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21 avril 2007

La fin du Consensus de Washington

 



A la fin des années 1990, le modèle économique ultra libéral adopté par Thatcher et Reagan est devenu le nouveau dogme économique, et ses tables de la loi ont été rédigées par John Williamson, économiste en chef pour la région Asie à la Banque Mondiale. Devenues célèbres sous le nom de « Consensus de Washington », elles énumèrent les dix commandements auxquels devaient désormais se plier les états, et qui imposaient un revirement complet des politiques menées depuis l’après guerre.

Dérégulation, privatisation, monétarisme, réduction des dépenses publiques devenaient désormais d’ardentes obligations en dehors desquelles ils n’existait point de salut.

Le rôle de l’état, qui jusqu’alors avait été central, à la fois par les politiques économiques et budgétaires qu’il impulsait, et par son rôle redistributeur des richesses produites par les nations, devait à tout prix être réduit à la portion congrue. Ronald Reagan avait résumé cette nouvelle vision prônant le « moins d’état » lors de son discours d’investiture par sa formule fameuse : « l’état n’est pas la solution, c’est le problème ».

L’adoption par les institutions, comme le FMI et la Banque Mondiale, et les élites mondialisées de cette charte libérale a entraîné des conséquences considérables, tant dans nos sociétés que dans les pays en développement. En Europe, le principe de la « concurrence libre et non faussée », au cœur du Traité de Maastricht, qui a acté la mort des services publics, et l’interdiction de mener une politique industrielle [on voit bien que c’est une machine américaine : il faudra empaler les collaborateurs dès que possible], n’a pas d’autre origine, ni d’autre justification.

Dans les pays du sud, les effets du Consensus de Washington, ont été bien plus catastrophiques. Les politiques nommées par euphémisme « Ajustements Structurels » exigées des pays en développement en échange de la renégociation de leur dette par le FMI et la Banque Mondiale ont conduit entre autres à la fin de l’encadrement des prix des aliments de base, et à la privatisation de l’eau, avec une explosion de leurs tarifs. L’auteur de ces lignes a entendu Abou Diouf, l’ancien président du Sénégal, relater comment les envoyés du FMI exigeaient de lui qu’il augmente le prix du lait dans son pays, afin de pouvoir bénéficier de l’aide internationale.

Pendant vingt ans, toutes les voix critiques remettant en cause ces choix ultra libéraux ont été ignorées ou qualifiées de rétrogrades - le débat autour du referendum européen nous en a fourni le dernier exemple en date.

Pendant vingt ans, armés de leurs certitudes, les hommes du FMI et de la Banque Mondiale ont accru les difficultés quotidiennes de centaines de millions d’hommes et de femmes des pays du sud. Au nom de de leur dogme, ils ont conduit l’Argentine à la ruine, plongé la Russie dans une crise sociale sans précédent, dont elle commence tout juste à se relever grace aux revenus de ses réserves énergétiques dont elle a « osé » reprendre le contrôle en contravention avec la règle du laisser faire [vive le colonel Poutine]. Au nom de ces mêmes dogmes l’Europe s’est privée de politique industrielle, de la maîtrise de ses infrastructures, de son énergie, de ses transports.

Devant les catastrophes sociales provoquées par cette nouvelle religion du libre échange, dont les bénéfices pour le plus grand nombre se font toujours attendre, bien que les revenus des privilégiés atteignent, eux, des niveaux stratosphériques, des voix dissidentes sont enfin parvenues à se faire entendre, qui ont osé dire ce que beaucoup pressentaient : le roi est nu. Non seulement les règles du Consensus de Washington n’ont pas produit les résultats promis par leurs adeptes, mais les effets néfastes nés de leur application sont de plus en plus criants [C’est triste un con sans suce].

Et la charge la plus sévère est venue du cœur du système. Joseph Stiglitz, Prix Nobel d’économie [« Prix Nobel » d’économie] et Vice Président de la Banque Mondiale, démissionne en 2000 de son poste et fait le procès des politiques prônées par l’institution qu’il qualifie de « solutions archaïques et inadaptées, sans tenir compte des effets qu’elles auraient sur les habitants des pays ». Dans son livre La Grande Désillusion, publié en 2003, il décrit comment l’application du Consensus de Washington a produit les effets inverses de ses objectifs affichés, en causant un enrichissement accru pour le nord et des difficultés sans nombre pour le sud [1].

Aujourd’hui, Le Monde s’est procuré la version préliminaire du prochain Rapport mondial annuel sur le développement, préparé par la Banque Mondiale, et oh, surprise, les conclusions de Stiglitz sont reprises par l’institution, qui juge désormais que l’intervention de l’état dans les pays pauvres est nécessaire pour « encadrer et soutenir la paysannerie », remettant du même coup en cause sa doctrine de « l’ajustement structurel ».

Redécouvrant bien tardivement que la petite agriculture nourrit un tiers des 6 milliards d’habitants de la planète, le rapport constate que celle-ci a été « sous-utilisée », pire encore, « avec la domination de l’industrialisation dans le débat politique, le développement par l’agriculture n’a souvent même pas été considéré comme une option », et « les bailleurs de fond ont tourné le dos à l’agriculture », ce qui a conduit à des « coûts élevés pour la croissance, le bien être et l’environnement ».

Le Monde cite l’appréciation portée par Michel Griffon, un spécialiste de l’agriculture et du développement durable, qui se réjouit de voir publier un document qu’il « attendait depuis plus de vingt ans, depuis que les politiques d’ajustement structurel ont balayé les politiques publiques agricoles antérieures sans les remplacer ».

Vincent Ribier, expert dans le même domaine, rappelle que « les politiques néo-libérales d’ajustement structurel » ont eu un « impact très direct et très négatif sur le monde rural dans les pays pauvres ».

Effectuant un revirement a 180°, la Banque Mondiale constate que les dépenses publiques en direction du monde agricole ont baissé depuis 1980, de 1,5 % en Afrique, 7,4 % en Amérique Latine et 5 % en Asie, et juge désormais nécessaire de relancer ces aides, en insistant sur le fait que la croissance agricole est « très dépendante du soutien du secteur public ».

M. Ribier, qui a participé récemment à une réunion d’experts au Quai d’Orsay sur le rapport, y voit « la fin du consensus de Washington ».

Reste maintenant pour l’Europe à entreprendre elle aussi sa révolution copernicienne, en rangeant cette religion à laquelle même ses clercs les plus zélés ne croient plus, à la place qu’elle n’aurait jamais du quitter : celle d’une extravagance idéologique .

[1] « Un demi-siècle après sa fondation, il est clair que le FMI a échoué dans sa mission. Il n’a pas fait ce qu’il était censé faire - fournir des fonds aux pays confrontés à une récession pour leur permettre de revenir à une situation de quasi-plein emploi. En dépit des immenses progrès accomplis depuis cinquante ans dans la compréhension des processus économiques, et malgré les efforts du FMI, les crises, dans le monde entier, se sont faites plus fréquentes depuis un quart de siècle, et aussi plus graves (si l’on excepte la Grande Dépression). Selon certains calculs, près d’une centaine de pays en ont subi. Pis : de nombreuses mesures promues par le FMI, en particulier la libéralisation prématurée des marchés des capitaux, ont contribué à l’instabilité mondiale. Et, lorsqu’un pays s’est trouvé en crise, non seulement les fonds et les prescriptions du FMI n’ont pas réussi à stabiliser sa situation mais, dans bien des cas, ils l’ont dégradée, en particulier pour les pauvres. Le FMI a échoué dans sa mission initiale, promouvoir la stabilité mondiale ; et il n’a pas été plus brillant dans les nouvelles tâches qu’il s’est fixées, par exemple guider la transition des pays ex-communistes vers l’économie de marché. »

Joseph Stiglitz, La Grande Désillusion

 

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M. Ripley s’amuse