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24 octobre
2008 : l’implosion de la mondialisation
24
octobre 2008
Nassim Nicholas Taleb y insiste à juste titre. La
mondialisation, ce n’est pas seulement un concept, mais un réseau, une
gigantesque et complexe toile d’araignée reliant des dizaines de milliers
d’acteurs, entreprises, banques, bourses, Hedges Funds, Etats et autres paradis
fiscaux, banques centrales, institutions internationales, etc.. sur laquelle
circulent des flux physiques bien sûr, les marchandises, mais aussi d’énormes
flux financiers et de capitaux.
Ce réseau s’est construit sans architecte, par
prolifération, chaque acteur ajoutant un lien ici, une boite noire là, dans le
désordre le plus complet. L’image d’Internet peut venir à l’esprit, mais il
existe une différence fondamentale. Dans la toile, les interfaces, les rôles,
les protocoles d’échanges sont normalisés, prédéfinis, et la couche physique
s’est appuyée sur la longue expérience des opérateurs téléphoniques qui mettent
en œuvre les règles de bases de la redondance, de la répartition de charge, et
s’assurent de la qualité du signal. Dans la mondialisation, rien de tel.
Au contraire, les noeuds du réseau ont consacré toute
leur énergie à contourner les quelques règles existantes, ou à les interpréter
de façon pour le moins extensive avec la bienveillance complice d’autorités de
régulation qui observaient avec attendrissement la capacité d’invention de ces
garnements de la finance, y voyant sans doute une promesse de succès à venir.
Aujourd’hui, dans la panique du sauve qui peut,
chaque acteur agit pour son propre compte, et les décisions prises localement
se transmettent d’un bout à l’autre du système à la vitesse des échanges
numériques, en ondes de choc mettant sous stress les nœuds interconnectés, et
qui provoquent des boucles de rétroaction dont les oscillations désordonnées et
de grande amplitude font « tomber » l’un après l’autre les éléments
du réseau incapables de supporter la charge.
Ce qui hier était une force se révèle une faiblesse.
Plus nombreuses étaient les interconnections, plus intenses les flux circulants,
et plus les nœuds subissent aujourd’hui de plein fouet le déchaînement de
forces globales, démesurées à l’aune du local, qui les submergent et les
détruisent. Le mot est usé. Mais l’analogie du Tsunami reprise hier par
Greenspan s’impose effectivement.
Ce à quoi nous assistons, c’est à un « bank
run, » à une vague de retrait panique, à l’échelle de la mondialisation.
La perte de confiance de chaque contrepartie, de chaque acteur, envers tous les
autres provoque un rapatriement désordonné de tous les investissements, de tous
les capitaux, de tous les dépôts, provoquant un mouvement de liquidation
généralisé à l’échelle de la planète qui écrase tout sur son passage.
Chacun veut à tout prix disposer immédiatement et
sous forme liquide de ses placements. Nous avons décrit hier comment ce
mouvement de retrait généralisé était par nature impossible et ruineux. Mais il
prend désormais des proportions incontrôlables. Ce sont maintenant les
économies des pays émergents - et par voie de conséquence les Etats eux-mêmes -
que la surcharge subite de flux risque de faire exploser. Les canaux de
transmissions - i.e. le cours des devises - sont partis en vrille.
La Livre Britannique a perdu près de 20% de sa valeur
face au dollar depuis juillet. En une semaine, le Zloty Polonais a abandonné
16%, le Florin Hongrois 14%, le Rand Sud Africain 17%.
Ce qui signifie que les dettes souscrites en dollars
deviennent chaque jour plus impossibles à rembourser. Mais aussi que nombre de
pays ne pourront bientôt plus acquérir l’énergie, les matières premières et
dans certains cas la nourriture dont ils ont besoin. Le spectre du défaut de
paiement des Etats - et de la ruine des économies - est à nouveau à nos portes.
Mais les désordres ne sont pas uniquement financiers.
Les échanges physiques de marchandises, cheville ouvrière de la mondialisation,
commencent eux aussi à s’interrompre.
L’indice Baltique du Fret Sec, qui reflète le coût du
transport maritime, poursuit sa chute vertigineuse. Pour certaines compagnies
le prix proposé pour l’affrètement est maintenant inférieur au coût
d’exploitation du navire. A ceci s’ajoute la méfiance généralisée dans les
lettres de créances émises par les banques présentées par les acheteurs, qui
fait que les vendeurs refusent parfois de laisser partir les chargements.
Dans l’entretien que nous avons reproduit hier,
Nassim Nicholas Taleb se montre très inquiet. La capacité du système monde qui
s’est bâti ces dernières années à amplifier les chocs est complètement sous
estimée, juge-t-il.
Au train où vont les choses, elle ne le sera pas
longtemps. Tant qu’aucun accident systémique n’a eu lieu, les hommes sont
incapables de comprendre les potentialités des machines qu’ils construisent.
C’est la loi du genre. Le problème étant cette fois ci que le système en
question c’est ni plus ni moins le monde. Comme dans le cas du changement
climatique soit dit en passant. La courbe d’apprentissage s’annonce donc
abrupte et pénible. Pour tout le monde.