Lettre à M. Bueno. Posted by
Voyer sur le Debord off on August 31, 1999
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lettre
Cher M. Bueno,
Je viens de trouver à
l'occasion de la lecture d'un livre, par ailleurs médiocre, ce que peuvent
signifier les mots "Le spectacle est le capital à un tel degré
d'accumulation qu'il est devenu image". Il s'agit simplement des marques
commerciales et de la lutte publicitaire mondiale que se livrent ces marques
commerciales. Cela justifie pleinement ce qu'écrit Le Manach dans un de ses
artichauts : "La théorie du spectacle ne semble avoir eu pour
seul objectif que de créer un glacis d'opacité interdisant toute pénétration de
la critique."
Si j'en crois le professeur
Yoyotte, Nike se prononçait déjà nique du temps des anciens égyptiens et
s'écrivait avec les hiéroglyphes, non comme cela se prononce, mais comme cela
se fait.
J-C Guillebaud, dans La
refondation du monde écrit : "…les sociétés qui s'affrontent sur
le marché mondial sont littéralement obsédées par la manipulation des symboles.
Elles sont conscientes, à juste titre, que le succès ou l'échec de leurs
produits en dépend." Puis citant Benjamin Barber : "Les marques
sont des codes porteurs d'associations et d'images soigneusement cultivés par
la publicité et le marketing." Plus loin, "…la conquête des marchés
passant dorénavant par la promotion victorieuse de signes d'appartenance…"
Après, le journaliste
Guillebaud déplore « ce glissement progressif de la substance vers le
symbole », « cette substitution du signe au contenu ». Il n'a
donc rien a envier à l'utilitariste Debord. Pour Debord, comme pour Guillebaud,
la substance c'est la cigarette, la tomate ou la bière. Pas de chance. La substance
c'est la communication et les signes et les symboles sont des moments éminents
de la communication. [ Comme le note Boorstin dès
1961, « les marchandises sont célèbres » et il est vital pour leurs
producteurs qu’elles le soient, « qu’elles soient connues comme étant bien
connues » selon la formule de Boorstin. D’une part, 1) si les
marchandises n’étaient pas bien connues, personne n’aurait même l’idée d’en
acheter, n’ayant connaissance de leur existence, d’autre part 2) qu’elles
soient bien connues est la raison magique de l’achat. Mais la magie
s’arrête là, cette « bonne connaissance » n’est pas transférée à
l’acheteur qui n’est pas transformé en Brigitte Bardot par un coup de
baguette magique (dommage, imaginez l’effet). Cette bonne connaissance s’évanouit
lors de l’achat. C’est cette « bonne connaissance » qui est le but de
l’achat. C’est de la magie ! Oui, mais de la magie qui rate tandis qu’elle
réussit chez les sauvages. Seuls les jeunes gens des banlieues parviennent à
faire un usage humain des guenilles marquées qu’ils paient fort cher (condition
indispensable). Dès qu’ils ont revêtu ces guenilles, ils deviennent connus
comme étant bien connus, pas seulement des services de police, n’est-ce
pas ? Effectivement ils sont des sauvages puisqu’ils parviennent à faire
de nouveau ce que les sauvages savaient faire et qui s’est perdu pour le reste
de l’humanité. 2006 ]
Plus loin, nous avons droit
"aux besoins véritables de l'homme" et à la déréalisation du monde.
Tout au contraire, la
communication, la lutte pour la communication et la domination de la
communication par les marques commerciales apparaît en plein jour. Le
journaliste utilitariste découvre soudain qu'il s'agit de vendre de
l'appartenance et de l'identité. "Les sociétés qui s'affrontent sur le
marché mondial" ne l'ont pas attendu pour le savoir. Et les marchandises
sont de la pacotille non parce que les cigarettes, les tomates ou la bière seraient
mauvaises, mais parce que l'appartenance et l'identité qui est en fait vendue
est illusoire.
Pourquoi les crétins de l'Encyclopédie
des nuisances ne devraient-ils pas être empoisonnés avec le reste des
esclaves, comme l'étaient déjà les ouvriers de Londres en 1860 ? Pourquoi
les esclaves devraient-ils être bien traités ? C'est bien fait. Les
Hoplites qui fonderont la nouvelle Athènes n'existent pas.
Jean-Pierre Voyer