M. Ripley s’amuse

Mon but dans la vie

 

Cher Alphonse,

 

[...]

Bien que d’une certaine façon je ne l’ignorasse pas, j’ai pris seulement maintenant conscience que mon seul but dans la vie depuis ma lecture du Capital en 1962 était de disqualifier le réductionnisme de Marx. Le mot réductionnisme n’éveillait en moi aucun écho jusqu’alors. Je le connaissais mais je n’en soupçonnais pas l’importance. Ta lettre me l’a révélée.

Pleinement justifié dans les sciences de la nature, le réductionnisme ne l’est pas quand il s’agit d’étudier l’humanité elle-même. Sans le réductionnisme, ces sciences n’existeraient pas, il n’y aurait aucune application de ces sciences, pas d’électricité, pas de bombe atomique, aucun OGM etc. On peut dire que le réductionnisme est le principe de ces sciences. La réplique de Laplace à Napoléon Bonaparte (Dieu est une hypothèse inutile) le prouve bien. Mais on ne peut faire l’économie de Dieu quand on prétend étudier l’humanité elle-même

[Durkheim ne dit rien d’autre puisque selon lui Dieu, à travers le religion, n’est qu’une manifestation de la puissance, à la fois contraignante et stimulante, de la société, de l’être collectif. Pour Durkheim, Dieu est un être naturel et non un être surnaturel, bien qu’il soit transcendant et invisible. C’est pourquoi sa manifestation, la religion, peut être objet de science. Durkheim n’est surtout pas réductionniste, notamment, il n’est pas naturaliste. Contrairement au naturalisme pour qui la religion est motivée par la crainte qu’inspire aux premiers hommes la puissance effrayante des phénomènes naturels, Durkheim soutient que ces premiers hommes traitent, par la religion, directement de la puissance respectable et stimulante de leur être collectif. Mais il fait bien mieux. Plutôt que prétendre que ce sont les forces naturelles menaçantes qui influent les hommes pour concevoir une divinité, il soutient que c’est la pratique de leur genre qui leur inspire l’idée de déceler des forces dans la nature et de concevoir un être universel transcendant, ce qu’est leur genre. La magie n’est pas là pour faire tomber la pluie ; le genre d’abord, la Nature et Dieu ensuite. En ce sens, la sociologie naissante n’est autre que l’étude scientifique de Dieu, ce qu’elle a très vite cessé d’être. Le mot esprit possède au moins deux définitions 1) positive : la pensée, le principe pensant par opposition à l’objet de pensée, 2) négative : être immatériel, incorporel, sans autre précision. Or immatériels et incorporels, c’est bien ce que sont les être collectifs, c’est bien ce qu’est la société. Dieu est un pur esprit, dit-on. Les être collectifs le sont aussi, en ce sens et en ce sens seulement. Esprit ne signifie pas seulement pensée. Qualifier d’esprit les êtres collectifs c’est seulement signifier qu’ils sont non matériels et non corporels et non pas qu’ils sont pensée (ce qu’est au contraire l’économie au sens de economy, une simple vue de l’esprit, esprit entendu ici au sens de pensée) ou idée ; cependant, ils mettent en jeu la pensée. Il faut faire un petit effort d’imagination et de compréhension, quand même, de temps en temps. Il faut comprendre dans le texte et non pas dans la lettre. Hegel écrit peut-être idée, mais on voit bien que l’idée chez lui a un sens spécial qui dénie le sens commun, y compris le sens donné par l’idéalisme. Au cours du XIXe siècle, on voit trois penseurs se soucier de l’esprit, c’est à dire, en fait, des être collectifs : Hegel, Marx, Durkheim. L’esprit dont parle Hegel n’est évidemment pas la pensée, mais bien l’esprit entendu au sens d’être immatériel et incorporel, ce que sont Dieu et les êtres collectifs. Oui, Hegel parlait bien des êtres collectifs. C’est donc lui, le père de la sociologie. Selon Durkheim, la chute de Dieu dans la nature, ce cadavre de Dieu, impliquée par l’idéalisme et accomplie par Hegel, n’a pas lieu d’être, puisque Dieu est immédiatement un être naturel, possible objet de science. Et cela dit, le monde n’en est pas moins enchanté pour autant. Il l’est d’autant plus qu’on veut l’ignorer. Dieu et la religion peuvent bien cesser d’être, la chose, elle, n’a pas cessé. Simplement, là où il y avait des hommes, il y a désormais du bétail et des épiciers.]

et non plus seulement la mécanique céleste (Allah n’avait pas encore frappé quand j’écrivais cette lettre !) Le tort de Marx est d’avoir voulu faire l’économie de la pensée pour étudier l’humanité. Marx a voulu réduire l’étude de l’humanité à une sorte de mécanique céleste malgré toutes ses protestations de dialectique. Sartre dirait : « Le matérialisme est un réductionnisme ». Il l’a dit dans son héroïque (whisky + amphétamines) tentative antiréductionniste Critique de la raison dialectique.

L’ensemble des hommes étant, de tous les ensembles possibles, le seul qui soit une chose et non seulement une pensée, il ne peut être traité par le réductionnisme, car, si — contrairement aux autres ensembles — il est une chose, c’est parce qu’il contient la pensée. L’ensemble des animaux est seulement une pensée et ne saurait donc exister avant l’existence de la pensée. Contrairement au genre des animaux, le genre de l’homme est une chose. L’animalité ou la cabalité sont des pensées et seulement des pensées, l’humanité est une chose. Avant l’existence de la pensée, il y avait peut-être des animaux mais certainement pas de multiplicités. Il y avait peut-être des chevaux mais pas le genre cheval. Les multiplicités n’existent que lorsque existe la pensée. Elles ne sont que des pensées. La seule multiplicité qui ne soit pas seulement une pensée est justement l’humanité elle-même et cela parce qu’elle contient la pensée. Cet être collectif est le seul qui ne dépende pas d’une pensée extérieure pour exister précisément parce qu’il contient la pensée. Il ne faut pas confondre l’existence des chevaux avec l’existence de multiplicités. Autant dire que les nombres existaient avant qu’ils ne soient inventés. Il ne faut pas confondre l’existence des chevaux avec l’existence du nombre des chevaux, à moins que les chevaux ne sachent compter. Swift l’a prétendu dans ses célèbres voyages. Les platoniciens prétendent que les nombres existent avant, mais leurs nombres existent dans le ciel des idées et nous n’avons alors aucun contact direct avec eux.

Je n’ai pas l’impression que la pensée soit le fondement de toute chose mais seulement la certitude que l’on ne peut étudier l’humanité en faisant abstraction du rôle de la pensée comme a prétendu le faire Marx.

De même mon but ne consiste pas à concevoir les choses telles qu’elles sont avant que la pensée n’existe mais seulement à ne pas considérer l’humanité par le réductionnisme. Mon programme est beaucoup plus restreint que celui que tu exposes à la fin de ta lettre. Avant de me demander si la logique existe avant que la pensée n’existe, je me demande quelle est la logique à l’œuvre dans l’humanité si on ne fait pas l’économie de la pensée comme l’a fait Marx. Pour l’instant, cette logique est totalement inconnue. Dans l’humanité, on rencontre si peu la pensée et le mouvement de la pensée

Dieu est une métaphore de l’humanité. Comme le note judicieusement Tocqueville dans De la démocratie en Amérique, l’épicier démocratique est avant tout préoccupé de bien-être, et Tocqueville ne se borne pas à le constater, il dit également pourquoi. Même la religion de l’épicier démocratique est une religion de confort où Dieu se trouve à portée de main, dans un placard de l’arrière boutique, entre les livres de compte et le livre de famille. Les remarques de Tocqueville sont plus que jamais valables aujourd’hui où le monde est devenu une grande Amérique où tout le monde peut manger du roquefort. Le souci de l’esprit, le souci de l’être collectif, s’est réfugiée en Arabie. Que mettent en avant les musulmans ? La oumma, l’être collectif des musulmans, ce qui est presque sacrilège puisque cet être collectif est un possible rival d’Allah. ]

que tout le monde l’ignore, tout le monde pense comme Locke*. Et Marx n’a pas arrangé les choses. Il est plutôt l’héritier de Locke que de Hegel. On peut penser qu’il avait eu une overdose de pensée avec Hegel et que par violente réaction il a pris le contre-pied. Plus sérieusement Marx vivait dans une époque de furieux réductionnisme, ce que l’on nomme généralement le scientisme. Le réductionnisme en physique est salutaire, il ne commence à devenir du scientisme qu’à partir du moment où l’on veut en tirer des conclusions hors de la physique. Chacun voit midi à son clocher, les cordonniers veulent expliquer le monde par la cordonnerie. Ça, c’est le réductionnisme scientisme. Tout réduire à la cordonnerie ! Le monde contient la physique, la physique ne contient pas le monde.

Sincères salutations

 JPV

 Note : le réductionnisme a échoué en métamathématique. Le projet de Hilbert était de garantir la consistance de l’arithmétique par celle, censée être facile à établir, d’une « petite arithmétique » simplifiée, c’est à dire garantir le compliqué par le simple. C’est ce projet que la démonstration de 1931 de Gödel est venue anéantir. Dieu n’est pas simple. J-Y Girard in Le théorème de Gödel. Seuil

réductionnisme n. m.Tendance qui consiste à dériver le supérieur (le conscient, le vital) de l’inférieur (le physico-chimique) en n’attribuant de réalité qu’aux constituants les plus simples et à considérer ces derniers comme plus fondamentaux. Encyclopédie Hachette

réductionnisme n. m. Tendance qui consiste à réduire les phénomènes complexes à leurs composants plus simples, considérés comme fondamentaux. Petit Larousse. La première définition désigne donc le fait, pour une discipline, de sortir de son domaine pour expliquer hors de ce domaine, ce que combat Durkheim, notamment en déniant la possibilité d’expliquer le vivant par le non vivant et la société par le non social, notamment expliquer la société par des propriétés des éléments qui la composent. C’est d’ailleurs pourquoi Durkheim estime nécessaire de fonder une nouvelle science pour rendre compte de la société. La seconde, légitime, est employée par Durkheim par exemple pour établir des corrélations entre le taux de suicide et certains faits de la société, ce qui est une démarche purement positiviste. Sous cet aspect, le suicide apparaît comme une maladie de la société même, maladie qui consiste dans un manque de spiritualité (la société n’est pas suffisamment présente aux individus : suicide égoïste, nihilisme, enculisme, les besoins ont remplacé la foi. Le Suicide, livre II, 5, III) ou... dans un excès de spiritualité (la société est trop présente aux individus : suicide altruiste, sociétés archaïques, militaires qui, en principe, ont fait don de leur personne à la société laquelle, d’autre part, se manifeste par une implacable et permanente discipline), comme dans le cas des dix-neuf fidèles (ces jeunes gens issus de civilisations encore archaïques où la société est extrêmement présente aux individus, sont particulièrement sensibles au manque de présence de la société quand ils viennent faire leur éducation dans les déserts d’Occident. On pourrait presque dire que leur suicide s’impose. Il revêt tous les sous-types du suicide altruiste tels que relevés par Durkheim : sentiment calme du devoir, enthousiasme mystique, courage paisible). Cependant Durkheim n’est plus positiviste dans ses interprétations puisqu’il postule l’existence de forces collectives, de puissances collectives et de choses collectives (livre III, 1, III). La réponse de Laplace, plutôt que celle d’un réductionniste, est celle d’un positiviste. Pour un positiviste, la réalité est une hypothèse inutile. De ce fait, la question du rôle de la pensée dans la réalité ne se pose plus. ]

*. « les choses extérieures et matérielles qui sont les objets de la Sensation » chères à Locke et à Marx sont en fait pleines d’esprit de même que le tapis mazique de Krazy Kat est plein de mazie. Pour commencer, elles ont un nom. Ce qui n’a pas de nom n’est aucune chose.

 


My Goal In Life

 

Even though in a way I always knew it, I have only now become fully aware that my only goal in life, as soon as I read Capital in 1962, was to disqualify the reductionism of Marx. The term reductionism did not awake a response in me until now. I understood it, but didn’t suspect its importance. Your letter revealed it to me.

Clearly justified in the sciences of nature, reductionism has no justification when it is a question of studying humanity itself. Without reductionism, these sciences wouldn’t exist, there would be none of the applications of these sciences, no electricity, no atomic bomb, no genetically modified organisms, etc. One could say that reductionism is the principle of these sciences. The reply of Laplace to Napoleon (God is a useless hypothesis) effectively proves it. But one cannot dismiss God when one pretends to study humanity itself, and not only celestial mechanics. Marx’s error is to dismiss thought in order to study humanity. Marx wanted to reduce the study of humanity to a kind of celestial mechanics despite all his claims to dialecticism. Sartre would say, "Materialism is a reductionism." He said it in his heroic (whisky and amphetamines) anti-reductionist attempt Critique of Dialectical Reason.

The set of men being, of all the possible sets, the only one that is a thing and not only a thought, cannot be dealt with by reductionism, while if it is a thing-unlike other sets-it is because it contains thought. The set of animals is only a thought and cannot exist before the existence of thought. Unlike the genre of animals, the human genre is a thing. Animality or equinity are thoughts and only thoughts, humanity is a thing. Before the existence of thought, there were animals, perhaps, but certainly not multiplicities. Perhaps there were horses but not the horse genre. Multiplicities didn’t exist until thought existed. They are only thoughts. The only multiplicity that is not only a thought is precisely humanity itself, and that because it contains thought. This collective being is the only one that doesn’t depend on external thought to exist precisely because it contains thought. One shouldn’t confuse the existence of horses with the existence of multiplicities. We might as well say that numbers existed before they were invented. One shouldn’t confuse the existence of horses with their number, unless horses can count. Swift pretended that they could in his celebrated travels. The Platonists pretend that numbers existed before they were invented, but according to them, numbers exist in the sky of ideas, in which case we have no direct contact with them.

I don’t have the impression that thought is the foundation of everything. I have only the certitude that one cannot study humanity by making an abstraction of the role of thought as Marx meant to do.

Likewise, my goal does not consist in conceiving things as they are before thought existed, but only in not considering humanity through reductionism. My program is much more limited than the one you propose at the end of your letter. Before asking myself if logic exists before thought exists, I ask myself what logic is at work within humanity if you don’t dismiss thought as Marx did. For the moment this logic is totally unknown. In humanity, one so rarely encounters thought and the movement of thought that everyone is completely oblivious to it, the entire world thinks like Locke. And Marx didn’t improve things. He is more an heir of Locke than of Hegel. One could think that he overdosed on thought with Hegel, and, in a violent reaction, he took the opposite position. More seriously, Marx lived in an era of furious reductionism, which is generally known as scientism. Reductionism in physics is beneficial, it doesn’t become scientism until the point that one tries to draw conclusions outside of physics. Everyone thinks it’s noon according to their own watch, the cobblers want to explain the world through shoemaking. This is reductionism-scientism. Everything reduced to shoemaking. The world contains physics, physics doesn’t contain the world.

           

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Note: Reductionism failed in metamathematics. Hilbert’s project was to guarantee the consistency of arithmetic by the supposedly simple-to-establish consistency of a simplified "little arithmetic," that is to say to guarantee the complicated through the simple. It is this project that Godel’s 1931 demonstration annihilated. God is not simple. J.Y Girard in Le théorème de Godel, Seuil.

 

Reductionism: Tendency that consists in deriving the higher (the conscious, the vital) from the lower (physio-chemical) by attributing reality only to the simplest constituents and in considering them as more fundamental. Encyclopédie Hachette.


Translation by Roger Grégoire, Linda Lanphear

 

Mi objetivo en la vida

            [...]

            Aunque de cierta manera yo no lo ignorase, tomé solamente hoy conciencia de que mi solo objetivo en la vida desde mi lectura del Capital en 1962 era de descalificar el reduccionismo de Marx.

La palabra reduccionismo no despertaba en mi nigún eco hasta entonces. La conocía pero no le sospechaba su importancia. Tu carta me la reveló.

           

Enteramente justificado en las ciencias de la naturaleza, el reduccionismo no lo es cuando se trata de estudiar la humanidad. Sin el reduccionismo, esas ciencias no existirían, no habría ninguna applicación de esas ciencias, no electricidad, no bomba atómica, ningún O.G.M. etc. Se puede decir que el reduccionismo es el principio de esas ciencias. La réplica de Laplace a Napoleón ( Dios es una hipótesis inutil ) lo muestra bien. Pero no se puede hacer el ahorro de Dios cuando uno pretende estudiar la humanidad ella misma y no solamente la mecánica celeste. La sinrazón de Marx es de haber querido ahorrarse el pensamiento para estudiar la humanidad. Marx quiso reducir el estudio de la humanidad a una especie de mecánica celeste a pesar de todas sus protestas de dialéctica. Sartre diría : « El materialismo es un reduccionismo ». Lo dijo en su eróica ( whisky + anfetáminas ) tentativa antireduccionista Critique de la raison dialectique.

            Al conjunto de los seres humanos siendo, de todos los conjuntos posibles, el único que sea una cosa y no solamente un pensamiento, no se le puede tratar por el reduccionismo porque, si — al contrario de los otros conjuntos — es una cosa, es porque contiene el pensamiento. El conjunto de los animales es solamente un pensamiento y no soleria por consiguiente existir antes de la existencia del pensamiento. Al contrario del genero de los animales, el genero humano es una cosa. La animalidad o la caballidad son pensamientos y solamente pensamientos, la humanidad es una cosa. Antes de la existencia del pensamiento puede ser que hubiese animales pero en ningun caso multiplicidades. Puede ser que hubiese caballos pero no el genero caballo. Las multiplicidades existen solamente cuando existe el pensamiento. Ellas son solamente pensamientos. La sola multiplicidad que no sea solamente un pensamiento es justamente la humanidad elle misma y eso porque contiene el pensamiento. Ese ser colectivo es el único que no dependa de un pensamiento exterior para existir precisamente porque contiene el pensamiento. No hay que confundir la existencia de los caballos con la existencia de las multiplicidades. Eso sería decir que por lo tanto los números existían antes de ser inventados. No hay que confundir la existencia de los caballos con el número de los caballos, al menos que los caballos sepan contar. Swift lo pretendía en sus famosos viajes. Los platonicianos pretenden que los números existen antes, pero sus números existen en el cielo de las ideas y en ese sentido no tenemos ningún contacto directo con aquellos.

            No tengo la impresíon que el pensamiento sea el fundamento de toda cosa pero solamente la certidumbre que no se puede estudiar la humanidad haciendo caso omiso del rol del pensamiento como pretendio haberlo hecho Marx.

            Asimismo, mi objetivo no consiste en concebir las cosas tales y cuales son antes de que exista el pensamiento pero solamente en no considerar la humanidad por el reduccionismo. Mi programa es mucho mas restringido que el que expones al final de tu carta. Antes de preguntarme si la lógica existe antes de que el pensamiento exista, me pregunto cual es la lógica obrando en la humanidad si no se hace el ahorro del pensamiento como lo hizo Marx. Por ahora, esta lógica está totalmente desconocida. En la humanidad, encontramos tan poco el pensamiento y el movimiento del pensamiento que todo el mundo lo ignora, todo el mundo piensa como Locke. Y Marx no arregló las cosas. Es más bien el heredero de Locke que de Hegel. Se puede pensar que tuvo una overdosis de pensamiento con Hegel y que por violenta reacción tomó el contrapie. Más seriamente Marx vivía en una época de furioso reduccionismo, algo que se llama generalmente el cientismo. El reduccionimo en física es saludable, empieza a volverse cientismo cuando se suele hechar conclusiones afuera de la física.

Cada uno ve mediodía en su campanario, los zapateros quieren explicar el mundo por la zapatería. Eso es el reduccionismo cientismo. Reducir todo a la zapateria ! El mundo contiene la fisica, la fisica no contiene el mundo.

            Sinceras salutaciones.

            JPV

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Nota : el reduccionismo falló en metamatemáticas. El proyecto de Hilbert era de garantizar la consistencia de la aritmética por aquella, considerada ser facil de establecer, de « una pequeña aritmética » simplificada, es decir garantizar lo complicado por lo sencillo. Es este proyecto que la demostración de 1931 de Godel vino aniquilar. Dios no es sencillo. J-Y Girard in Le théorème de Godel. Ed. Seuil.

Reduccionismo : tendencia consistiendo en derivar lo superior ( lo conciente, lo vital ) del inferior (lo físico-químico) atribuyendo realidad solamente a los más sencillos constituyentes y a considerar aquellos como los más fundamentales. Encyclopédie Hachette.

Traduction provisoire, par un aficionado.

 

Ο σκοπός μου στη ζωή

Αγαπητέ Αλφόνς,

[...]

Παρ’όλο που κατά κάποιον τρόπο δεν το αγνοούσα, μόλις τώρα συνειδητοποίησα πως ο μοναδικός σκοπός μου στη ζωή απο τότε που διάβασα το Κεφάλαιο, το 1962, ήταν να ξεμπροστιάσω τον αναγωγισμό τού Μαρξ. Μέχρι τότε η λέξη "αναγωγισμός" δεν είχε καμμιά απήχηση μέσα μου. Τη γνώριζα αλλά δεν υποψιαζόμουν πόσο σημαντική είναι. Το γράμμα σου μού το αποκάλυψε.

Ο αναγωγισμός δικιολογείται πλήρως στις επιστήμες τής φύσης αλλά δεν δικιολογείται καθόλου σε ό,τι αφορά τη μελέτη τής ίδιας τής ανθρωπότητας. Οι επιστήμες τής φύσης δεν θα υπήρχαν χωρίς τον αναγωγισμό. Δεν θα υπήρχε καμμιά εφαρμογή τους, ούτε ο ηλεκτρισμός, ούτε η ατομική βόμβα, ούτε οι γενετικά τροποποιημένοι οργανισμοί, κ.λπ. Μπορούμε να πούμε πως ο αναγωγισμός είναι η αξιωματική Αρχή αυτών τών επιστημών. Η απάντηση τού Λαπλάς στον Ναπολέοντα ("ο Θεός είναι μια άχρηστη υπόθεση") το αποδεικνύει περίτρανα. Δεν μπορούμε όμως να βγάλουμε απο τη μέση το Θεό όταν ισχυριζόμαστε πως μελετάμε την ίδια την ανθρωπότητα και όχι απλώς τη μηχανική τών ουρανίων σωμάτων. Το σφάλμα τού Μαρξ είναι οτι θέλησε να βγάλει απο τη μέση τη σκέψη προκειμένου να μελετήσει την ανθρωπότητα. Ο Μαρξ, παρ’ oτι ισχυριζόταν πως είναι διαλεκτικός, θέλησε να ανάγει τη μελέτη τής ανθρωπότητας σ’ένα είδος μηχανικής τών ουρανίων σωμάτων. Ο Σαρτρ θα έλεγε : "Ο υλισμός είναι ένας αναγωγισμός". Το είπε εξάλλου στο Κριτική τού διαλεκτικού λόγου, αυτή την ηρωική (ουίσκυ+αμφεταμίνες) απόπειρά του κατά τού αναγωγισμού.

Εφ’ όσον απ’ όλα τα πιθανά σύνολα, το σύνολο τών ανθρώπων είναι το μόνο που είναι πράγμα και όχι μόνο σκέψη, δεν μπορούμε να πραγματευτούμε το σύνολο τών ανθρώπων με τη βοήθεια τού αναγωγισμού. Διότι αν, αντίθετα απο τα άλλα σύνολα, το σύνολο τών ανθρώπων είναι ένα πράγμα, αυτό συμβαίνει επειδή εμπεριέχει τη σκέψη. Το σύνολο τών ζώων είναι μόνο μία σκέψη και κατά συνέπεια δεν θα μπορούσε να υπάρχει πριν απο την ύπαρξη τής σκέψης. Αντίθετα απο το γένος τών ζώων, το ανθρώπινο γένος είναι ένα πράγμα. Το ζωώδες ή η αλογοσύνη είναι σκέψεις και μόνο σκέψεις. Η ανθρωποσύνη είναι πράγμα. Πρίν απο την ύπαρξη τής σκέψης υπήρχαν ίσως ζώα αλλά σίγουρα όχι πλήθη ζώων. Υπήρχαν ίσως άλογα αλλά όχι γένος αλόγων. Τα πλήθη υπάρχουν μόνον απο τη στιγμή που υπάρχει σκέψη. Δεν είναι παρά σκέψεις. Το μοναδικό πλήθος που δεν είναι μόνο σκέψη, είναι ακριβώς η ίδια η ανθρωπότητα κι αυτό επειδή εμπεριέχει τη σκέψη. Αυτό το συλλογικό ον είναι το μόνο που δεν εξαρτάται απο μια εξωτερική σκέψη προκειμένου να υπάρξει, ακριβώς επειδή εμπεριέχει τη σκέψη. Δεν πρέπει να συγχέουμε την ύπαρξη τών αλόγων με την ύπαρξη τών πληθών. Θα μπορούσαμε κάλλιστα να πούμε πως οι αριθμοί υπήρχαν πριν εφευρεθούν. Δεν πρέπει να συγχέουμε την ύπαρξη τών αλόγων με την ύπαρξη τού αριθμού τών αλόγων -— εκτός κι αν τα άλογα ήξεραν να μετρούν, όπως ισχυρίστηκε ο Σουίφτ στα περίφημα ταξίδια του. Οι Πλατωνικοί ισχυρίζονται πως οι αριθμοί υπήρχαν πριν εφευρεθούν. Αλλά οι αριθμοί τους υπάρχουν μέσα στον ουρανό τών ιδεών και συνεπώς δεν έχουμε καμμιά άμεση επαφή μαζί τους.

Δεν έχω την εντύπωση πως η σκέψη είναι το θεμέλιο τών πάντων. Έχω απλώς τη βεβαιότητα πως δεν μπορούμε να μελετήσουμε την ανθρωπότητα αφαιρώντας το ρόλο τής σκέψης, όπως ισχυρίστηκε ο Μαρξ.

Παρόμοια, ο σκοπός μου δεν είναι να συλλάβω τα πράγματα όπως ήταν πριν υπάρξει η σκέψη αλλά μόνο να μη θεωρήσω την ανθρωπότητα στηριζόμενος στον αναγωγισμό. Το πρόγραμμά μου είναι πολύ πιο περιορισμένο απο αυτό που εκθέτεις στο τέλος τού γράμματός σου. Πριν αναρωτηθώ αν η λογική υπάρχει πριν να υπάρξει η σκέψη, αναρωτιέμαι ποιά είναι η δρώσα λογική μέσα στην ανθρωπότητα αν δεν βγάλουμε απο τη μέση τη σκέψη όπως έκανε ο Μαρξ. Προς το παρόν, αυτή η λογική είναι τελείως άγνωστη. Συναντάμε μέσα στην ανθρωπότητα τόσο λίγη σκέψη και κίνηση τής σκέψης, ώστε οι πάντες το αγνοούν και σκέφτονται όπως ο Λοκ *. Κι ο Μαρξ δεν βοήθησε να βελτιωθεί αυτή η κατάσταση. Είναι κληρονόμος τού Λοκ μάλλον παρά τού Χέγγελ. Μπορούμε να πούμε οτι έπαθε overdose απο τη σκέψη τού Χέγγελ και, αντιδρώντας βίαια, πήρε την αντίθετη θέση. Πιό σοβαρά, ο Μαρξ ζούσε σε μια εποχή ενός μανιώδους αναγωγισμού, τον οποίο αποκαλούμε γενικά επιστημονισμό. Ο αναγωγισμός είναι σωτήριος στη Φυσική. Γίνεται επιστημονισμός μόνον απο τη στιγμή που, στηριζόμενοι σε αυτόν, θέλουμε να βγάλουμε συμπεράσματα έξω απο το πεδίο τής Φυσικής. ΄Ολοι σκέφτονται πως είναι μεσημέρι κοιτάζοντας το ρολόι τους, και οι παπουτσήδες θέλουν να εξηγήσουν τον κόσμο με βάση την υποδηματοποιία. Αυτό είναι αναγωγισμός-επιστημονισμός. Η αναγωγή τών πάντων στην υποδηματοποιία! Ο κόσμος εμπεριέχει τη Φυσική, η Φυσική δεν εμπεριέχει τον κόσμο.

Φιλικά,

Ζαν-Πιέρ Βουαγιέ

 

Σημείωση : Ο αναγωγισμός απέτυχε στα μεταμαθηματικά. Το εγχείρημα τού Χίλμπερτ ήταν να παγιωθεί η αριθμητική μέσω τής, υποτιθέμενα ευκολότερης, παγίωσης μιάς απλοποιημένης "μικρής αριθμητικής", δηλαδή το απλό να εγγυάται το σύνθετο. Αυτό το εγχείρημα ήρθε να εκμηδενίσει η απόδειξη τού 1931, τού Γκέντελ. Ο Θεός δεν είναι απλός. J-Y Girard : Le théorème de Gödel. Seuil.

Αναγωγισμός, ον. Αρσ. Τάση, η οποία συνίσταται στην εξαγωγή τού ανώτερου (το συνειδητό, το ζωτικό) από το κατώτερο (το φυσικοχημικό), θεωρώντας ως πραγματικά και θεμελιωδέστερα μόνο τα απλούστερα συστατικά. Εγκυκλοπαίδεια Hachette.

* "τα εξωτερικά και υλικά πράγματα, τα οποία είναι τα αντικείμενα τής Αίσθησης", που τόσο αγαπούν ο Λοκ και ο Μαρξ, είναι στην πραγματικότητα πλήρη πνεύματος, όπως και το ματζικό χαλί τού crazy kat είναι πλήρες ματζίας. Και πρώτα-πρώτα, έχουν ένα όνομα. ΄Ο,τι δεν έχει όνομα, δεν είναι πράγμα.

 

 

μετάφραση : Γιάννης Δ. Ιωαννίδης