Vous avez dit spectacle ?


Posted by Jean-Pierre Voyer sur le Debord off on October 28, 1998


 

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In Reply to: Ne cherchez plus, M. Bueno posted by Voyer on October 06, 1998

 

Vous avez dit spectacle

Voilà bien les pensées et les discours qu’on peut entendre d’êtres en démence. Un pareil vœu ne dénonce-t-il pas une folie complète ? Ses fureurs se relâchent-elles ? Vous qui compatissez à ses douleurs, éloignez-vous en hâte de ces lieux, pour éviter que l’affreux mugissement de la foudre ne remplisse vos âmes de stupeur.

Eschyle

Cher Monsieur Bueno

Grâce à l’édition Internet d’Une Enquête, j’ai pu répertorier rapidement les occurrences du mot spectacle avec un simple contrôle-F. Cette exploration confirme ce que je vous disais précédemment : j’emploie habituellement le mot spectacle dans une forme transitive. [ J’ai souvent loué la beauté du Fuji Yama et rarement la Beauté ]

Spectacle de l’insatisfaction

Spectacle de la satisfaction

Il n’y a de spectacle que du détail (donc surtout pas un spectacle de la société ou un spectacle du monde, société et monde ne paraissant jamais, sinon par l’intermédiaire de la propagande industrialisée, tv, pub, police, culture. Si la société ou le monde paraissaient directement, tout serait très simple. Ce qui caractérise les habitant de ce monde, c’est précisément leur pauvreté en monde, c’est à dire leur pauvreté en accès au monde. Leurs seuls accès sont leur salaire et la propagande industrialisée.)

Le spectacle de l’insatisfaction est insatisfaction portant sur le détail (les antiracistes, les pédés et les cinéastes, les tomates, le plutonium et la bière.)

 Spectacle de la fin du monde.

 Spectacle de l’insatisfaction mondiale des éboueurs (les récriminations des écologistes, en fait merveilleux espace infini pour le big business.)

 Spectacle de la crise

 Ridicule spectacle de la domination décomposée (Il faut voir comment Debord et autres opèrent un total revirement : avant, les dirigeants étaient incapables et ridicules et soudain, les voici parfaitement capables et notamment capables de tout.)

 Spectacle de l’espèce comme menace pour l’espèce.

 Spectacle des difficultés mondiales.

 L’économie n’est autre que le spectacle des aventures bourgeoises du monde. (l’économie ainsi entendue n’existe qu’à la télévision et dans la presse.)

 Le spectacle est la religion matérialisée (Définition non transitive. En fait, ce n’est pas le spectacle qui est la religion matérialisée, c’est le commerce qui est matérialisation de Dieu. Et le spectacle – pub, télé, culture etc. – n’est que la religion de ce Dieu. Plutôt que matérialisée, elle est industrialisée, comme tout le reste.)

 Spectacle du prolétariat.

 Spectacle des difficultés marchandes,

 La bourgeoisie entend passionner les foules avec le spectacle de ses aventures

 Comme il apparaît de mieux en mieux que la misère proprement humaine est le moment réel du monde (le centre du monde, " cette manière dont on nous fait vivre ", selon le premier Debord comme le signale pertinemment Le Manach dans son Artichaut de Bruxelles. Je ne pense plus aujourd’hui qu’il apparaît de mieux en mieux… La misère proprement humaine –  la pauvreté en monde, la pauvreté en communication – demeure secrète et honteuse. Il faut un Houellebecq pour la révéler. La propagande fait tout ce qu’elle peut pour que cette misère ne paraisse pas. Ce faisant, par sa propre navrante misère, elle révèle quand même la misère en voulant représenter la richesse. La pub veut représenter la richesse mais elle la représente misérablement. Ainsi, plutôt que dans le monde directement, c’est dans la pub que paraît la misère proprement humaine mais indirectement, à travers la pauvreté de la richesse représentée. On ne voit que clones, robots, ressource humaine tandis que la bande son susurre individu, individu.) la bourgeoisie en donnant le spectacle de ses propres malheurs…

 La bourgeoisie tire une vigueur nouvelle du spectacle de son ignorance et de son impuissance

 La bourgeoisie ne peut que lui opposer le spectacle des crises de son action.

 Le véritable malheur de la bourgeoisie est que les rapports marchands, la marchandise, sont absence totale de rapports humains. Ils sont réalisés, ils sont entièrement réalisés, mais comme activité des choses, comme spectacle. (Voici une définition non transitive qui est fausse comme toutes celles, non transitives, que j’ai pu tenter de donner. Le spectacle serait l’activité des choses. Or je ne vois aucune activité des choses, nulle part. Je vois seulement beaucoup de clones et de ressource humaine s’agiter, partout. L’absence des rapports humains est seulement ressentie, elle n’est jamais visible. Quand on est absent, c’est qu’on s’est absenté dirait Monsieur de la Palisse. Or c’est le cas des rapports humains. Qu’ils soient absents signifient qu’ils se sont absentés. Ils sont donc ailleurs ; mais on ne les voit pas. On voit une nature. Comme dit le poète, ailleurs existe ; mais on ne sait pas où. Quand on voit des rapports humains, c’est une caricature, dans la pub ou à la télévision. Encore des clones, de la ressource humaine. Les rapports humains se sont éloignés mais pas dans une représentation, ni dans rien de visible. Dans ce monde, toute la reconnaissance s’est éloignée et concentrée dans l’argent. Or l’argent qui est un rapport social ne paraît pas comme un rapport social mais comme une chose très peu spectaculaire. A la limite, l’argent est invisible. Il ne paraît que dans la valeur, comme un échange avec l’argent réalisé en pensée. Sinon, il est tenu soigneusement caché dans des temples et dans des porte-monnaie. Le fait que dans ce monde toute chose soit échangée en pensée avec l’argent du fait que toute chose a une valeur ne constitue rien de spectaculaire.)

 L’impuissance réelle de la bourgeoisie est son incapacité à empêcher que les rapports humains n’émigrent toujours plus dans les choses et, ce faisant, ils ne se généralisent comme spectacle mondial du monde, spectacle universel de l’universalité. (Le spectacle universel de l’universalité n’a lieu qu’à la télévision. Le spectacle mondial du monde n’a lieu qu’à la télévision et non directement dans le monde. Les rapports humains émigrent mais pas dans les choses même si on peut dénoter leur trace dans les choses, notamment, la valeur, l’échange effectué en pensée. Les rapports humains émigrent mais pas dans une représentation. Les représentations, à la télévision, dans la pub, ne sont que leur caricature grinçante de misère. J’écrivais dans ma précédente communication que la misère ne paraît pas dans le monde. En fait, elle paraît dans la représentation, dans la pub, à la télévision indirectement et négativement. La raison pour laquelle je ne regarde pas la télévision est que la misère m’y prend à la gorge. Je ressens cette misère sans pouvoir pour autant l’identifier, la voir, en former le concept. Le genre de richesse qui paraît dans la pub est misérable, elle dénote la misère. La même misère a lieu sur les plateaux de télévision, même pas la misère mais le misérabilisme. C’est ce que j’ai pu constater à chaque fois que je fus présent sur de tels plateau. Je fus interloqué d’un tel misérabilisme, comme lorsque le magicien d’Oz est démasqué par le petit chien qui passe derrière le rideau. Le misérabilisme n’a pas lieu dans les romans de Houellebecq ; mais sur les plateaux de télévision. L’essence de la misère se manifeste dans la pub et non dans le monde. La misère qui paraît dans le monde cache l’essence de la misère. Elle est seulement misérable et en elle ne paraît jamais la richesse. La misère qui paraît n’est pas antinomie de la richesse, pauvreté de richesse, pauvreté en monde ; mais pauvreté accidentelle, non essentielle. On pourrait donc dire qu’elle est de ce fait spectaculaire, u n faux semblant de la misère essentielle. La richesse, telle qu’elle paraît dans la pub et à la télévision est misérable et obscène. Mais elle prétend cependant représenter la richesse. De ce fait, elle traite à la fois de richesse et de la misère. J’ai lu par hasard une citation de Heidegger qui disait : " Les animaux sont pauvres en monde ". Je pensai aussitôt, les hommes aussi quand ils sont pauvres. Il n’y a de richesse essentielle que de monde, il n’y a de pauvreté essentielle que de monde, c’est à dire de savoir puisque le monde est savoir. La pauvreté en monde ne paraît pas. Il faut être Heidegger pour la voir. La vie quotidienne est la vie dont le monde s’est retiré, la vie pauvre en monde bien qu’elle ait lieu nécessairement dans le monde. D’autant plus pauvre en monde que le monde est riche en monde. Le seul accès de la vie quotidienne au monde est le salaire, la pub, la télé, etc. et aucun accès direct au monde.)

 Le spectacle moderne est le devenir monde de la marchandise, la substantialisation du monde. Le spectacle est bien la religion matérialisée. Le monde a désormais une substance réelle et non plus seulement divine. (Définition intransitive. Le monde a toujours une substance réelle, plutôt, il est substance par définition. C’est plutôt la substantialisation de Dieu qui, lui, ne fut longtemps qu’une chimère. N’oublions pas le facétieux Hegel, l’athée et l’Antéchrist : Dieu est un résultat. La substance existe de toute éternité ; mais pas Dieu. Cela ne dit pas pour autant quel est ce mystérieux spectacle et ce que cela apporte d’appeler spectacle la réalisation de Dieu. Dieu n’en demeure pas moins invisible et silencieux. Ses angelots seuls donnent de la voix sur Canal plus.)

 Le salarié est un esclave qui a accès au marché, qui est le lieu où l’argent déploie son pouvoir, le spectacle de sa magnificence. (son pouvoir, c’est certain, le spectacle de sa magnificence, c’est à voir. D’ailleurs, tout ce qu’on voit, richesse ou misère, laideur ou beauté, ville ou campagne, bergerie ou centrale atomique, est l’œuvre de l’argent. Donc, oui, en ce sens tout ce qu’on voit est le spectacle de la magnificence de l’argent.)

 Cela culmine avec le spectacle moderne (référence intransitive)

 Le prolétariat spectaculaire a disparu. Merde pour le prolétariat spectaculaire. Merde pour le spectacle du prolétariat.

 Les prolétaires sont entrés en clandestinité. Ils sont, de ce fait, essentiellement anti-spectaculaires, ils sont ce qui ne paraît pas. Ils sont définitivement à l’abri de toute représentation, de tout spectacle et de toute police. (c’est bien vrai. Il ne peut y avoir de syndicat pour la misère essentielle tandis qu’il y a des syndicats de pédés.)

 D’aucuns regrettent le bon vieux temps du prolétariat spectaculaire. Et ce progrès est le fait du spectacle lui-même. Le but du spectacle est la suppression spectaculaire du prolétariat. Il n’est parvenu qu’à supprimer le spectacle du prolétariat. (c’est bien vrai, même si la disparition du spectacle du prolétariat, c’est à dire de sa représentation, n’est pas l’œuvre du spectacle, n’est pas l’œuvre de la propagande ; mais celle du monde. J’emploie deux fois ici le mot de spectacle dans un sens intransitif, substantiel, sans le définir. On peut donc entendre ce que l’on veut, c’est à dire rien, en fait, exactement comme dans la prose de Debord. )

 Le prolétariat comme classe est le spectacle du prolétariat.

Conclusion

 Où ont lieu ces spectacles des définitions transitives ? Non pas directement dans le monde mais indirectement, dans la propagande. Ainsi, ce n’est pas le monde qui change tous les dix ans, (années crises, années fric, années morales, années mon cul, etc.) ; mais la propagande et seulement la propagande. Les enculés intellectuels préposés à la propagande, propagandastaffel, ne changent pas non plus. On voit et on entend les mêmes depuis trente ans. Remarquez également que spectacle en ce sens transitif est entendu au sens le plus courant du mot spectacle.

 Quant aux définitions intransitives ou substantielles, elles sont fausses.

 Vous oubliez, M. Bueno, comme beaucoup d’autres, qu’ici, il n’y a que des pourquoi ; ce qui nous change heureusement du camp d’Auschwitz et de l’Internationale situationniste où il n’y en avait pas.

J-P Voyer

27 octobre 1998

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