Contre Info . info les nouvelles absentes des prompteurs |
|
17 décembre 2007 |
Maurice
Allais : Les effets destructeurs de la Mondialisation |
|
|
Par Maurice
Allais, Prix Nobel d’économie
Extrait d’une
lettre ouverte adressée à Monsieur Jacques Myard, Député des Yvelines, 2005
L’Europe a
favorisé l’émergence d’une mondialisation sans barrière. N’a-telle pas aussi
concouru à l’accroissement de ses difficultés économiques ?
En fait, à
partir de 1974 on constate pour la France une croissance massive du chômage,
une réduction drastique des effectifs de l’industrie et une réduction très
marquée de la croissance.
Le taux de
chômage au sens du BIT
De 1950 à
1974, pendant vingt-quatre ans le taux de chômage au sens du BIT est resté
constamment inférieur à 3 %. De 1975 à 2005, pendant les trente années
suivantes, il s’est progressivement élevé pour attendre 12,5 % en 1997 et 10 %
en 2005.
Emplois
dans l’industrie
Alors que de
1955 à 1974 les effectifs dans l’industrie s’étaient accrus d’environ 50.000
par an, ils ont décru de 1974 à 2005 d’environ 50.000 par an. Les effectifs de
l’industrie ont atteint leur maximum d’environ 6 millions en 1974.
Produit
intérieur brut réel par habitant
De 1950 à
1974 le taux de croissance moyen du PIB réel par habitant a été de 4 %. De 1974
à 2000 le taux moyen de croissance a été de 1,6 % avec une baisse de 2,4 % ,
soit une diminution de 60 %.
En fait, une
seule cause peut et doit être considérée comme le facteur majeur et déterminant
des différences constatées entre les deux périodes 1950-1974 et 1974-
2005 : la politique à partir de 1974 de libéralisation mondialiste des échanges
extérieurs du GATT et de l’Organisation de Bruxelles et de la libéralisation
des mouvements de capitaux dont les effets ont été aggravés par la dislocation
du système monétaire international et l’instauration généralisée du système des
taux de change flottants.
Incontestablement
l’évolution très différente de l’économie française à partir de 1974 résulte de
la disparition progressive de toute protection du Marché Communautaire
Européen, de l’instauration continue d’un libre-échange mondialiste, de la
délocalisation des activités industrielles, et de la délocalisation des
investissements financiers [1] .
En tout cas,
au regard de l’accroissement massif du chômage, de la très forte diminution des
emplois dans l’industrie, et de la baisse considérable du taux d’accroissement
du produit national brut réel par habitant à partir de 1974, il est tout à fait
impossible de soutenir que la politique de libre-échange mondialiste mise en
œuvre par l’Organisation de Bruxelles a favorisé la croissance et développé
l’emploi.
En fait, ce
que l’on a constaté, c’est que la politique de libre-échange mondialiste
poursuivie par l’Organisation de Bruxelles a entraîné à partir de 1974 la
destruction des emplois, la destruction de l’industrie, la destruction de
l’agriculture, et la destruction de la croissance [2].
Si la
politique libre échangiste de l’Organisation de Bruxelles n’avait pas été
appliquée, le PIB réel par habitant en France serait aujourd’hui d’au moins 30
% plus élevé qu’il ne l’est actuellement, et il serait certainement au moins
égal au PIB réel par habitant aux États-Unis 4. Qui ne voit que les difficultés
majeures auxquelles nous sommes confrontés aujourd’hui résultent pour
l’essentiel de la diminution considérable du produit intérieur brut réel qu’a
entraînée pour nous la politique libre échangiste de l’Organisation de
Bruxelles.
Toute cette
analyse montre que la libéralisation totale des mouvements de biens, de
services et de capitaux à l’échelle mondiale, objectif affirmé de
l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) à la suite du GATT, doit être
considérée à la fois comme irréalisable, comme nuisible, et comme non
souhaitable.
Elle n’est
possible, elle n’est avantageuse, elle n’est souhaitable que dans le cadre
d’ensembles régionaux économiquement et politiquement associés, groupant des
pays de développement économique comparable, chaque Association régionale se
protégeant raisonnablement vis-à-vis des autres.
En fait, une
analyse correcte de la théorie du commerce international ne conduit en aucune
façon à la conclusion que l’application à l’échelle mondiale d’une politique
généralisée de libre-échange pourrait correspondre à l’intérêt réel de chaque
pays, que ce soient les pays développés de l’Europe occidentale et de
l’Amérique du Nord ou le Japon, ou que ce soient les pays en voie de
développement de l’Europe de l’Est, de l’ex-URSS, de l’Afrique, de l’Amérique
Latine, ou de l’Asie.
Je ne saurais
trop l’affirmer : la théorie naïve et indûment simplificatrice du commerce
international que nous brandissent les thuriféraires de la libéralisation
mondiale des échanges est totalement erronée. Il n’y a là que postulats sans
fondements.
En réalité,
ceux qui, à Bruxelles et ailleurs, au nom des prétendues nécessités d’un
prétendu progrès, au nom d’un libéralisme mal compris, et au nom de l’Europe,
veulent ouvrir l’Union Européenne à tous les vents d’une économie mondialiste
dépourvue de tout cadre institutionnel réellement approprié et dominée par la
loi de la jungle, et la laisser désarmée sans aucune protection
raisonnable ; ceux qui, par là même, sont d’ores et déjà personnellement
et directement responsables d’innombrables misères et de la perte de leur emploi
par des millions de chômeurs, ne sont en réalité que les défenseurs d’une
idéologie abusivement simplificatrice et destructrice, les hérauts d’une
gigantesque mystification.
L’hostilité
dominante d’aujourd’hui contre toute forme de protectionnisme se fonde depuis
soixante ans sur une interprétation erronée des causes fondamentales de la
Grande Dépression.
En fait, la
Grande Dépression de 1929-1934, qui à partir des Etats-Unis s’est étendue au
monde entier, a eu une origine purement monétaire et elle a résulté de la
structure et des excès du mécanisme du crédit. Le protectionnisme en chaîne des
années trente n’a été qu’une conséquence et non une cause de la Grande
Dépression. Il n’a constitué partout que des tentatives des économies
nationales pour se protéger des conséquences déstabilisatrices de la Grande
Dépression d’origine monétaire.
Les adversaires obstinés de tout protectionnisme,
quel qu’il soit, commettent une seconde erreur : ne pas voir qu’une
économie de marchés ne peut fonctionner correctement que dans un cadre
institutionnel et politique qui en assure la stabilité et la régulation.
Comme l’économie mondiale est actuellement
dépourvue de tout système réel de régulation et qu’elle se développe dans un
cadre anarchique, l’ouverture mondialiste à tous vents des économies nationales
ou des associations régionales est non seulement dépourvue de toute
justification réelle, mais elle ne peut que les conduire à des difficultés
majeures.
Le véritable
fondement du protectionnisme, sa justification essentielle et sa nécessité,
c’est la protection nécessaire contre les désordres et les difficultés de
toutes sortes engendrées par l’absence de toute régulation réelle à l’échelle
mondiale.
Il est tout à
fait inexact de soutenir qu’une régulation appropriée puisse être réalisée par
le fonctionnement des marchés tel qu’il se constate actuellement.
Si on
considère, par exemple, le cas de l’agriculture communautaire européenne,
l’alignement de ses prix sur des prix mondiaux qui peuvent rapidement varier de
un à deux en raison d’une situation toujours instable n’a aucune justification.
Depuis deux
décennies une nouvelle doctrine s’est peu à peu imposée, la doctrine du
libre-échange mondialiste impliquant la disparition de tout obstacle aux libres
mouvements des marchandises, des services et des capitaux.
Cette
doctrine a été littéralement imposée aux gouvernements américains successifs,
puis au monde entier, par les multinationales américaines, et à leur suite par
les multinationales dans toutes les parties du monde, qui en fait détiennent
partout en raison de leur considérable pouvoir financier et par personnes
interposées la plus grande partie du pouvoir politique.
La
mondialisation, on ne saurait trop le souligner, ne profite qu’aux
multinationales. Elles en tirent d’énormes profits.
Suivant cette
doctrine la disparition de tous les obstacles aux changements est une condition
à la fois nécessaire et suffisante d’une allocation optimale des ressources à
l’échelle mondiale. Tous les pays et dans chaque pays tous les groupes sociaux
doivent voir leur situation améliorée.
Les partisans
de cette doctrine sont devenus aussi dogmatiques que les partisans du
communisme avant son effondrement avec la chute du mur de Berlin en 1989. Pour
eux la mise en oeuvre d’un libre-échange mondial des biens, des services, et
des capitaux s’impose à tous les pays et si des difficultés se présentent dans
sa mise en oeuvre elles ne peuvent être que temporaires et transitoires.
En réalité,
les affirmations de la nouvelle doctrine n’ont cessé d’être infirmées aussi
bien par l’analyse économique que par les données de l’observation. En fait,
une mondialisation généralisée n’est ni inévitable, ni nécessaire, ni
souhaitable.
De l’analyse
des faits constatés résultent quatre conclusions tout à fait
fondamentales :
. Une
mondialisation généralisée des échanges entre des pays caractérisés par des niveaux
de salaires très différents aux cours des changes ne peut qu’entraîner
finalement partout dans les pays développés : chômage, réduction de la
croissance, inégalités, misères de toutes sortes. Elle n’est ni inévitable, ni
nécessaire, ni souhaitable.
. Une
libéralisation totale des échanges et des mouvements de capitaux n’est
possible, et elle n’est souhaitable que dans le cadre d’ensembles régionaux
groupant des pays économiquement et politiquement associés et de développement
économique et social comparable.
. Il
est nécessaire de réviser sans délai les Traités fondateurs de l’Union
Européenne, tout particulièrement quant à l’instauration indispensable d’une
préférence communautaire.
. Il
faut de toute nécessité remettre en cause et repenser les principes des
politiques mondialistes mises en oeuvre par les institutions internationales,
tout particulièrement par l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
Au regard de
l’ensemble de l’évolution constatée de 1974 à 2004, soit pendant trente ans, on
peut affirmer aujourd’hui que cette évolution se poursuivra si la politique de
libre-échange mondialiste de l’Organisation de Bruxelles est maintenue.
En fait,
toutes les difficultés pratiquement insurmontables dans lesquelles nous nous
débattons aujourd’hui résultent de la réduction d’au moins 30 % du Produit
national brut réel par habitant d’aujourd’hui. La prospérité de quelques
groupes très minoritaires ne doit pas nous masquer une évolution qui ne cesse
de nous mener au désastre.
L’aveuglement
de nos dirigeants politiques, de droite et de gauche, depuis 1974 est
entièrement responsable de la situation dramatique où nous nous trouvons
aujourd’hui. Comme le soulignait autrefois Jacques Rueff : « Ce qui
doit arriver arrive. »
Toute
l’évolution qui s’est constatée depuis 1974 résulte de l’application
inconsidérée et aveugle de l’Article 110 du Traité de Rome du 25 mars 1957
constamment repris dans tous les traités ultérieurs :
Article 110
« En
établissant une union douanière entre eux les États membres entendent
contribuer conformément à l’intérêt commun au développement harmonieux du
commerce mondial, à la suppression progressive des restrictions aux échanges
internationaux et à la réduction des barrières douanières. »
En fait, pour
être justifié l’Article 110 du Traité de Rome devrait être remplacé par
l’article suivant :
« Pour
préserver le développement harmonieux du commerce mondial une protection
communautaire raisonnable doit être assurée à l’encontre des importations des
pays tiers dont les niveaux des salaires au cours des changes s’établissent à
des niveaux incompatibles avec une suppression de toute protection
douanière. »
Ce texte est
extrait de :
L’EUROPE EN
CRISE QUE FAIRE ? Réponses à quelques questions
dont nous
reproduisons ci-dessous le sommaire :
I.- La
création de l’Euro est-elle justifiée ?
II.-
L’Organisation politique de l’Europe
III.- Les
effets destructeurs de la Mondialisation
IV.- La
nécessaire Préférence Communautaire
V.- De
profondes réformes
[1]
Voir Allais, 1999, La Mondialisation. La Destruction des Emplois et de la
Croissance. L’Evidence Empirique, p. 142-146 et 451-455.
[2]
Voir Maurice Allais 1999, La Destruction des Emplois et de la Croissance.
L’Evidence Empirique
Référence : http://contreinfo.info/article.php3?id_article=1520