Psychologie du point de vue
empirique
Livre II
LES
PHÉNOMÈNES PSYCHIQUES EN GÉNÉRAL
CHAPITRE PREMIER
DIFFÉRENCE ENTRE PHÉNOMÈNES PSYCHIQUES
ET PHÉNOMÈNES PHYSIQUES
§5 Quel caractère positif pourrions-nous
proposer ? Ou bien n’existerait-il aucune définition positive, valable
pour tous les phénomènes psychiques (psychische Phänomene) ?
A. Bain pense que c’est bien le cas. Des psychologues de l’Antiquité
n’en ont pas mains noté la parenté et l’ analogie particulière qui existent
entre tous les phénomènes psychiques, tandis qu’on ne la rencontre pas dans
les phénomènes physiques.
Ce qui caractérise tout phénomène psychique, c’est ce
que les Scolastiques du Moyen Âge ont appelé l’inexistence intentionnelle
(ou encore mentale) d’un objet [3] et ce que nous pouvons appeler
nous-mêmes ‑ en usant d’expressions qui n’excluent pas toute
équivoque verbale ‑ la relation à un contenu, la direction vers
un objet (sans qu’il faille entendre par là une réalité (Realität)) ou
objectivité (Gegenstcindlichkeit) immanente. Tout phénomène
psychique contient en soi quelque chose à titre d’objet (Objekt), mais
chacun le contient à sa façon. Dans la représentation, c’est quelque chose
qui est représenté, dans le jugement quelque chose qui est admis ou rejeté,
dans l’amour quelque chose qui est aimé, dans la haine quelque chose qui
est haï, dans le désir quelque chose qui est désiré et ainsi de suite [1].
Cette inexistence intentionnelle appartient
exclusivement aux phénomènes psychiques. Aucun phénomène physique ne
présente rien de semblable. Nous pouvons donc définir les phénomènes
psychiques en disant que ce sont les phénomènes qui contiennent
intentionnellement un objet (Gegenstand) en eux.
3. Ils emploient également l’expression «
exister à titre objectif (objective)
dans quelque chose ». Si nous voulions nous servir da la
même expression, ce serait pour désigner une existence effectivement réelle
en dehors de l’esprit. C’est ce que nous rappelle l’expression
« exister à titre d’objet immanent », que l’on utilise parfois dans le même sens et
où le terme « immanent » est destiné à lever tout malentendu.
1. Aristote parle déjà de cette inhabitation psychique. Dans son
traité De l’âme, il dit que le senti est, comme tel, dans le sentant, que le sentant
contient immatériellement l’objet senti, que le pensé est dans l’intellect
pensant. Chez Philon nous trouvons également la doctrine de l’existence et
de l’inexistence mentales. Mais en les confondant avec l’existence au sens
propre du mot, il aboutit à sa doctrine contradictoire du Logos et des
Idées. Il en est de même pour les Néo-platoniciens. Augustin, dans sa
doctrine du Verbum mentis et de son origine interne (innerlicher Ausgang), fait allusion à la même réalité. Anselme
s’y réfère également dans son célèbre argument ontologique; et l’on a fait
souvent observer que sa considération de l’existence mentale comme
existence véritable est à la source de son paralogisme (Cf Überweg, Geschichte der Philosophie,
II). Thomas d’Aquin enseigne que l’objet pensé est intentionnellement
dans le sujet pensant, l’objet de l’amour dans le sujet aimant, l’objet
désiré dans le sujet qui désire, et il utilise toutes ces remarques à des
fins théologiques. Quand l’Écriture Sainte parle d’une inhabitation du
Saint-Esprit, Thomas nous explique qu’il s’agit d’une inhabitation
intentionnelle dans un acte d’amour. Et c’est aussi dans l’inexistence
intentionnelle telle qu’elle se révèle dans l’acte de penser et dans l’acte
d’aimer qu’il essaye de trouver une certaine analogie pour le mystère de la
Sainte Trinité et la procession ad infra du Verbe
et de l’Esprit.
§2 (…) Toute représentation
sensorielle ou imaginative peut fournir des exemples de phénomènes
psychiques. Et par représentation j’entends ici non pas ce qui est représenté,
mais l’acte de représenter. L’audition d’un son, la vision ♦
d’un objet coloré, la sensation de chaud et de froid ainsi que
tous les états analogues de notre imagination sont des exemples au sens où
je prends ce terme ; mais également l’acte de penser une notion
générale, si tant est que cet acte existe effectivement. En outre,
n’importe quel jugement, n’importe quel souvenir, n’importe quelle attente,
n’importe quel raisonnement, n’importe quelle croyance ou opinion,
n’importe quel doute constituent des phénomènes psychiques. De même tout ce
qui est émotion joie, tristesse, crainte, espoir, courage, découragement,
colère, amour, haine, désir, volonté, intention, étonnement, admiration,
mépris, etc.
Comme exemples de phénomènes physiques nous citerons une couleur ♦, une figure, un paysage que je vois, un
accord que j’entends, la chaleur, le froid, l’odeur que je sens et toutes les
images du même genre qui apparaissent dans mon imagination.
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