Le tapin

Autrement dit : le marché du travail

Plus précisément : le marché de l’obéissance

 

Du point de vue économique, les méthodes de protection sociale anglaises et européennes ont donné des résultats presque identiques. Elles ont réalisé ce qui avait été prévu : l’éclatement du marché de ce facteur de production connu sous le nom de force de travail. Ce type de marché ne pouvait remplir son objet que si les salaires tombaient parallèlement aux prix. Du point de vue des hommes, ce postulat impliquait pour le travailleur une extrême instabilité de ses gains, une absence totale de qualification professionnelle, une pitoyable disposition à se laisser pousser çà et là n’importe comment, une dépendance complète à l’égard des caprices du marché. Mises prétendait avec raison que si les travailleurs « ne se comportaient pas en syndicalistes, mais réduisaient leurs demandes et changeaient de domicile et d’occupation selon les exigences du marché du travail [ ♫ de-ci, de-là, cahin-caha, petit âne… (Véronique, Vanloo, Duval, Messager, 1898) c’est des nomades qu’il nous faut, transhumance, des moutons, ouste, circulez ], ils pourraient finir par trouver du travail ». Cela résume la situation dans un système qui est basé sur le postulat du caractère de marchandise du travail. Ce n’est pas à la mar­chandise de décider où elle sera mise en vente, à quel usage elle servira, à quel prix il lui sera permis de changer de mains et de quelle manière elle sera consommée ou détruite [ Merdre, c’est bien vrai, il ne manquerait plus que ça ]. « Il n’est venu à l’idée de personne, écrit ce libéral conséquent, qu’absence de salaire serait une meilleure expression qu’absence de travail, /237/ car ce qui manque à la personne sans emploi, ce n’est pas le travail, mais la rémunération du travail, » Mises avait raison, mais il n’aurait pas dû se targuer d’être original ; cent cinquante ans avant lui, l’évêque Whately disait : « Quand un homme sollicite du travail, ce n’est pas du travail qu’il demande, mais un salaire. » [ C’est bien vrai ça aussi, la pute ne cherche pas à baiser, elle cherche de l’argent ] Il est pourtant vrai, techniquement parlant, que le chômage dans les pays capitalistes est dû au fait que la politique et du gouvernement et des syndicats vise à maintenir un niveau de salaires qui n’est pas en harmonie avec la pro­ductivité du travail telle qu’elle est ». Car comment pourrait-­il y avoir du chômage, demandait Mises, sinon parce que les travailleurs « ne sont pas disposés à travailler pour le salaire qu’ils pourraient obtenir sur le marché du travail pour la besogne particulière dont ils sont capables et qu’ils sont disposés à exécuter » ? [ Quels cons ces travailleurs, quels salauds ] Voilà qui éclaire ce que veulent dire en réalité les employeurs quand ils demandent la mobilité du travail et l’élasticité des salaires [ Vieille rengaine ] : c’est précisément ce que nous avons défini plus haut comme un marché dans lequel le travail des hommes est une marchandise.

L’objet naturel de toute protection sociale était de détruire ce genre d’institution et de rendre son existence impossible. En réalité, le marché du travail n’a pu conserver sa fonction principale qu’à la condition que les salaires et les conditions de travail, les qualifications et les réglementations fussent tels qu’ils préserveraient le caractère humain de cette marchandise supposée, le travail [ Soyez-donc comme des bêtes et tout ira bien ]. Lorsqu’on prétend, comme on le fait parfois, que la législation sociale, les lois des fabriques, l’as­surance-chômage et, par-dessus tout, les syndicats, n’ont pas fait obstacle à la mobilité du travail et à l’élasticité des salaires, on donne à entendre que ces institutions ont totalement échoué dans leur dessein, qui était exactement d’interférer avec les lois de l’offre et de la demande en ce qui concerne le travail des hommes, et à retirer celui-ci de l’orbite du marché.

(Polanyi, fin du chapitre 14, « Le marché et l’homme »)

 

 

M. Ripley s’amuse