Recherches philosophiques

Pages 126-127

 

199. Ce que nous appelons “suivre une règle”, est-ce quelque chose qu'un seul homme pourrait faire une seule fois dans sa vie ? — Il s'agit là naturellement d'une remarque sur la grammaire de l'expression “suivre la règle”.

Il n'est pas possible qu'une règle ait été suivie par un seul homme, une fois seulement. Il n'est pas possible qu'une infor­mation ait été transmise, un ordre donné ou compris, une fois seulement, etc. Suivre une règle, transmettre une informa­tion, donner un ordre, faire une partie d'échecs sont des coutumes (des usages, des institutions).

Comprendre une phrase veut dire comprendre un langage. Comprendre un langage veut dire maîtriser une technique.

 

200. On peut certes imaginer que deux membres d'une tribu où l'on ne pratique aucun jeu s'installent autour d'un échiquier, qu'ils exécutent les coups d'une partie d'échecs, et qu'ils le fassent même avec tous les phénomènes psychiques d'accompagnement. Et si nous les voyions, nous dirions qu'ils jouent aux échecs. Mais imagine maintenant qu'une partie d'échecs soit traduite, d'après certaines règles, en une suite d'actions que nous n'avons pas l'habitude d'associer à un jeu — des cris et des trépignements par exemple. Et imagine qu'au lieu de pratiquer les échecs sous la forme qui nous est habituelle, nos deux hommes se mettent à crier et à trépigner. Ils le feraient de telle manière que ces processus seraient tra­duisibles en une partie d'échecs au moyen de règles appropriées. Serions-nous alors enclins à dire qu'ils jouent à un jeu ? Et de quel droit pourrait-on le dire ?

 

201. Notre paradoxe était celui-ci : Une règle ne pourrait déterminer aucune manière d'agir, étant donné que toute manière d'agir peut être mise en accord avec la règle. La ré­ponse était : Si tout peut être mis en accord avec la règle, alors tout peut aussi la contredire. Et de ce fait, il n'y aurait donc ni accord, ni contradiction.

Qu'il y ait là une méprise est montré par le simple fait que dans cette argumentation, nous alignons interprétations sur interprétations ; comme si chacune nous apaisait, du moins un moment, jusqu'à ce que nous en envisagions une autre qui se trouve derrière la précédente. Ainsi montrons-nous qu'il y a une appréhension de la règle qui n'est pas une interprétation, mais qui se manifeste dans ce que nous appelons “suivre la règle” et “l'enfreindre” selon les cas de son application.

C'est donc qu'il y a un penchant à dire : Toute action qui procède selon la règle est une interprétation. Mais nous ne devrions appeler “interprétation” que la substitution d'une expression de la règle à une autre.

 

202. C'est donc que “suivre la règle” est une pratique. Croire que l'on suit la règle n'est pas la suivre. C'est donc aussi qu'on ne peut pas suivre la règle privatim ; sinon croire que l'on suit la règle serait la même chose que la suivre.

 

 

M. Ripley s'amuse