M. Maury découvre le capitalisme


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Posted by Voyer on March 07, 1997 at 05:54:20 AM EST:

       

       

M. Maury redécouvre le capitalisme

       Nous avait-on assez rebattu les oreilles avec la disparition des propriétaires, des capitalistes, des entrepreneurs. Désormais, nous devions assister au règne de compétents managers sur le capital anonyme. Mais voilà que M. Maury, dans les colonnes de l'Enculé du jeudi du 4 août 1994, redécouvre les propriétaires et les capitalistes. Quelle surprise ! Récemment encore, le républicain moyen fraîchement déstalinisé voulait bien admettre l'existence du capitalisme, celle du capital, sous l'arbitrage sévère du fameux État de droit; mais l'existence des capitalistes, il n'en était pas question, c'était par trop anti-démocratique. Or, non seulement voici revenus les capitalistes alors que les esclaves sont presque libres et presque tous motorisés; mais, non contents d'exister, ces propriétaires sont désormais qui député européen, qui chef de gouvernement.

        En fait c'est l'hypocrisie de l'État républicain radical et de son prétendu intérêt général qui s'effondre. Il y avait en France du temps de Jules Ferry trente millions d'esclaves. Il y en a aujourd'hui cinquante millions. C'est beau l'instruction. En s'occupant en personne des affaires de l'État, les propriétaires ne font que reprendre ce qui n'a jamais cessé de leur appartenir depuis deux siècles malgré les apparences contraires. La Révolution française est terminée, les Girondins peuvent enfin congédier leurs complices jacobins. Désormais, le maître des esclaves au bureau ou à l'usine sera leur maître partout ailleurs. Il entend se réserver le soin, le plaisir et le risque de duper lui-même la vile multitude (M. Ripley s'amuse). Pendant un siècle, l'État des instituteurs fut le cache-misère de popu virtuellement citoyen dans le ciel de l'État mais esclave sur la terre du commerce. Aujourd'hui, les choses sont claires, elles en sont revenues à ce qu'elles étaient dans la Rome républicaine: alors on ne confiait le pouvoir qu'aux riches propriétaires terriens; désormais on le confie aux chevaliers (d'industrie). César est à nouveau dans Rome, non plus avec ses légions mais avec ses capitaux. Regardez ce séditieux Tapie, n'est-ce pas Catilina ? Parviendra-t-il à se tailler une principauté à Marseille ? La dotera-t-il de l'arme atomique achetée aux Iraniens, annexera-t-il Monaco, attaquera-t-il la Libye de Kadhafi, jettera-t-il les Anglais hors de Gibraltar ? Déjà, de nombreux et valeureux défenseurs de l'État républicain ont tenté de prononcer le célèbre: "Jusqu'à quand, Tapie, abuseras-tu de notre patience ?"; mais aucun n'a pu encore prononcer le non moins célèbre: "Il a vécu".

        Si les hommes de Berlusconi sont si voyants dans l'État italien tandis que ceux d'I.B.M., Coca-Cola ou General Motors sont si discrets dans l'administration américaine, c'est seulement parce que l'empire de Berlusconi est trop petit et trop neuf et le capitalisme européen trop attardé. Il fut un temps où ce qui était bon pour General Motors fut déclaré bon pour les États-Unis. Aujourd'hui ce qui est bon pour Fininvest vient d'être déclaré bon pour l'Italie. Nous assistons à l'américanisation accélérée de l'Europe et la télévision n'y est pour rien. Ce n'est pas la télévision qui a fait l'esclavage, c'est l'esclavage qui a fait la télévision. La télévision ne conquiert que ce que le commerce a déjà conquis.

       On peut se demander ce qui pousse un enculé intellectuel à se porter en vertueux défenseur de la république, comme le fit autrefois le douteux Cicéron ("Périsse la République pourvu que nos biens soient saufs!"). M. Maury nous fournit la réponse: "L'argent réel ou supposé est également devenu la condition de la pensée subversive. Il donne droit à la colère." C'est bien là que le bât blesse. La subversion est bien ce à quoi aimeraient prétendre les publicistes de l'Enculé du jeudi. De nos jours la subversion est la seule chose vraiment chic. Mais on ne peut être enculé intellectuel et subversif. Ce qui est permis au milliardaire ne l'est pas à l'enculé intellectuel. Là est toute l'amertume de M. Maury. Quel monde injuste ! Quand M. Bouygues chasse le larbin intellectuel Polac, on voit clairement qui est le maître.

       Hegelsturmführer Voyer.

       

       

       

       

       


       

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