Bugatti Atlantic 57
« Je supporte plus
facilement ma misère dès que je songe qu’il y a des gens qui sont riches.
L’argent des autres m’aide à vivre, mais pas seulement comme on suppose. Chaque
Rolls Royce que je rencontre prolonge ma vie d’un quart d’heure. Plutôt que de
saluer les corbillards, les gens feraient mieux de saluer les Rolls
Royce. » et « Quand je roule dans ma n HP, que les poètes
prennent garde, qu’ils ne s’attardent pas sur les refuges des avenues, sans
quoi je pourrais bien en faire quelques faits divers ! » Déclaration
anti-poëte, anti-gauchiste et anti-altermondialiste de Jacques Rigaut, Roman
d’un jeune homme pauvre. Ce quart d'heure prend tout son sel quand on
connaît la promesse que Rigaut s'était faite à lui-même et qu'il tint
scrupuleusement le moment venu. Contrairement à Rigaut, la pensée qu'il y a des
gens riches exaspère la misère du gauchiste. La simple vue de l'image d'une
Bugatti le met en rage. La rencontre avec une Bugatti réelle le foudroierait de
dépit. « A mesure que l'argent se fait plus nécessaire, plus exigeant, il
devient plus admirable, plus aimable, comme l'amour. » Admirable
antigauchisme. Seul quelque chose de plus exaltant que l'argent a quelque
chance de convaincre les gens de renoncer à la beauté et à la puissance de
l'argent. La guerre par exemple. C'est le choix des Arabes combattants. Rigaut
n'aimait pas les riches (Madame X lui gonflait les couilles) mais la richesse.
« L’odeur de l’essence est l’odeur de la liberté » (Proust dans le
Figaro, vers 1920). « Grâce à la vitesse, nous avançons plus
rapidement » (Malévitch). Picabia eut cent soixante dix automobiles dans
sa vie. J’aime les Bugatti parce que du temps des Bugatti, les pauvres
n’avaient pas de voiture. La porchierie chie partout, d’abord sur elle-même.