Re: La négation de l'économie est une absurdité


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Posted by ben aziz on April 07, 2001 at 02:13:02 PM EDT:

In Reply to: La négation de l'économie est une absurdité posted by Occam on April 07, 2001 at 01:30:39 PM EDT:

GUY DEBORD

LA SOCIETE DU SPECTACLE

CHAPITRE II. : La marchandise comme spectacle


«Car ce n'est que comme catégorie universelle de l'être social total que
la marchandise peut être comprise dans son essence authentique. Ce
n'est que dans ce contexte que la réification surgie du rapport marchand
acquiert une signification décisive, tant pour l'évolution objective de la
société que pour l'attitude des hommes à son égard, pour la soumission
de leur conscience aux formes dans lesquelles cette réification
s'exprime... Cette soumission s'accroît encore du fait que plus la
rationalisation et la mécanisation du processus de travail augmentent,
plus l'activité du travailleur perd son caractère d'activité pour devenir
une attitude contemplative »

Lukàcs (Histoire et conscience de classe)


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A ce mouvement essentiel du spectacle, qui consiste à reprendre en lui tout ce qui existait
dans l'activité humaine à l'état fluide, pour le posséder à l'état coagulé, en tant que choses
qui sont devenues la valeur exclusive par leur formulation en négatif de la valeur vécue,
nous reconnaissons notre vieille ennemie qui sait si bien paraître au premier coup d'oeil
quelque chose de trivial et se comprenant de soi-même, alors qu'elle est au contraire si
complexe et si pleine de subtilités métaphysiques, la marchandise.


36

C'est le principe du fétichisme de la marchandise, la domination de la société par « des
choses suprasensibles bien que sensibles », qui s'accomplit absolument dans le spectacle, où
le mode sensible se trouve remplacé par une sélection d'images qui existe au-dessus de lui, et
qui en même temps s'est fait reconaître comme le sensible par excellence.


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Le monde à la fois présent et absent que le spectacle fait voir au monde de la marchandise
dominant tout ce qui est vécu. Et le monde de la marchandise est ainsi montré comme il est,
car son mouvement est identique à l'éloignement des hommes entre eux et vis-à-vis de leur
produit global.


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La perte de la qualité, si évidente à tous les niveaux du langage spectaculaire, des objets qu'il
loue et des conduites qu'il règle, ne fait que traduire les caractères fondamentaux de la
production réelle qui écarte la réalité : la forme-marchandise est de part en part l'égalité à
soi-même, la catégorie du quantitatif. C'est le quantitatif qu'elle développe, et elle ne peut se
développer qu'en lui.


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Ce développement qui exclut le qualitatif est lui-même soumis, en tant que développement, au
passage qualitatif : le spectacle signifie qu'il a franchi le seuil de sa propre abondance ; ceci
n'est encore vrai localement que sur quelques points, mais déjà vrai à l'échelle universelle qui
est la référence originelle de la marchandise, référence que son mouvement pratique,
rassemblant la Terre comme marché mondial, a vérifié.


40

Le développement des forces productives a été l'histoire réelle inconsciente qui a
construit et modifié les conditions d'existence des groupes humains en tant que condition de
survie, et élargissement de ces conditions : la base économique de toutes leurs entreprises.
Le secteur de la marchandise a été, à l'intérieur d'une économie naturelle, la constitution d'un
surplus de la survie. La production des marchandises, qui implique l'échange de produits
variés entre des producteurs indépendants, a pu rester longtemps artisanale, contenue dans
une fonction économique marginale où sa vérité quantitative est encore masquée. Cependant,
là où elle a rencontré les conditions sociales du grand commerce et de l'accumulation des
capitaux, elle a saisi la domination totale de l'économie. L'économie tout entière est alors
devenue ce que la marchandise s'était montrée être au cours de cette conquête : un
processus de développement quantitatif. Ce déploiement incessant de la puissance
économique sous la forme de la marchandise, qui a transfiguré le travail humain en
travail-marchandise, en salariat, aboutit cumulativement à une abondance dans laquelle la
question première de la survie est sans doute résolue, mais d'une manière telle qu'elle doit se
retrouver toujours : elle est chaque fois posée de nouveau à un degré supérieur. La
croissance économique libère les sociétés de la pression naturelle qui exigeait leur lutte
immédiate pour la survie, mais alors c'est de leur libérateur qu'elles ne sont pas libérées.
L'indépendance de la marchandise s'est étendue à l'ensemble de l'économie sur laquelle elle
règne. L'économie transforme le monde, mais le transforme seulement en monde de
l'économie. La pseudo-nature dans laquelle le travail humain s'est aliéné exige de poursuivre
à l'infini son service, et ce service, n'étant jugé et absous que par lui-même, en fait obtient la
totalité des efforts et des projets socialement licites, comme ses serviteurs. L'abondance des
marchandises, c'est à dire du rapport marchand, ne peut être plus que la survie augmentée.


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La domination de la marchandise s'est d'abord exercée d'une manière occulte sur l'économie,
qui elle-même, en tant que base matérielle de la vie sociale, restait inaperçue et incomprise,
comme le familier qui n'est pas pour autant connu. Dans une société où la marchandise
concrète reste rare ou minoritaire, c'est la domination apparente de l'argent qui se présente
comme l'émissaire muni des pleins pouvoirs qui parle au nom d'une puissance inconnue.
Avec la révolution industrielle, la division manufacturière du travail et de la production
massive pour le marché mondial, la marchandise apparaît effectivement, comme une
puissance qui vient réellement occuper la vie sociale. C'est alors que se constitue l'économie
politique, comme science dominante et comme science de la domination.


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Le spectacle est le moment où la marchandise est parvenue à l'occupation totale de la vie
sociale. Non seulement le rapport à la marchandise est visible, mais on ne voit plus que lui : le
monde que l'on voit est son monde. La production économique moderne étend sa dictature
extensivement et intensivement. Dans les lieux les moins industrialisés, son règne est déjà
présent avec quelques marchandises-vedettes et en tant que domination impérialiste par les
zones qui sont en tête dans le développement de la productivité. Dans ces zones avancées,
l'espace social est envahi par une superposition continue de couches géologiques de
marchandises. A ce point de la « deuxième révolution industrielle », la consommation aliénée
devient pour les masses un devoir supplémentaire à la production aliénée. C'est tout le
travail vendu d'une société qui devient globalement la marchandise totale dont le cycle
doit se poursuivre. Pour ce faire, il faut que cette marchandise totale revienne
fragmentairement à l'individu fragmentaire, absolument séparé des forces productives
opérant comme un ensemble. C'est donc ici que la science spécialisée de la domination doit
se spécialiser à son tour : elle s'émiette en sociologie, psychotechnique, cybernétique,
sémiologie, etc., veillant à l'autorégulation de tous les niveaux du processus.


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Alors que dans la phase primitive de l'accumulation capitaliste « l'économie politique ne voit
dans le prolétaire que l'ouvrier », qui doit recevoir le minimum indispensable pour la
conservation de sa force de travail, sans jamais le considérer « dans ses loisirs, dans son
humanité », cette position des idées de la classe dominante se renverse aussitôt que le degré
d'abondance atteint dans la production des marchandises exige un surplus de collaboration de
l'ouvrier. Cet ouvrier soudain lavé du mépris total qui lui est clairement signifié par toutes les
modalités d'organisation et surveillance de la production, se retrouve chaque jour en dehors
de celle-ci apparemment traité comme un grande personne, avec une politesse empressée,
sous le déguisement du consommateur. Alors, l'humanisme de la marchandise prend en
charge « les loisirs et l'humanité » du travailleur, tout simplement parce que l'économie
politique peut et doit maintenant dominer ces sphères en tant qu'économie politique. Ainsi
« le reniement achevé de l'homme » a pris en charge la totalité de l'existence humaine.


44

Le spectacle est une guerre de l'opium permanente pour faire accepter l'identification des
biens aux marchandises ; et de la satisfaction à la survie augmentant selon ses propres lois.
Mais si la survie consommable est quelque chose qui doit augmenter toujours, c'est parce
qu'elle ne cesse de contenir la privation. S'il n'y a aucun au-delà de la survie augmentée,
aucun point où elle pourrait cesser sa croissance, c'est parce qu'elle n'est pas elle-même au
delà de la privation, mais qu'elle est la privation devenue plus riche.


45

Avec l'automation, qui est à la fois le secteur le plus avancé de l'industrie moderne, et le
modèle où se résume parfaitement sa pratique, il faut que le monde de la marchandise
surmonte cette contradiction : l'instrumentation technique qui supprime objectivement le
travail doit en même temps conserver le travail comme marchandise, et seul lieu de
naissance de la marchandise. Pour que l'automation, ou toute autre forme moins extrême de
l'accroissement de la productivité du travail, ne diminue pas effectivement le temps de travail
social nécessaire à l'échelle de la société, il est nécessaire de créer de nouveaux emplois. Le
secteur tertiaire, les services, sont l'immense étirement des lignes d'étapes de l'armée de la
distribution et de l'éloge des marchandises actuelles ; mobilisation des forces supplétives qui
rencontre opportunément, dans la facticité même des besoins relatifs à de telles
marchandises, la nécessité d'une telle organisation de l'arrière-travail.


46

La valeur d'échange n'a pu se former qu'en tant qu'agent de la valeur d'usage, mais sa
victoire par ses propres armes a créé les conditions de sa domination autonome. Mobilisant
tout usage humain et saisissant le monopole de sa satisfaction, elle a fini par diriger l'usage.
Le processus de l'échange s'est identifié à tout usage possible, et l'a réduit à sa merci. La
valeur d'échange est le condottiere de la valeur d'usage, qui finit par mener la guerre pour
son propre compte.


47

Cette constante de l'économie capitaliste qui est la baisse tendancielle de la valeur
d'usage développe une nouvelle forme de privation à l'intérieur de la survie augmentée,
laquelle n'est pas davantage affranchie de l'ancienne pénurie puisqu'elle exige la participation
de la grande majorité des hommes, comme travailleurs salariés, à la poursuite infinie de son
effort ; et que chacun sait qu'il lui faut se soumettre ou mourir. C'est la réalité de ce
chantage, le fait que l'usage sous sa forme la plus pauvre (manger, habiter) n'existe plus
qu'emprisonné dans la richesse illusoire de la survie augmentée, qui est la base réelle de
l'acceptation de l'illusion en général dans la consommation des marchandises modernes. Le
consommateur réel devient consommateur d'illusions. La marchandise est cette illusion
effectivement réelle, et le spectacle sa manifestation générale.


48

La valeur d'usage qui était implicitement comprise dans la valeur d'échange doit être
maintenant explicitement proclamée, dans la réalité inversée du spectacle, justement parce
que sa réalité effective est rongée par l'économie marchande surdéveloppée : et qu'une
pseudo-justification devient nécessaire à la fausse vie.


49

Le spectacle est l'autre face de l'argent : l'équivalent général abstrait de toutes les
marchandises. Mais si l'argent a dominé la société en tant que représentation de l'équivalence
centrale, c'est-à-dire du caractère échangeable des biens multiples dont l'usage restait
incomparable, le spectacle est son complément moderne développé où la totalité du monde
marchand apparaît en bloc, comme une équivalence générale à ce que l'ensemble de la
société peut être et faire. Le spectacle est l'argent que l'on regarde seulement, car en lui
déjà c'est la totalité de l'usage qui s'est échangée contre la totalité de la représentation
abstraite. Le spectacle n'est pas seulement le serviteur du pseudo-usage, il est déjà en
lui-même le pseudo-usage de la vie.


50

Le résultat concentré du travail social, au moment de l'abondance économique, devient
apparent et soumet toute réalité à l'apparence, qui est maintenant son produit. Le capital n'est
plus le centre invisible qui dirige le mode de production : son accumulation l'étale jusqu'à la
périphérie sous formes d'objets sensibles. Toute l'étendue de la société est son portrait.


51

La victoire de l'économie autonome doit être en même temps sa perte. Les forces qu'elle a
déchaînées suppriment la nécessité économique qui a été la base immuable des sociétés
anciennes. Quand elle la remplace par la nécessité du développement économique infini, elle
ne peut que remplacer la satisfaction des premiers besoins humains sommairement reconnus,
par une fabrication ininterrompue de pseudo-besoins qui se ramènent au seul pseudo-besoin
du maintien de son règne. Mais l'économie autonome se sépare à jamais du besoin profond
dans la mesure même où elle sort de l'inconscient social qui dépendait d'elle sans le savoir.
« Tout ce qui est conscient s'use. Ce qui est inconscient reste inaltérable. Mais une fois
délivré, ne tombe-t-il pas en ruines à son tour?» (Freud)


52

Au moment où la société découvre qu'elle dépend de l'économie, l'économie, en fait, dépend
d'elle. Cette puissance souterraine, qui a grandi jusqu'à paraître souverainement, a aussi
perdu sa puissance. Là où était le ça économique doit venir le je. Le sujet ne peut émerger
que de la société, c'est à dire de la lutte qui est en elle-même. Son existence possible est
suspendue aux résultats de la lutte des classes qui se révèle comme le produit et le
producteur de la fondation économique de l'histoire.


53

La conscience du désir et le désir de la conscience sont identiquement ce projet qui, sous sa
forme négative, veut l'abolition des classes, c'est à dire la possession directe des travailleurs
sur tous les moments de leur activité. Son contraire est la société du spectacle, où la
marchandise se contemple elle-même dans un monde qu'elle a créé.

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Voici ce que Debord écrivait en 1967 . Ce qui n'a rien à voir avec ta position qui est la position de l'économie politique , de l'Etat . Ton plaidoyer pour et en faveur de l'économie n'apporte rien de nouveau. C'est la version officielle depuis 2 siècles .





M. Ripley s'amuse