La fin des souverainetés et des libertés en Europe
Jean-Claude Paye : « Les lois
anti-terroristes. Un Acte constitutif de l’Empire »
par Silvia Cattori
Les lois
« antiterroristes » imposées par les États-Unis ont servi à jeter les
bases sur lesquelles se construit un nouvel ordre de droit, observe le
sociologue belge Jean-Claude Paye. Elles s’appliquent désormais dans tous les
États européens. Tout citoyen européen ordinaire peut, aujourd’hui, être
surveillé dans son propre pays par des services secrets étrangers, être désigné
comme un « ennemi combattant », être remis aux tortionnaires de la
CIA et être jugé par des commissions militaires états-uniennes.
Silvia Cattori : En lisant vos
deux ouvrages La fin de l’État de droit. La lutte antiterroriste :
de l’état d’exception à la dictature et Global War on Liberty
on comprend une chose que les responsables politiques veulent nous
cacher : que toutes les mesures prises dans le cadre du Patriot Act —présentées
comme devant concerner des organisations terroristes— ont été généralisées et
touchent désormais l’ensemble des citoyens. On peine à comprendre comment les
États européens ont pu approuver l’abandon de leur ordre légal et soumettre
leurs sociétés à ces lois d’exception ?
Jean-Claude Paye : Il n’y a rien en
effet dans les accords européens d’extradition, signés en 2003, qui empêche les
citoyens européens d’êtres traînés devant les juridictions d’exception des
États-Unis. Il faut savoir que ces accords, qui légitiment ces Tribunaux
d’exception, sont le résultat d’années de négociations secrètes. Ils ne sont
que la partie émergée de l’iceberg. Une partie du texte concernant ces accords
a été rendue visible parce qu’elle devait être ratifiée par le Congrès des
États-Unis.
Du côté européen, il n’était pas nécessaire de les faire
ratifier par le Parlement européen et les Parlements des États membres n’ont eu
aucune possibilité d’influer sur le contenu des accords. Ce sont de simples
fonctionnaires mandatés par les divers États membres qui négocient au niveau
européen.
Silvia Cattori : Mais, en
signant ces accords, le Conseil européen a précipité nos pays dans un univers
kafkaïen ! Si ces accords n’ont pas été ratifiés par le Parlement européen
pourquoi les avoir acceptés ?
Jean-Claude Paye : Ils n’ont pas été ratifiés —le
Parlement européen a seulement un avis consultatif [Comme dans n’importe quel régime arabe. L’Europe est un régime
arabe ! un régime de bananes] — mais ils ont
force de loi.
C’est très révélateur de la structure impériale mise en place. On peut voir que
la seule structure étatique souveraine qui subsiste, ce sont les États-Unis.
L’Union européenne, par exemple, est une structure tout à fait éclatée.
Silvia Cattori : À quel niveau cette négociation
a-t-elle lieu ?
Jean-Claude Paye : Au niveau des représentants du
Conseil européen. Ce sont des fonctionnaires qui ne doivent quasiment
pas rendre de comptes. Ce sont les délégués permanents en charge des affaires
de police et justice, désignés
par les États membres. Ce sont des fonctionnaires européens ou nationaux
qui deviennent des satellites de l’Administration des États-Unis. Cela est
valable au plan judiciaire, mais aussi au plan économique.
Silvia Cattori : L’Union européenne n’est donc
pas intéressée à protéger ses citoyens. Tout lui échappe ?
Jean-Claude Paye : Oui, évidemment. On l’a construite de façon à ce
que tout lui échappe [c’est la bite à Monnet
que vous avez dans le cul]. Cela montre que l’Union européenne n’est pas une
alternative à la puissance des États-Unis. Au contraire, elle est intégrée dans
cette puissance impériale, elle en est un simple
relais.
Avant le 11 septembre 2001 les États-Unis négociaient de
façon bilatérale. À l’époque, ils hésitaient à négocier avec une entité comme
l’Europe des quinze car il y avait toujours un État membre qui n’était pas
d’accord. Avec les attentats du 11 septembre, les choses se sont accélérées et
simplifiées pour les États-Unis. Ils continuent de négocier des accords
bilatéraux mais, maintenant, ils traitent aussi directement avec l’Union
européenne parce qu’ils ont le rapport de force nécessaire pour que leurs
demandes soient d’emblée acceptées. On l’a vu lors des accords concernant les
données de surveillance des passages aériens. Un premier accord avait été signé
en 2004, puis un second en 2006 et un troisième en 2007. À chaque fois, les
États-Unis ont augmenté leurs exigences.
L’accord sur les données concernant les voyageurs qui se
rendent aux États-Unis —entré en vigueur le 29 juillet 2007— est un bel
exemple. Dans cet accord, les Européens ont vidé de leur substance toutes les
protections légales, nationales et européennes, qui existent en matière de
données personnelles. Celles-ci sont accessibles 72 heures avant
l’embarquement. Les compagnies aériennes doivent transmettre le numéro des
cartes bancaires, le trajet que vous ferez aux États-Unis. Ces derniers ont le
droit d’empêcher l’accès au territoire, ils ont tous les droits. Les citoyens
étrangers ne sont pas protégés par les lois des États-Unis. Lors des
négociations, Washington a concédé que les Européens seraient traités comme les
citoyens des États-Unis, mais il s’agit là d’un privilège concédé par
l’administration, qui n’a pas force de loi et sur lequel le pouvoir exécutif
peut revenir.
Silvia Cattori : Plus rien ne
s’oppose à la mise en place d’un système policier ?
Jean-Claude Paye : Évidemment ! Les gouvernements européens veulent
réaliser la même prise en main de nos libertés. Les exigences des États-Unis leur en donnent
l’occasion. Ils vous disent : « Nous sommes obligés d’accepter
les demandes des États-Unis car les compagnies européennes ne pourront plus
atterrir là bas ». Ils agissent comme si les États européens n’avaient
aucun moyen de rétorsion et ne pouvaient pas, à leur tour, interdire aux
compagnies US d’atterrir en Europe. En fait, ils veulent faire la même chose
que l’administration états-unienne. Il y a déjà le projet d’instaurer des
échanges d’information similaires au niveau européen.
Silvia Cattori : En
Grande-Bretagne, les lois « antiterroristes » permettent de
poursuivre toute personne tenant des propos considérés comme susceptibles de
« créer une atmosphère favorable au terrorisme ». Ces lois
peuvent-elles également s’étendre à d’autres États ?
Jean-Claude Paye : Oui. En
Grande-Bretagne, le
gouvernement Blair a pu criminaliser toute forme d’opposition radicale à sa
politique étrangère par le biais de la loi. Sur le continent, les États
cherchent à agir par le biais de la jurisprudence. Il y a eu un procès fort
intéressant concernant des militants et sympathisants du DHKPC en Belgique, une
organisation d’opposition radicale turque, qui montre comment le pouvoir cherche
à créer des tribunaux d’exception pour faire passer une jurisprudence
d’exception. Par la création de ces tribunaux le pouvoir cherche à criminaliser
toute forme de soutien, même verbal, à des groupes labellisés comme
« terroristes » par les États-Unis, inscrits ensuite dans la liste
européenne des organisations « terroristes ».
Silvia Cattori : En somme, ces lois
« antiterroristes » mises en place après les attentats du 11
septembre 2001, servent non seulement les desseins de l’administration Bush, mais
aussi ceux des gouvernements européens ?
Jean-Claude Paye : Les mesures dont
nous parlons ont été mises en place avant le 11 septembre 2001. Le Patriot
Act réunit un ensemble de mesures qui existaient déjà partiellement. Le but
du Patriot Act n’était pas uniquement d’imposer les mesures prises, mais
de leur donner une légitimité. Ce qui était parcellaire, dispersé, est
maintenant rassemblé en une seule loi. Ce qui donne une légitimité aux mesures
qui sont prises.
Silvia Cattori : Peut-on en déduire que les
États-Unis avaient besoin d’un grand attentat pour faire passer en force cette
modification du droit pénal ?
Jean-Claude Paye : Bien évidemment [l’action de Ben Laden et de his followers est une bénédiction
du ciel : le bétail occidental en général et européen ne particulier peut
voir parfaitement, désormais, dans quel régime il vit. Un régime de bananes,
les bananes, c’est le bétail] ! Il faut savoir que le Patriot Act, qui a
été déposé trois jours après les attentats, comprend 128 pages. Le système
pénal des États-Unis est complexe, il fonctionne par renvois. Cela veut dire
qu’une loi modifie le contenu d’autres lois pénales. Si on prend l’ensemble des
modifications, cela correspond à 350 pages. Il faut au moins un an pour rédiger
un tel texte.
Au niveau de l’Union européenne, ce n’est pas moins
caricatural. Les deux décisions cadre —celle relative aux organisations
« terroristes » et celle relative au mandat d’arrêt européen— ont été
déposées une semaine après les attentats. Là aussi il s’agit de textes qui
étaient prêts. On attendait une occasion pour les faire passer.
Silvia Cattori : Ce qui veut
dire que M. Bush depuis 2001, M. Sarkozy maintenant, peuvent se
servir de ces procédures d’exception pour transformer en ennemis qui ils
veulent ?
Jean-Claude Paye : Au moment où ces
textes ont été adoptés, on avait déjà une bonne idée de ce à quoi ils pouvaient
conduire. La liste des réseaux « terroristes » vient de l’Union
européenne. C’est un règlement européen de 2001 qui la met en place. Dans mon
livre La fin de l’État de droit, je prends le cas d’un communiste
philippin, José Maria Sison, un réfugié politique reconnu qui avait obtenu
l’asile politique aux Pays-Bas. Inscrit sur la liste « terroriste »
des États-Unis, son nom a été ensuite transcrit sur la liste
« terroriste » hollandaise. M. Sison a appris qu’il était
inscrit sur la liste « terroriste », quand on a bloqué ses comptes et
qu’on l’a expulsé du logement social qu’on lui avait attribué. Il a été par la
suite retiré de la liste hollandaise mais comme, entre temps, il avait été
inscrit sur la liste européenne du Conseil, le gouvernement hollandais s’est
servi du prétexte que M. Sison figurait sur la liste
« terroriste » européenne, pour maintenir les dispositions qu’il ne
pouvait pas justifier.
Ce qui est intéressant dans ce cas, c’est que, le 11
juillet 2007, la Cour européenne de Luxembourg a cassé la décision du Conseil
européen. Elle a stipulé qu’il n’y avait pas de raison d’inscrire M. Sison
sur la liste « terrorisme » du Conseil qui permet le blocage des
comptes. Le jugement stipule bien que c’est l’absence de « motifs
pertinents » et le non-respect des droits de la défense qui ont fait que
la décision du Conseil européen a été cassée.
Cependant, le 28 août, M. Sison a été une nouvelle
fois arrêté par la police hollandaise, en violation de la décision de la Cour
de justice. Ce cas est significatif des rapports qu’il y a aujourd’hui entre la
Justice —qui est la dernière institution de résistance à la concentration des
pouvoirs aux mains de l’exécutif— et la police. Cela montre que la police fait
ce qu’elle veut, en violant les décisions de justice.
Silvia Cattori : Il semblerait
que la première transcription sur la liste « terroriste » française
des décrets promulgués récemment par M. George Bush, qui criminalisent les
organisations et individus s’opposant à la politique actuelle en Irak et au
Liban, a commencé. Une liste de noms pourrait être prochainement publiée
conjointement par la France et les États-Unis. Quand le dispositif législatif
relatif au blanchiment fut voté en janvier 2006 par le Parlement en
France ♦, personne ne s’est douté
qu’il servirait à frapper des opposants politiques ?
♦ Le
chapitre VIII de la loi n°2006-64, publiée au Journal officiel du 24
janvier 2006, stipule que toute personne morale ou physique qui a été en
relation avec une personne inscrite sur les listes européennes de suspects de
financement du terrorisme par exemple (lesquelles comprennent des listes
d’opposants à la politique des États-Unis en Irak et au Liban) doit répondre
à toute question relative à cette relation. Dans le cas où il disposerait de
ressources ou de biens dont il ne pourrait justifier l’origine, il serait
considéré, par défaut, comme les ayant reçus dans le cadre d’une activité
« terroriste ». La France peut bloquer ses avoirs, tandis qu’un
juge anti-terroriste peut le faire arrêter et incarcérer, puis le faire juger
et peut-être condamner à 3 ans d’emprisonnement et à 75 000 euros d’amende. |
Jean-Claude Paye : Dans chaque pays,
il y a une liste interne des organisations « terroristes ».
Généralement, il s’agit de la simple transcription de la liste du Conseil
européen, à laquelle il est ajouté des éléments complémentaires.
Je l’apprends en ce qui concerne le Liban. Il semble ici
qu’on a ajouté des éléments complémentaires sur les éléments d’opposition
politique au Liban. Il serait intéressant de savoir si ces éléments vont être
intégrés dans la liste du Conseil européen.
Ce n’est pas un Tribunal qui déclare qu’un tel est
« terroriste » ; c’est une simple autorité administrative qui
vous inscrit, sans qu’il y ait aucune explication justifiant de vous mettre sur
cette liste « terroriste ».
Silvia Cattori : Qu’est-ce que
tout cela vous inspire ?
Jean-Claude Paye : Cela montre que presque tous les pouvoirs sont
actuellement concentrés entre les mains de l’exécutif. Que l’exécutif a
maintenant des pouvoirs judiciaires. C’est le pouvoir exécutif qui décide que
l’on peut prendre telle ou telle mesure à votre égard.
L’exemple touchant l’opposition au Liban et l’exemple de
José Maria Sison, sont exactement la même chose. Il s’agit de décisions sans
motivations. Sauf, qu’avec le Liban, il y a une extension, puisqu’il ne suffit
pas d’être membre d’une organisation qui est désignée comme
« terroriste » pour être incriminé, mais d’avoir simplement des
contacts avec ses membres. C’est une tendance générale qui prévaut au niveau de
l’application des législations « antiterroristes ».
Silvia Cattori : Donc, le but du
Patriot Act et des autres lois « antiterroristes », est celui de
s’attaquer aux libertés fondamentales ?
Jean-Claude Paye : Oui, l’objectif
est de supprimer les libertés fondamentales.
Silvia Cattori : On aurait pu
s’attendre à ce que toutes les forces politiques dénoncent ces normes
d’exception. La gauche, qui se présente comme défenseur de la justice sociale,
ne devrait-elle pas se mobiliser, exiger que l’on revienne tout de suite à
l’État de droit ?
Jean-Claude Paye : La Gauche ? Quelle
gauche ? [oui, quelle gauche en effet] Regardez aux États-Unis.
Les démocrates votent les lois les plus liberticides élaborées par le Parti
républicain. Le Military Commission Act, adopté en 2006, a été voté
également par une partie du Parti démocrate qui, pourtant, est majoritaire à la
Chambre et avait la possibilité d’empêcher cette loi de passer.
Chez nous, c’est la même chose. On ne voit pas la
différence avec la droite quand la gauche est au pouvoir, mise à part une
accélération, comme c’est le cas avec le président Sarkozy [j’espère que le voyoucrate va nous débarrasser de la gauche comme
Francisque Mitterand nous a débarrassés du parti dit communiste]. Par exemple, en France,
les premières mesures de surveillance du net, des mesures de surveillance
globale, ont été mises en place par le gouvernement de Lionel Jospin.
Le seul appareil qui manifeste une petite résistance est
l’appareil judiciaire. Aux États-Unis, il y a des arrêtés pris par l’exécutif
qui sont cassés. Par exemple, quand la Cour de cassation en Belgique casse pour
vice de forme le jugement en appel des militants du DHKCP, c’est une résistance
à l’appareil judiciaire. Le problème est qu’il n’y aucun relais dans la société
civile. Cette absence de relais s’ajoute au silence des médias [les chiens n’ont pas aboyé, ils réservent leurs hurlements pour le
colonel Kadhafi].
On ne peut pas espérer d’une institution isolée qu’elle puisse mener longtemps
la résistance.
Silvia Cattori : Mais c’est une
attaque contre la liberté d’opinion [pas du tout, votre
opinion, vous pourrez la garder autant que vous voulez. Pour mieux la
dissimuler, vous pourrez faire comme les bagnards, c’est à dire vous la mettre
dans le cul] qui s’étend au monde entier. Il est donc capital que les partis politiques [ ! elle est bien bonne] se préoccupent de ces dérives et que les citoyens [ ! il y a donc des citoyens ?] sachent que ces nouvelles
lois permettent, sur la base d’un simple soupçon, de maintenir n’importe qui en
prison sans inculpation et sans procès, que plus personne n’est protégé par la
loi, qu’il s’agit d’un arbitraire total ! Comment expliquer que, dans les Forum sociaux, les
alter mondialistes, les responsables d’Attac, ne mettent pas ces questions au
centre du débat ?
Jean-Claude Paye : Ils n’en parlent
pas. Ils ne veulent pas en parler. Cela touche aux problèmes fondamentaux. Ils
ne veulent pas parler de ces problèmes car ils devraient affronter directement
le pouvoir. Ces préoccupations sont secondaires pour eux [En effet, ils sont en vérité des idem mondialistes]. Elles ne font pas non
plus partie du programme d’Attac. Ils parlent de la taxe Tobin, de choses
périphériques. On est dans une société psychotique, une société du non
affrontement [meuh !].
Ce ne sont jamais les partis qui gouvernent qui protègent
les citoyens [c’est peu dire : ils les enculent]. Chaque fois que les
partis ont fait passer des mesures favorables aux citoyens, c’est parce qu’il y
avait un rapport de force qui les y a obligés. La démocratie se conquiert
chaque jour, elle n’est jamais octroyée.
Si vous étudiez et expliquez ces lois
« antiterroristes » là, vous dévoilez exactement la nature du
pouvoir. Vous ne pouvez plus parler de pouvoir démocratique [mais quand donc eut-il lieu ?], vous voyez une société qui est déjà en marche vers
la dictature. Vous voyez que chaque nouvelle mesure prise est pire que la
précédente. Les choses sont très claires. Mais on se refuse à les voir comme
elles sont.
Le problème fondamental n’est pas que le pouvoir se
transforme en dictature, car, comme l’histoire le montre, un pouvoir
incontrôlable se transforme toujours en dictature. Le problème fondamental de
notre époque est l’abdication des gens devant ce processus. Et cela est un
phénomène assez nouveau. Les gens abandonnent au pouvoir et à la machine économique
leurs libertés ; et à terme, vu les problèmes environnementaux et
climatiques, leur survie en tant qu’espèce vivante.
Silvia Cattori : Depuis quand
aviez-vous pressenti que les choses allaient évoluer dans ce sens, et que des
gens qui critiquent le système politique et médiatique allaient être interdits
de parole ?
Jean-Claude Paye : Dès la fin des
années 90. Déjà à cette époque, on voyait se mettre en place cet État policier.
Mais les lois mises en place à l’époque semblent presque démocratiques par
rapport à ce que nous voyons aujourd’hui. Le processus connaît une forte
accélération.
Silvia Cattori : Cela signifie
que l’Autorité exécutive des États-Unis s’attaque directement aux droits
fondamentaux des citoyens du monde entier, dont ceux de l’Union
européenne !?
Jean-Claude Paye : Oui
évidemment ! Mais il ne s’agit pas seulement de l’exécutif états-unien,
mais l’ensemble des exécutifs de la planète entre lesquels il y a une vraie
solidarité contre leurs populations. Les prisons secrètes de la CIA sont un bon exemple de ce
processus. Au niveau européen, des administrations ont directement été
intégrées dans cette organisation de la torture. Dans le meilleur des cas, tout
ce que l’on a pu obtenir des gouvernements européens est qu’ils se comportent
comme les trois petits singes : aveugles, sourds et muets.
Silvia Cattori : Que va-t-il
advenir à ceux qui sont inscrits sur ces listes « terroristes », qui,
elles, demeurent secrètes ?
Jean-Claude Paye : Les listes
« terroristes » ne sont pas toutes secrètes. Au niveau européen,
seule la liste « Europol » est secrète. Elle permet de prendre des
mesures de surveillance et la mise en œuvre de techniques spéciales de
surveillance et de recherches secrètes à propos de personnes désignées comme
« terroristes ».
La liste du Conseil européen permet de prendre des mesures
financières, tel le blocage des comptes bancaires. Tous ces éléments vont être
utilisés si le rapport de force est favorable au pouvoir en place. La première
chose à faire est de révéler ce qui se passe, de diffuser le maximum
d’informations et de faire en sorte que ces listes soient connues.
Silvia Cattori : Cela ne vous
suggère aucune analogie ?
Jean-Claude Paye : Oui, le climat des
années trente. Mais, actuellement, il se met en place une dictature mondiale. Une espèce de « meilleur
des monde » [juste avec un peu de
retard] et
non un simple processus de « fascisation ».
Silvia Cattori : Depuis 2001, on
kidnappe des gens, on torture des prétendus « terroristes » d’origine
arabe et de confession musulmane. Doit-on s’attendre à ce que, demain, on
punisse ceux qui dénoncent ces abus ?
Jean-Claude Paye : L’empire a besoin
d’ennemis. Il crée, il invente ses propres ennemis.
La première chose à faire est de montrer ce qui est caché
(et ici). Il y a
tant de lois permettant de faire n’importe quoi, n’importe quand ! Mais
cela se fait en fonction de la résistance immédiate des intéressés. Auparavant,
il y avait un cadre législatif qui nous protégeait. Maintenant, ils peuvent
faire n’importe quoi s’ils ont la capacité de l’imposer. Aujourd’hui, les
choses reposent sur un pur rapport de force.
Silvia Cattori : M. Dick Marty,
mandaté par le
Conseil de l’Europe [ne pas confondre avec le Conseil
européen], pourra-t-il obtenir de l’Union européenne qu’elle annule
ces listes illégales ?
Jean-Claude Paye : Le rapport que M. Dick Marty a
rédigé est très important ! Son rapport fait tache, il s’oppose à la ligne
politique des gouvernements européens. Mais, dans les faits, M. Marty n’a
aucun pouvoir ; son rapport n’a rien pu changer car il est à contre
courant. Ce rapport est cependant essentiel.
Silvia Cattori : Ces politiques
qui nous parlent de justice et de liberté, c’est du vent ?
Jean-Claude Paye : Il faut être
lucides, montrer les choses telles qu’elles sont. Ceux qui font des critiques
en se limitant à dire : « Oui il faut des lois antiterroristes, c’est
nécessaire de lutter contre le terrorisme, mais il faut éviter les abus »
ne font que légitimer le point de vue du pouvoir. Il faut montrer que les lois,
qui ont pour but déclaré de lutter contre le « terrorisme », sont en
fait des lois contre les populations.
La dernière loi promulguée aux États-Unis, le Military
Commission Act, est une loi constitutionnelle de portée mondiale, comme je
le démontre dans mon dernier livre Global war on Liberty. Le
président des États-Unis a la possibilité de désigner comme ennemi tout citoyen
états-unien ou tout ressortissant d’un pays avec lequel les USA ne sont pas en
guerre. La gestion des populations, citoyens états-uniens compris, devient un
acte de guerre et non plus seulement une action de police.
Prenons l’exemple de l’Accord Swift. Swift est une
agence belge qui s’occupe des transferts financiers internationaux. Swift a transmis, depuis
2001, toutes les informations sur les transactions de ses clients en
violant, non seulement la législation belge, mais la législation européenne.
C’est le droit des États-Unis qui s’applique en Europe.
Tout ce qui est dit par l’administration états-unienne est
du domaine de la foi. La thèse gouvernementale sur les attentats du 11
septembre, personne ne peut rationnellement la croire. Le rapport de la
Commission n’indique même pas qu’une troisième tour s’est effondrée. C’est un
rapport psychotique dans lequel le discours du maître se substitue aux faits
eux-mêmes. Un récent sondage Zogby montre que la majorité des États-uniens souhaite la réouverture de
l’enquête. Alors qu’en Europe, le simple fait de poser des questions est
stigmatisé.
Silvia Cattori : Quel mécanisme reste-t-il
pour exiger le retour à un État de droit ?
Jean-Claude Paye : Il faut mettre les
choses à plat. Parler clairement. Montrer les enjeux. Cela dépend de la
capacité de résistance des gens.
La lutte « antiterroriste » est en fait une
guerre contre les libertés. Cette guerre contre les libertés est la première
étape d’une guerre contre les populations. Et le Military Commission Act
est une loi pénale qui a un caractère mondial, et qui, en fait, est un acte
d’une souveraineté impériale. C’est une loi qui confond rapport de police et
rapport de guerre. C’est la mise en place d’une nouvelle forme d’État mondial
qui, en intégrant fonctions de police et de guerre, lutte contre ses propres
populations
Chose importante, cette loi s’applique au niveau mondial,
elle donne la possibilité aux États-Unis, non seulement d’enlever, mais,
surtout de se faire remettre n’importe quel citoyen dans le monde, c’est-à-dire
des gens qu’ils ont qualifiés d’« ennemis combattants ».
Les accords européens d’extradition avec les États-Unis ne
s’opposent pas à ce que les gens désignés comme « ennemis
combattants » puissent être transférés aux États-Unis. C’est donc une loi
qui a une portée mondiale. C’est un Acte constitutif de l’Empire.
Actuellement, c’est
le droit pénal qui est constituant. Ceci a déjà existé dans l’histoire de nos sociétés. Le
droit pénal exerce un rôle constituant dans les périodes de transition (par
exemple, au début du capitalisme le droit pénal a été dominant).
Si le droit pénal est actuellement dominant, c’est qu’il
se prépare une nouvelle forme de droit de propriété. Ce que l’on pourrait
appeler la fin de « la propriété de soi ». L’ensemble de nos données
personnelles ne nous appartiennent plus [il n’y a pas de
faute de grammaire ici — plutôt l’usage est vicieux — puisqu’un ensemble ne
consiste pas dans ses éléments, or peu importe qu’un ensemble ne nous
appartiennent plus mais seulement que les éléments qui appartiennent à
l’ensemble ne nous appartiennent plus. Dire que « l’ensemble des arbres
d’une forêt a brûlé » est une stupidité puisque ce n’est pas l’ensemble
qui a brûlé mais les arbres, individuellement. Un ensemble est un objet
incombustible. L’auteur corrige donc l’usage à bon droit]. Elles appartiennent à
l’État, mais également aux firmes privées. La domination du droit pénal prépare
la mise en place de ce futur droit privé.
Silvia Cattori : Les gens
pensent généralement que ces mesures ne touchent que des individus
précis ?
Jean-Claude Paye : Elles touchent
tout le monde. Elles touchent toute forme de résistance. Un
« terroriste » c’est devenu quelqu’un qui ne veut pas abandonner ses
libertés au pouvoir, quelqu’un qui veut vivre.
Silvia Cattori : Depuis cet été,
les États-Unis considèrent comme suspects de « terrorisme » les
opposants à leur politique en Irak et au Liban [13]. Le directeur de l’agence de
presse libanaise New Orient News, membre du Réseau Voltaire, y
figure déjà. L’administration Bush aurait demandé au cabinet Sarkozy, de
transcrire en droit français les nouvelles listes d’opposants politiques et d’y
faire figurer le journaliste Thierry Meyssan, déjà personna non grata sur
le territoire des États-Unis. Cela vous étonne-t-il ?
Jean-Claude Paye : Je n’étais pas au
courant de la demande concrète de M. Bush relative à Thierry Meyssan. Mais
c’est un contexte de pur rapport de force à un moment déterminé. Quand on songe
à l’hystérie que des soi-disant « intellectuels » français ont
développée, et aux attaques que Thierry Meyssan a subies en France depuis la
sortie de son livre sur les attentats du 11 septembre qui osait poser les
questions qu’il fallait se poser, rien ne peut plus vous étonner.
Mon travail montre, que les dispositions
« antiterroristes » ont pour objet de s’attaquer aux opposants
politiques ainsi qu’aux populations et pas seulement aux
« islamistes ». On ne peut donc pas être fondamentalement surpris, si
cela se vérifie, d’une éventuelle inscription de Thierry Meyssan sur les listes
« terroristes ». Cependant, cela indiquerait que nous avons franchi
une nouvelle étape dans la criminalisation de la parole d’opposition. Cela
indiquerait que le pouvoir se sentirait parfaitement à l’aise, en mettant au
grand jour des objectifs qu’il a toujours niés jusqu’à présent.
Qui peut croire la thèse gouvernementale des attentats du
11 septembre ? Qui peut croire
qu’une tour touchée par un avion tombe de façon contrôlée ? Le
problème est que les États-Unis donnent tous les renseignements qui permettent
de remettre en cause leur thèse, et les gens font semblant de croire. Nous
sommes dans un mécanisme pervers, dans lequel l’individu, pour ne pas affronter
le Réel, fait semblant de croire l’invraisemblable.
Silvia Cattori : Alors même que
Thierry Meyssan a révélé des faits qu’il eut fallu prendre au sérieux,
curieusement, les journalistes en général l’ont esquinté.
Jean-Claude Paye : À qui
appartiennent ces journaux qui ont diffamé Thierry Meyssan ? Ces
« journalistes » sont des gens qui recopient ce qu’on leur dit de
dire. Connaissez-vous beaucoup de journalistes « officiels » qui
vérifient leurs sources et qui font un travail d’investigation sérieux ?
Silvia Cattori : Vos livres sont
importants pour tous ceux qui défendent les libertés.
Jean-Claude Paye : J’ai écrit ces
livres parce que je crois qu’il était nécessaire de le faire. Quand j’ai vu ces
lois passer en Belgique et partout dans le monde, tout allait dans le même
sens. Il fallait faire ressortir cette cohérence. Il y a peu de gens qui font
ce travail. Je suis quasiment le seul à travailler de manière globale. Toutes
ces données ne sont pas rassemblées. Je dois les collecter, faire le travail
des juristes et en même temps mon travail de sociologue, de pouvoir penser la
nouvelle forme d’organisation du pouvoir. Mes travaux prennent en compte les
deux côtés de l’Atlantique. Ils étudient non seulement les lois anti-terroristes
mais toutes les lois de contrôle social. Cela forme un tout.