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Haaretz : Entretien avec
Benny Morris
1.
ARTICLE DU 9 JANVIER 2004
2.
DROIT DE RÉPONSE DU 23 JANVIER 2004
Que les plus forts survivent ! Par Ari Shavit
http://www.haaretz.com/hasen/pages/ShArt.jhtml?itemNo=380986&contrassID=2
DOC 2009-10-22
http://www.counterpunch.org/shavit01162004.html
(Version anglaise →)
http://ism-france.org/archives/article.php?id=533
(ISP, une autre traduction française)
Benny
Morris dit qu’il a toujours été sioniste. C’est par erreur qu’on l’a qualifié
de post-sioniste ou qu’on a cru que son travail d’historien sur la naissance du
problème des réfugiés palestiniens avait pour but de d’enlever toute légitimité
à l’entreprise sioniste. C’est absurde, dit Morris, et complètement dépourvu de
fondement. Ce sont des lecteurs qui ont mal lu le livre, ils ne l’ont pas lu
avec la neutralité et le détachement moral qui l’ont inspiré. C’est pourquoi
ils ont conclu que quand Morris décrit les actes les plus cruels perpétrés par
le mouvement sioniste en 1948, il les condamne et que quand il décrit les
opérations d’expulsion massive il les dénonce. Ils n’avaient pas compris que le
grand chroniqueur des péchés du sionisme approuve en réalité avec ces péchés et
qu’il pense que certains, au moins, étaient inévitables.
Depuis
deux ans, on porte un autre jugement sur lui. L’historien que l’on considérait
comme un homme très à gauche s’est mis tout d’un coup à affirmer qu’Israël n’avait
pas d’interlocuteur. Le chercheur qu’on accusait de haïr Israël (et que
l’université israélienne avait mis au ban) s’est mis à publier des articles
favorables à Israël dans The Guardian, un quotidien britannique. Tandis qu’on
s’apercevait que le citoyen Morris était loin d’être une blanche colombe,
l’historien Morris continuait à travailler à la traduction en hébreu de son
gros livre Victimes. Histoire du conflit arabo-sioniste, 1881-20011,
rédigé à l’ancienne manière de l’auteur, en quête de paix. Mais en même temps,
l’historien Morris achevait la nouvelle version de son livre sur les réfugiés,
qui vient renforcer les positions de ceux qui abominent Israël. De sorte que le
citoyen Morris et l’historien Morris, depuis deux ans, travaillent comme s’ils étaient
indépendants l’un de l’autre, comme si l’un essayait de sauver ce que l’autre
veut absolument détruire.
Les deux livres
doivent sortir dans un mois. Le livre sur l’histoire du conflit entre les
Arabes et les sionistes sera publié en hébreu par l’éditeur Am Oved de
Tel-Aviv, et les presses de l’université de Cambridge vont publier Nouvelle
étude sur
Il est petit,
rondouillard, passionné. Il est né dans le kibboutz d’Aïn-Hahorech de parents
immmigrés d’Angleterre et a été membre du mouvement de jeunesse de gauche
Hachomer Hatsaïr. Autrefois, il a été journaliste pour le Jérusalem Post et a
refusé de faire son service militaire dans les territoires occupés. Il est
désormais professeur d’histoire à l’université Ben-Gourion à Bershéba, dans le
Néguev. Mais carré dans un fauteuil de son appartement à Jérusalem, il n’a pas
l’attitude prudente d’un universitaire, au contraire : il parle sans
hésiter, très vite et avec énergie, parfois il se met à parler en anglais. Il
émet sans réfléchir un instant des jugements tranchants et très choquants,
totalement contraires au « politiquement correct ». Il raconte des
crimes de guerre en passant, dépeint des visions d’apocalypse avec un grand
sourire. On a l’impression que ce personnage agité, qui a ouvert la boîte de Pandore
sioniste de ses propres mains, n’a toujours pas accepté ce qu’il y a trouvé et
a toujours du mal à dominer les contradictions internes qui sont son lot et
notre lot à tous.
1 .
Benny Morris, Victimes. histoire revisitée du conflit arabo-sioniste,
trad. de l'anglais par Agnès Dufour et Jean-Michel Goffinet (Righteous
victims : a history of the Zionist-Arab conflict, 1881-1999),
Bruxelles, Éd. Complexe ; Paris: IHTP-CNRS, 2003, 852 pages.
Viol, massacre, transfert.
Benny
Morris, la nouvelle édition de votre livre sur la naissance du problème des
réfugiés palestiniens va sortir dans un mois. A qui va-t-il déplaire le plus,
aux Israéliens ou aux Palestiniens ?
B.M. Cette deuxième version est une
épée à double tranchant. Elle se fonde sur des documents qui, pour beaucoup,
n’étaient pas accessibles lorsque j’ai écrit la première version, parce qu’ils
viennent des archives des forces de défense israélienne. Ces nouveaux documents
montrent que les Israéliens ont perpétré beaucoup plus de massacres que je ne
le pensais. Je suis très étonné qu’il y ait eu aussi beaucoup de cas de viols.
En avril et mai 1948, des groupes de
En
même temps, on apprend que le Haut comité arabe et les niveaux intermédiaires
de l’administration palestinienne ont émis une série d’ordres pour évacuer les
femmes, les vieillards et les enfants des villages. Ainsi, le livre, d’un côté,
renforce les accusations contre le camp sioniste et de l’autre, il prouve aussi
que beaucoup d’habitants ont quitté les villages avec l’encouragement des
dirigeants palestiniens eux-mêmes.
D’après
vos nouvelles recherches, combien y a-t-il eu de viols israéliens en
1948 ?
B.M. Une douzaine environ. A Acre, quatre soldats
ont violé une jeune fille, puis ils l’ont tuée ainsi que son père. A Jaffa, des
soldats de la brigade « Kyriati » ont violé une jeune fille et ont
essayé d’en violer plusieurs autres. A Hounin, en Galilée, deux jeunes filles
ont été violées et tuées. Il y a eu un ou deux cas de viol à Tantoua, au sud
d’Haïfa. Il y a eu un cas de viol à Qula, au centre du pays. Dans le village
d’Abou Choucha, près du kibboutz de Gezer (dans la région de Ramla), il y avait
quatre prisonnières et l’une d’elles a été violée à plusieurs reprises. Et il y
a d’autres cas. En général, plusieurs soldats étaient dans le coup et il y
avait une ou deux Palestiniennes. Dans beaucoup de cas, le viol a été suivi de
meurtre. Comme ni les victimes ni les violeurs n’avaient envie de raconter
l’événement, nous devons considérer que l’affaire ne se limite pas à la
douzaine de viols que j’ai trouvés rapportés officiellement. Ce n’est que le
sommet de l’iceberg.
D’après vos
recherches, combien d’actes de massacres israéliens ont-ils été perpétrés en
1948 ?
B.M. Vingt-quatre. Parfois quatre ou
cinq personnes ont été exécutées, parfois il y en a eu soixante-dix,
quatre-vingts, cent. Il y a eu aussi beaucoup de meurtres arbitraires. On
voyait deux vieillards marcher dans un champ, on les abattait. On trouve une
femme dans un village abandonné, on la tue. Dans le village de Daouaïma, dans
la région d’Hébron, une colonne est entrée dans le village en tirant de tout
côté et a tué tout ce qui bougeait.
Les pires
affaires sont celles de Saliha (70 à 80 morts), Deïr Ïassine (100 à 110), Lod
(250), Daouaïma (plusieurs centaines) et peut-être Abou Choucha (70). Il n‘y a
pas preuve certaine qu’un massacre de grandes proportions a eu lieu à Tantoura,
mais des crimes de guerre y ont été perpétrés. A Jaffa il y a eu un massacre
dont on ignorait tout jusqu’à présent, ainsi qu’à Arab-al-Muassi, dans le Nord.
La moitié de ces actes de massacre ont eu lieu dans le cadre de l’opération
« Hiram » [dans le Nord, en octobre 1948] : Safsaf, Saliha,
Jish, Eilaboun, Arab-al-Mouasi, Deir-al-Asad, Majdal Krum, Sasa. Au cours de
l’opération Hiram, il y a un nombre exceptionnel d’exécutions contre un mur ou
à côté d’un puits, menées de façon organisée.
Ce ne
peut être par hasard, il y a un mode opératoire. Apparemment, beaucoup
d’officiers qui ont participé à l’opération ont compris que l’ordre d’expulsion
qu’ils avaient reçu leur permettait d’accomplir ces actes pour encourager la
population à prendre la route. Le fait est que personne n’a été puni pour ces
actes de meurtre. Ben-Gourion a étouffé l’affaire, il a couvert les officiers
qui avaient commis les massacres.
Vous
êtes en train de me dire, en passant, que l’opération Hiram était accompagnée
d’un ordre explicite et général d’expulsion, c’est cela ?
B.M. Oui. Une des révélations du
livre est que le 31 octobre 1948, le commandant du Front du Nord, Moché Carmel,
a donné à ses unités l’ordre écrit d’expédier ce qui restait de la population
arabe. Carmel a entrepris cette action juste après une visite de Ben-Gourion au
commandement du Nord à Nazareth. Dans mon esprit, il ne fait aucun doute que
cet ordre venait de Ben-Gourion. De même, l’ordre d’expulsion de Lod, signé par
Isaac Rabin, a été donné juste après la visite de Ben-Gourion au quartier
général de l’opération Dani [en juillet 1948].
Vous
dites donc que Ben-Gourion est responsable personnellement d’une politique
systématique et délibérée d’expulsion en masse ?
B.M. A partir d’avril 1948,
Ben-Gourion projette un message de transfert. Il n’y a pas d’ordre explicite
écrit de sa main, il n’y a pas de politique systématique et générale, mais il y
a une atmosphère de transfert [de population]. L’idée du transfert était dans l’air.
Tout le commandement a compris que c’était là l’idée. Les officiers comprennent
que c’est ce qu’on attend d’eux. Sous Ben-Gourion, un consensus de transfert se
constitue.
Ben-Gourion
était « transfériste » ?
B.M. Bien sûr, Ben-Gourion était
transfériste. Il a compris qu’un état juif avec une minorité arabe nombreuse et
hostile en son sein était impossible. Cet état ne verrait pas le jour, il ne
pourrait pas exister.
Vous
ne le condamnez pas ?
B.M. Ben-Gourion avait raison. S’il n’avait
pas fait ce qu’il a fait, l’état n’aurait jamais pu naître. Cela doit être bien
clair. Il est impossible d’y échapper. Sans le déracinement des Palestiniens,
un état juif n’aurait pas pu naître là.
When ethnic cleansing is justified
Benny
Morris, depuis des décennies vous étudiez la face sombre du sionisme. Vous êtes
spécialiste des atrocités de 1948. Au bout du compte, justifiez-vous réellement
tout cela ? Défendez-vous le transfert de 1948 ?
B.M. Il n’y a pas de justification
pour des actes de viol, il n’y a pas de justification pour des actes de
massacre. Ce sont des crimes de guerre. Mais dans certaines conditions,
l’expulsion n’est pas un crime de guerre. Je ne pense pas que les expulsions de
1948 soient des crimes de guerre. On ne fait pas d’omelette sans casser les
œufs. Il faut se salir les mains.
Nous
parlons du meurtre de milliers de personnes, de la destruction d’une société
entière.
B.M. Une société qui a pour but de
vous tuer vous force à la détruire. Quand on a le choix entre détruire et être
détruit, c’est mieux de détruire.
Il
y a quelque chose de terrifiant dans la façon tranquille dont vous dites tout
cela.
B.M. Si vous espériez que j’éclate en
sanglots, je suis désolé de vous décevoir. Je ne le ferai pas.
Alors
quand les commandants de l’opération Dani observent froidement la longue et
terrible colonne des cinquante mille expulsés de Lod en route vers l’Est, vous
êtes avec eux ? Vous les approuvez ?
B.M. Je les comprends
incontestablement. Je comprends leurs mobiles. Je ne pense pas qu’ils aient
éprouvé le moindre remords, et à leur place je n’aurais pas éprouvé de remords.
Sans cet acte, ils n’auraient pas gagné la guerre et l’état n’aurait jamais vu
le jour.
Vous ne les
condamnez pas moralement ?
B.M. Non.
Ils
ont fait une purification ethnique.
B.M. Il y a des circonstances dans l’histoire qui justifient
la purification ethnique. Je sais que ce terme est complètement négatif
dans le discours du XXIe siècle, mais quand vous avez le choix entre
la purification ethnique et le génocide, l’annihilation de votre peuple, je
préfère la purification ethnique.
Et
c’était la situation en 1948 ?
B.M. C’était la situation. C’est ce
que le sionisme avaient en face de lui. L’état juif n’aurait jamais vu le jour
sans le déracinement de sept cent mille Palestiniens. Il était donc nécessaire
de les déraciner. On n’avait pas le choix, il fallait expulser la population.
Il était nécessaire de purifier l’hinterland et de purifier les frontières et
de purifier les routes principales. Il était nécessaire de purifier les
villages d’où l’on tirait sur nos convois et nos colonies.
Le
terme « purifier » est terrible.
B.M. Je sais que cela sonne mal mais
c’est le terme qu’ils utilisaient à l’époque. Je l’ai emprunté à tous les
documents de 1948 dans lesquels je suis plongé.
Ce
que vous dites est difficile à entendre et à digérer. Vous donnez l’impression
d’être cruel.
B.M. J’éprouve de la sympathie pour
le peuple palestinien, qui a réellement subi une dure tragédie. J’éprouve de la
sympathie pour les réfugiés eux-mêmes. Mais si le désir d’établir un état juif
ici est légitime, il n’y avait pas d’autre moyen. Il était impossible de garder
dans le pays une cinquième colonne nombreuse. A partir du moment où le Ichoud
[la communauté juive de Palestine d’avant 1948] était attaqué par les
Palestiniens puis par les pays arabes, il fallait expulser la population
palestinienne, l’arracher au cours de la guerre.
N’oubliez pas non
plus que les Arabes ont obtenu un gros morceau de la planète. Non pas par leur
dons ou par leurs grandes qualités mais parce qu’ils ont conquis et tué et
forcé ceux qu’ils conquéraient à se convertir pendant de nombreuses
générations. Mais à la fin, les Arabes avaient vingt-deux pays. Les juifs n’en
avaient même pas un. Il n’y avait aucune raison qu’ils n’en aient pas. De mon
point de vue, le besoin d’établir leur état en cet endroit était donc plus fort
que l’injustice faite aux Palestiniens en les déracinant.
Et moralement,
cet acte ne vous gêne pas ?
B.M. C’est exact. Même la grande
démocratie américaine n’aurait pas existé sans l’annihilation des Indiens. Il y
a des cas dans lesquels le bien final général justifie des actes durs et cruels
qui sont commis au cours de l’histoire.
Et
dans le cas qui nous intéresse, cela justifie effectivement un transfert de
population.
B.M. C’est ce qui ressort.
Et
vous acceptez tout cela sans distinction ? Les crimes de guerre, les
massacres, les champs incendiés et les villages dévastés de
B.M. Il faut mettre les choses en
perspective. Ce sont de petits crimes de guerre. En tout, si l’on additionne
tous les massacres et toutes les exécutions de 1948, on a environ huit cents
morts. Comparé aux massacres de Bosnie, c’est une broutille. Comparé aux
massacres d’Allemands par les Russes à Stalingrad, ce sont des miettes. Quand
vous pensez qu’il y avait une guerre civile sanglante et que nous avons perdu
un pour cent de la population, vous vous dites qu’on s’est très bien comportés.
Le prochain transfert
Votre
parcours est intéressant. Vous avez commencé à étudier de façon critique
Ben-Gourion et les dirigeants sionistes mais pour finir, vous prenez leur
parti. Vous êtes aussi implacable en paroles qu’ils l’ont été dans les faits.
B.M. Oui, peut-être. Parce que mon
enquête sur le conflit est allée très loin, j’ai dû résoudre les questions de
fond que ces hommes avaient eues à résoudre.
J’ai
compris le caractère problématique de la situation dans laquelle ils se
trouvaient et il se peut que j’aie adopté en partie leurs conceptions. Mais je
ne suis pas d’accord avec Ben-Gourion. Je pense qu’il a commis une grave erreur
historique en 1948 : alors qu’il avait bien compris la question démographique
et la nécessité de fonder un état juif sans minorité arabe importante, il a eu
peur pendant la guerre. A la fin, il a hésité.
Je
ne suis pas sûr d’avoir bien compris. Vous voulez dire que Ben-Gourion n’a pas
expulsé assez d’Arabes ?
B.M. Puisqu’il avait commencé à les
expulser, il aurait peut-être dû finir le travail. Je sais que ça dégoûte les
Arabes et les libéraux et les types politiquement corrects. Mais je pense que
l’endroit où nous sommes serait plus calme et qu’il y aurait moins de souffrance
si la question avait été résolue une fois pour toutes, si Ben-Gourion avait
effectué une vaste expulsion et purifié tout le pays, toute
Je
n’en crois pas mes oreilles !
B.M. Si l’histoire se termine mal
pour les juifs, ce sera parce que Ben-Gourion n’a pas fait un transfert complet
en 1948. Parce qu’il a laissé une grande réserve démographique en pleine
expansion en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, ainsi qu’en Israël même.
A
sa place, auriez-vous expulsé tout le monde ? Tous les Arabes du
pays ?
B.M. Mais je ne suis pas un homme
politique, je ne me mets pas à sa place. Mais en tant qu’historien, je constate qu’une erreur a
été commise. Oui, c’est une erreur de ne pas avoir achevé le transfert.
Et
aujourd’hui, êtes-vous partisan d’un transfert aujourd’hui ?
B.M. Si vous voulez savoir si je suis
pour le transfert et l’expulsion des Arabes de Cisjordanie, de la bande de Gaza
et peut-être même de Galilée et du Triangle, je dis non, pas maintenant. Je ne
souhaite pas participer à cet acte. Dans les circonstances actuelles, ce n’est
ni moral ni réaliste. Le monde ne le permettrait pas, le monde arabe ne le
permettrait pas, cela détruirait la société juive de l’intérieur. Mais je
n’hésite pas à vous dire que dans d’autres circonstances, des circonstances
apocalyptiques, qui pourraient exister d’ici cinq ou dix ans, je peux envisager
des causes d’expulsion. Si nous sommes environnés d’armes atomiques ou s’il y a
une attaque générale des Arabes contre nous et un état de guerre de front avec
les Arabes à l’arrière qui tirent sur nos convois en route pour le front, les
actes d’expulsion seront absolument raisonnables. Ils seraient même
indispensables.
Y
compris l’expulsion des Arabes israéliens ?
B.M. Les Arabes israéliens sont une bombe à
retardement. Progressivement ils sont devenus complètement palestiniens, et
nous avons désormais au milieu de nous des émissaires de l’ennemi. C’est une
cinquième colonne potentielle qui risquerait de miner l’état aussi bien sur le
plan démographique que sur le plan de la sécurité. Alors, si l’existence d’Israël
était de nouveau menacée, comme en 1948, le pays pourrait être obligé de se
conduire comme il l’avait fait alors. Si nous sommes attaqués par l’Égypte
(après une révolution islamique au Caire) et par
Folie culturelle
Vous
n’êtes pas seulement implacable mais aussi très sombre. Vous n’étiez pas comme
ça avant, n’est-ce pas ?
B.M. L’an
Dans
ces conditions, l’accord d’Oslo était une erreur complète et il y a un
malentendu de fond dans la façon dont l’opinion publique mondiale considère le
mouvement de paix israélien.
B.M. Il fallait essayer Oslo. Mais il
doit être désormais entendu que du point de vue palestinien, Oslo était une
tromperie. [le dirigeant palestinien] Yasser Arafat n’a pas changé en mal, il
nous a tout simplement trompés. Son désir de compromis et de conciliation n’a
jamais été sincère.
Pensez-vous
réellement qu’Arafat veut nous jeter à la mer ?
B.M. Il veut nous renvoyer en Europe,
par la mer par laquelle nous sommes arrivés. Il nous considère réellement comme
un état croisé et pense et souhaite que nous finissions de la même façon. Je
suis sûr que les services d’espionnage israéliens ont des renseignements qui
prouvent sans le moindre doute qu’Arafat, en privé, parle sérieusement du plan
par étapes [qui éliminerait Israël par étapes]. Mais le problème ne se limite
pas à Arafat. Toute la classe instruite palestinienne se plaît à nous
considérer comme des Croisés et a adopté le plan par étapes. Les Palestiniens
ne sont donc pas prêts à abandonner sincèrement le droit au retour. Ils gardent
en réserve cet instrument qui leur permettra, le moment venu, de détruire
l’état juif. Ils ne peuvent admettre l’existence d’un état juif, qu’il occupe
80 ou 30% du territoire. A leur avis, l’état palestinien doit s’étendre sur
toute
Dans
ces conditions-là, la solution des deux états n’est pas viable, même si on
signe un traité de paix, il ne tiendra pas longtemps.
B.M. Idéologiquement, je suis pour la solution
des deux états. C’est le seul moyen d’échapper à l’expulsion des juifs, celle
des Palestiniens ou la destruction totale. Mais dans les faits, avec la
génération actuelle, une solution de ce genre ne résistera pas. 30 ou 40% au
moins des Palestiniens et au moins 30 ou 40% du cœur de chaque Palestinien la
rejetteront.
Après une courte
pause, le terrorisme explosera de nouveau et la guerre reprendra.
Votre
pronostic ne laisse pas beaucoup d’espoirs
B.M. C’est difficile pour moi aussi.
La génération actuelle ne connaîtra pas la paix. Il n’y aura pas de solution.
Nous sommes condamnés à vivre par l’épée. Je suis déjà assez vieux mais pour
mes enfants c’est assez sinistre. Je ne sais pas s’ils voudront continuer à
vivre dans un endroit où il n’y a pas d’espoir. Même si Israël n’est pas
détruit, il ne connaîtra pas une bonne vie normale dans les dizaines d’années
qui viennent.
La
sévérité de vos propos est peut-être due aux trois années difficiles de
terrorisme ?
B.M. Les explosions dans les bus et
dans les restaurants m’ont vraiment secoué. Elles m’ont fait prendre conscience
de la profondeur de la haine contre nous. Elles m’ont fait comprendre que la
haine des Palestiniens, des Arabes et des musulmans contre l’existence des
juifs ici nous conduit à la destruction. Les explosions-suicides ne sont pas
des actes isolés. Elles expriment la volonté profonde du peuple palestinien.
C’est ce que la majorité des Palestiniens veut. Ils veulent que ce qui est
arrivé au bus nous arrive à tous.
Et
pourtant, nous avons aussi une responsabilité dans cette violence et cette
haine : l’occupation, les barrages sur les routes, les bouclages,
peut-être même
B.M. Vous n’avez pas besoin de me le
dire. J’ai étudié l’histoire de
Vous
prétendez que le terrorisme palestinien provient d’une sorte de problème
culturel profond ?
B.M. Il y a un problème profond avec
l’islam. C’est un monde aux valeurs différentes. Un monde dans lequel la vie
humaine n’a pas la même valeur qu’en Occident, auquel les notions de liberté,
de démocratie, d’ouverture et de créativité sont étrangères. Un monde où
quiconque ne fait pas partie du camp de l’islam est une proie légitime. La
vengeance est importante aussi, ici. La vengeance joue un rôle central dans la
culture tribale arabe. Alors, le peuple que nous combattons et la société d’où
il provient n’ont pas de freins moraux. S’il se procure des armes chimiques,
biologiques ou atomiques, il s’en servira. S’il le peut, il commettra aussi un
génocide.
J’insiste :
nous avons une large responsabilité dans la haine que les Palestiniens ont pour
nous. Après tout, vous nous avez vous-même montré que les Palestiniens avaient
connu une catastrophe historique.
B.M. C’est vrai mais quand on a
affaire à un tueur en série, l’important n’est pas de savoir pourquoi il l’est
devenu. Ce qu’il faut, c’est le mettre en prison ou l’exécuter.
Vous
pouvez développer cette comparaison : qui est le tueur en série dans votre
analogie ?
B.M. Les Barbares qui nous ôtent la
vie. Ceux que la société palestinienne envoie accomplir les attaques
terroristes, et, dans une certaine mesure, la société palestinienne elle-même.
Actuellement, cette société est en passe de devenir un tueur en série. C’est une
société très malade qu’il faudrait traiter comme on traite les tueurs en série.
C’est-à-dire ?
Que devrions-nous faire tout de suite ?
B.M. Nous devons essayer de soigner
les Palestiniens. Peu à peu, peut-être la création d’un état palestinien favorisera-t-elle
le traitement. Mais en attendant qu’on ait trouvé le remède, il faut les
enfermer pour qu’ils ne puissent pas nous tuer.
Les
enfermer derrière un mur ? Les entourer d’une palissade ?
B.M. Il faut leur construire une
sorte de cage. Je sais que cela sonne terrible. Mais nous n’avons pas le choix.
Il y a un animal sauvage qu’il faut enfermer d’une façon ou d’une autre.
Guerre de barbares
Benny
Morris, êtes-vous désormais d’extrême-droite ?
B.M. Non, non, je me considère
toujours comme de gauche, je suis toujours favorable, en principe, aux deux
états pour deux peuples.
Mais
vous ne pensez pas que cette solution soit durable. Vous ne croyez pas à la
paix.
B.M. A mon avis, nous n’aurons pas la
paix, non.
Alors,
quelle solution proposez-vous ?
B.M. Pour la génération actuelle, il n’y a
apparemment pas de solution, sinon être vigilant et défendre le pays autant que
possible.
La méthode
rideau de fer ?
B.M. Oui. Un rideau de fer, c’est une
bonne métaphore. Un rideau de fer, c’est la politique la plus raisonnable pour
les prochaines décennies. Mon collègue Avi Chlein l’a bien résumé : ce que
Ben-Gourion a appliqué, c’est ce que Jabotinsky avait proposé. Dans les années
cinquante, il y a eu une controverse entre Ben-Gourion et Moché Charrette. Ben-Gourion
affirmait que les Arabes ne comprenaient que la force et que seule une force
supérieure les convaincrait d’accepter notre présence ici. Il avait raison.
Cela ne signifie pas qu’il faut exclure la diplomatie. Pour satisfaire à la
fois l’Occident et notre conscience, nous devons chercher une solution
politique. Mais en fin de compte, seule la force les contraindra à nous
accepter, la conviction qu’ils ne sont pas capables de nous vaincre.
Vous
vous considérez comme un homme de gauche mais vous parlez comme un homme de
droite, non ?
B.M. J’essaie d’être réaliste. Je
sais que ce n’est pas politiquement correct, mais je pense que chercher à être
politiquement correct empoisonne l’histoire. Cela nous empêche de voir la
vérité. Et je me sens proche aussi d’Albert Camus. Il était considéré comme un
homme de gauche moralement irréprochable mais quand il s’est agi de l’Algérie,
il a placé sa mère avant la moralité. Sauver mon peuple a plus d’importance à
mes yeux que les concepts moraux universels.
Êtes-vous
un nouveau conservateur ? Analysez-vous la réalité historique actuelle
comme le fait Samuel Huntington ?
B.M. Je pense qu’il y a un conflit
entre les civilisations en ce moment [comme le prétend Huntington]. Je pense
que l’Occident actuel ressemble à l’empire romain au IVe, Ve et
VIe siècle : les Barbares l’attaquent et vont peut-être le
détruire.
Les
musulmans sont donc des Barbares ?
B.M. Je pense que les valeurs que
j’ai déjà mentionnées sont celles des Barbares : l’attitude envers la
démocratie, la liberté, l’ouverture ; l’attitude envers la vie humaine. En
ce sens, ce sont des Barbares ; Le monde arabe tel qu’il est aujourd’hui
est barbare.
Et
vous pensez que ces nouveaux Barbares menacent réellement
B.M. Oui. L’Occident est plus fort mais il n’est
pas certain qu’il sache comment repousser cette vague de haine. Le phénomène de
la pénétration musulmane massive en Occident et son installation là-bas crée
une menace interne dangereuse. Un processus similaire a eu lieu à Rome. Ils ont
laissé entrer les Barbares qui ont démoli l’empire de l’intérieur.
Est-ce
vraiment grave à ce point ? L’Occident est-il en danger ?
B.M. Oui. Je pense que la guerre
entre les civilisations est la principale caractéristique du XXIe siècle.
Je pense que le président Bush a tort de nier la réalité de cette guerre. Il ne
s’agit pas seulement de Ben Laden. Il y a une lutte contre un monde dont les
valeurs sont différentes. Et nous sommes en premire ligne du front. Exactement
comme les Croisés, nous sommes la branche vulnérable de l’Europe ici.
La
situation que vous décrivez est très grave. Vous ne croyez pas que nous
pourrons réellement nous maintenir ici ?
B.M. Le risque d’annihilation existe.
Vous
considérez-vous comme apocalyptique ?
B.M. Le projet sioniste en soi est
apocalyptique. Il vit dans un entourage hostile et d’une certaine façon son
existence est déraisonnable. Il n’était pas raisonnable qu’il triomphe en 1881,
il n’était pas raisonnable qu’il triomphe en 1948 et il n’est pas raisonnable
qu’il triomphe maintenant. Et pourtant, il est arrivé jusque-là. D’une certaine
façon, c’est un miracle. J’ai vécu les événements de 1948, et 1948 se projette
sur ce qui pourrait arriver ici. Oui, je pense à Armageddon. C’est possible.
D’ici vingt ans, il pourrait y avoir une guerre atomique ici.
Si
le sionisme est si dangereux pour les juifs et si le sionisme est si
insupportable aux Arabes, c’est peut-être une erreur ?
B.M. Non, le sionisme n’était pas une
erreur. Le désir de fonder un état juif ici était légitime et positif. Mais
compte tenu du caractère de l’islam et du caractère de la nation arabe, c’était
une erreur de penser qu’il serait possible de fonder ici une état paisible
vivant en harmonie avec son entourage.
Ce
qui nous laisse, néanmoins, un choix : un sionisme cruel et tragique ou
l’abandon du sionisme.
B.M. Oui, c’est exactement cela.
C’est un raccourci, mais il est juste.
Diriez-vous
que la réalité historique est intolérable, qu’elle comporte quelque chose
d’inhumain ?
B.M. Oui. Mais c’est vrai pour les juifs, pas
pour les Palestiniens. Un peuple qui souffre depuis deux mille ans, qui a vécu
l’Holocauste, arrive dans son patrimoine mais il baigne à nouveau dans une
effusion de sang qui le mènera peut-être à l’annihilation. Sur le plan de la
justice cosmique, c’est terrible. C’est beaucoup plus choquant que ce qui est
arrivé en 1948 à la petite partie de la nation arabe qui se trouvait alors en
Palestine.
Pour vous,
donc,
B.M. Oui. Le processus pourrait
s’achever par la destruction. Ce pourrait être la fin de l’expérience sioniste.
Et c’est cela qui me déprime et me terrifie.
Le titre du livre
que vous publiez maintenant en Hébreu est "Les Victimes." A la fin,
alors, votre argument est que des deux victimes du conflit, nous sommes les
plus grandes victimes ?
B.M. Oui. Exactement. Nous sommes les plus grandes victimes de l’Histoire et nous sommes aussi les plus grandes victimes potentielles. Bien que nous soyons en train d’oppresser les Palestiniens, nous sommes la partie la plus faible ici. Nous sommes une petite minorité dans un océan d’Arabes hostiles qui veulent nous éliminer. Alors il est possible que lorsque leur désir sera réalisé, tout le monde comprendra ce que je suis en train de vous dire maintenant. Tout le monde comprendra que nous sommes les vraies victimes. Mais d’ici là, il sera trop tard.
Droit
de réponse : je ne suis pas pour l’expulsion
[je n’ai pas retrouvé la source sur le site de Haaretz]
Haaretz, 23
janvier 2004
Quelques jours
après la publication de l’entretien avec moi (« Que les plus forts
survivent », Haaretz Magazine, 9 janvier 2004), un étudiant arabe
israélien en colère est venu dans mon bureau de l’université Ben-Gourion. Il
suggérait que l’Holocauste n’avait jamais eu lieu (citant ce qu’il appelait
« un grand historien égyptien mondialement réputé ») et prétendait
que les tours jumelles de New York avaient été détruites sur ordre de
Pour l’islam
djihadiste, Israël est l’incarnation de toutes les valeurs qu’il abhorre :
la démocratie et la liberté, l’ouverture, la tolérance et le pluralisme,
l’individualisme et la laïcité, la criticalité (y compris la valeur consistant
à exprimer l’autocritique, qui est absente de leur civilisation), les droits
des femmes, le libéralisme et le progrès, la liberté sexuelle, alors que les
partisans du djihad souhaitent le retour de l’époque où l’épée de l’islam
dominait de l’Inde à l’océan Atlantique et où les minorités tremblaient sous
son ombre. Ces djihadistes, et les sociétés qui les soutiennent et les
envoient, qui se réjouissent dans la rue lorsqu’un immeuble s’effondre sur des
centaines ou des milliers d’occupants ou lorsqu’un bus est réduit en cendres,
méritent le nom de « Barbares ». Il est dommage que beaucoup de gens
en Occident et dans l’extrême-gauche israélienne préfèrent ignorer la deuxième
et la troisième dimension et considérer la lutte palestinienne uniquement à
travers le prisme de la première, la résistance à l’occupation.
Une accusation
est au centre des lettres envoyées au magazine Haaretz (« Le jugement de
l’histoire », 16 janvier 2004), c’est « la purification ethnique
». Je répète ce que j’ai dit, puisqu’apparemment on n’en a pas tenu
compte (peut-être à cause du titre trompeur de la couverture) : je ne
défends pas l’expulsion des Arabes des territoires ou de l’état d’Israël !
Cette expulsion serait immorale et en même temps irréaliste. Ce que j’ai dit
c’est que si, un jour, ces communautés lançaient une attaque violente et
massive contre l’état d’Israël, en même temps qu’un vaste assaut contre Israël
de la part de ses voisins, et mettaient en danger sa survie, les expulsions
seraient certainement à l’ordre du jour. En ce qui concerne les Arabes
israéliens, mes propos peuvent être considérés comme une pancarte pointant dans
deux directions possibles : ils pourraient choisir la loyauté envers
l’état juif et l’intégration en qualité de citoyens égaux, et s’assurer ainsi
une vie tranquille et prospère ; ou bien le chemin de la déloyauté à
l’état et du soutien actif et violent à ceux qui poursuivent sa perte. Le
second chemin, que beaucoup d’Arabes israéliens ont choisi en octobre 2000 et
que beaucoup de leurs dirigeants semblent choisir aujourd’hui, avec plus ou
moins de circonlocutions, aidera à mener ou bien à la destruction de l’état
juif ou bien à leur éradication.
Je voudrais faire
un commentaire général sur la question du nettoyage ethnique : je suis
parfaitement conscient que le « nettoyage ethnique » n’est pas
politiquement correct et que moralement, il pose des problèmes. Mais qu’y
pouvons-nous, l’histoire du XXe siècle est pleine d’épisodes de
nettoyage ethnique intervenus dans des circonstances catastrophiques et qui ont
finalement été bénéfiques pour l’humanité, y compris les expulsés eux-mêmes.
L’expulsion des Sudètes (après la seconde guerre mondiale), qui a contribué à
la destruction de
Et je voudrais
ajouter ceci : la nation arabe islamique est l’un des plus grands
purificateurs ethniques de l’histoire humaine, depuis longtemps et à notre
époque encore. Mahomet et ses hommes ont purifié la péninsule arabe de ses
tribus juives, en partie par l’extermination des hommes et la réduction en
esclavage et la conversion forcée des jeunes femmes (d’après le Coran, les
hommes de Mahomet ont massacré huit ou neuf cents hommes de la tribu de
Bani-Quoureïza, soit plus que le nombre total des victimes arabes des massacres
[perpétrés par les ] juifs pendant la guerre de 1948). Au cours des siècles
suivants, les empires musulmans et les états arabes, par le pogrom [en russe
dans le texte] et la loi, ont arraché de leur sein ou converti de force la
plupart de leurs communautés chrétiennes et se sont purifiés ethniquement de
leurs communautés juives. Les députés arabes du parlement israélien, Mohammed
Barakeh, le docteur Haggaï Ram et leurs amis ont-ils jamais émis un mot de
critique contre cette histoire ? (et d’ailleurs, toutes les communautés
juives conquises par les armées arabes pendant la guerre de 1948, notamment le
quartier juif de
De nos jours, nul
n’a été plus raciste et plus intolérant envers « l’autre », Kurde,
juif, Soudanais chrétiens ou animistes, chrétiens maronites, etc., que les
états arabes. La constitution de
A M.
Barakeh : ça suffit, votre hypocrisie. Il n’y a qu’un camp dans le conflit
de notre région qui soit menacé d’annihilation et c’est le camp juif, vous le
savez très bien. C’était comme ça en 1948 (cf., par exemple, la déclaration
d’Azzam Pacha, secrétaire de
Dans notre
région, le camp qui s’emploie depuis des générations maintenant à la
déshumanisation systématique de l’adversaire est le camp palestinien contre les
juifs (cf. la charte du Hamas et les manifestes politiques officiels du Hamas
et du Djihad islamique, qui représentent au moins la moitié des Palestiniens
dans les territoires : elle nomme régulièrement les juifs, comme c’est la
tradition dans l’islam, « des fils de singes et de cochons », de « tueurs
de prophètes » et de « peuple vil ». Oui, je maintiens le
terme de « bête sauvage » pour désigner les kamikazes qui sont prêts
à massacrer des dizaines ou même des milliers de civils dans des bus ou des
gratte-ciels dans les villes d’Israël et de l’Occident.
En 1988, je
considérais la rébellion palestinienne (« la première
intifada ») comme une lutte légitime pour la libération de
l’occupation. Et je crois que la plupart des lanceurs de pierre palestiniens
considérait alors ainsi leur combat. C’est pourquoi il m’a semblé juste de
refuser de servir dans les territoires et de faire de la prison. (incidemment,
je ne me rappelle pas avoir vu le nom de mes collègues, luminaires moraux de
l’université de Ben-Gourion, sur la liste des refuseniks [en russe dans le texte],
de même que je n’en ai rencontré aucun pendant mon service dans les brigades de
para).
En 2000, les
Palestiniens, conduits par Yasser Arafat, ont entamé une guerre qui combine les
trois dimensions que j’ai déjà mentionnées et dont le but ultime est la destruction
d’Israël (ou, comme le dit pudiquement Arafat, « faire flotter le drapeau
palestinien sur les murs de Jérusalem »), exactement comme Saladin a
détruit le royaume croisé. Aux yeux d’Arafat, nous sommes « les nouveaux
Croisés ». C’est pour cette raison, essentiellement, qu’Arafat, au nom du
peuple palestinien et sans contestation de la plupart de ses collègues, a
rejeté les propositions de paix Barak-Clinton de décembre 2000, qui comprenait
le retrait israélien de 95 % environ de
Et par là, Arafat
restait fidèle à la tradition de rejet de son peuple, qui a rejeté le compromis
proposé par la commission Peel en 1937, le compromis proposé par l’ONU en
1947-1948 (le projet de partage) et le compromis égypto-israélien proposé en
1978 (les accords de Camp David, qui offraient aux Palestiniens une autonomie
qui se serait à terme transformée en état palestinien).
Malheureusement,
la destruction d’Israël et le droit au retour des réfugiés sont devenus un
élément essentiel de l’identité palestinienne, et tant que cet élément n’aura
pas disparu, aucun compromis historique ne sera possible. Et à défaut de
compromis reposant sur le principe des deux états, alors, finalement il n’y aura
plus qu’un état, ou bien juif sans minorité arabe importante, ou bien arabe
avec une minorité juive qui se rétrécira jusqu’à disparition complète, de même
que les communautés juives ont disparu du monde islamique au siècle dernier
(après tout, aucun juif sain d’esprit ne voudrait vivre en situation
minoritaire dans un état islamique gouverné par le terroriste de Moukata et le
fanatique de Gaza cloué sur sa chaise roulante).
Dans un proche
avenir, il faut qu’Israël évacue la majeure partie de
La réduction de
mes sept heures d’entretien avec Ari Shavit à deux pages n’est pas juste à mon
égard, au moins en ce qui concerne le ton. On a choisi, parmi toute une série
de déclarations sur différents thèmes, les plus intraitables, parfois sans
nuances ou qualificatifs. J’admets que j’ai dérapé ici ou là : je ne
soutiens pas et je n’ai pas soutenu l’extermination des Indiens et je regrette
d’avoir employé le mot « cage ».
Une dernière
chose : je trouve curieux que les rédacteurs-en-chef du magazine Haaretz aient
choisi d’illustrer un article traitant de la tragédie de deux peuples avec la
photo d’un Benny Morris souriant. Contrairement à ce que cela sous-entend, je
ne me réjouis pas du bain de sang et de l’expulsion. Je ne comprends pas non
plus pourquoi l’édition anglaise du magazine a choisi pour titre de cet
entretien « Que les plus forts survivent ! » (Survival of the
fittest). Je n’ai pas employé cette expression et je la déteste.
Quoi qu’il en
soit, je serai le premier à me réjouir si mes opinions et mes prédictions se
révèlent erronés.