La peste soit des malcomprenants


Posted by Jean-Pierre Voyer sur le Debord off on December 13, 1998


M. Bartolucci me prête des propos
absurdes et contradictoires
que je me fais un plaisir de réfuter.

 
Notung ! Notung ! Neidliches Schwert !

 

« Vous affirmez ne pas fonder votre argumentation sur le concept réduit de spectacle »

Je n'affirme rien de tel.

1) je fonde mon argumentation sur des citations de Debord, et sur divers arguments tirés de ma conception générale du monde et de la conception du monde de divers auteurs.

2) j'affirme que Debord a été incapable de penser un concept de spectacle qui ne soit pas le concept réduit au sens de mass media.

3) cela revient d'ailleurs à affirmer que Debord est en fait, à son corps défendant, l'inventeur du concept réduit de spectacle. Avant lui, avant ses prétentions à l'invention d'un concept général de spectacle, il n'y avait pas non plus de concept réduit de spectacle. Je tiens à préciser pour tous les amateurs de logique de par le monde que cela ne signifie pas que Debord a inventé le concept de mass media mais que cela signifie seulement qu'il a fait de ce concept innocent un concept réduit.

J'ai bien dû écrire un jour « Non, je ne fonde pas mon argumentation sur le concept réduit de spectacle. » ; mais c'est seulement parce qu'un mal comprenant m'avait dit auparavant : « Vous fondez votre argumentation sur le concept réduit de spectacle. » Ce à quoi j'avais bien été obligé de répondre, étant donné mon affabilité coutumière : « Non, Monsieur, je ne fonde pas mon argumentation sur le concept réduit de spectacle. » Sur ce, survient un second mal comprenant qui m'apostrophe « Vous affirmez ne pas fonder votre argumentation sur le concept réduit de spectacle. » C'est ainsi avec les malcomprenants. La peste soit des malcomprenants.

Comme Tancrède de Hauteville, je me porte ici et là dans la mêlée où ma fidèle épée Mirliflore (elle fait dix fois plus de victimes que les Cent Fleurs de Mao) taille en pièce le mécomprenant pour la plus grande gloire de la sainte compréhension. Mirliflore est, comme toute épée légendaire qui se respecte, en acier de Damas. Voici déjà mille ans, les Damascènes savaient fondre l'acier au creuset. L'acier recueilli dans des creusets hémisphériques en argile dans un four à réverbère avait une cristallisation radiale, orientée vers le centre de l'hémisphère. Une fois déroulé et écroui* sur l'enclume cet acier se composait d'un feuilletage** d'alliages de différentes duretés allant du doux au dur, cette différence résultant de la cristallisation dans le creuset hémisphérique. Les épées forgées avec un tel acier feuilleté unissaient les qualités de l'acier dur et de l'acier doux. Elles tranchaient comme de l'acier dur ; mais elles avaient aussi la résilience propre à l'acier doux. C'était des armes parfaites. Voici deux mille ans, les forgerons francs et plus récemment les forgerons japonais obtenaient ce genre d'acier par un autre procédé. Ils soudaient par chaude portée au blanc soudant des barres d'acier doux et dur alternativement. Ensuite ils pliaient ces barres comme un pâtissier plie sa pâte feuilletée. Ils forgeaient à nouveau etc... Ils obtenaient de la sorte un acier feuilleté comparable à l'acier de Damas. La seule différence étant que l'acier au creuset est une technique très moderne supérieure à celle consistant à fondre l'acier par petits lingots dans des bas fourneaux. Il ne faut pas confondre l'acier de Damas avec l'acier damasquiné qui est seulement un acier orné superficiellement par incrustation.

*. Forgeage à une température inférieure à la température de recuit qui est la température où le métal perd sa trempe. L'écrouissage confère au métal ainsi travaillé (pas nécessairement de l'acier) une dureté comparable à celle qu'on obtient par la trempe.
**. En fait un maillage. Le feuilletage (corroyage) résulte de la technique appelée par extension damas.
Le seul vrai damas était l'acier au creuset (damas de cristallisation).

Ces épées et ces sabres forgés avec des aciers feuilletés présentaient, une fois polis, des moirures provenant de la différente teneur en carbone de portions de la surface qui ne possédaient pas le même pouvoir réfléchissant après polissage. On pense que les légendes rapportant les hauts faits d'épées flamboyantes proviennent de là. Telle est Mirliflore. Mon esprit est comme Mirliflore qui comporte différentes teneurs en carbone, ce qui n'est pas le cas de celui du mal comprenant. Schmiede, mein Hammer, ein hartes Schwert !

« Vous argumentez contre ce concept réduit »

Non, je n'argumente pas contre ce concept réduit. J'argumente contre les prétentions de Debord à avoir inventé un concept général. Au contraire, j'affirme à maintes reprises mon indifférence absolue non seulement à l'égard de ce concept mais à l'égard de la chose qu'il désigne. Ensuite, je conçois que l'on puisse argumenter contre la chose que désigne ce concept. Mais il n'y a pas lieu d'argumenter contre le concept qui est parfaitement adéquat. Enfin, comme chacun sait, il ne sert à rien d'argumenter contre les mass media. Autant argumenter contre la peste.

Il n'y a pas lieu d'argumenter contre ce concept réduit qui est, d'une part, parfaitement légitime et, d'autre part, totalement inintéressant. Pour moi, le concept réduit de spectacle se résume au hideux lycéen couillu July ou à Mme Ockrent au con si large qui sont beaucoup moins décoratifs que la charmante femme de M. Lévy. Le concept réduit de spectacle au sens de mass media est un concept parfait pour journaliste de l'Excrément du J, de plus en plus excrémentiel et de plus en plus J.

« ce concept réduit promu général »

A ma connaissance, personne n'a jamais promu ce concept réduit concept général. Tout au contraire, comme je le disais précédemment, c'est Debord qui, par ses prétentions à la fondation d'un concept général de spectacle, a dégradé l'innocent concept de mass media au rang de concept réduit. Avant la prétendue invention par Debord d'un concept général de spectacle, personne n'aurait pensé à qualifier de concept réduit de spectacle le concept de mass media. (De même personne n'a jamais pensé à dire à André Breton qu'il avait une petite quéquette, ne serait-ce que parce que tout le monde sait très bien que Breton avait une grosse bite.) Debord prétendait avoir trouvé un sens beaucoup plus général au spectacle, une mystérieuse propriété de notre société à laquelle j'ai vainement tenté de donner un contenu pendant de nombreuses années sans y parvenir, ou bien quand je trouvais quelque chose, celle-ci n'avait rien à voir avec un quelconque spectacle.

Selon monsieur B., je laisserai à d'autre le soin de prouver que ce concept réduit a un sens qui ne soit pas le sens réduit

Quelle idée saugrenue encore.

Je répète à l'usage des malcomprenants : je ne laisse pas à d'autres le soin de prouver que le concept réduit de spectacle au sens de mass media pourrait avoir un sens plus général, ce qui est absolument sans intérêt et absurde. C'est comme de vouloir prouver qu'une chaise est aussi une table.

Au contraire, je laisse à d'autres, n'y étant pas parvenu moi-même, le soin de prouver que le concept général de spectacle prétendument inventé par Debord a un sens, ce qui est beaucoup plus intéressant.

Si Debord a bien produit un concept de spectacle qui ne soit pas celui de mass media, cela doit être facile de le prouver par quelque judicieuse citation.

M. B. concède que l 'on peut raisonnablement (un mot dont M. B. semble ignorer le sens) douter que le monde soit intrinsèquement un spectacle.

C'est là faire injure à son idole Debord car celui-ci n'a eu de cesse de prétendre le contraire. Quand le professeur de logique Debord affirme que ce monde n'est pas fortuitement ou superficiellement spectaculaire mais qu'il est spectacliste (thèse 14) il ne se rend même pas compte qu'un monde spectacliste est seulement un monde qui produit beaucoup de spectacles ; ce qui est bien inférieur, du point de vue du spectacle, à un monde qui serait intrinsèquement spectacle ou vision du monde. Un monde spectacliste est superficiellement (quoique non fortuitement) spectaculaire. Il se contente de produire beaucoup de spectacles sans que sa nature profonde soit changée pour autant depuis le temps de Marx et de Balzac. Debord voudrait que le spectacle soit l'image (encore une image n'en déplaise à M. Lévy, l'écrivain abstrait) de l'économie régnante. Or il n'y a pas d'économie régnante, comment pourrait-il y en avoir une image ? Debord s'étonne que le but ne soit rien et le développement tout. Or c'est le propre de la communication. Dans la communication, régnante ou non, aliénée ou non, le but n'est rien, la communication tout. Il serait anti-naïf et tout à fait utilitariste de supposer que les Trobriandais prennent la haute mer dans le seul but d'échanger quelques coquillages. Dans la communication, le moyen est le but. C'est déjà le cas aujourd'hui. Alléluia.

Selon M. B. Debord définit le spectacle comme une vision du monde qui s'est objectivée. Il y aurait une réalité spectaculaire dans l'exacte mesure de cette objectivation.

En effet, quand une vision du monde s'objective, quand la Weltanschauung de Hitler devient effective, se traduit matériellement, c'est assez spectaculaire.

Mais selon Adam Smith lui-même (l'inventeur de la main invisible) ce qui caractérise le monde marchand est qu'il ne résulte d'aucune vision du monde. Selon A. S. c'est d'ailleurs sa supériorité absolue sur toutes les autres sortes de monde connues jusqu'à présent. Selon A. S., le monde marchand mettrait ainsi fin à toute sorte de despotisme, sauf, évidemment, au despotisme de la main invisible, qui selon Tocqueville Churchill est le pire à l'exception de tous les autres. On reconnaît là le genre de réponse que Leibnitz fit à Locke, à savoir que, oui, il n'y avait dans l'entendement rien qui n'ait d'abord été dans les sens, excepté l'entendement lui-même.

Ensuite, quand bien même le monde marchand serait une vision du monde objectivée, en quoi cela implique-t-il qu'il soit spectaculaire ? L'objectivation de la vision du monde de M. Hitler n'est spectaculaire que rétrospectivement et au sens où les Alpes sont spectaculaires. Je doute qu'elle l'ait été pour ceux qui la subissaient. Et quand elle l'était, à Nuremberg ou ailleurs, c'était au sens de mass media. Hitler et Goebbels sont les véritables inventeurs des mass media.

Je suis bon prince. J'admets que « le monde soit une vision du monde objectivée » peut s'entendre au sens où le monde lui-même serait devenu vision du monde. Mais cela reste à prouver. C'est ce que je dénie précisément. Selon moi le monde est savoir mais il n'est pas vision. La vision est précisément ce qui lui manque. Le monde est un savoir mais un savoir aveugle. Le monde est savant; mais il ne le sait pas. Le monde est savant; mais il n'est pas conscient. Les personnes sont ignorantes; mais elles sont conscientes. La main invisible n'est pas seulement invisible, elle ne voit pas. Ce qui tient lieu de vision du monde dans le monde marchand est cette seule devise : « Si je t'attrape, je t'encule » ce qui est beaucoup moins élégant que le seul conseil que Leuwen père donne à son fils : « Buvez frais, mon fils. »

Certes le monde est conception du monde car il se conçoit tout seul, le salaud, sans rien demander à personne. Mais il n'est pas pour autant vision. Cette conception est aveugle.

Et quand bien même le monde serait vison du monde, en quoi cela impliquerait qu'il soit spectaculaire ? Cela aussi reste à prouver.

Enfin, toute propagande est une vision du monde objectivée pour cette simple raison qu'elle se doit d'avoir des moyens. Et elle en a toujours. Mais elle n'est qu'un secteur spécialisé du monde et non le monde lui-même. Il en est ainsi avec les mass media ; mais cette vision du monde objectivée, (c'est à dire qui ne réside plus simplement dans quelques têtes mais fait l'objet d'une industrie) n'en est pas pour autant le monde lui-même. Là encore seul un secteur particulier du monde est une vision du monde qui s'est objectivée. Aujourd'hui, le but de cette propagande est de promouvoir un spectacle de l'hédonisme et de persuader les esclaves qu'ils sont des individus comparables à Alcibiade alors qu'ils ne sont que des clones produits en masse. Les termes « vision du monde objectivée » ne sont qu'une expression prétentieuse pour désigner la propagande. Et depuis tous temps, la propagande fait un grand usage du spectacle qui n'est que l'un de ses moyens.

Ceci dit tout connard en patins à roulettes à l'air d'un connard en patin à roulette. Il ne trompe personne. Les robots qui peuplent les bureaux et les couloirs de Canal plus ou de TF1, importantes officines de propagande, ont l'air de robots. Ils ne trompent personne. Pourquoi les films, séries et téléfilms policiers ont-ils tant de succès ? Parce que les flics sont les seuls à conserver un aspect humain dans tout cela. Ils connaissent bien la misère. Ils sont en contact permanent avec elle, chaque jour, ce qui explique le grand nombre de suicides dans leurs rangs. Ils n'ont pas l'air de robots. Ils peuvent avoir de la compassion ou de la pitié, -et non pour de lointains souffreteux mais pour leur prochain- ce qui est exclu pour les robots de Canal plus qui ne connaissent que le Téléthon.

Selon M. B. l'économie existerait parce que l'objectivation d'une vision du monde existerait.

Admirez la logique. Il y a une vision du monde objectivée. Donc, l'économie existe. « Donc », que de crimes on a commis en ton nom.

M. B. concède qu'il y aurait bien une illusion spectaculaire. Elle consisterait en ce que le spectateur croit communiquer au moyen des marchandises.

Il reste seulement à prouver en quoi cette illusion est spectaculaire. Pourquoi spectaculaire ? Parce que M. B. ou M. Debord qualifient de spectateur celui qui croit communiquer au moyen des marchandises ce qui est une pure pétition de principe ?

D'ailleurs, ce prétendu spectateur ne croit pas communiquer, il veut communiquer. Aucun doute ne lui est laissé qui lui permettrait de croire qu'il communique.

Selon M. B. je priverai economics de son objet (economy).

Or, comme je l'ai déjà dit, l'objet d'économics n'est pas economy mais la communication. Comme on voit, je ne me lasse pas de le répéter et je ne me lasserai pas.

Les économistes croient le plus sérieusement du monde, avec M. B., qu'ils étudient economy. Mais ils se trompent, comme M. B. Enfin ce n'est pas economy qui dit « tu gagneras ton pain à la sueur de ton front » mais economics.

Selon M. B. economy n'est pas vide de sens mais désigne la Loi de ce monde (avec un L majuscule s'il vous plaît).

Economy est censé désigner ce qui existe et non la loi de ce qui existe. Si quelque chose pouvait désigner la loi de ce monde ce serait economics. Et encore ce serait une prétention fallacieuse. De même que les lois de la physique sont les lois de la physique et non les lois de la nature ainsi que le souligne Wittgenstein, les lois d'economics ne peuvent être que les lois d'economics et non les lois du monde et encore moins les lois d'economy qui n'existe pas.

 

Jean-Pierre Voyer

M. Ripley s'amuse