pauvres entrent dans les supermarchés, que ce soit comme employés ou comme clients. Ou bien voulez vous dire que seuls les gens qui dorment dans des cartons sur les trottoirs sont pauvres (eux on en effet quelques difficultés pour pénétrer dans les supermarchés) ? Est-ce un lapsus de votre part ?

Je doute que ce soit un lapsus car ailleurs vous affirmez que Tisserand et le narrateur sont vainqueurs du côté de l’argent et perdants du côté du sexe. On croit rêver. Vous dites que le narrateur gagne trois ou quatre fois le SMIC. Pour vous c’est être vainqueur du côté de l’argent ! Même à dix fois le SMIC vous seriez loin du compte. Dans le monde de Locke, seuls sont vainqueurs les propriétaires (ils furent d’abord vainqueurs dans la révolution française). Vous avez un excellent exemple de vainqueur du côté de l’argent et du côté du sexe, c’est M. Lévy. Plus de deux milliards de chiffre d’affaire, cinquante cinq millions de bénéfices. Il peut tringler quand il veut une des plus jolies femmes de Paris et certainement bien d’autres. Ensuite, sa femme chante. Il peut donc la prendre debout par derrière pendant qu’elle chante la ballade de Santa. Ça, c’est du luxe. (Ce con n’en n’est même pas capable. Il paraît que le fait que madame chante énerve monsieur). J’avais une amie cantatrice qui aimait chanter Wandern en s’accompagnant debout, et nue, au piano pendant qu’on la prenait par derrière. (Elle me disait : comme l’harmonie est belle.) Elle aimait aussi lire un livre à haute voix pendant qu’on la prenait. Elle aimait également être prise en même temps par devant et par derrière par deux messieurs. Mais là, elle ne chantait pas. Il y a des limites quand même. (Berlioz dit aux choristes dans Lélio :  " Ne tenez pas votre partition devant la bouche. ") C’était sa contribution à l’art total. J’ai d’elle une photographie où elle figure, le poing levé, en jeune communiste, avec pour tout vêtement le fanion des Komsomol. Au moins, sa jupe ne l’entravait pas et elle n’avait pas froid aux yeux qu’elle a bleu pervenche. Ceci dit, le monde est vraiment mal fait, car sa chance ne semble pas suffire à M. Lévy. Il est esclave de la gloire. Il semblerait donc qu’il n’y a pas de vainqueur dans ce monde.

Je vous reprocherai également de donner une version édulcorée de la misère. Au moins vos héros sont-ils désabusés. Dans le monde ils seraient pires. Non seulement ils voteraient ; mais ils voteraient Mitterand.

Je suis également étonné que vous répondiez aux imbéciles de Perpendiculaire que l’immigration et le racisme sont une question de démographie. L’antiracisme – et donc le racisme – en France est une pure création, une pure  mise en scène, de l’infâme vichisto-socialiste Mitterand, du non moins infâme trotskiste Dray à l’aide des capitaux du milliardaire Bergé. Et qui sème le vent récolte la tempête. C’est bien ce qu’escomptaient ce trio de larrons crapuleux. Ils font exactement de leur côté ce que Le Pen fait du sien. De même le succès de Le Pen est une pure création du vichisto-socialiste. C’est, néanmoins, un plaisir de voir le cant de gauche écumer de rage à la seule évocation de ce Mordred.

Je comptais vous attribuer une croix gammée d’honneur ; mais je vous ai vu subir, à la télévision, le baiser de la morue bordelaise. Debord dut subir aussi ce baiser mais au moins attendit-il d’être mort. En conséquence, je ne vous décernerai pas cette décoration. Vous devrez vous contenter, un jour ou l’autre, de l’académie française. Le professeur Bourdieu n’aime pas la morue bordelaise. C’est un homme de goût. Chacun sait que la morue bordelaise est infecte.

Pendant que je vous écris, M. Lévy est sous la tente du commandant Massoud. Il a décidé d’offrir sa blonde au beau commandant. Voilà enfin une bonne action. Il faut dire que la seule chose que cet homme ait de bien, c’est sa femme.

J-P Voyer

M. Ripley s'amuse