Recherches philosophiques
199. Ce que nous appelons “suivre une règle”, est-ce quelque
chose qu'un seul homme pourrait faire une seule
fois dans sa vie ? — Il s'agit là naturellement d'une remarque sur la grammaire
de l'expression “suivre la règle”.
Il n'est pas possible qu'une règle ait été suivie par un seul homme, une fois seulement. Il
n'est pas possible qu'une information ait
été transmise, un ordre donné ou compris, une fois seulement, etc. — Suivre
une règle, transmettre une information,
donner un ordre, faire une partie d'échecs sont des coutumes (des usages, des institutions).
Comprendre une phrase veut dire comprendre un langage. Comprendre
un langage veut dire maîtriser une technique.
200. On peut certes imaginer que deux membres d'une tribu où
l'on ne pratique aucun jeu s'installent autour d'un échiquier,
qu'ils exécutent les coups d'une partie d'échecs, et qu'ils le
fassent même avec tous les phénomènes psychiques d'accompagnement. Et si nous les
voyions, nous dirions qu'ils jouent aux échecs. Mais imagine maintenant qu'une
partie d'échecs soit traduite, d'après certaines règles, en une suite d'actions
que nous n'avons pas l'habitude d'associer à un jeu — des cris
et des trépignements par exemple. Et imagine qu'au lieu de pratiquer
les échecs sous la forme qui nous est habituelle, nos deux hommes se
mettent à crier et à trépigner. Ils le feraient de telle manière
que ces processus seraient traduisibles en une partie d'échecs au moyen de règles
appropriées. Serions-nous alors enclins à dire qu'ils jouent à un jeu ? Et de
quel droit pourrait-on le dire ?
201. Notre paradoxe était celui-ci : Une règle
ne pourrait déterminer aucune manière d'agir, étant donné que toute manière
d'agir peut être mise en accord avec la règle. La réponse
était : Si tout peut être mis en accord avec la règle, alors
tout peut aussi la contredire. Et de ce fait, il n'y aurait donc ni
accord, ni contradiction.
Qu'il y ait là une méprise est montré par le simple fait que dans
cette argumentation, nous alignons interprétations sur interprétations ; comme si
chacune nous apaisait, du moins un moment, jusqu'à ce que nous en
envisagions une autre qui se trouve derrière la précédente. Ainsi montrons-nous
qu'il y a une appréhension de la règle qui n'est pas une interprétation,
mais qui se manifeste dans ce que nous appelons “suivre la règle” et
“l'enfreindre” selon les cas de son application.
C'est donc qu'il y a un penchant à dire : Toute
action qui procède selon la règle est une interprétation. Mais nous ne devrions
appeler “interprétation” que la substitution d'une expression
de la règle à une autre.
202. C'est donc que “suivre la règle” est une pratique. Croire que l'on
suit la règle n'est pas la suivre. C'est donc aussi qu'on ne peut pas
suivre la règle privatim ; sinon
croire que l'on suit la règle serait la même chose que la suivre.