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Haaretz : Entretien avec Benny Morris

 

1. ARTICLE DU 9 JANVIER 2004

2. DROIT DE RÉPONSE DU 23 JANVIER 2004

 

Que les plus forts survivent ! Par Ari Shavit

http://www.haaretz.com/hasen/pages/ShArt.jhtml?itemNo=380986&contrassID=2 DOC 2009-10-22

http://www.counterpunch.org/shavit01162004.html (Version anglaise →)

http://ism-france.org/archives/article.php?id=533 (ISP, une autre traduction française)

Benny Morris dit qu’il a toujours été sioniste. C’est par erreur qu’on l’a qualifié de post-sioniste ou qu’on a cru que son travail d’historien sur la naissance du problème des réfugiés palestiniens avait pour but de d’enlever toute légitimité à l’entreprise sioniste. C’est absurde, dit Morris, et complètement dépourvu de fondement. Ce sont des lecteurs qui ont mal lu le livre, ils ne l’ont pas lu avec la neutralité et le détachement moral qui l’ont inspiré. C’est pourquoi ils ont conclu que quand Morris décrit les actes les plus cruels perpétrés par le mouvement sioniste en 1948, il les condamne et que quand il décrit les opérations d’expulsion massive il les dénonce. Ils n’avaient pas compris que le grand chroniqueur des péchés du sionisme approuve en réalité avec ces péchés et qu’il pense que certains, au moins, étaient inévitables.

Depuis deux ans, on porte un autre jugement sur lui. L’historien que l’on considérait comme un homme très à gauche s’est mis tout d’un coup à affirmer qu’Israël n’avait pas d’interlocuteur. Le chercheur qu’on accusait de haïr Israël (et que l’université israélienne avait mis au ban) s’est mis à publier des articles favorables à Israël dans The Guardian, un quotidien britannique. Tandis qu’on s’apercevait que le citoyen Morris était loin d’être une blanche colombe, l’historien Morris continuait à travailler à la traduction en hébreu de son gros livre Victimes. Histoire du conflit arabo-sioniste, 1881-20011, rédigé à l’ancienne manière de l’auteur, en quête de paix. Mais en même temps, l’historien Morris achevait la nouvelle version de son livre sur les réfugiés, qui vient renforcer les positions de ceux qui abominent Israël. De sorte que le citoyen Morris et l’historien Morris, depuis deux ans, travaillent comme s’ils étaient indépendants l’un de l’autre, comme si l’un essayait de sauver ce que l’autre veut absolument détruire.

Les deux livres doivent sortir dans un mois. Le livre sur l’histoire du conflit entre les Arabes et les sionistes sera publié en hébreu par l’éditeur Am Oved de Tel-Aviv, et les presses de l’université de Cambridge vont publier Nouvelle étude sur la Naissance du problème des réfugiés palestiniens (ce livre avait déjà été publié par cet éditeur en 1987). Ce livre décrit avec des détails terrifiants les atrocités de la Naqba. Morris n’at-il pas peur de la signification de son étude historique dans le contexte politique actuel ? Ne redoute-t-il pas d’avoir ainsi contribué à faire d’Israël un état quasi-paria ? Après quelques tergiversations, il avoue qu’il le craint ; parfois il a vraiment peur ; parfois il se demande ce qu’il a tramé là.

Il est petit, rondouillard, passionné. Il est né dans le kibboutz d’Aïn-Hahorech de parents immmigrés d’Angleterre et a été membre du mouvement de jeunesse de gauche Hachomer Hatsaïr. Autrefois, il a été journaliste pour le Jérusalem Post et a refusé de faire son service militaire dans les territoires occupés. Il est désormais professeur d’histoire à l’université Ben-Gourion à Bershéba, dans le Néguev. Mais carré dans un fauteuil de son appartement à Jérusalem, il n’a pas l’attitude prudente d’un universitaire, au contraire : il parle sans hésiter, très vite et avec énergie, parfois il se met à parler en anglais. Il émet sans réfléchir un instant des jugements tranchants et très choquants, totalement contraires au « politiquement correct  ». Il raconte des crimes de guerre en passant, dépeint des visions d’apocalypse avec un grand sourire. On a l’impression que ce personnage agité, qui a ouvert la boîte de Pandore sioniste de ses propres mains, n’a toujours pas accepté ce qu’il y a trouvé et a toujours du mal à dominer les contradictions internes qui sont son lot et notre lot à tous.

1 . Benny Morris, Victimes. histoire revisitée du conflit arabo-sioniste, trad. de l'anglais par Agnès Dufour et Jean-Michel Goffinet (Righteous victims : a history of the Zionist-Arab conflict, 1881-1999), Bruxelles, Éd. Complexe ; Paris: IHTP-CNRS, 2003, 852 pages.

 

Viol, massacre, transfert.

Benny Morris, la nouvelle édition de votre livre sur la naissance du problème des réfugiés palestiniens va sortir dans un mois. A qui va-t-il déplaire le plus, aux Israéliens ou aux Palestiniens ?

B.M. Cette deuxième version est une épée à double tranchant. Elle se fonde sur des documents qui, pour beaucoup, n’étaient pas accessibles lorsque j’ai écrit la première version, parce qu’ils viennent des archives des forces de défense israélienne. Ces nouveaux documents montrent que les Israéliens ont perpétré beaucoup plus de massacres que je ne le pensais. Je suis très étonné qu’il y ait eu aussi beaucoup de cas de viols. En avril et mai 1948, des groupes de la Haganah (la force de défense d’avantl’État, précurseur des forces de défense israéliennes) ont reçu l’ordre de déraciner les villageois, de les expulser et de détruire les villages eux-mêmes.

En même temps, on apprend que le Haut comité arabe et les niveaux intermédiaires de l’administration palestinienne ont émis une série d’ordres pour évacuer les femmes, les vieillards et les enfants des villages. Ainsi, le livre, d’un côté, renforce les accusations contre le camp sioniste et de l’autre, il prouve aussi que beaucoup d’habitants ont quitté les villages avec l’encouragement des dirigeants palestiniens eux-mêmes.

D’après vos nouvelles recherches, combien y a-t-il eu de viols israéliens en 1948 ?

B.M. Une douzaine environ. A Acre, quatre soldats ont violé une jeune fille, puis ils l’ont tuée ainsi que son père. A Jaffa, des soldats de la brigade « Kyriati  » ont violé une jeune fille et ont essayé d’en violer plusieurs autres. A Hounin, en Galilée, deux jeunes filles ont été violées et tuées. Il y a eu un ou deux cas de viol à Tantoua, au sud d’Haïfa. Il y a eu un cas de viol à Qula, au centre du pays. Dans le village d’Abou Choucha, près du kibboutz de Gezer (dans la région de Ramla), il y avait quatre prisonnières et l’une d’elles a été violée à plusieurs reprises. Et il y a d’autres cas. En général, plusieurs soldats étaient dans le coup et il y avait une ou deux Palestiniennes. Dans beaucoup de cas, le viol a été suivi de meurtre. Comme ni les victimes ni les violeurs n’avaient envie de raconter l’événement, nous devons considérer que l’affaire ne se limite pas à la douzaine de viols que j’ai trouvés rapportés officiellement. Ce n’est que le sommet de l’iceberg.

D’après vos recherches, combien d’actes de massacres israéliens ont-ils été perpétrés en 1948 ?

B.M. Vingt-quatre. Parfois quatre ou cinq personnes ont été exécutées, parfois il y en a eu soixante-dix, quatre-vingts, cent. Il y a eu aussi beaucoup de meurtres arbitraires. On voyait deux vieillards marcher dans un champ, on les abattait. On trouve une femme dans un village abandonné, on la tue. Dans le village de Daouaïma, dans la région d’Hébron, une colonne est entrée dans le village en tirant de tout côté et a tué tout ce qui bougeait.

Les pires affaires sont celles de Saliha (70 à 80 morts), Deïr Ïassine (100 à 110), Lod (250), Daouaïma (plusieurs centaines) et peut-être Abou Choucha (70). Il n‘y a pas preuve certaine qu’un massacre de grandes proportions a eu lieu à Tantoura, mais des crimes de guerre y ont été perpétrés. A Jaffa il y a eu un massacre dont on ignorait tout jusqu’à présent, ainsi qu’à Arab-al-Muassi, dans le Nord. La moitié de ces actes de massacre ont eu lieu dans le cadre de l’opération « Hiram  » [dans le Nord, en octobre 1948] : Safsaf, Saliha, Jish, Eilaboun, Arab-al-Mouasi, Deir-al-Asad, Majdal Krum, Sasa. Au cours de l’opération Hiram, il y a un nombre exceptionnel d’exécutions contre un mur ou à côté d’un puits, menées de façon organisée.

Ce ne peut être par hasard, il y a un mode opératoire. Apparemment, beaucoup d’officiers qui ont participé à l’opération ont compris que l’ordre d’expulsion qu’ils avaient reçu leur permettait d’accomplir ces actes pour encourager la population à prendre la route. Le fait est que personne n’a été puni pour ces actes de meurtre. Ben-Gourion a étouffé l’affaire, il a couvert les officiers qui avaient commis les massacres.

Vous êtes en train de me dire, en passant, que l’opération Hiram était accompagnée d’un ordre explicite et général d’expulsion, c’est cela ?

B.M. Oui. Une des révélations du livre est que le 31 octobre 1948, le commandant du Front du Nord, Moché Carmel, a donné à ses unités l’ordre écrit d’expédier ce qui restait de la population arabe. Carmel a entrepris cette action juste après une visite de Ben-Gourion au commandement du Nord à Nazareth. Dans mon esprit, il ne fait aucun doute que cet ordre venait de Ben-Gourion. De même, l’ordre d’expulsion de Lod, signé par Isaac Rabin, a été donné juste après la visite de Ben-Gourion au quartier général de l’opération Dani [en juillet 1948].

Vous dites donc que Ben-Gourion est responsable personnellement d’une politique systématique et délibérée d’expulsion en masse ?

B.M. A partir d’avril 1948, Ben-Gourion projette un message de transfert. Il n’y a pas d’ordre explicite écrit de sa main, il n’y a pas de politique systématique et générale, mais il y a une atmosphère de transfert [de population]. L’idée du transfert était dans l’air. Tout le commandement a compris que c’était là l’idée. Les officiers comprennent que c’est ce qu’on attend d’eux. Sous Ben-Gourion, un consensus de transfert se constitue.

Ben-Gourion était « transfériste  » ?

B.M. Bien sûr, Ben-Gourion était transfériste. Il a compris qu’un état juif avec une minorité arabe nombreuse et hostile en son sein était impossible. Cet état ne verrait pas le jour, il ne pourrait pas exister.

Vous ne le condamnez pas ?

B.M. Ben-Gourion avait raison. S’il n’avait pas fait ce qu’il a fait, l’état n’aurait jamais pu naître. Cela doit être bien clair. Il est impossible d’y échapper. Sans le déracinement des Palestiniens, un état juif n’aurait pas pu naître là.

 

When ethnic cleansing is justified

Benny Morris, depuis des décennies vous étudiez la face sombre du sionisme. Vous êtes spécialiste des atrocités de 1948. Au bout du compte, justifiez-vous réellement tout cela ? Défendez-vous le transfert de 1948 ?

B.M. Il n’y a pas de justification pour des actes de viol, il n’y a pas de justification pour des actes de massacre. Ce sont des crimes de guerre. Mais dans certaines conditions, l’expulsion n’est pas un crime de guerre. Je ne pense pas que les expulsions de 1948 soient des crimes de guerre. On ne fait pas d’omelette sans casser les œufs. Il faut se salir les mains.

Nous parlons du meurtre de milliers de personnes, de la destruction d’une société entière.

B.M. Une société qui a pour but de vous tuer vous force à la détruire. Quand on a le choix entre détruire et être détruit, c’est mieux de détruire.

Il y a quelque chose de terrifiant dans la façon tranquille dont vous dites tout cela.

B.M. Si vous espériez que j’éclate en sanglots, je suis désolé de vous décevoir. Je ne le ferai pas.

Alors quand les commandants de l’opération Dani observent froidement la longue et terrible colonne des cinquante mille expulsés de Lod en route vers l’Est, vous êtes avec eux ? Vous les approuvez ?

B.M. Je les comprends incontestablement. Je comprends leurs mobiles. Je ne pense pas qu’ils aient éprouvé le moindre remords, et à leur place je n’aurais pas éprouvé de remords. Sans cet acte, ils n’auraient pas gagné la guerre et l’état n’aurait jamais vu le jour.

Vous ne les condamnez pas moralement ?

B.M. Non.

Ils ont fait une purification ethnique.

B.M. Il y a des circonstances dans l’histoire qui justifient la purification ethnique. Je sais que ce terme est complètement négatif dans le discours du XXIe siècle, mais quand vous avez le choix entre la purification ethnique et le génocide, l’annihilation de votre peuple, je préfère la purification ethnique.

Et c’était la situation en 1948 ?

B.M. C’était la situation. C’est ce que le sionisme avaient en face de lui. L’état juif n’aurait jamais vu le jour sans le déracinement de sept cent mille Palestiniens. Il était donc nécessaire de les déraciner. On n’avait pas le choix, il fallait expulser la population. Il était nécessaire de purifier l’hinterland et de purifier les frontières et de purifier les routes principales. Il était nécessaire de purifier les villages d’où l’on tirait sur nos convois et nos colonies.

Le terme « purifier  » est terrible.

B.M. Je sais que cela sonne mal mais c’est le terme qu’ils utilisaient à l’époque. Je l’ai emprunté à tous les documents de 1948 dans lesquels je suis plongé.

Ce que vous dites est difficile à entendre et à digérer. Vous donnez l’impression d’être cruel.

B.M. J’éprouve de la sympathie pour le peuple palestinien, qui a réellement subi une dure tragédie. J’éprouve de la sympathie pour les réfugiés eux-mêmes. Mais si le désir d’établir un état juif ici est légitime, il n’y avait pas d’autre moyen. Il était impossible de garder dans le pays une cinquième colonne nombreuse. A partir du moment où le Ichoud [la communauté juive de Palestine d’avant 1948] était attaqué par les Palestiniens puis par les pays arabes, il fallait expulser la population palestinienne, l’arracher au cours de la guerre.

N’oubliez pas non plus que les Arabes ont obtenu un gros morceau de la planète. Non pas par leur dons ou par leurs grandes qualités mais parce qu’ils ont conquis et tué et forcé ceux qu’ils conquéraient à se convertir pendant de nombreuses générations. Mais à la fin, les Arabes avaient vingt-deux pays. Les juifs n’en avaient même pas un. Il n’y avait aucune raison qu’ils n’en aient pas. De mon point de vue, le besoin d’établir leur état en cet endroit était donc plus fort que l’injustice faite aux Palestiniens en les déracinant.

Et moralement, cet acte ne vous gêne pas ?

B.M. C’est exact. Même la grande démocratie américaine n’aurait pas existé sans l’annihilation des Indiens. Il y a des cas dans lesquels le bien final général justifie des actes durs et cruels qui sont commis au cours de l’histoire.

Et dans le cas qui nous intéresse, cela justifie effectivement un transfert de population.

B.M. C’est ce qui ressort.

Et vous acceptez tout cela sans distinction ? Les crimes de guerre, les massacres, les champs incendiés et les villages dévastés de la Naqba ?

B.M. Il faut mettre les choses en perspective. Ce sont de petits crimes de guerre. En tout, si l’on additionne tous les massacres et toutes les exécutions de 1948, on a environ huit cents morts. Comparé aux massacres de Bosnie, c’est une broutille. Comparé aux massacres d’Allemands par les Russes à Stalingrad, ce sont des miettes. Quand vous pensez qu’il y avait une guerre civile sanglante et que nous avons perdu un pour cent de la population, vous vous dites qu’on s’est très bien comportés.

 

Le prochain transfert

Votre parcours est intéressant. Vous avez commencé à étudier de façon critique Ben-Gourion et les dirigeants sionistes mais pour finir, vous prenez leur parti. Vous êtes aussi implacable en paroles qu’ils l’ont été dans les faits.

B.M. Oui, peut-être. Parce que mon enquête sur le conflit est allée très loin, j’ai dû résoudre les questions de fond que ces hommes avaient eues à résoudre.

J’ai compris le caractère problématique de la situation dans laquelle ils se trouvaient et il se peut que j’aie adopté en partie leurs conceptions. Mais je ne suis pas d’accord avec Ben-Gourion. Je pense qu’il a commis une grave erreur historique en 1948 : alors qu’il avait bien compris la question démographique et la nécessité de fonder un état juif sans minorité arabe importante, il a eu peur pendant la guerre. A la fin, il a hésité.

Je ne suis pas sûr d’avoir bien compris. Vous voulez dire que Ben-Gourion n’a pas expulsé assez d’Arabes ?

B.M. Puisqu’il avait commencé à les expulser, il aurait peut-être dû finir le travail. Je sais que ça dégoûte les Arabes et les libéraux et les types politiquement corrects. Mais je pense que l’endroit où nous sommes serait plus calme et qu’il y aurait moins de souffrance si la question avait été résolue une fois pour toutes, si Ben-Gourion avait effectué une vaste expulsion et purifié tout le pays, toute la Terre d’Israël, jusqu’au Jourdain. Cela s’avèrera peut-être son erreur fatale. S’il avait expulsé tout le monde et non une partie, il aurait assuré la stabilité de l’État d’Israël pour des générations.

Je n’en crois pas mes oreilles !

B.M. Si l’histoire se termine mal pour les juifs, ce sera parce que Ben-Gourion n’a pas fait un transfert complet en 1948. Parce qu’il a laissé une grande réserve démographique en pleine expansion en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, ainsi qu’en Israël même.

A sa place, auriez-vous expulsé tout le monde ? Tous les Arabes du pays ?

B.M. Mais je ne suis pas un homme politique, je ne me mets pas à sa place. Mais en tant qu’historien, je constate qu’une erreur a été commise. Oui, c’est une erreur de ne pas avoir achevé le transfert.

Et aujourd’hui, êtes-vous partisan d’un transfert aujourd’hui ?

B.M. Si vous voulez savoir si je suis pour le transfert et l’expulsion des Arabes de Cisjordanie, de la bande de Gaza et peut-être même de Galilée et du Triangle, je dis non, pas maintenant. Je ne souhaite pas participer à cet acte. Dans les circonstances actuelles, ce n’est ni moral ni réaliste. Le monde ne le permettrait pas, le monde arabe ne le permettrait pas, cela détruirait la société juive de l’intérieur. Mais je n’hésite pas à vous dire que dans d’autres circonstances, des circonstances apocalyptiques, qui pourraient exister d’ici cinq ou dix ans, je peux envisager des causes d’expulsion. Si nous sommes environnés d’armes atomiques ou s’il y a une attaque générale des Arabes contre nous et un état de guerre de front avec les Arabes à l’arrière qui tirent sur nos convois en route pour le front, les actes d’expulsion seront absolument raisonnables. Ils seraient même indispensables.

Y compris l’expulsion des Arabes israéliens ?

B.M. Les Arabes israéliens sont une bombe à retardement. Progressivement ils sont devenus complètement palestiniens, et nous avons désormais au milieu de nous des émissaires de l’ennemi. C’est une cinquième colonne potentielle qui risquerait de miner l’état aussi bien sur le plan démographique que sur le plan de la sécurité. Alors, si l’existence d’Israël était de nouveau menacée, comme en 1948, le pays pourrait être obligé de se conduire comme il l’avait fait alors. Si nous sommes attaqués par l’Égypte (après une révolution islamique au Caire) et par la Syrie, et que des missiles chimiques et biologiques s’abattent sur nos villes, et qu’en même temps, les Palestiniens israéliens nous attaquent par derrière, je peux voir là une cause d’expulsion. Cela pourrait arriver. Si c’est l’existence d’Israël, qui est menacée, l’expulsion sera légitime.

 

Folie culturelle

Vous n’êtes pas seulement implacable mais aussi très sombre. Vous n’étiez pas comme ça avant, n’est-ce pas ?

B.M. L’an 2000 a été pour moi l’année charnière. Je n’étais déjà pas très optimiste avant. Je votais pourtant toujours travailliste ou Merets ou Cheli [un parti modéré de la fin des années soixante-dix] et en 1988, j’avais fait de la prison parce que j’avais refusé de servir dans les territoires mais j’ai toujours eu des doutes sur les intentions des Palestiniens. Les événements de Camp David et ce qui a suivi ont changé ces doutes en certitude. Lorsque les Palestiniens ont rejeté la proposition du [premier ministre] Ehoud Barak en juillet 2000 et la proposition de Clinton en décembre de la même année, j’ai compris qu’ils ne voulaient pas de la solution des deux états. Ils voulaient tout le pays, Lod, Acre, Jaffa.

Dans ces conditions, l’accord d’Oslo était une erreur complète et il y a un malentendu de fond dans la façon dont l’opinion publique mondiale considère le mouvement de paix israélien.

B.M. Il fallait essayer Oslo. Mais il doit être désormais entendu que du point de vue palestinien, Oslo était une tromperie. [le dirigeant palestinien] Yasser Arafat n’a pas changé en mal, il nous a tout simplement trompés. Son désir de compromis et de conciliation n’a jamais été sincère.

Pensez-vous réellement qu’Arafat veut nous jeter à la mer ?

B.M. Il veut nous renvoyer en Europe, par la mer par laquelle nous sommes arrivés. Il nous considère réellement comme un état croisé et pense et souhaite que nous finissions de la même façon. Je suis sûr que les services d’espionnage israéliens ont des renseignements qui prouvent sans le moindre doute qu’Arafat, en privé, parle sérieusement du plan par étapes [qui éliminerait Israël par étapes]. Mais le problème ne se limite pas à Arafat. Toute la classe instruite palestinienne se plaît à nous considérer comme des Croisés et a adopté le plan par étapes. Les Palestiniens ne sont donc pas prêts à abandonner sincèrement le droit au retour. Ils gardent en réserve cet instrument qui leur permettra, le moment venu, de détruire l’état juif. Ils ne peuvent admettre l’existence d’un état juif, qu’il occupe 80 ou 30% du territoire. A leur avis, l’état palestinien doit s’étendre sur toute la Terre d’Israël.

Dans ces conditions-là, la solution des deux états n’est pas viable, même si on signe un traité de paix, il ne tiendra pas longtemps.

B.M. Idéologiquement, je suis pour la solution des deux états. C’est le seul moyen d’échapper à l’expulsion des juifs, celle des Palestiniens ou la destruction totale. Mais dans les faits, avec la génération actuelle, une solution de ce genre ne résistera pas. 30 ou 40% au moins des Palestiniens et au moins 30 ou 40% du cœur de chaque Palestinien la rejetteront.

Après une courte pause, le terrorisme explosera de nouveau et la guerre reprendra.

Votre pronostic ne laisse pas beaucoup d’espoirs

B.M. C’est difficile pour moi aussi. La génération actuelle ne connaîtra pas la paix. Il n’y aura pas de solution. Nous sommes condamnés à vivre par l’épée. Je suis déjà assez vieux mais pour mes enfants c’est assez sinistre. Je ne sais pas s’ils voudront continuer à vivre dans un endroit où il n’y a pas d’espoir. Même si Israël n’est pas détruit, il ne connaîtra pas une bonne vie normale dans les dizaines d’années qui viennent.

La sévérité de vos propos est peut-être due aux trois années difficiles de terrorisme ?

B.M. Les explosions dans les bus et dans les restaurants m’ont vraiment secoué. Elles m’ont fait prendre conscience de la profondeur de la haine contre nous. Elles m’ont fait comprendre que la haine des Palestiniens, des Arabes et des musulmans contre l’existence des juifs ici nous conduit à la destruction. Les explosions-suicides ne sont pas des actes isolés. Elles expriment la volonté profonde du peuple palestinien. C’est ce que la majorité des Palestiniens veut. Ils veulent que ce qui est arrivé au bus nous arrive à tous.

Et pourtant, nous avons aussi une responsabilité dans cette violence et cette haine : l’occupation, les barrages sur les routes, les bouclages, peut-être même la Naqba elle-même.

B.M. Vous n’avez pas besoin de me le dire. J’ai étudié l’histoire de la Palestine et je comprends très bien les raisons de la haine. Les Palestiniens ne se vengent pas seulement du bouclage d’hier mais aussi de la Naqba. Mais ce n’est pas une explication suffisante. Les puissances européennes ont opprimé les peuples africains autant que nous opprimons les Palestiniens et pourtant je ne vois pas de terrorisme africain à Londres, à Paris ou à Bruxelles. Les Allemands ont tué beaucoup plus des nôtres que nous n’avons tué de Palestiniens mais nous ne faisons pas sauter les bus à Munich ou à Nuremberg. Il y a quelque chose d’autre ici, quelque chose de plus profond, qui tient à la civilisation arabe et à l’islam.

Vous prétendez que le terrorisme palestinien provient d’une sorte de problème culturel profond ?

B.M. Il y a un problème profond avec l’islam. C’est un monde aux valeurs différentes. Un monde dans lequel la vie humaine n’a pas la même valeur qu’en Occident, auquel les notions de liberté, de démocratie, d’ouverture et de créativité sont étrangères. Un monde où quiconque ne fait pas partie du camp de l’islam est une proie légitime. La vengeance est importante aussi, ici. La vengeance joue un rôle central dans la culture tribale arabe. Alors, le peuple que nous combattons et la société d’où il provient n’ont pas de freins moraux. S’il se procure des armes chimiques, biologiques ou atomiques, il s’en servira. S’il le peut, il commettra aussi un génocide.

J’insiste : nous avons une large responsabilité dans la haine que les Palestiniens ont pour nous. Après tout, vous nous avez vous-même montré que les Palestiniens avaient connu une catastrophe historique.

B.M. C’est vrai mais quand on a affaire à un tueur en série, l’important n’est pas de savoir pourquoi il l’est devenu. Ce qu’il faut, c’est le mettre en prison ou l’exécuter.

Vous pouvez développer cette comparaison : qui est le tueur en série dans votre analogie ?

B.M. Les Barbares qui nous ôtent la vie. Ceux que la société palestinienne envoie accomplir les attaques terroristes, et, dans une certaine mesure, la société palestinienne elle-même. Actuellement, cette société est en passe de devenir un tueur en série. C’est une société très malade qu’il faudrait traiter comme on traite les tueurs en série.

C’est-à-dire ? Que devrions-nous faire tout de suite ?

B.M. Nous devons essayer de soigner les Palestiniens. Peu à peu, peut-être la création d’un état palestinien favorisera-t-elle le traitement. Mais en attendant qu’on ait trouvé le remède, il faut les enfermer pour qu’ils ne puissent pas nous tuer.

Les enfermer derrière un mur ? Les entourer d’une palissade ?

B.M. Il faut leur construire une sorte de cage. Je sais que cela sonne terrible. Mais nous n’avons pas le choix. Il y a un animal sauvage qu’il faut enfermer d’une façon ou d’une autre.

 

Guerre de barbares

Benny Morris, êtes-vous désormais d’extrême-droite ?

B.M. Non, non, je me considère toujours comme de gauche, je suis toujours favorable, en principe, aux deux états pour deux peuples.

Mais vous ne pensez pas que cette solution soit durable. Vous ne croyez pas à la paix.

B.M. A mon avis, nous n’aurons pas la paix, non.

Alors, quelle solution proposez-vous ?

B.M. Pour la génération actuelle, il n’y a apparemment pas de solution, sinon être vigilant et défendre le pays autant que possible.

La méthode rideau de fer ?

B.M. Oui. Un rideau de fer, c’est une bonne métaphore. Un rideau de fer, c’est la politique la plus raisonnable pour les prochaines décennies. Mon collègue Avi Chlein l’a bien résumé : ce que Ben-Gourion a appliqué, c’est ce que Jabotinsky avait proposé. Dans les années cinquante, il y a eu une controverse entre Ben-Gourion et Moché Charrette. Ben-Gourion affirmait que les Arabes ne comprenaient que la force et que seule une force supérieure les convaincrait d’accepter notre présence ici. Il avait raison. Cela ne signifie pas qu’il faut exclure la diplomatie. Pour satisfaire à la fois l’Occident et notre conscience, nous devons chercher une solution politique. Mais en fin de compte, seule la force les contraindra à nous accepter, la conviction qu’ils ne sont pas capables de nous vaincre.

Vous vous considérez comme un homme de gauche mais vous parlez comme un homme de droite, non ?

B.M. J’essaie d’être réaliste. Je sais que ce n’est pas politiquement correct, mais je pense que chercher à être politiquement correct empoisonne l’histoire. Cela nous empêche de voir la vérité. Et je me sens proche aussi d’Albert Camus. Il était considéré comme un homme de gauche moralement irréprochable mais quand il s’est agi de l’Algérie, il a placé sa mère avant la moralité. Sauver mon peuple a plus d’importance à mes yeux que les concepts moraux universels.

Êtes-vous un nouveau conservateur ? Analysez-vous la réalité historique actuelle comme le fait Samuel Huntington ?

B.M. Je pense qu’il y a un conflit entre les civilisations en ce moment [comme le prétend Huntington]. Je pense que l’Occident actuel ressemble à l’empire romain au IVe, Ve et VIe siècle : les Barbares l’attaquent et vont peut-être le détruire.

Les musulmans sont donc des Barbares ?

B.M. Je pense que les valeurs que j’ai déjà mentionnées sont celles des Barbares : l’attitude envers la démocratie, la liberté, l’ouverture ; l’attitude envers la vie humaine. En ce sens, ce sont des Barbares ; Le monde arabe tel qu’il est aujourd’hui est barbare.

Et vous pensez que ces nouveaux Barbares menacent réellement la Rome actuelle ?

B.M. Oui. L’Occident est plus fort mais il n’est pas certain qu’il sache comment repousser cette vague de haine. Le phénomène de la pénétration musulmane massive en Occident et son installation là-bas crée une menace interne dangereuse. Un processus similaire a eu lieu à Rome. Ils ont laissé entrer les Barbares qui ont démoli l’empire de l’intérieur.

Est-ce vraiment grave à ce point ? L’Occident est-il en danger ?

B.M. Oui. Je pense que la guerre entre les civilisations est la principale caractéristique du XXIe siècle. Je pense que le président Bush a tort de nier la réalité de cette guerre. Il ne s’agit pas seulement de Ben Laden. Il y a une lutte contre un monde dont les valeurs sont différentes. Et nous sommes en premire ligne du front. Exactement comme les Croisés, nous sommes la branche vulnérable de l’Europe ici.

La situation que vous décrivez est très grave. Vous ne croyez pas que nous pourrons réellement nous maintenir ici ?

B.M. Le risque d’annihilation existe.

Vous considérez-vous comme apocalyptique ?

B.M. Le projet sioniste en soi est apocalyptique. Il vit dans un entourage hostile et d’une certaine façon son existence est déraisonnable. Il n’était pas raisonnable qu’il triomphe en 1881, il n’était pas raisonnable qu’il triomphe en 1948 et il n’est pas raisonnable qu’il triomphe maintenant. Et pourtant, il est arrivé jusque-là. D’une certaine façon, c’est un miracle. J’ai vécu les événements de 1948, et 1948 se projette sur ce qui pourrait arriver ici. Oui, je pense à Armageddon. C’est possible. D’ici vingt ans, il pourrait y avoir une guerre atomique ici.

Si le sionisme est si dangereux pour les juifs et si le sionisme est si insupportable aux Arabes, c’est peut-être une erreur ?

B.M. Non, le sionisme n’était pas une erreur. Le désir de fonder un état juif ici était légitime et positif. Mais compte tenu du caractère de l’islam et du caractère de la nation arabe, c’était une erreur de penser qu’il serait possible de fonder ici une état paisible vivant en harmonie avec son entourage.

Ce qui nous laisse, néanmoins, un choix : un sionisme cruel et tragique ou l’abandon du sionisme.

B.M. Oui, c’est exactement cela. C’est un raccourci, mais il est juste.

Diriez-vous que la réalité historique est intolérable, qu’elle comporte quelque chose d’inhumain ?

B.M. Oui. Mais c’est vrai pour les juifs, pas pour les Palestiniens. Un peuple qui souffre depuis deux mille ans, qui a vécu l’Holocauste, arrive dans son patrimoine mais il baigne à nouveau dans une effusion de sang qui le mènera peut-être à l’annihilation. Sur le plan de la justice cosmique, c’est terrible. C’est beaucoup plus choquant que ce qui est arrivé en 1948 à la petite partie de la nation arabe qui se trouvait alors en Palestine.

Pour vous, donc, la Naqba palestinienne qui a eu lieu est moins vivante que l’éventuelle Naqba juive future ?

B.M. Oui. Le processus pourrait s’achever par la destruction. Ce pourrait être la fin de l’expérience sioniste. Et c’est cela qui me déprime et me terrifie.

Le titre du livre que vous publiez maintenant en Hébreu est "Les Victimes." A la fin, alors, votre argument est que des deux victimes du conflit, nous sommes les plus grandes victimes ?

B.M. Oui. Exactement. Nous sommes les plus grandes victimes de l’Histoire et nous sommes aussi les plus grandes victimes potentielles. Bien que nous soyons en train d’oppresser les Palestiniens, nous sommes la partie la plus faible ici. Nous sommes une petite minorité dans un océan d’Arabes hostiles qui veulent nous éliminer. Alors il est possible que lorsque leur désir sera réalisé, tout le monde comprendra ce que je suis en train de vous dire maintenant. Tout le monde comprendra que nous sommes les vraies victimes. Mais d’ici là, il sera trop tard.

 

Droit de réponse : je ne suis pas pour l’expulsion

[je n’ai pas retrouvé la source sur le site de Haaretz]

Haaretz, 23 janvier 2004

Quelques jours après la publication de l’entretien avec moi (« Que les plus forts survivent  », Haaretz Magazine, 9 janvier 2004), un étudiant arabe israélien en colère est venu dans mon bureau de l’université Ben-Gourion. Il suggérait que l’Holocauste n’avait jamais eu lieu (citant ce qu’il appelait « un grand historien égyptien mondialement réputé  ») et prétendait que les tours jumelles de New York avaient été détruites sur ordre de la CIA ou du Mossad, que les soldats et les pilotes israéliens des territoires visaient délibérément pour les tuer des civils innocents. Je mentionne cet incident pour que nous ayons tous présent à l’esprit le genre de monde dans lequel nous vivons au Proche Orient. La guerre qu’on nous fait depuis trois ans a trois dimensions : la première, la seule que mentionnent les porte-parole palestiniens, c’est une lutte pour libérer la Cisjordanie et la bande de Gaza de l’occupation israélienne ; la deuxième, c’est que les Palestiniens, d’après les porte-parole des militants du Hamas, du Djihad islamique et du Fatah, sont en guerre pour éradiquer l’état sioniste et restaurer « leurs droits  » sur toute la Palestine ; la troisième, c’est que la lutte des Palestiniens s’inscrit dans la lutte globale menée par l’Islam djihadiste contre le « Satan occidental  », dans laquelle Israël est considéré comme un appendice vulnérable de la civilisation occidentale dans notre région.

Pour l’islam djihadiste, Israël est l’incarnation de toutes les valeurs qu’il abhorre : la démocratie et la liberté, l’ouverture, la tolérance et le pluralisme, l’individualisme et la laïcité, la criticalité (y compris la valeur consistant à exprimer l’autocritique, qui est absente de leur civilisation), les droits des femmes, le libéralisme et le progrès, la liberté sexuelle, alors que les partisans du djihad souhaitent le retour de l’époque où l’épée de l’islam dominait de l’Inde à l’océan Atlantique et où les minorités tremblaient sous son ombre. Ces djihadistes, et les sociétés qui les soutiennent et les envoient, qui se réjouissent dans la rue lorsqu’un immeuble s’effondre sur des centaines ou des milliers d’occupants ou lorsqu’un bus est réduit en cendres, méritent le nom de « Barbares  ». Il est dommage que beaucoup de gens en Occident et dans l’extrême-gauche israélienne préfèrent ignorer la deuxième et la troisième dimension et considérer la lutte palestinienne uniquement à travers le prisme de la première, la résistance à l’occupation.

Une accusation est au centre des lettres envoyées au magazine Haaretz (« Le jugement de l’histoire  », 16 janvier 2004), c’est « la purification ethnique  ». Je répète ce que j’ai dit, puisqu’apparemment on n’en a pas tenu compte (peut-être à cause du titre trompeur de la couverture) : je ne défends pas l’expulsion des Arabes des territoires ou de l’état d’Israël ! Cette expulsion serait immorale et en même temps irréaliste. Ce que j’ai dit c’est que si, un jour, ces communautés lançaient une attaque violente et massive contre l’état d’Israël, en même temps qu’un vaste assaut contre Israël de la part de ses voisins, et mettaient en danger sa survie, les expulsions seraient certainement à l’ordre du jour. En ce qui concerne les Arabes israéliens, mes propos peuvent être considérés comme une pancarte pointant dans deux directions possibles : ils pourraient choisir la loyauté envers l’état juif et l’intégration en qualité de citoyens égaux, et s’assurer ainsi une vie tranquille et prospère ; ou bien le chemin de la déloyauté à l’état et du soutien actif et violent à ceux qui poursuivent sa perte. Le second chemin, que beaucoup d’Arabes israéliens ont choisi en octobre 2000 et que beaucoup de leurs dirigeants semblent choisir aujourd’hui, avec plus ou moins de circonlocutions, aidera à mener ou bien à la destruction de l’état juif ou bien à leur éradication.

Je voudrais faire un commentaire général sur la question du nettoyage ethnique : je suis parfaitement conscient que le « nettoyage ethnique  » n’est pas politiquement correct et que moralement, il pose des problèmes. Mais qu’y pouvons-nous, l’histoire du XXe siècle est pleine d’épisodes de nettoyage ethnique intervenus dans des circonstances catastrophiques et qui ont finalement été bénéfiques pour l’humanité, y compris les expulsés eux-mêmes. L’expulsion des Sudètes (après la seconde guerre mondiale), qui a contribué à la destruction de la République tchécoslovaque n’était-elle pas justifiée ? Et n’a-t-elle pas permis, finalement leur bonheur et certainement celui des Tchèques ? En dernier ressort, la purification ethnique effectuée par les Turcs contre leur minorité grecque et par les Grecs contre leur minorité turque n’a-t-elle pas contribué au bien-être et au bonheur des deux peuples et à la paix qui règne depuis sans interruption entre les deux nations ?

Et je voudrais ajouter ceci : la nation arabe islamique est l’un des plus grands purificateurs ethniques de l’histoire humaine, depuis longtemps et à notre époque encore. Mahomet et ses hommes ont purifié la péninsule arabe de ses tribus juives, en partie par l’extermination des hommes et la réduction en esclavage et la conversion forcée des jeunes femmes (d’après le Coran, les hommes de Mahomet ont massacré huit ou neuf cents hommes de la tribu de Bani-Quoureïza, soit plus que le nombre total des victimes arabes des massacres [perpétrés par les ] juifs pendant la guerre de 1948). Au cours des siècles suivants, les empires musulmans et les états arabes, par le pogrom [en russe dans le texte] et la loi, ont arraché de leur sein ou converti de force la plupart de leurs communautés chrétiennes et se sont purifiés ethniquement de leurs communautés juives. Les députés arabes du parlement israélien, Mohammed Barakeh, le docteur Haggaï Ram et leurs amis ont-ils jamais émis un mot de critique contre cette histoire ? (et d’ailleurs, toutes les communautés juives conquises par les armées arabes pendant la guerre de 1948, notamment le quartier juif de la Vieille Ville [de Jérusalem] ont été purifiées ethniquement et complètement rasées).

De nos jours, nul n’a été plus raciste et plus intolérant envers « l’autre  », Kurde, juif, Soudanais chrétiens ou animistes, chrétiens maronites, etc., que les états arabes. La constitution de la Jordanie, un des états arabes les plus modérés, contient même un article interdisant aux juifs d’être citoyens jordaniens. En 1948, c’est parce que les Arabes ont essayé d’annihiler le Ishouv [communauté [juive] de Palestine avant l’état] qu’Israël a été obligé de les arracher du territoire juif.

A M. Barakeh : ça suffit, votre hypocrisie. Il n’y a qu’un camp dans le conflit de notre région qui soit menacé d’annihilation et c’est le camp juif, vous le savez très bien. C’était comme ça en 1948 (cf., par exemple, la déclaration d’Azzam Pacha, secrétaire de la Ligue arabe, à la veille de l’invasion pan-arabe de la Palestine, qui explique que le massacre prévu des juifs rivaliserait avec le carnage effectué par les Mongols lorsqu’ils ont envahi le Proche Orient, au XIIIe siècle), et ça pourrait très bien arriver encore. La profonde haine des Arabes de Palestine et du monde musulman voisin pour l’entreprise sioniste constitue l’infrastructrure de ce futur génocide. Il n’y a aucune haine de cette sorte et pour qui que ce soit, chez les juifs ou chez moi.

Dans notre région, le camp qui s’emploie depuis des générations maintenant à la déshumanisation systématique de l’adversaire est le camp palestinien contre les juifs (cf. la charte du Hamas et les manifestes politiques officiels du Hamas et du Djihad islamique, qui représentent au moins la moitié des Palestiniens dans les territoires : elle nomme régulièrement les juifs, comme c’est la tradition dans l’islam, « des fils de singes et de cochons  », de « tueurs de prophètes  » et de « peuple vil  ». Oui, je maintiens le terme de « bête sauvage  » pour désigner les kamikazes qui sont prêts à massacrer des dizaines ou même des milliers de civils dans des bus ou des gratte-ciels dans les villes d’Israël et de l’Occident.

En 1988, je considérais la rébellion palestinienne (« la première intifada  ») comme une lutte légitime pour la libération de l’occupation. Et je crois que la plupart des lanceurs de pierre palestiniens considérait alors ainsi leur combat. C’est pourquoi il m’a semblé juste de refuser de servir dans les territoires et de faire de la prison. (incidemment, je ne me rappelle pas avoir vu le nom de mes collègues, luminaires moraux de l’université de Ben-Gourion, sur la liste des refuseniks [en russe dans le texte], de même que je n’en ai rencontré aucun pendant mon service dans les brigades de para).

En 2000, les Palestiniens, conduits par Yasser Arafat, ont entamé une guerre qui combine les trois dimensions que j’ai déjà mentionnées et dont le but ultime est la destruction d’Israël (ou, comme le dit pudiquement Arafat, « faire flotter le drapeau palestinien sur les murs de Jérusalem  »), exactement comme Saladin a détruit le royaume croisé. Aux yeux d’Arafat, nous sommes « les nouveaux Croisés  ». C’est pour cette raison, essentiellement, qu’Arafat, au nom du peuple palestinien et sans contestation de la plupart de ses collègues, a rejeté les propositions de paix Barak-Clinton de décembre 2000, qui comprenait le retrait israélien de 95 % environ de la Cisjordanie et de 100 % de la bande de Gaza, l’évacuation de presque toutes les colonies et l’établissement d’un état palestinien ayant Jérusalem-Est pour capitale. Il a rejeté les propositions parce que son peuple et lui veulent le pays tout entier (leur intransigeance sur « le droit au retour  » n’est pas une question tactique).

Et par là, Arafat restait fidèle à la tradition de rejet de son peuple, qui a rejeté le compromis proposé par la commission Peel en 1937, le compromis proposé par l’ONU en 1947-1948 (le projet de partage) et le compromis égypto-israélien proposé en 1978 (les accords de Camp David, qui offraient aux Palestiniens une autonomie qui se serait à terme transformée en état palestinien).

Malheureusement, la destruction d’Israël et le droit au retour des réfugiés sont devenus un élément essentiel de l’identité palestinienne, et tant que cet élément n’aura pas disparu, aucun compromis historique ne sera possible. Et à défaut de compromis reposant sur le principe des deux états, alors, finalement il n’y aura plus qu’un état, ou bien juif sans minorité arabe importante, ou bien arabe avec une minorité juive qui se rétrécira jusqu’à disparition complète, de même que les communautés juives ont disparu du monde islamique au siècle dernier (après tout, aucun juif sain d’esprit ne voudrait vivre en situation minoritaire dans un état islamique gouverné par le terroriste de Moukata et le fanatique de Gaza cloué sur sa chaise roulante).

Dans un proche avenir, il faut qu’Israël évacue la majeure partie de la Cisjordanie, la bande de Gaza et Jérusalem-Est, avec ou sans accord, et une clôture séparera les deux peuples (et si les Palestiniens la considèrent comme une prison, ce sont eux les responsables de sa construction). Tant que les Arabes nourriront envers nous des intentions meurtrières, la seule solution est d’achever la clôture, mais pas suivant le tracé prévu. Le gouvernement israélien profite là d’une entreprise juste pour faire des bénéfices injustes.

La réduction de mes sept heures d’entretien avec Ari Shavit à deux pages n’est pas juste à mon égard, au moins en ce qui concerne le ton. On a choisi, parmi toute une série de déclarations sur différents thèmes, les plus intraitables, parfois sans nuances ou qualificatifs. J’admets que j’ai dérapé ici ou là : je ne soutiens pas et je n’ai pas soutenu l’extermination des Indiens et je regrette d’avoir employé le mot « cage  ».

Une dernière chose : je trouve curieux que les rédacteurs-en-chef du magazine Haaretz aient choisi d’illustrer un article traitant de la tragédie de deux peuples avec la photo d’un Benny Morris souriant. Contrairement à ce que cela sous-entend, je ne me réjouis pas du bain de sang et de l’expulsion. Je ne comprends pas non plus pourquoi l’édition anglaise du magazine a choisi pour titre de cet entretien « Que les plus forts survivent !  » (Survival of the fittest). Je n’ai pas employé cette expression et je la déteste.

Quoi qu’il en soit, je serai le premier à me réjouir si mes opinions et mes prédictions se révèlent erronés.