Manuscrit de 1975

Texte original

 

Page 1688. 26 août 1975

 [1688]

Supercherie

Certes la valeur est sans dimension. Ce n'est pas une grandeur mais le rapport de deux grandeurs. La valeur ne saurait donc être mesurable. C'est à dire qu'elle ne saurait être accumulée ou soustraire.

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Le fait que l'échange soit caractérisé dans notre pays par le rapport des quantités dans lesquelles les produits du travail s'échangent provient simplement de ce que ce rapport est déterminé ailleurs que dans l'échange lui-même. Il  a un caractère nécessaire et indépendant. Il est déterminé dans la totalité des échanges sans que cette totalité se connaisse, se rapporte directement à elle-même. La valeur est comme une loi de l'échange. Et cette loi est la loi d'un certain phénomène, le phénomène de ce qui détermine cette loi, le phénomène de la totalité des échanges.

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 [1689] Le mot valeur désigne donc plus qu'un simple rapport. Il désigne que ce rapport est déterminé et déterminé ailleurs que dans l'échange. La mot valeur signifie que le rapport dans lequel les quantités des produits du travail s'échangent préexiste à l'échange, existe en dehors et indépendamment de l'échange à la fois comme une loi et comme un savoir social public, une idée sociale.

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Valeur signifie que tout échange existe en apparence, en idée, indépendamment de toute existence réelle, indépendamment de tout échange particulier.

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Valeur signifie que tout paraît dans tout, que les contraires s'embrassent en idée, indépendamment de l'acte réel et efficace d'apparence, en dehors de tout dialogue réel, pratique, en dehors de tout échange. [1690] Valeur signifie seulement que les carottes paraissent dans les radis, dans les chaussettes, dans le boudin etc.

Valeur signifie suppression généralisée universelle du travail, mais en idée, indépendamment de l'acte pratique, réel, de la suppression du travail, indépendamment de l'échange.

Valeur désigne en fait une idée. Valeur désigne (de même que mana) l'idée universelle de l'échange. Valeur c'est l'idée de l'échange quand elle est dans toutes les têtes.

Valeur est une idée et seulement une idée.

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Il s'ensuit que la suppression du travail n'appartient plus à l'échange particulier, n'appartient plus au travail particulier. [1691] L'échange particulier n'est plus qu'une ratification d'un accord qui existe ailleurs et indépendamment de l'échange. L'échange est devenu quelque chose d'inessentiel face à quelque chose d'essentiel.

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Adam Smith a montré que la valeur, ce rapport des quantités selon lesquelles s'échangent réellement les produits du travail est comme le rapport des temps de travail nécessaires à la production de ces produits.

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Ricardo a précisé que cela ne signifie pas pour autant que la valeur soit du temps de travail  [... pages 1692, 1693, 1694, 1695. Pages 1696 et suivantes : Argent]

 

 


Page 1704. 26 août 1975

[1704]

Valeur

Ce qui est rapproché et déclaré équivalent, échangeable, ce sont non seulement des matières différentes, tissus et vin, fonte, mais des dimensions différentes de ces matières, mètres (longueur) et litres (volume, longueur au cube) et kilogrammes-force (combinaison de masse longueur et temps).

Certes, sous certaines précautions, il est possible d'exprimer le vin en mètres, le tissus et kilogrammes-force et la fonte en litre.

Ce qui importe, c'est que les produits quelconques, exprimés en grandeurs quelconques (longueur, masse, temps c à d grandeurs dont les dimensions sont indifférentes, masse, longueur, temps, combinaisons de la masse de la longueur et du temps : le kgf de fonte) et combinaison de ces dimensions sont rapportés les uns aux autres, sont supprimés comme de simples apparences.

Il est erroné de dire que la valeur est le rapport des quantités dans lesquelles s'échangent les produits du travail puisque ces quantités sont incommensurables. La valeur est le rapport pratique, réel, pratique de ces produits quelconques. La valeur n'est pas rapport de choses mais un rapport social, pratique, effectué.

La valeur désigne le fait que l'échange de ces produits peut avoir lieu sans obstacle, puisque justement les obstacles que sont l'hétérogénéité des produits sont supprimés, pratiquement supprimés.

La fonte n'est qu’en apparence de la fonte mais en vérité aussi du tissus et du vin.

 [1705] La valeur n'est rien d'autre que ce phénomène naturel, ce phénomène météorologique.

La valeur ne signifie rien d'autre que les produits du travail s'échangent en dehors de la production, sans aucune pensée et surtout sans aucun obstacle.

Ces minutieux échanges qui demandent des jours et des jours de palabre chez de plus heureuses peuplades sont ici pré-digérés échangés. Ouvrez, sentez, c'est déjà de la merde.

Tous les échanges possibles sont déjà réalisés en pensée et cette pensée est une propriété de chaque produit du travail sur le marché.

Maintenant, qui a dit que l'échange était égalité de deux choses. Chez des peuplades plus heureuses, c'est à celui qui donnera non seulement plus, mais beaucoup plus.

Tous ces obstacles que sont matière, grandeur et dimension quelconques sont anéantis, supprimés, ils est fait pratiquement, avec effet pratique, abstraction.

Voilà ce qu'est la valeur ou équivalence (santé égale. Les produits sont de santé égale)

La valeur ne signifie rien d'autre. Le mot valeur ne désigne rien d'autre. Quand on dit valeur, on dit cela. [1706] Valeur est le mot qui désigne ce qu'il y a de magique dans la marchandise. Valeur désigne l'abstraction pratique, efficace, sociale de tout ce qu'il y a de particulier dans les produits du travail.

Valeur, cette abstraction, cette action mystérieuse, comme une propriété des produits eux-mêmes. Les produits ont de la valeur. Les produits ont du mana.

Ils ont cette propriété miraculeuse de faire eux-mêmes abstraction de toutes leurs particularités, ils ont le pouvoir de produire eux-mêmes ce qu'il y a en eux de général. Voilà ce que dit valeur. Voilà ce que dit mana.

[1707] Evidemment, nous, hommes civilisés, nous savons que tout ceci n'est qu'un mirage, une illusion. Nous savons que ce ne sont pas les produits qui suppriment eux-mêmes tout ce qu'ils ont de particulier, qui font eux-mêmes abstraction de leurs différences.

Mais nous ne savons pas dire qui ou quoi opère cette abstraction.

Chacun sait très bien que ce n'est pas lui puisqu'il trouve tous ces produits sur le marché déjà dépouillés de toute leurs particularités.

Il trouve sur le marché le produit déjà échangé en pensée à la fois différent et identique, [1708] différent (c'est du papier cul), identique, (il vaut tant).

Les pensées sont une propriété des objets. Valeur est le nom donné à cette pensée des choses.

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Donc, ce rapport pratique par excellence qu'est l'échange s'effectue non pas par la volonté, la science, la pensée des échangistes, mais parce que les objets de l'échange sont échangeables! Ils existent tout échangeables dans la nature marchande. On peut même imaginer que l'échangiste n'est plus qu'un rouage subalterne de ce rapport et qu'avec un peu d'invention, la marchandise peut aller elle-même au marché.

Ceci nous montre enfin ce [1709] qu'est la marchandise : c'est un produit du travail devenu par l'opération du saint esprit marchand, échangeable. C'est un produit du travail qui a fait lui-même abstraction de tout ce qui pourrait faire obstacle à l'échange.

C'est un produit du travail doué d'esprit. C'est un produit échangeable, c'est à dire un produit qui effectue lui-même l'échange en pensée.

Valeur ne désigne rien d'autre que l'esprit de la marchandise. La valeur est le discours de la marchandise, ce qu'elle nous raconte. Il est juste de dire que les produits du travail ont de la valeur au sens où l'on dit d'un représentant de commerce qu'il a du bagout. Marchandise ne désigne rien d'autre qu'un objet qui pense et qui parle. Certains chantent et dansent, font pschitt, ne s'usent que si l'on s'en sert, mais tous parlent : ils disent je ne suis qu'en apparence du pain, je suis aussi en vérité du vin, du fer, du coton. En fait ils ne disent pas cela, ils disent : je ne suis qu'une apparence de pain. Je suis en vérité de l'argent.

[1710] L'échangiste marchand ne fait que ratifier cet accord, réaliser cette pensée.

Encore n'est-ce pas tout. C'est encore une chose qui a seule pouvoir de réaliser la pensée de la marchandise. Cette chose est l'argent.

Voilà ce qui se passe quant aux phénomènes. Voilà ce que verrait un ethnographe papou.

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On ne prête jamais attention à cela que dans le monde de la marchandise, il est dans la nature des objets d'être échangeables, d'avoir de l'esprit, d'être de simples apparences au même titre que dans le monde de la physique les choses ont une masse et les champs, des forces. De même qu'il est dans la nature des symboles d'être symboliques, il et dans la nature de la valeur de valoir. La valeur est bien une propriété des objets marchands. Dire qu'ils ont de la valeur, c'est dire qu'ils valent. Le monde de la marchandise est le monde de la Scholastique. Et chacun le sait, ce monde a une propriété dormitive prononcée. Il n'aspire qu'à dormir et que l'on ne trouble pas son sommeil.

 [1712 renvoi à] D'ou vient que cette propriété naturelle de la marchandise échappe à l'observateur autochtone (et scandalise tout observateur Papou qui se respecte) ; c'est que l'observateur autochtone est si bête et si borné, [c'est un youpi, que le plutonium et le gaz l'emportent] il a tellement oublié ce qu'est l'acte générique, la reconnaissance pratique, il est tellement habitué à lire le Nouvel Observateur, qu'il ne peut même pas remarquer que cette propriété naturelle de la marchandise est une propriété essentiellement humaine. Quelqu'un tellement esclave qu'il est totalement dénué d'esprit ne peut évidemment pas remarquer que les choses ont de l'esprit.

[1710 ß à nouveau] Quant aux causes premières, A. Smith a mis en évidence que les produits du travail s’échangent à proportion du temps d’effort qu’ils ont coûté.

[1713] Voilà un nouvel élément de réponse à la question fondamentale. Comment les gens pourraient-ils se parler dans un monde où :

1) les choses ont de l'esprit (et non pas une partie de l'esprit, mais tout l'esprit comme nous allons le montrer)

2) les gens ne peuvent pas voir que les choses ont de l'esprit parce que pour cela il faut de l'esprit et que les choses ont pris tout l'esprit.

 

 

 

M. Ripley s'amuse