Strasbourg, 6 juin 1998.
Alles klar, Herr Kommissar...
Monsieur le commissaire,
J'ai bien réfléchi. Je n'ai toujours pas rassemblé tous les numéros de la BE et je n'en ai toujours pas l'intention. Mais j'ai sous le nez une photocopie du n° 8 où je peux lire : « Comme Debord avait refusé quelques années plus tôt de répondre à Voyer sur la fin de l'économie, Voyer a refusé de répondre à la BE sur la fin de la communication. Tout ce qu'il a donc fini par communiquer de Debord s'applique aussi à lui.. » Et tout ce qu'il a pu communiquer de Lebovici s'applique aussi à moi. J'endosse la tunique de Lebovici ! C'est une bonne idée d'avoir livré la « Fin du voyerisme paisible » au public. Aura-t-elle autant de retentissement que la « Fin du situationnisme paisible » ? ou que la querelle de Port-Royal ? En tout cas je constate qu'elle donne déjà lieu à d'amusantes réparties sur le site Deboard ? Mais vous, vous n'êtes pas tellement là pour rigoler. Vous voulez du sérieux, du colle-au-ventre, du qui-chie-loin. Et surtout, du neuf ! « J'ai aidé par ma négligence celui qui fut le plus important théoricien depuis l'IS à fossoyer sa théorie dans la répétition infinie. » Rien que ça ! Parfait, j'endosse également. L'histoire se répète toujours, mais la deuxième fois en farce. En fait, vous êtes un snob. Vous voulez toujours avoir le modèle théorique dernier cri de peur de passer pour un plouc. De plus vous êtes comme ce vieux pédé de Gide (protestant, je vous l'accorde) qui se tâte (excusez-moi) devant la Recherche de Prout-prout, car n'y voyant que des ragots mondains, il a peur que ça rabaisse la haute tenue de sa nouvelle revue française. Les couilles de M. Lévy rabaissent le niveau théorique et extrémiste de la BE. Et quand on en arrive à la culotte mouillée, ça dépasse vraiment les bornes ! Je n'ai jamais lu Régine Déforges. N'espérez pas m'infliger cette volumineuse lecture. Le génie de Proust, c'est d'avoir fait du snobisme quelque chose de quasiment universel. Il ne fallait pas s'arrêter aux salons aristocratiques. On trouve des snobs dans tous les milieux, particulièrement chez les middles-class, et pas mal chez les prolos qui essayent d'atteindre les middles-class. Et à l'ultra-gauche aussi, évidemment. Vous voudriez, en quelque sorte, que je fasse comme avec le Céline romancier et le Céline pamphlétaire. Que je sépare le Voyer « seul exégète de Hegel du xxe siècle » du Voyer pipi-caca. N'y comptez pas, Monsieur. De plus, vous êtes un singe. Vous singez Voyer comme les membres de la BE le singent après avoir singé l'IS, groupe radical s'il en fut. En voilà du neuf ! Quel exploit ! quel prodige ! quelle nouveauté ! « Voyer ne s'est pas tu, comme Rimbaud, il n'a plus rien dit de neuf. » On saisit la nuance. Mais la moindre petite information la plus anodine, du genre Voyer part en vacance, et les bras vous en tombent : « Il n'y va quand même pas par l'autoroute ? » Mais si, Monsieur, ça lui arrive. Évidemment, je ne vous dirai pas tout, s'il picole plus ou moins que Debord, par exemple, ou d'autres choses du même genre. Vous comprendrez, j'espère, vous qui comprenez toujours tout plus vite que les autres, qui voulez toujours la suite, de la théorie-feuilleton en quelque sorte. « Voyer est un théoricien. L'Introduction, l'Enquête, le Rapport et certains textes de la RPC sont toutes son œuvre théorique. Rien de ce qu'il a écrit par la suite n'est à la mesure de ces révélations-là. » Rien, pas même le fait de savoir si la vicomtesse d'Arlincourt baissait sa culotte avec autant de grâce que Mme Barbie-Lévy, cette révélation qui intéresserait fort Stendhal aujourd'hui. « Les membres de la BE on lu tout ce que Voyer a écrit ; si bien qu'ils sont les seuls à ma connaissance à en avoir tenté la critique. » C.Q.F.D. « La correspondance avec le MAUSS est la seule partie réellement intéressante d'Hécatombe. » Mais pas les trois portraits de révolutionnaires. J'arrête là, Monsieur. D'ailleurs vous vous doutez bien que je ne peux pas entretenir avec vous une correspondance éternelle. C'est le jeu de la barbichette. Le premier qui s'arrête va immédiatement rejoindre Debord et Lebovici dans les flammes de l'enfer. Je vous recommande vivement de mettre notre correspondance sur le site, afin de verser de nouvelles pièces au volumineux dossier qui s'annonce. D'ailleurs si vous ne le faites pas, je le ferais moi-même dès que possible. Rien de grand dans le monde ne s'est accompli sans passion. Je vous prie d'agréer, Monsieur le commissaire, etc...
Karl von Nichts.