Sélection du Reader’s Digest
Application du tarababoum de Lebesgue
Axiomes
1
Toute la vie des sociétés dans lesquelles règnent
les conditions modernes de production s’annonce comme une immense accumulation
de spectacles.
Dans les
premières lignes de son célèbre ouvrage, l’auteur nous parle d’une
accumulation de spectacles. Il nous parle donc des spectacles, notion
qui ne semble pas poser de difficultés. Tout le monde sait ce qu’est un
spectacle. Donc tout le monde sait ce qu’est l’accumulation de spectacles. Mais par la
suite, l’auteur ne parle plus que du spectacle. Il est étonnant
d’ailleurs qu’il n’ait pas mis une majuscule au mot Spectacle. Or le
spectacle, dans sa généralité, personne ne sait ce que c’est et l’auteur
lui même semble l’ignorer puisqu’il ne nous donne jamais ne serait-ce qu’une
simple définition. C’est encore pire que le cheval, car tout le monde
sait que le cheval est le genre du cheval. J’applique donc la méthode du « tarababoum » que Lebesgue employait contre ceux qui
se permettaient de faire des calculs sur les aires sans avoir défini au
préalable ce qu’étaient les aires. Si l’auteur avait dénommé le Spectacle par
le mot tarababoum, il ne se serait certes pas permis d’écrire, par exemple, « La séparation est l’alpha et l’oméga du tarababoum » (ou bien
il aurait ressenti la nécessité virulente de définir le terme tarababoum) ; il se le permet parce
qu’au lieu du mot tarababoum il a utilisé le mot spectacle !
C’est là une grossière erreur contre le bon sens. Il spécule sur la confusion
que ne manqueront pas de faire les lecteurs en assimilant ce nouveau Spectacle
à ceux qu’ils ont l’habitude de manier ; libre à chacun de choisir entre
erreur et hypocrisie. Si, après la lecture de ce digest avec le mot tarababoum,
on replace le mot Spectacle, on constatera que les propositions n’ont
pas plus de sens pour autant. Il est probable que, sans la méthode du Pr Lebesgue,
vous n’eussiez rien remarqué. Avec l’emploi du tarababoum, le non sens des
propositions (et leur enflure) devient flagrant, ce qui ne serait pas le cas
si j’écrivais, par exemple : le tarababoum est un équidé ; le
tarababoum a bouleversé le mode de vie des Indiens des plaines ; à
tarababoum donné, on ne regarde pas la denture ; etc… La thèse 2,
sur le tarababoum en général, n’est pas mal comme exemple de charabia
prétentieux. ♫ Les histoires de tarababoum finissent mal en
général. Cette expérience montre qu’il était non pas absurde mais parfaitement
malhonnête et trompeur d’employer le mot spectacle et que le mot tarababoum
aurait été beaucoup plus approprié et honnête, car personne ne risquait d’en
être dupe. S’il y a une vérité là-dedans (je suis aujourd’hui persuadé du
contraire) on a beaucoup plus de chance de la découvrir en utilisant le mot tarababoum
plutôt que le mot spectacle en général. |
2
Le tarababoum en général, comme inversion concrète de la vie, est
le mouvement autonome du non-vivant.
3
Le tarababoum se présente à la fois comme
la société même, comme une partie de la société, et comme instrument d’unification.
En tant que partie de la
société, le
tarababoum est
expressément le secteur qui concentre tout regard et toute conscience.
4
Le tarababoum n’est pas un ensemble
d’images, mais un rapport social entre des personnes, médiatisé par des images.
5
Le tarababoum ne peut être compris comme
l’abus d’un mode de la vision, le produit des techniques de diffusion massive
des images.
Le tarababoum est bien plutôt une Weltanschauung devenue effective,
matériellement traduite.
6
Le tarababoum, compris dans sa totalité,
est à la fois le résultat et le projet du mode de production existant.
Le tarababoum n’est pas un supplément au
monde réel, sa décoration surajoutée.
Le tarababoum est le cœur de l’irréalisme
de la société réelle.
Sous toute
ses formes particulières, information ou propagande, publicité ou consommation
directe de divertissements, le
tarababoum constitue
le modèle présent de la vie
socialement dominante.
Le tarababoum est l’affirmation
omniprésente du choix déjà fait dans
la production, et sa consommation corollaire.
Forme et
contenu du
tarababoum sont
identiquement la justification totale des conditions et des fins du système
existant.
Le tarababoum est aussi la présence permanente de cette
justification, en tant qu’occupation de la part principale du temps vécu hors
de la production moderne.
7
La pratique
sociale, devant laquelle se pose le tarababoum autonome, est aussi la totalité réelle qui contient le tarababoum.
Mais la
scission dans cette totalité la mutile au point de faire apparaître le tarababoum comme son but.
8
On ne peut
opposer abstraitement le
tarababoum et
l’activité sociale effective ; ce dédoublement est lui-même dédoublé.
Le tarababoum qui inverse le réel est
effectivement produit.
En même temps
la réalité vécue est matériellement envahie par la contemplation du tarababoum, et reprend en elle-même l’ordre spectaculaire en
lui donnant une adhésion positive.
Chaque notion
ainsi fixée n’a pour fond que son passage dans l’opposé : la réalité
surgit dans le tarababoum, et le tarababoum est réel. Cette aliénation réciproque est l’essence et le soutien de la
société existante.
10
Le concept de tarababoum unifie et explique une grande diversité de
phénomènes apparents.
Considéré
selon ses propres termes, le
tarababoum est
l’affirmation de l’apparence et l’affirmation
de toute vie humaine, c’est-à-dire sociale, comme simple apparence.
Mais la
critique qui atteint la vérité du
tarababoum le
découvre comme la négation visible de
la vie ; comme une négation de la vie qui est devenue visible.
11
Pour décrire le
tarababoum, sa
formation, ses fonctions, et les forces qui tendent à sa dissolution, il faut
distinguer artificiellement des éléments inséparables.
En analysant le tarababoum, on parle dans une certaine mesure le langage même
du spectaculaire, en ceci que l’on passe sur le terrain méthodologique de cette
société qui s’exprime dans le tarababoum.
Mais le tarababoum n’est rien d’autre que le sens de la pratique totale d’une formation économique-sociale, son emploi du temps.
12
Le tarababoum se présente comme une énorme
positivité indiscutable et inaccessible.
Le tarababoum ne dit rien de plus que « ce qui apparaît est bon, ce qui est bon
apparaît ».
L’attitude
que le tarababoum exige par principe est cette
acceptation passive que le
tarababoum a
déjà en fait obtenue par sa manière d’apparaître sans réplique, par son
monopole de l’apparence.
13
Le caractère fondamentalement
tautologique du
tarababoum
découle du simple fait que ses moyens sont en même temps son but.
Le tarababoum est le soleil qui ne se
couche jamais sur l’empire de la passivité moderne.
Le tarababoum recouvre toute la surface du
monde et baigne indéfiniment dans sa propre gloire.
14
Dans le
tarababoum, image de l’économie
régnante, le but n’est rien, le développement est tout.
Le tarababoum ne veut en venir à rien
d’autre qu’à lui-même.
15
En tant
qu’indispensable parure des objets produits maintenant, en tant qu’exposé
général de la rationalité du système, et en tant que secteur économique avancé
qui façonne directement une multitude croissante d’images-objets, le tarababoum est la principale
production de la société actuelle.
16
Le tarababoum soumet les hommes vivants
dans la mesure où l’économie les a totalement soumis.
Le tarababoum n’est rien que l’économie se
développant pour elle-même.
Le tarababoum est le reflet fidèle de la
production des choses, et l’objectivation infidèle des producteurs.
18
Le tarababoum, comme tendance à faire voir par différentes médiations
spécialisées le monde qui n’est plus directement saisissable, trouve
normalement dans la vue le sens humain privilégié qui fut à d’autres époques le
toucher ; le sens le plus abstrait, et le plus mystifiable, correspond à l’abstraction
généralisée de la société actuelle.
Mais le tarababoum n’est pas identifiable au simple regard, même
combiné à l’écoute.
Le tarababoum est ce qui échappe à
l’activité des hommes, à la reconsidération et à la correction de leur œuvres.
Le tarababoum est le contraire du
dialogue. Partout où il y a représentation
indépendante, le
tarababoum se
reconstitue.
19
Le tarababoum est l’héritier de toute la faiblesse du projet philosophique
occidental qui fut une compréhension de l’activité, dominé par les catégories
du voir ; aussi bien que le tarababoum se fonde sur l’incessant déploiement de la
rationalité technique précise qui est issue de cette pensée.
Le tarababoum ne réalise pas la
philosophie, le
tarababoum philosophie
la réalité.
20
Le tarababoum est la reconstruction
matérielle de l’illusion religieuse.
Le tarababoum est la réalisation technique
de l’exil des pouvoirs humains dans un au-delà ; la scission achevée à
l’intérieur de l’homme.
21
Le tarababoum est le mauvais rêve de la
société moderne enchaînée, qui n’exprime finalement que son désir de dormir.
Le tarababoum est le gardien de ce
sommeil.
22
Le fait que la puissance
pratique de la société moderne s’est détachée d’elle-même, et s’est édifié un
empire indépendant dans le
tarababoum, ne
peut s’expliquer que par cet autre fait que cette pratique puissante continuait
à manquer de cohésion, et était demeurée en contradiction avec elle-même.
23
C’est la plus
vieille spécialisation sociale, la spécialisation du pouvoir, qui est à la
racine du
tarababoum.
Le tarababoum est ainsi une activité
spécialisée qui parle pour l’ensemble des autres.
24
Le tarababoum est le discours ininterrompu
que l’ordre présent tient sur lui-même, son monologue élogieux.
Le tarababoum est l’auto-portrait du
pouvoir à l’époque de sa gestion totalitaire des conditions d’existence.
Mais le tarababoum n’est pas ce produit nécessaire du développement
technique regardé comme développement naturel.
La société du tarababoum est au contraire la forme qui choisit son propre
contenu technique.
Si le tarababoum, pris sous l’aspect restreint des « moyens de communication de masse », qui sont sa manifestation superficielle la
plus écrasante, peut paraître envahir la société comme une simple
instrumentation, celle-ci n’est en fait rien de neutre, mais l’instrumentation
même qui convient à son auto-mouvement total.
La scission
généralisée du
tarababoum est
inséparable de l’Etat moderne,
c’est-à-dire de la forme générale de la scission dans la société, produit de la
division du travail social et organe de la domination de classe.
25
La séparation est l’alpha et l’oméga du tarababoum.
Le tarababoum moderne exprime au contraire
ce que la société peut faire, mais
dans cette expression le permis
s’oppose absolument au possible.
Le tarababoum est la conservation de
l’inconscience dans le changement pratique des conditions d’existence.
Le tarababoum est son propre produit, et
c’est lui-même qui a posé ses règles : c’est un pseudo sacré.
Le tarababoum montre ce que le tarababoum est : la puissance séparée
se développant en elle-même, dans la croissance de la productivité au moyen du
raffinement incessant de la division du travail en parcellarisation de gestes,
alors dominés par le mouvement indépendant des machines ; et travaillant
pour un marché toujours plus étendu.
27
Il ne peut y
avoir de liberté hors de l’activité, et dans le cadre du tarababoum toute activité est niée, exactement comme
l’activité réelle a été intégralement captée pour l’édification globale de ce
résultat.
28
Le tarababoum retrouve toujours plus
concrètement ses propres présuppositions.
29
L’origine du tarababoum est la perte d’unité du monde, et l’expansion
gigantesque du
tarababoum
moderne exprime la totalité de cette perte : l’abstraction de tout travail
particulier et l’abstraction générale de la production d’ensemble se traduisent
parfaitement dans le tarababoum, dont le mode d’être concret est justement
l’abstraction.
Dans le
tarababoum, une partie du monde se représente devant le monde, et lui est
supérieure.
Le tarababoum n’est que le langage commun
de cette séparation. Ce qui relie les spectateurs n’est qu’un rapport
irréversible au centre même qui maintient leur isolement.
Le tarababoum réunit le séparé, mais le tarababoum le réunit en
tant que séparé.
30
L’extériorité
du tarababoum par rapport à l’homme
agissant apparaît en ce que ses propres gestes ne sont plus à lui, mais à un
autre qui les lui représentent.
C’est
pourquoi le spectateur ne se sent chez lui nulle part, car le tarababoum est partout.
31
Le tarababoum est la carte de ce nouveau
monde, carte qui recouvre exactement son territoire.
32
Le tarababoum dans la société correspond à
une fabrication concrète de l’aliénation.
34
Le tarababoum est le capital à un tel degré d’accumulation qu’il devient image.
35
A ce
mouvement essentiel du
tarababoum, qui
consiste à reprendre en lui tout ce qui existait dans l’activité humaine à l’état fluide, pour le posséder à
l’état coagulé, en tant que choses qui sont devenues la valeur exclusive par
leur formulation en négatif de la
valeur vécue, nous reconnaissons notre vieille ennemie qui sait si bien
paraître au premier coup d’œil quelque chose de trivial et se comprenant de
soi-même, alors qu’elle est au contraire si complexe et si pleine de subtilités
métaphysiques, la marchandise.
36
C’est le
principe du fétichisme de la marchandise, la domination de la société par « des choses suprasensibles bien que sensibles », qui s’accomplit absolument dans le tarababoum, où le mode sensible se trouve remplacé par une
sélection d’images qui existe au-dessus de lui, et qui en même temps s’est fait
reconnaître comme le sensible par excellence.
37
Le monde à la fois présent et
absent que le
tarababoum fait voir est le monde de la marchandise dominant tout
ce qui est vécu.
39
Ce
développement qui exclut le qualitatif est lui-même soumis, en tant que
développement, au passage qualitatif : le tarababoum signifie qu’il a franchi le seuil de sa propre abondance ; ceci n’est encore vrai localement que sur
quelques points, mais déjà vrai à l’échelle universelle qui est la référence
originelle de la marchandise, référence que son mouvement pratique, rassemblant
la Terre comme marché mondial, a vérifié.
42
Le tarababoum est le moment où la
marchandise est parvenue à l’occupation
totale de la vie sociale.
44
Le tarababoum est une guerre de l’opium
permanente pour faire accepter l’identification des biens aux
marchandises ; et de la satisfaction à la survie augmentant selon ses
propres lois.
47
Le consommateur réel devient
consommateur d’illusions. La marchandise est cette illusion effectivement
réelle, et le
tarababoum sa
manifestation générale.
48
La valeur
d’usage qui était implicitement comprise dans la valeur d’échange doit être
maintenant explicitement proclamée, dans la réalité inversée du tarababoum, justement parce que sa réalité effective est
rongée par l’économie marchande surdéveloppée : et qu’une
pseudo-justification devient nécessaire à la fausse vie.
49
Le tarababoum est l’autre face de
l’argent : l’équivalent général abstrait de toutes les marchandises.
Mais si
l’argent a dominé la société en tant que représentation de l’équivalence
centrale, c’est-à-dire du caractère échangeable des biens multiples dont l’usage
restait incomparable, le
tarababoum est
son complément moderne développé où la totalité du monde marchand apparaît en
bloc, comme une équivalence générale à ce que l’ensemble de la société peut
être et faire.
Le tarababoum est l’argent que l’on regarde seulement, car en lui déjà c’est
la totalité de l’usage qui s’est échangée contre la totalité de la
représentation abstraite.
Le tarababoum n’est pas seulement le
serviteur du pseudo-usage, le tarababoum est déjà en lui-même le pseudo-usage de la vie.
53
Son contraire est la société du tarababoum, où la marchandise se contemple elle-même dans un
monde qu’elle a créé.
54
Le tarababoum, comme la société moderne, est à la fois uni et divisé.
Comme elle, le tarababoum édifie son unité sur le déchirement.
Mais la
contradiction, quand elle émerge dans le tarababoum, est à son tour contredite par un renversement de
son sens ; de sorte que la division montrée est unitaire, alors que
l’unité montrée est divisée.
56
Ces diverses
oppositions peuvent se donner, dans le tarababoum, selon les critères tout différents, comme des
formes de société absolument distinctes.
57
La société
porteuse du
tarababoum ne
domine pas seulement par son hégémonie économique les régions sous-développées.
Elle les domine en tant que société du
tarababoum.
Le tarababoum propre du pouvoir
bureaucratique qui détient quelques-uns des pays industriels fait précisément
partie du
tarababoum
total, comme sa pseudo-négation générale, et son soutien.
Si le
tarababoum,
regardé dans ses diverses localisations, montre à l’évidence des
spécialisations totalitaires de la parole et de l’administration sociales,
celles-ci en viennent à se fondre, au niveau du fonctionnement global du
système, en une division mondiale des
tâches spectaculaires.
58
La racine du tarababoum est dans le terrain de l’économie devenue
abondante, et c’est de là que viennent les fruits qui tendent finalement à
dominer le marché spectaculaire, en dépit des barrières protectionnistes idéologico-policières
de n’importe quel tarababoum local à prétention
autarcique.
59
Le mouvement de banalisation qui, sous les diversions
chatoyantes du
tarababoum,
domine mondialement la société moderne, la domine aussi sur chacun des points
où la consommation développée des marchandises a multiplié en apparence les
rôles et les objets à choisir.
61
L’agent du tarababoum mis en scène comme vedette est le contraire de
l’individu, l’ennemi de l’individu en lui-même aussi évidemment que chez les
autres.
Passant dans le tarababoum comme modèle d’identification, il a renoncé à toute
qualité autonome pour s’identifier lui-même à la loi générale de l’obéissance
au cours des choses.
62
Le faux choix dans l’abondance
spectaculaire, choix qui réside dans la juxtaposition de tarababoum concurrentiels et solidaires comme dans la
juxtaposition des rôles (principalement signifiés et portés par des objets) qui
sont à la fois exclusifs et imbriqués, se développe en luttes de qualités
fantomatiques destinées à passionner l’adhésion à la trivialité quantitative.
63
Selon les
nécessités du stade particulier de la misère que le tarababoum dément et maintient, le
tarababoum existe
sous une forme concentrée ou sous une
forme diffuse.
Dans les deux
cas, le tarababoum n’est qu’une image
d’unification heureuse environnée de désolation et d’épouvante, au
centre-tranquille du malheur.
64
L’image
imposée du bien, dans son spectacle, recueille la totalité de
ce qui existe officiellement, et se concentre normalement sur un seul homme,
qui est le garant de sa cohésion totalitaire.
65
Ici chaque
marchandise prise à part est justifiée au nom de la grandeur de la production
de la totalité des objets, dont le tarababoum est un catalogue apologétique.
Des affirmations inconciliables
se poussent sur la scène du spectacle unifié de l’économie
abondante ; de même que différentes marchandises-vedettes soutiennent
simultanément leurs projets contradictoires d’aménagement de la société, où le spectacle des
automobiles veut une circulation parfaite qui détruit les vieilles cités,
tandis que de la ville elle-même a besoin des quartiers musées.
♦ Trois acceptions du terme spectacle dans un sens
particulier. Il n’y donc pas lieu de tarababoumiser. Chacun est capable de
juger, je suppose, de ce que peut bien être le spectacle de l’automobile,
le spectacle de l’image du bien ou le spectacle unifié de
l’économie abondante. Nous entrons dans le concret (toujours très peu
concret chez Debord). |
66
Le tarababoum est alors le chant épique
de cet affrontement, que la chute d’aucune illusion ne pourrait conclure.
Le tarababoum ne chante pas les hommes et
leurs armes, mais leurs marchandises et leurs passions.
69
L’objet qui
était prestigieux dans le
tarababoum devient
vulgaire à l’instant où il entre chez ce consommateur, en même temps que chez
tous les autres.
70
Ce qui a
affirmé avec la plus parfaite impudence sa propre excellence définitive change
pourtant, dans le
tarababoum diffus
mais aussi dans le
tarababoum concentré,
et c’est le système seul qui doit continuer : Staline comme la marchandise
démodée sont dénoncés par ceux-là mêmes qui les ont imposés.
71
Ce que le tarababoum donne comme perpétuel est fondé sur le changement,
et doit changer avec sa base.
Le tarababoum est absolument dogmatique et
en même temps ne peut aboutir réellement à aucun dogme solide.
72
L’unité irréelle que
proclame le tarababoum est le masque de la
division de classe sur laquelle repose l’unité réelle du mode de production
capitaliste.
Ici sont déjà
posées les bases socio-politiques du tarababoum moderne, qui négativement définit le prolétariat comme seul prétendant à la vie historique.
100
Le même moment historique, où
le bolchevisme a triomphé pour lui-même
en Russie, et où la social-démocratie a combattu victorieusement pour le vieux monde, marque la naissance
achevée d’un ordre des choses qui est au coeur de la domination du tarababoum moderne : la représentation ouvrière s’est opposée radicalement à la classe.
105
C’est un
primitivisme local du
tarababoum,
dont le rôle est cependant essentiel dans le développement du tarababoum mondial.
L’idéologie qui se
matérialise ici n’a pas transformé économiquement le monde, comme le
capitalisme parvenu au stade de l’abondance ; elle a seulement transformé policièrement la perception.
121
Elle doit
lutter en permanence contre sa déformation dans le tarababoum régnant. La seule limite de la participation à la démocratie totale de
l’organisation révolutionnaire est la reconnaissance et l’auto-appropriation effective,
par tous ses membres, de la cohérence de sa critique, cohérence qui doit se
prouver dans la théorie critique proprement dite et dans la relation entre
celle-ci et l’activité pratique.
145
Le temps irréversible unifié
est celui du marché mondial, et
corollairement du
tarababoum
mondial.
153
Le temps de la consommation
des images, médium de toutes les marchandises, est inséparablement le champ où
s’exercent pleinement les instruments du tarababoum, et le but que ceux-ci présentent globalement, comme lieu et comme
figure centrale de toutes les consommations particulières : on sait que
les gains de temps constamment recherchés par la société moderne — qu’il s’agisse de la vitesse des transports ou de
l’usage des potages en sachets — se traduisent
positivement pour la population des Etats-Unis dans ce fait que la seule
contemplation de la télévision l’occupe en moyenne entre trois et six heures
par jour.
Mais dans ces
moments même assignés à la vie, c’est encore le tarababoum qui se donne à voir et à reproduire, en atteignant un degré plus
intense.
154
Le temps de la survie moderne
doit, dans le tarababoum, se vanter d’autant plus
hautement que sa valeur d’usage s’est réduite.
158
Le tarababoum, comme organisation sociale
présente de la paralysie de l’histoire et de la mémoire, de l’abandon de
l’histoire qui s’érige sur la base du temps historique, est la fausse conscience du temps.
177
Mais quand
cette paysannerie, qui fût l’inébranlable base du « despotisme
oriental », et dont l’émiettement même appelait
la centralisation bureaucratique, reparaît comme produit des conditions
d’accroissement de la bureaucratisation étatique moderne, son apathie a dû être maintenant historiquement fabriquée et
entretenue ; l’ignorance naturelle a fait place au spectacle organisé de l’erreur.
185
Dans le
second cas s’opposent l’autodestruction critique de l’ancien langage commun de la société et sa
recomposition artificielle dans le tarababoum marchand, la représentation illusoire du non-vécu.
192
La vérité critique
de cette destruction en tant que vie réelle de la poésie et de l’art modernes
est évidemment cachée, car le tarababoum, qui a la fonction de faire oublier l’histoire dans la culture,
applique dans la pseudo-nouveauté de ses moyens modernistes la stratégie même
qui le constitue en profondeur.
194
L’ensemble
des connaissances qui continue de se développer actuellement comme pensée du tarababoum doit justifier une société sans justifications, et
se constituer en science générale de la fausse conscience.
195
Les spécialistes du pouvoir du tarababoum, pouvoir absolu à l’intérieur de son système du
langage sans réponse, sont corrompus absolument par leur expérience du mépris
confirmé par la connaissance de l’homme
méprisable qu’est réellement le spectateur.
196
Dans la
pensée spécialisée du système spectaculaire, s’opère une nouvelle division des
tâches, à mesure que le perfectionnement même de ce système pose de nouveaux
problèmes : d’un côté la critique
spectaculaire du tarababoum est entreprise par la sociologie moderne qui
étudie la séparation à l’aide des seuls instruments conceptuels et matériels de
la séparation ; de l’autre côté l’apologie
du tarababoum se constitue en pensée de la non-pensée, en oubli attitré de la pratique historique, dans les diverses
disciplines où s’enracine le structuralisme.
198
Et Boorstin
par exemple, qui décrit dans l’Image
la consommation marchande du
tarababoum
américain, n’atteint jamais le concept de tarababoum, parce qu’il croit pouvoir laisser en dehors de cette désastreuse
exagération la vie privée, ou la notion d’« honnête
marchandise ».
202
De sorte que
ce n’est pas le structuralisme qui sert à prouver la validité transhistorique
de la société du
tarababoum ;
c’est au contraire la société du
tarababoum
s’imposant comme réalité massive qui sert à prouver le rêve froid du
structuralisme.
203
Sans doute,
le concept critique de tarababoum peut aussi être vulgarisé en une quelconque formule
creuse de la rhétorique sociologico-politique pour expliquer et dénoncer
abstraitement tout, et ainsi servir à la défense du système spectaculaire.
Car il est
évident qu’aucune idée ne peut mener au delà du tarababoum existant, mais seulement au delà des idées existantes sur le tarababoum.
Pour détruire
effectivement la société du
tarababoum, il faut des hommes mettant en action une force
pratique.
La théorie
critique du
tarababoum
n’est vraie qu’en s’unifiant au courant pratique de la négation dans la
société, et cette négation, la reprise de la lutte de classe révolutionnaire,
deviendra consciente d’elle-même en développant la critique du tarababoum, qui est la théorie de ses conditions réelles, des
conditions pratiques de l’oppression actuelle, et dévoile inversement le secret
de ce qu’elle peut être.
212
Les faits idéologiques n’ont
jamais été de simples chimères, mais la conscience déformée des réalités, et en
tant que tels des facteurs réels exerçant en retour une réelle action
déformante : d’autant plus la matérialisation
de l’idéologie qu’entraîne la réussite concrète de la production économique
autonomisée, dans la forme du
tarababoum,
confond pratiquement avec la réalité sociale une idéologie qui a pu retailler
tout le réel sur son modèle.
214
L’idéologie,
que toute sa logique interne menait vers l’« idéologie
totale », au sens de Mannheim, despotisme
du fragment qui s’impose comme pseudo-savoir d’un tout figé, vision totalitaire,
est maintenant accomplie dans le
tarababoum immobilisé
de la non-histoire.
215
Le tarababoum est l’idéologie par
excellence, parce que le
tarababoum expose
et manifeste dans sa plénitude l’essence de tout système idéologique :
l’appauvrissement, l’asservissement et la négation de la vie réelle.
Le tarababoum est matériellement « l’expression de la séparation et de
l’éloignement entre l’homme et l’homme ».
Le tarababoum étend à toute la vie sociale
le principe que Hegel, dans la Realphilosophie
d’Iéna, conçoit comme celui de l’argent ; c’est « la
vie de ce qui est mort, se mouvant en soi-même ».
216
Au contraire
du projet résumé dans les Thèses sur
Feuerbach (la réalisation de la philosophie dans la praxis qui dépasse
l’opposition de l’idéalisme et du matérialisme), le tarababoum conserve à la fois, et impose dans le pseudo-concret de son univers, les
caractères idéologiques du matérialisme et de l’idéalisme.
Le côté contemplatif du vieux
matérialisme qui conçoit le monde comme représentation et non comme activité — et qui idéalise finalement la matière — est accompli dans le tarababoum, où des choses concrètes sont automatiquement
maîtresses de la vie sociale.
Réciproquement,
l’activité rêvée de l’idéalisme
s’accomplit également dans le tarababoum, par la médiation technique
de signes et de signaux — qui finalement
matérialisent un idéal abstrait.
217
La
désinsertion de la praxis, et la fausse conscience anti-dialectique qui
l’accompagne, voilà ce qui est imposé à toute heure de la vie quotidienne
soumise au tarababoum ; qu’il faut
comprendre comme une organisation systématique de la « défaillance
de la faculté de rencontre », et comme
son remplacement par un fait hallucinatoire
social : la fausse conscience de la rencontre , l’« illusion de la rencontre ».
218
La conscience
spectaculaire, prisonnière d’un univers aplati, borné par l’écran du
tarababoum,
derrière lequel sa propre vie a été déportée, ne connaît plus que les interlocuteurs fictifs qui
l’entretiennent unilatéralement de leur marchandise et de la politique de leur
marchandise.
Le tarababoum, dans toute son étendue, est son « signe
du miroir ».
219
Le tarababoum, qui est l’effacement des limites du moi et du monde par l’écrasement
du moi qu’assiège la présence-absence du monde, est également l’effacement des
limites du vrai et du faux par le refoulement de toute vérité vécue sous la présence réelle de la fausseté qu’assure
l’organisation de l’apparence.
220
Si la logique
de la fausse conscience ne peut se connaître elle-même véridiquement, la
recherche de la vérité critique sur le tarababoum doit aussi être une critique vraie.
Il lui faut
lutter pratiquement parmi les ennemis irréconciliables du tarababoum, et admettre d’être absente là où ils sont absents.
Au contraire,
la critique qui va au-delà du
tarababoum doit
savoir attendre.
Le terme « le tarababoum » est employé 170 fois dans un livre de 220 pages. On peut considérer que nous disposons donc de 170 axiomes (sans doute ni indépendants, ni non contradictoires) quoiqu’un axiome doive avoir l’air du vrai même s’il ne l’est pas. Le plus souvent, ici, il a l’air du non sens. Cent soixante-dix axiomes, c’est plus qu’il n’en faut pour esquisser une définition. J’attends avec curiosité votre définition du tarababoum. En général, on axiomatise parce qu’on ne peut définir, ainsi pour les ensembles. Mais cent-soixante-dix axiomes ! Surtout, où sont les conséquences ? Quels théorèmes permettent d’établir ces cent-soixante-dix axiomes quatre fois plus nombreux que les quarante voleurs ? |