Économie
et pouvoir financier
Derrière la panique, la guerre financière pour le futur
pouvoir bancaire mondial
Samedi
11 Octobre 2008
Derrière
la panique, la guerre financière pour le futur pouvoir bancaire mondial
Vassalisation
de l’Europe aux Etats-Unis ? Photo Mon Mulhouse
F. William
Engdahl, 10 octobre 2008
Ce
qui ressort du comportement du marché financier européen ces deux dernières
semaines, c’est que les anecdotes dramatiques de la crise financière et la
panique servent délibérément à certaines factions influentes, dans et en-dehors
de l'UE, à façonner la face future de la banque mondiale suite à la débâcle du subprime
(prêt à haut risque) et des titres adossés à des créances (ABS) aux États-Unis.
Le
développement le plus intéressant des derniers jours est la position unifiée et
forte allemande, de la chancelière, du Ministre des Finances, de la Bundesbank
et du gouvernement de coalition, tous opposés à un super-fond de renflouage
bancaire du style étasunien dans l’Union Européenne. Pendant ce temps-là, le
Ministre étasunien des Finances, Henry Paulson, continue son copinage envers le
capitalisme au détriment de la nation et au profit de ses copains du monde
financier. C'est un cocktail inutilement explosif.
La
chute de 7 à 10 pour cent de la bourse par jour fait les gros titres
dramatiques de l'actualité et sert à susciter un grand sentiment de malaise
proche de la panique chez le citoyen ordinaire. Les événements des deux
dernières semaines dans les banques de l'UE, depuis le sauvetages de la
situation dramatique des banques Hypo Real Estate, Dexia et Fortis, et
l'annonce d’Alistair Darling, le Chancelier de l'Échiquier au Royaume-Uni, d'un
changement radical dans la politique du traitement des banques en difficulté au
Royaume-Uni, ont commencé à révéler les grandes lignes des diverses réponses
européennes, à ce qui est en réalité une crise « Made in USA. »
De
sérieuses raisons font penser que Henry Paulson, l’ancien directeur général de
Goldman Sachs, n'est pas stupide en tant que Ministre des Finances. Il y a
aussi des raisons réelles de croire qu'il agit en fait en fonction d'une
stratégie à long terme bien pensée. La façon dont se déroulent à présent les
événements dans l'UE tendent à le confirmer. Comme me l’a dit un haut
responsable banquier européen lors d’une discussion privée, « Une guerre
est en cours entre les États-Unis et l'Union Européenne pour définir la face
future de la banque européenne. »
Du
point de vue de ce banquier, la tentative en cours du Premier Ministre italien
Silvio Berlusconi et de Nicolas Sarkosy en France, de créer un
« fond » commun en Union Européenne, avec peut-être plus de 300
milliards de dollars pour sauver les banques en difficulté, serait de facto
jouer directement dans la stratégie à long terme de Paulson et de
l’establishment étasunien, en affaiblissant en réalité les banques et en
remboursant les titres véreux d’origine étasunienne détenus par les banques de
l'UE.
Utiliser la panique pour centraliser le pouvoir
Comme
je le document dans mon prochain livre, Power of Money: The Rise and Decline
of the American Century, (pouvoir de l'argent : essor et déclin du siècle
étasunien), dans toutes les grandes panique financière aux États-Unis
depuis au moins celle de 1835, les titans de Wall Street, surtout la Maison JP
Morgan avant 1929, ont déclenché délibérément la panique bancaire en coulisses
pour consolider leur emprise sur la banque des États-Unis. Les banques privées
ont utilisé la panique pour contrôler la politique de Washington, notamment la
définition exacte de la propriété privée de la nouvelle Réserve Fédérale en
1913, et pour consolider leur contrôle sur l'industrie, comme US Steel,
Caterpillar, Westinghouse et ainsi de suite. En bref, ils sont les vétérans de
ce genre de guerre financière pour l’élargissement de leur pouvoir.
Ils
doivent maintenant faire quelque chose de semblable à l'échelle mondiale afin
de pouvoir continuer à dominer la finance mondiale, le cœur de la puissance du
Siècle Étasunien.
Cette
pratique, du recours à la panique pour concentrer leur pouvoir privé, a créé
une concentration extrêmement puissante de pouvoir financier et économique
entre quelques mains du secteur privé, ces mêmes mains qui, en 1921, créèrent
l’influent groupe d’expert en politique étrangère étasunienne, le Council on
Foreign Relations, pour guider la montée du Siècle Étasunien, tel que
l’appelait le fondateur de l’époque, Henry Luce dans un essai capital en 1941.
Il
devient de plus en plus évident que les gens comme Henry Paulson, qui, par la
façon dont il fut l'un des promoteurs les plus énergiques de la révolution de
l’ABS à Wall Street, avant de devenir Ministre des Finances, sont animés par
des mobiles qui dépassent de loin leurs instincts de cupidité. Dans ce
contexte, la propre expérience de Paulson est intéressante. Dans le passé, à
l’aube des années 70, Paulson entama sa carrière en travaillant pour un homme
célèbre nommé John Ehrlichman, l’impitoyable conseiller en
politique intérieure de Nixon qui, à l'époque du Watergate, avait créé les
fameux Plombiers pour réduire au silence les adversaires du Président, et que
Nixon a abandonné « à être forcé d’exister sans soutien » en prison
pour lui.
Paulson
semble avoir pris de la graine de son mentor de la Maison Blanche. Selon un
article du New York Times, quand il était coprésident de Goldman Sachs, il a
fait partir de force en 1998 son coprésident, Jon Corzine, dans ce qui
équivalait à un coup d’État. »
Il
devient évident que Paulson, et ses amis de Citigroup et JP Morgan Chase, ont
une stratégie, de même que le parrain de la titrisation des hypothèques et de
la déréglementation bancaire, l’ancien président de la Réserve Fédérale, Alan
Greenspan, comme je l'ai exposé en détail dans la partie IV de ma précédente
série, Financial Tsunami.
Étant
sûrs qu’à un moment la pyramide de billions de dollars de subprimes
douteux et des autres titres adossés à des prêts hypothécaire à hauts risques
allaient s’effondrer, ils étaient apparemment déterminés à propager le plus
possible dans le monde entier les ainsi nommés « déchets toxiques »
de l’ABS, pour attirer les grandes banques du monde, plus particulièrement
celles de l'Union Européenne, dans leur piège à miel.
Ils
avaient de l'aide. Lors de son dernier témoignage sous serment, Eric Dinallo,
le directeur du New York Insurance Department, a déclaré à l’audition de
surveillance du renflouage d’AIG de Paulson, que la réduction du financement
ces dernières années dirigées par l’administration Bush-Cheney, avait réduit la
fiabilité du département, qui devait contrôler ou veiller sur 80 billions de
dollars de titres adossés à des créances (ABS), incluant le subprime
empoisonné, les titres hypothécaires de catégorie Alt-A et bien d’autres. L'administration
Bush a réduit un personnel de plus de 100 personnes à une seule. Oui
« UNE, » ce n'est pas une faute de frappe.
Est-ce
que c’était juste une coupe de budget par ferveur idéologique, ou était-ce
délibéré ? Est-ce que le responsable garantissant qu’aucune personne efficace
au gouvernement ne supervise l'explosion de la titrisation des actifs
hypothécaires était l'ancien homme de Goldman Sachs, l'homme qui avait
convaincu le Président d’embaucher Paulson, l’ancien directeur de l’Office of Management
and Budget (OMB) de Bush, l’actuel chef d'état-major du Président : Joshua
Bolten ?
Ce
sont peut-être des questions que le Congrès ferait bien de poser à des gens
comme Henry Paulson et Joshua Bolten, au lieu de questions de diversion du genre
de la hauteur de la prime reçu par Richard Fuld a Lehman. N’y a-t-il pas, là
sur le cadavre, les empreintes digitales de M. Bolten ? Et pourquoi n’y a-t-il
aucune question sur le rôle de Paulson en tant que directeur général de Goldman
Sachs, le promoteur de Wall Street le plus agressif en faveur des titres
exotiques et des autres produits de titrisation adossés à des actifs ?
Il
semblerait aujourd’hui que la stratégie de Paulson était d'utiliser une
situation de crise, de crise pré-programmée, prévisible dès 2003, quand Joshua
Bolten est devenu chef de l’OMB, au moment où tout ça a éclaté, pour affoler
les gouvernements les plus conservateur de l'Union Européenne en les
précipitant au secours des actifs toxiques des États-Unis.
Si
cela devait arriver, ça détruirait ce qui reste de bon dans le système
bancaires et les institutions financières de l'UE, rapprochant d’un pas de plus
le monde vers un marché monétaire contrôlé par les copains de Paulson, des
copains du style capitaliste étasunien. Le copinage capitaliste est
certainement une explication appropriée ici. Robert Rubin, le prédécesseur de
Paulson à la fois chez Goldman Sachs et aux Finances, aimait accuser les
banquiers asiatiques de Thaïlande, d’Indonésie et des autres pays frappés en
1997 par les attaques spéculatives des fonds de couverture sponsorisés par les
États-Unis, de « copinage capitaliste, » donnant l'impression que la
crise avait sa source en Asie et n’était pas la conséquence d'attaques
délibérées des institutions financières parrainées par les États-Unis pour
éliminer le modèle du Tigre Asiatique, entre autres objectifs, et transformer
l'Asie en bailleur de fonds de la dette étasunienne.
Il
est intéressant de noter que Rubin est à présent directeur de Citigroup,
manifestement l'une des banques survivantes des copains de Paulson, la banque
qui a dû jusqu’ici passer par pertes et profits la plus grande somme en actifs
titrisés empoisonnés.
Si
l'allégation de panique planifiée est exacte, dans le style de la panique de
1907, et c'est un grand si, alors le plan a réussi . . . jusqu'à un certain
point. Ce point est tombé pendant le week-end du 3 octobre, par hasard au
moment des vacances de l'unification nationale de l’Allemagne.
L'Allemagne lâche le modèle étasunien
Dans
la soirée du dimanche 5 octobre, lors de pourparlers à huis clos, Alex Weber,
le patron réaliste de la Bundesbank, Jochen sanio, le dirigeant de BaFin, et
des représentants du gouvernement de coalition à Berlin de la chancelière
Angela Merkel, ont lancé pour Hypo Real Estate (HRE) un plan de renflouage d'un
valeur nominale de 50 milliards d’euros. Toutefois, derrière ce chiffre
considérable dans les gros titres, comme le soulignait Weber dans une lettre
rendue publique du 29 septembre au Ministre des Finances Peer Steinbrück, non
seulement les banques privées allemandes ont proposé 60 pour cent de ce
chiffre, avec 40 pour cent pour l'État, mais en plus, compte tenu de
l'attention avec laquelle le gouvernement, en coopération avec la Bundesbank et
BaFin, ont structuré l’accord de crédit de secours, dans le pire des scénarios,
la perte maximale possible pour l'État, serait limitée à 5,7 milliards, et non
pas à 30 milliards d’euros comme beaucoup l’ont cru. C’est toujours de
l'argent, mais pas le chèque en blanc de 700 milliards de dollars que le
Congrès des États-Unis, contraint par les quelques jours de chute des cours
boursiers, a décidé de donner à Paulson.
La
rapidité d'action du Ministre des Finances Steinbrück à virer la direction de
HRE, en contraste frappant avec Wall Street où les mêmes délinquants fraudeurs
restent dans leur bureau à récolter d'énormes primes, montre aussi l’approche
différente. Mais cela ne tranche pas le nœud du problème. La situation de HRE
provient, comme noté précédemment, des excès de sa banque filiale auxiliaire,
en propriété exclusive, DEPFA en Irlande, un pays de l'UE connu pour sa
réglementation libérale relâchée et son bas régime fiscal.
Changement dans la politique britannique
Au
Royaume-Uni, après le stupide et coûteux renflouage de Northern Rock en début
d'année, le gouvernement du Premier Ministre Gordon Brown vient d'annoncer un
changement politique radical allant dans le même sens que l'Allemagne. Les
banques britanniques obtiendront exceptionnellement 50 milliards de livres (64
milliards d’euros) de renflouage du gouvernement et des prêts de secours de la
Banque d'Angleterre.
Le
trésor public a déclaré que le gouvernement allait acheter des actions
privilégiées de la Royal Bank of Scotland Group Plc, de Barclays Plc et d’au
moins six autres banques, et fournira environ 250 milliards de livres de
garanties de prêts pour refinancer la dette. La Banque d'Angleterre mettra à
disposition au moins 200 milliards de livres. Le plan ne précise pas combien
obtiendra chaque banque.
Tout
ça signifie que le gouvernement britannique nationalise, au moins
partiellement, ses banques internationales les plus importantes, au lieu de
racheter leurs prêts véreux dans le style d’un plan inapplicable à la Paulson.
Dans ce genre d’approche, le coût pour le contribuable du Royaume-Uni sera bien
moindre, car, une fois la crise calmée et les affaires revenues à la normale,
le gouvernement pourra vendre des parts de l'État aux banques en bonne santé
avec peut-être un bon bénéfice pour le trésor public. Le gouvernement Brown a
sans doute réalisé que la couverture de garantie accordée à Northern Rock et
Bradford & Bingley en début d’année n’a fait qu’ouvrir les vannes des
dépenses gouvernementales sans arranger le problème.
La
nouvelle politique étasunienne de nationalisations, par rachat des obligations
sans valeur détenues par des banques sélectionnées que Paulson a choisi de
sauver, plutôt que de recapitaliser les banques pour leur permettre de continuer
à fonctionner, contraste énormément de l’approche idéologique du « marché
libre » de Paulson.
Les lignes de la bataille se dessinent
Que
se dégage-t-il des grandes lignes des deux approches opposées face au
développement de la crise. À présent, le plan Paulson fait manifestement partie
d'un projet visant à créer trois géants financiers mondiaux colossaux :
Citigroup, JP MorganChase et, bien entendu, la propriété de Paulson, Goldman
Sachs, devenue maintenant assez opportunément une banque. Ayant utilisé avec
réussite la peur et la panique pour arracher 700 milliards de dollars de
renflouage au contribuable, désormais les trois grands essayeront leurs muscles
hors du commun à ravager les banques européennes dans les années à venir. Tant
que les plus grandes agences financières de notation du monde, Moody's et
Standard & Poors, sont épargnées par les scandales et les auditions au
Congrès, le pouvoir financier réorganisé de Goldman Sachs, Citigroup et JP
Morgan Chase pourrait potentiellement se regrouper et accélérer leur ordre du
jour mondial dans les prochaines années, en marchant sur les cendres de la
faillite de l'économie étasunienne, mise en banqueroute par leurs folies.
En
s’accordant sur la stratégie de nationalisation des banques que les Ministres
des Finances de l'UE estiment « trop stratégiques par leur caractère
systémique pour faire faillite, » tout en garantissant les dépôts
bancaires, les plus grands gouvernements de l'UE, l'Allemagne et le
Royaume-Uni, ont opté, contrairement aux États-Unis, pour ce qui ira dans le
plus long terme, en permettant aux géants bancaires de résister aux attaques
financières prévues de leurs homologues, Goldman ou Citigroup.
La
liquidation spectaculaire des actions sur les bourses d'Europe et d'Asie est en
réalité un problème secondaire de loin le moins critique. Selon des rapports du
marché, ce bradage est alimenté surtout par les fonds de couverture (hedge
funds) étasuniens qui tentent désespérément de remonter le niveau des
espèces, car ils réalisent que l'économie étasunienne se dirige vers une
dépression économique, celle à laquelle ils se sont exposés et pour lesquelles
le plan Paulson ne règle rien.
Un
mécanisme restaurant la solvabilité du système bancaire et interbancaire est de
loin le plus stratégique. La débâcle de l'ABS était « Made in New
York. » Néanmoins, ses effets doivent être isolés et les banques viables
de l'UE défendues dans l'intérêt public, et non pas, comme aux Etats-Unis, dans
le seul l'intérêt des banque des copains de Paulson. Les instruments non
réglementés à l’étranger, comme les hedge funds et les banques et
assurance non réglementées, se sont tous engagés dans la construction de ce que
j’ai appelé un tsunami de 80 billions de dollars en ABS. Certains des
gouvernements les plus conservateurs de l’UE ne sont pas sur le point d'acheter
le remède proposé par Washington.
Tout
en s’emparant des gros titres, la baisse coordonnée des taux d'intérêt de la
BCE et des autres banques centrales européennes ne fait pas grand chose en
réalité pour traiter le vrai problème : la peur des banques à se prêter entre
elles tant que leur solvabilité n’est pas assurée.
En
amorçant un état partiel de nationalisation dans l'UE, et en rejetant le
système de renflouage des Berlusconi-Sarkozy, les gouvernements de l'UE, cette
fois menés de façon intéressante par l'Allemagne, mettent en place une base
saine pour sortir de la crise.
Restez
à l'écoute, c’est loin d'être terminé. Il s'agit d'une lutte pour la survie
d’un Siècle Étasunien en construction depuis 1939 sur les piliers jumeaux de la
domination financière et militaire : l’éventail complet de la dominance
étasunienne.
Les
banques asiatiques, gravement endommagées par la crise d’Asie de 1997-98
pilotée par Wall Street, sont apparemment très peu exposées aux problèmes
étasuniens. Les banques européennes sont exposées de différentes façons, mais
aucune ne l’est aussi sérieusement que le système bancaire mondial étasunien.
Original : www.engdahl.oilgeopolitics.net/Financial_Tsunami/Warfare_Behind_Panic/warfare_behind_panic.html
Traduction libre de Pétrus Lombard pour Alter Info
Mardi
14 Octobre 2008
Source
: http://www.alterinfo.net