Lettre n° 7

(Hécatombe, Éditions de la Nuit, Paris, 1991, p. 42.)

Jean-Pierre Voyer à Gérard Lebovici



Paris, le 3 septembre 1978

Cher Lebovici,

Je dois vous accorder que je ne pouvais pas écrire que depuis la mort de Hegel ce qui était critiquable dans sa pensée n'était toujours pas critiqué puisque Marx a entrepris explicitement cette critique et que s'il a critiqué Hegel pour de mauvaises raisons il l'a aussi critiqué pour de très bonnes. Je devais donc écrire que ce qui est critiquable dans la pensée de Hegel se trouve toujours dans l'état où Marx l'a laissé à sa propre mort et que la poursuite de la critique de la pensée de Hegel se confond avec la poursuite de la critique de la pensée de Marx.

Vous pouvez donc vous estimer satisfait, vous tenez votre « affirmation à l'esbroufe et à l'épate gauchistes ».

Mais il demeure que la critique de la pensée de Marx n'a jamais eu lieu. Cette critique est le point précis sur lequel l'I.S. a échoué.

Cordialement.



Voyer



[Depuis que ces lignes ne sont pas parues, j'ai eu l'occasion de lire un très intéressant livre de K. Papaïoannou, De Marx et du marxisme, où figure le passage suivant:

« Comme s'il avait eu le pressentiment des critiques dont il serait l'objet, Hegel avait pris grand soin d'indiquer ce que devait être une véritable réfutation d'un système philosophique. Pour réfuter vraiment une philosophie, disait-il, il faut préalablement « reconnaître l'essentialité et la nécessité de son point de vue », car « la réfutation ne doit pas venir du dehors, c'est-à-dire à partir de prémisses extérieures au système à réfuter, ne correspondant pas à ce système. On peut se contenter de ne pas reconnaître ces prémisses; un défaut n'est un défaut que pour celui-là seul qui formule des exigences et des besoins fondés sur elles ». On ne saurait mieux définir la démarche de Marx critiquant Hegel: comme il n'a jamais reconnu les prémisses de la pensée hégélienne, comme il n'a jamais éprouvé les besoins qu'elles traduisent ni les exigences qu'elles posent, sa réfutation est restée foncièrement étrangère, résolument extérieure à son objet. "

C'est exactement ce que je voulais dire !

Ainsi, j'ai donc raison aussi sur ce point: personne n'a jamais critiqué Hegel jusqu'à ce jour pour ce simple motif que ceux qui ont prétendu le faire n'ont jamais compris ce dont parlait Hegel, Marx en tout premier lieu.

L'essentialité et la nécessité du point de vue de Hegel est la communication. Hegel ne peut être critiqué que du point de vue de la communication. Toute critique de Hegel qui ne se place pas de ce point de vue est nulle. Prétendre critiquer Hegel d'un autre point de vue que la communication est parler pour ne rien dire, ce qui est chose extrêmement répandue. Cette notable quantité d'importance nulle a pu faire que je sois momentanément d'un avis contraire.

Le falsificateur Lebovici prétendait savoir qui avait critiqué Marx et Hegel. Mais il a emporté son secret dans la tombe !]



Les notes entre [ ] ont été rajoutées par M. Voyer en 1991. (K. von N.)

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