L’anti-bloc-notes de Louis-Henri Brulard

(n° 15)

        

         

        À Monsieur Bernard-Henri Lévy

Paris, 28 janvier 1997.

Cher Monsieur et Lévy,

        Vous pouvez vous indigner que je tienne Paul-Louis Courier pour un plus grand pamphlétaire que Pascal, César, Cicéron ou Démosthène. Mais ce serait faire injure à ces hommes illustres que de les appeler pamphlétaire, ou même plus grand pamphlétaire. Pascal fut mathématicien, philosophe et inventeur de l’omnibus et de la calculette, César fut roi, Cicéron consul, Démosthène orateur dont l’éloquence gouvernait le peuple et l’État. Tandis que Paul-Louis Courier ne fut rien d’autre sinon canonnier ou vigneron. Il ne fut que Paul-Louis pour tout potage.

        Mais, précisément, puisque pour la postérité il figure parmi ces hommes illustres, n’est-il pas le plus grand pamphlétaire puisqu’il n’y figure qu’à titre de pamphlétaire ? Par la force du seul pamphlet et malgré les supplications de Viollet-le-Duc qui se désolait qu’un si grand savant gaspillât ses forces dans ce genre éphémère, il atteint à la gloire et à l’immortalité, au même titre que les Athéniens morts au siège de Samos.

        Il est donc le plus grand dans cet art modeste. Ne vous méprenez pas sur le sens du mot modeste qui ne signifie pas que le pamphlet est un art mineur ou inférieur (ou même vil comme il fut reproché à Courier) mais que le pamphlet atteint toute sa grandeur lorsque s’y exprime la modestie blessée par l’impudence. Là est le secret et non dans le style. C’est à cette grandeur qu’atteint Courier, plus encore que Pascal. Le fond n’est plus le sort d’Athènes, celui de Rome ou de Port-Royal mais la cause d’une tache d’encre, la cause d’un garde-chasse, la cause de Paul-Louis. De même la grandeur de Léautaud réside dans sa petitesse. Léautaud est le véritable auteur d’un traité du désespoir. Comment peut-on faire une œuvre immortelle avec de si petites choses tandis que vous entassez ami sur ami, indignation sur indignation, cause sur cause, char sur char, cadavre sur cadavre ? Le pamphlet n’est jamais si beau que lorsqu’il n’a plus d’objet. Le Pamphlet des pamphlets de Courier est au pamphlet ce que la fonction lambda de Church est aux fonctions. Pamphlet de rien, il est pamphlet de ce que l’on voudra. C’est l’opérateur pamphlet { P }, pure manifestation de la liberté qui insulte la soumission par sa seule existence. Le Don Juan de Byron est de ce point de vue un interminable pamphlet. Chacun sait combien il est difficile de blesser la modestie qui ne serait pas, sans cela, la modestie. Heureusement les excès de l’impudence (qui sans ses excès ne serait pas l’impudence) peuvent y réussir.

        C’est la modestie qui exige que Courier n’ait pas de conviction. Toute conviction comporte de l’impudence. Il n’est ni républicain, ni monarchiste, il ne hait point les princes, ni son ancien camarade Bonaparte, ce despote qui ne trompa personne, ni le duc d’Orléans, qui né prince sut l’être si peu. Courier n’a d’autres ennemis que les courtisans et non les princes. La carrière de Courier fut celle d’un non-courtisan. Courier n’était doué que pour désobéir. Comment est-il possible de désobéir plus qu’il ne le fit. Il surpassa sur ce point Alcibiade, toujours aveuglé par l’impudence et qui ne désobéissait qu’à ses concitoyens tandis que Courier eut l’honneur de désobéir à Bonaparte. Du temps de Courier, il n’y avait plus guère de citoyens, la France était devenue un pays de courtisans. Les choses n’ont guère changé depuis. Elles ont empiré puisqu’il n’y a plus ni cours ni princes, et que de ce fait les courtisans ne sont que plus infâmes. Il suffit pour en juger de regarder Nulle part ailleurs à la télévision ou de lire ce que vous écrivez. Vous flagornez le peuple, depuis qu’il est souverain, aussi platement qu’on flagornait le roi. Vous croyez courtiser la postérité alors que vous ne faites que courtiser d’autres courtisans. Les pamphlets de Courier visent vous et vos semblables, ils vous attendaient depuis presque deux siècles. Vous eussiez mieux fait de laisser de côté cette question de pamphlet. Grâce à Paul-Louis, je comprends enfin ce que j’exècre en vous et pourquoi je vous attaque.

        Et maintenant, voici l’estocade, si toutefois il est possible de porter une estocade avec une hache. Dans le dossier de presse de votre dernier film, vous figurez, croyez-vous et à votre habitude, avantageusement. Cependant, je peux constater sur une des nombreuses photographies vous représentant, que vous avez sur le ventre trois hideux bourrelets de peau flasque qui pendouillent. Je ne me demanderai donc pas, comme pour M. Derrida, mais qu’a-t-il fait de son prépuce, puisque je vois que vous le portez sur le ventre. Mlle Barbie n’est pas dégoûtée et elle a bien du courage.

        N’oubliez pas que lorsque les taux d’intérêt montent d’un demi-point, le singe Minc grimpe sur la table.

        Hegelsturmführer Voyer.

M. Ripley s'amuse