08/09/2000

Le phénomène comme phénomène 24/09/2004
Frege 07/01/2006
 
Vestiges de bijection 14/02/2005
Infini 21/06/2004 

Critique de la raison impure

(Ce titre est déjà pris par Carlo Suarès (1))

La philosophie est comme la cuisine.
Le plus difficile est de faire simple.
Dominique Versini (Casa Olympe, 48 rue Saint-Georges, Paris 9e. Menu carte à 235 F)

« Ce qui donne figure aux figures est soi-même dépourvu de figure ». (Mauthner)

L’I. S. vous l’avait bien dit : comment peut-on penser librement à l’ombre d’une chapelle ?

Une propriété de la langue, néfaste pour la fiabilité de l’action de penser, est sa propension à créer des noms propres auxquels nul objet ne correspond. (…) Ainsi, une grande part du travail du philosophe consiste — ou devrait du moins consister —  en un combat avec la langue.

Frege. Écrits posthumes

I.   Commentaire d’une citation de Cantor
II.  Merci Max
III.  L’ingénieur Musil émet un jugement laconique
IV.  Commentaire de Wittgenstein

I. Commentaire d’une citation de Cantor

Lettres de Cantor à Dedekind de l’été 1899

La coursive où j’ai installé ma bibliothèque, 8 septembre 2000

 

Il m’est apparu nécessaire de distinguer deux sortes de multiplicités (il s’agit toujours de multiplicités définies). En effet, une multiplicité peut être ainsi constituée que l’hypothèse d’un « être collectif » constitué de tous ses éléments conduit à contradiction, de telle sorte qu’il est impossible de concevoir cette multiplicité comme un « objet achevé ». Je nomme de telles multiplicités absolument infinies ou inconsistantes [...].

Si au contraire, la totalité des éléments d’une multiplicité peut se penser sans contradiction comme « étant collectivement », de telle sorte qu’on puisse la concevoir comme un « objet », je l’appelle une multiplicité consistante ou un « ensemble » [...].

Deux multiplicités équipotentes sont, ou toutes les deux des « ensembles », ou toutes les deux inconsistantes.

Abrégé d’histoire des mathématiques. Jean Dieudonné. Hermann, 1978, page 455.

Le livre qui dépasse sur un rayonnage

Je le prends et je l’ouvre

[…] il m’est apparu nécessaire de distinguer deux sortes de multiplicités (il s’agit toujours de multiplicités définies). En effet, une multiplicité peut être ainsi constituée que l’hypothèse d’une « existence simultanée » de tous ses éléments conduit à une contradiction, de telle sorte qu’il est impossible de concevoir cette multplicité comme une unité, comme « un objet achevé ». je nomme de telles multiplicités multiplicités absolument infinies. […]

Si, au contraire, la totalité des éléments d’une multiplicité peut être pensée comme « existant simultanément », de telle sorte qu’il soit possible de la concevoir comme un « seul objet », je la nomme une multiplicité consistante ou un « ensemble ».  […]

Deux multiplicités équivalentes sont, ou toutes deux des « ensembles », ou toutes deux inconsistantes.

Traduction Cavaillès. In Philosophie mathématique. Hermann. 1962. En antique gras, les mots discutés, en rouge les variantes.

 

La page cornée lors d’une précédente lecture.

Je comprends soudain, grâce à Cantor qui dit « peut se penser »,

qu’un ensemble n’est pas un objet réel car il peut seulement se penser.

Et que donc, c’est la preuve que l’économie n’est pas un objet réel.

J’ai donc commencé à rédiger le présent texte.

Grâce à la Wayback Machine, j’ai retrouvé l’état de ce texte au 2 février 2001.

 

Lettre complète, traduction SakarovitcH

 

« Si nous partons du concept d’une pluralité déterminée (d’un système, d’une collection) d’objets, la nécessité sest présentée à moi de distinguer deux sortes de pluralités (j’entends toujours de pluralités déterminées).

Une pluralité peut, en effet, être constituée de telle sorte que l’admission d’une « coexistence » de tous ses éléments mène à une contradiction, de sorte qu’il est impossible de concevoir la pluralité comme une unité, comme un « objet achevé ».

J’appelle de telles pluralités des pluralités absolument infinies ou inconsistantes.

Comme on s’en persuade aisément, la « collection de tout le pensable » est, par exemple, une telle pluralité ; d’autres exemples se présenteront ultérieurement.

En revanche, lorsque la totalité des éléments d’une pluralité peut être pensée sans contradiction comme « coexistante » de sorte qu’il soit possible de parvenir à les concevoir comme « un objet », je l’appelle une pluralité consistante ou un ensemble (en allemand et en italien ce concept sera correctement exprimé par les mots « Menge » et « insieme »).

Deux pluralités équivalentes sont ou bien toutes deux des « ensembles » ou bien toutes deux inconsistantes.

Toute pluralité partielle d’un ensemble est un ensemble.

Tout ensemble d’ensembles, si on résout ces derniers en leurs éléments, est à son tour un ensemble.

Pour un ensemble donné M, j’appelle le concept général qui lui convient et ne convient, en outre, qu’aux ensembles qui lui sont équivalents leur nombre cardinal ou encore leur puissance, que je désigne par m.

J’arrive alors, par la voie suivante, au système de toutes les puissances dont il apparaîtra ultérieurement qu’il est une pluralité inconsistante. »

 

La phrase importante dans ces citations est, à mes yeux : si la totalité des éléments d’une multiplicité peut être pensée... Cantor traite expressément des totalité pensées, des totalités qui peuvent se penser comme ceci ou comme cela peu importe. J’entends traiter des totalités concrètes et non plus seulement pensées, totalités concrètes qui de plus ne sauraient être pensées, c’est à dire des totalités en soi.

____________________________

Je ne fait pas appel aux mathématiques dans mes raisonnements comme on pourra le constater, j’utilise simplement un court passage écrit par un mathématicien où la réunion de quelques mots propices provoque ma pensée comme je le fis déjà pour un court passage d’un autre mathématicien, le moulin de Leibniz, dans la Monadologie, où il est montré que le mécanisme (les figures et le mouvement) ne peut pas expliquer la perception.

17.  On est obligé d’ailleurs de confesser que la Perception et ce qui en dépend, est inexplicable par des raisons mécaniques, c’est-à-dire par les figures et par les mouvements. Et feignant qu’il y ait une Machine, dont la structure fasse penser, sentir, avoir perception ; on pourra la concevoir agrandie en conservant les mêmes proportions, en sorte qu’on y puisse entrer, comme dans un moulin. Et cela posé, on ne trouvera en la visitant au dedans, que des pièces, qui poussent les unes les autres, et jamais de quoi expliquer une perception. Ainsi c’est dans la substance simple, et non dans le composé, ou dans la machine qu’il la faut chercher. Aussi n’y a-t-il que cela qu’on puisse trouver dans la substance simple, c’est-à-dire, les perceptions et leurs changements. C’est en cela seul aussi que peuvent consister toutes les Actions internes des substances simples (La Monadologie, 1714)

Cette expérience de pensée conduit à l’hypothèse du parallélisme. Remarquons que lorsque Leibniz veut illustrer le parallélisme, il prend deux horloges, c’est à dire deux machines, deux mécanismes ! ce qui contredit ce qui précède : si l’on pouvait assimiler l’âme à une machine, on la verrait quand on pénètre dans le moulin. Nobody’s perfect.

Ce qui a attiré mon attention dans cette définition sont les termes « être collectif », « hypothèse » et « concevoir ». Le fait de pouvoir, sans contradiction, concevoir un être collectif constitué de tous les éléments d’une multiplicité ne signifie pas que cet être collectif existe même si ses éléments existent, autrement dit, que cet être collectif est un être et non pas seulement la pensée d’un être. Cette définition dit seulement qu’on peut penser un être collectif sans contradiction, elle ne dit pas que cet être collectif existe même si ses éléments existent. Chacun des éléments qui constituent un être collectif conçu dans la pensée peuvent très bien exister sans que pour autant l’être collectif qu’ils composent existe, sinon comme notion, dans la pensée. Il en est ainsi, notamment de l’univers. Inversement, je prétends qu’il existe des êtres collectifs qui existent, qu’on les pense ou non. Mieux, les êtres collectifs qui existent qu’on les pense ou non reposent sur la contradiction ; c’est parce qu’ils contiennent la contradiction qu’ils peuvent exister comme êtres collectifs, qu’on les pense ou non. Selon les termes de Cantor, de telles multiplicités sont absolument infinies (je suppose qu’il faut entendre infini ici au sens de non terminées, absolument interminables, puisque Cantor envisage ailleurs des ensembles infinis et des infinis qui peuvent être plus infinis que d’autres ! Ce n’est évidemment pas ma conception de l’infinitude de ces êtres collectifs. Selon moi, ces être collectifs sont infinis parce qu’ils n’ont pas d’extérieur. Nous en reparlerons un jour, peut-être.) Un être intrinsèquement collectif est contradictoire en lui-même et son principe est la contradiction. Selon les termes de Cantor, ce genre d’être ne peut être un objet achevé. Donc, on ne pourra évidemment pas les concevoir comme objets achevés en supposant qu’il soit possible de les concevoir et de tels êtres collectifs ne peuvent être des ensembles au sens mathématique (pour Kant, le monde est « l’ensemble mathématique (!) de tous les phénomènes et la totalité de leur synthèse » CDLRP, Système des idées cosmologiques). Jusqu’à présent, c’est eux qui conçoivent et ils n’ont jamais pu être conçus. Leur conception, si elle a lieu un jour, sera donc un résultat.

Encore plus simplement : dans le monde, et non dans les mathématiques, un ensemble de choses n’est pas lui même une chose (une collection de choses n’est pas une chose. Frege commet un curieux pléonasme. Il recommande de ne pas confondre l’ensemble des arbres d’une forêt avec le tout collectif que constitue la forêt. Connaissez vous vous des touts qui ne soient pas collectifs ?

[19/01/2009] On apprend tous les jours ! J’ignorais à l’époque que Frege parlait de « touts collectifs » par opposition à « tous distributifs ». Effectivement, tous les touts collectifs sont collectifs, mais les ensembles, les classes etc. sont des touts distributifs. Donc oui, maintenant, je connais des touts qui ne sont pas collectifs. Il n’empêche que ces expressions ne sont guère éclairante et prêtent à confusion pour une personne non prévenue car, les collections sont des touts distributifs. Cette expression est donc vraiment malheureuse. Le tout collectif, telle une forêt est formé de parties (des arbres, des parcelles, des champignons, etc.) ; les tous distributifs ne sont même pas formés d’éléments (Frege : un ensemble ne consiste pas dans ses éléments, mais dans le concept). Ils consistent soit dans un concept (définition intensionnelle), soit dans une liste de noms (définition extensionnelle) {a, b, c, … n, m,  etc.}. Les éléments sont désignés par la liste, c’est tout. Et la liste est bien un objet singulier. C’est un objet singulier qui désigne des objets multiples. C’est tout.

(soit, Frege dit que seul les concepts unités peuvent avoir un nombre, que l’unité appartient au concept et que la différenciation, la discernabilité appartient aux objets qui tombent sous le concept. Je suppose qu’il appelle « tout collectif » un tout dont le concept est unité par opposition aux touts dont le concept n’est pas unité, les organismes par exemple. En effet, les organismes ne sont pas des collections, en ce sens, ils ne sont pas des touts collectifs. Mais, si j’ouvre le dictionnaire au mot « tout », je lis : ensemble, collection. Donc Frege écrit en fait « collection collective », intéressant ! Notez que de toute façon, je ne suis pas d’accord avec cette définition de « tout ». Les seuls véritables « touts » sont les choses collectives ou êtres collectifs réels. La ville de Lyon est un tout, la forêt de Fontainebleau n’en est pas [2013 :  erreur], ce tout consiste seulement dans le concept [2013 :  erreur. La différence est que les hommes peuvent vivre ensemble, les arbres d’une forêt ne le peuvent pas] tandis que dans le cas de la ville de Lyon, le tout consiste aussi dans les individus puisque les individus sont habités par le concept sous lequel ils tombent, ce qui fait notamment, que ce genre de tout est infini, que l’on ne peut en faire un objet achevé. Il tremble dans ses profondeurs et pourtant il n’est pas inquiet. Hugh ! j’ai dit) Ensuite, cette conception conduit à faire de tout un tout. Toutes les choses sont composées de choses composées de choses... (c’est pourquoi Jon Barwise doit recourir aux Uréléments (éléments purs) qui n’ont aucun élément, qui ne sont pas des ensembles). Dans ce cas, le corps humain ou une table sont des êtres collectifs au même titre qu’une forêt (non, sous la réserve ci-dessus. C’est le concept ...est une table qui a un nombre et non pas les objets qui tombent sous ce concept. Dans le cas de ...est une table, je suppose que personne ne connaîtra jamais ce nombre). Ensuite, Frege commet une erreur : une forêt n’est pas un être collectif mais un être singulier au même titre qu’un sac de billes. Musil dit plaisamment — pléonasme, Musil dit-il jamais quelque chose autrement que plaisamment, dans tous les sens du terme ? — que les réalistes voient, dans le forêt, les arbres, c’est à dire un certain cubage de bois, tandis que les hommes sans qualités y voient un être mystérieux et sont sensibles à ses murmures. Ce n’est pas l’arbre qui cache la forêt, mais l’ensemble des arbres. Frege se trompe encore en mettant une forêt et une armée sur le même pied. Une forêt n’est pas un être collectif réel (une chose collective), ni un être collectif idéal (alors qu’un ensemble, bien que non réel — il consiste seulement dans le concept —, est cependant un être collectif), une armée si, de même une brigade, un régiment, une compagnie, une section, etc. On ne peut couper comme on veut une armée. Quand on y parvient, c’est la débandade, c’est Waterloo. Les êtres collectifs réels ne sont pas des collections. Leurs éléments sont habités par le concept sous lequel ils tombent. Les êtres collectifs réels ne consistent pas seulement dans le concept mais aussi dans les individus, contrairement aux collections.

Il ne sert à rien d’objecter que, dans le monde, la collection Untel, par exemple, est une institution, c’est à dire une sorte de chose, une chose collective. Soit, mais une institution n’est pas une collection car l’expression « la collection Untel » est une figure de rhétorique, un jeu de mots, pour désigner le contenant par le contenu. Cette expression désigne une institution en fait, et non une collection. Buvez-vous réellement un verre ou portez vous réellement un vison ? Je souhaite pour vous que non. D’ailleurs, vous ne voyez pas plus l’institution que la collection. Vous voyez seulement des manifestations de l’institution. Les institutions sont, comme tous les choses collectives, invisibles bien qu’elle soient des sortes de choses puisqu’elles existent qu’on les pense ou non, indépendamment de notre bon plaisir. Elles n’ont pas d’extérieur, c’est ce qui rend leur étude difficile. Nous somme dedans. L’Art lui-même est une institution et l’œuvre ne vaut que par cette institution. (Hegel ne dit rien d’autre dans son Esthétique. D’ailleurs, vous l’aurez compris, la thèse principale de Hegel est que l’esprit est une institution, la mère des institutions. Marx ne l’a jamais compris.) C’est ce que signifia Duchamp quand il exposa un urinoir dans un lieu sanctifié par cette institution. Depuis, il n’y a plus d’œuvres mais seulement des institutions, d’Etat ou privées ; l’œuvre consiste désormais dans les institutions ! Ce qui signifie que les « artistes » qui grouillent sur le cadavre de dada sont académiques, des pompiers, des provocateurs conformistes, des animateurs culturels. L’« artiste » n’a d’autre but que d’attirer sur lui les bonnes grâce de l’institution et comme Duchamp a prouvé que n’importe quoi pouvait attirer ces bonnes grâces, ils font précisément n’importe quoi, de préférence dans le genre urinoir. Derrière les provocations on entend, par intermittence : « Et moi, et moi, et moi... s’il vous plaît... » Les choses sont simples, comme d’habitude, ne trouvez-vous pas ? Aujourd’hui la provocation est la règle, la provocation sur commande des institutions (telle la mairie de Youpiville, la provocation comporte encore des risques, ne réveillez pas le chourineur qui dort), la provocation de commande, le summum du conformisme. Un demi siècle de pompiérisme ! —

Dans les mathématiques, ce genre de problème ne se pose pas puisque, dans les mathématiques, il n’y a, selon les propres termes de Dedekind, que des notions c’est à dire des objets de notre pensée : dans les mathématiques, « un objet est tout objet de notre pensée », dans les mathématiques l’ensemble aussi bien que ses éléments sont des objets de notre pensée et seulement des objets de notre pensée. D’ailleurs, ce problème se pose aussi dans les mathématiques puisque pour Russell et Whitehead, dans leurs Principia Mathematica, les classes ne sont pas « d’authentiques objets, comme le sont leurs éléments si ces derniers sont des individus » (en effet, en faire d’authentiques objets conduit directement au paradoxe de Russell ! L’ensemble des chiens n’est pas un chien. Donc l’ensemble de chiens est un élément de l’ensemble des non-chiens. Plaisanterie vétérinaire due à M. P. Lecomte. Occam, le vrai, opposerait : de même qu’une chimère n’est pas un non-homme, un ensemble n’est pas un chien, mais il n’est pas pour autant un non-chien [NOTE]. Pourtant les non-Chiens ont été introduits dans la logique par De Morgan en 1847 : la classe complémentaire de celle des chiens par rapport à l’univers (Abrégé d’histoire... Dieudonné, page 446). [la plaisanterie est amusante, mais elle est fausse. L’ensemble des chiens est bien un élément de l’ensemble des non-chiens, mais il n’est pas inclus dans l’ensemble des non-chiens (il n’en est pas une partie), précisément parce que ses éléments ne sont pas des éléments de l’ensemble des non-chiens ; tandis que l’ensemble des chiens est inclus dans l’ensemble des vertébrés parce que les éléments de l’ensemble des chiens sont des éléments de l’ensemble des vertébrés. X (Hilbert ?) dit que les cercles d’Euler sont une mauvaise représentation parce qu’ils incitent à confondre appartenance et inclusion (ou subordination). Ensuite, Occam n’admet pas « une chimère est un non-homme, mais il admet « un chat est un non-homme (à ce sujet voir Occam lui-même)] Plus directement encore, le fait que les ensembles soient des objets conduit directement à une contradiction puisque les parties de cet ensemble étant des ensembles sont donc aussi des objets et, de ce fait, sont donc aussi des éléments de l’ensemble des objets. De ce fait, le cardinal de l’ensemble des objets est supérieur au cardinal de l’ensemble de ses parties, ce qui viole le théorème de Cantor. Il y a comme une superposition de la relation …appartient à… et de la relation …est inclus dans…) ce qui scandalise assez Lesniewski (c’est surtout Frege qui, en refusant que chaque classe de tels ou tels objets se compose précisément de ces objets, scandalise Lesniewski. Pour Lesniewski, une classe doit être un objet (elle l’est obligatoirement, mais elle ne peut pas être une chose, nuance. Toutes choses sont des objets mais tous les objets ne sont pas des choses, notamment les classes et les ensembles. Les choses tombent et sous un concept, et sous les sens, les autres objets ne tombent que sous un concept, ainsi les nombres qui sont des objets et qui pourtant n’existent pas dans le temps ou l’espace, qui ne tombent pas sous les sens et ne sont pas non plus des représentations, les représentations relevant de la psychologie et non des mathématiques. Conclusion : un ensemble de choses est un objet, mais un ensemble de choses n’est pas une chose). Pour Frege, une classe est un concept [je commets une erreur, voir ici, lecture de Frege !] ou, pire puisqu’il semble que personne ne sache ce qu’est une extension de concept chez Frege (Il me semble que Miéville, de l’université de Neufchâtel, affirme que Frege interrogé sur le sens qu’il donnait à extension aurait répondu qu’il n’en savait rien. J’ai lu, moi, sous la plume de Frege (je cite de mémoire) cette référence expéditive : je ne parlerai pas de l’extension, je suppose cette notion connue, [suite]

 

NOTE : Le second théorème de Gödel recourt à certains modes de preuve parmi les plus faibles : comme ici, la preuve « par l’absurde » et comme on l’a vu plus haut, la récursion ou « induction complète », sans que Gödel ni ses commentateurs ultérieurs ne fassent le moindre commentaire à ce sujet. Le théorème fait également intervenir de manière très cavalière la notion de « contraire » ou plutôt de « contradictoire » d’une proposition. Je peux dire, « Le chat est un mammifère »  et le contraire, « Le chat n’est pas un mammifère »  (le contradictoire serait : « Certains chats ne sont pas des mammifères » ). D’une chose et son contraire, l’une des deux seule est vraie. Je peux dire aussi «  Tous les chats sont des fromages »  et « Aucun chat n’est un fromage », ici aussi, une seule des deux propositions est vraie. Dans mes exemples, les deux propositions vraies sont, « Le chat est un mammifère » et « Aucun chat n’est un fromage ». Maintenant imaginons qu’il existe deux livres sur les chats, le premier néglige dementionner que « le chat est un mammifère », le second oublie de dire qu’« aucun chat n’est un fromage ». Lequel achetez-vous ? La bonne réponse est, le second. Pourquoi ? Parce que la première proposition signale une propriété essentielle du chat, la seconde, une propriété qui, si elle est vraie est néanmoins sans portée, du fait que la liste est quasi infinie des choses que les chats ne sont pas. Hegel écrit à ce propos, « L’op-posé signifie ici simplement le manque, ou plutôt, l’indéterminité ; et la proposition est si insignifiante que ce n’est pas la peine de la dire. Si l’on prend les déterminations doux, vert, carré — et l’on doit prendre tous les prédicats —, et si l’on dit maintenant de l’esprit qu’il est ou bien doux ou bien non doux, vert ou non vert, etc., c’est la une trivialité qui ne conduit à rien » (Hegel Science de la logique. Deuxième Tome : La logique subjective ou doctrine du concept, 1816, Aubier Montaigne, 1981 : 80). Guillaume d’Occam s’était déjà intéressé à ces questions. Broadie écrit : « ... Occam nie qu’“Une chimère est un non-homme soit équivalant à “Une chimère n’est pas un homme”. À ses yeux, la première proposition est fausse alors que la seconde est vraie. En effet, comme Occam le note, il faut conclure qu’une chimère n’est pas davantage un non-homme qu’un homme » (Broadie Alexander, Introduction to Medieval Logic, Oxford, Clarendon Press, 1987 : 30).[Consultez directement Okcham à ce sujet]    Jorion, Le Mathématicien et sa magie. C’est à cette occasion que j’ai découvert Jorion après une recherche Google parce que, quoiqu’étant un lecteur assez assidu de la Revue du Mauss, je n’avais pas prêté attention à ses textes. ]

♣ Aujourd’hui, voilà ce que je comprends : pour Frege (Stanford Encyclopedia), un concept (une pensée comme il dit — erreur, une pensée est le sens d’une phrase et le concept est seulement la partie incomplète de la phrase ; le nom propre, dénotant un objet, en étant la partie complète, close —, ce qui, comme on le verra, n’a rien à voir avec l’idéalisme allemand) est une expression à une place ...bla bla bla, un signe de classe (ou un fonction de vérité). La classe dont ce concept est le signe est l’extension du concept et non pas les objets qui tombent sous le concept. Si un objet satisfait le signe de classe, il appartient à la classe dont le signe de classe est le signe. Mais il n’y a pas classe d’objet parce qu’il y aurait des classes d’objets toutes prêtes déjà dans le monde (comme sont tous prêts dans le monde les sacs de billes ou les tas de sable) et constituées par leurs éléments, mais il y a classe parce qu’il y a signe de classe, qu’il y a concept sous lequel tombent des objets, tandis que le sable du tas de sable tombe sous la pelle du terrassier. Chez Frege, le concept prime. « L’extension de concept ne se compose pas des objets qui tombent sous le concept donné, comme la forêt se compose d’arbres [ Notons au passage qu’une forêt ne se compose pas seulement d’arbres. Les arbres sont essentiels à l’existence de la forêt mais ils ne composent pas à eux seuls la forêt. La forêt est aussi composée de champignons et de murmures, entre autres choses. ], mais elle prend appui sur le concept même et seulement lui [ Frege dit carrément : l’extension consiste dans le concept ] » (Denis Vernant citant Frege). Vernant commente : « Ayant montré les insuffisances d’une appréhension purement extensionnelle des classes, Frege note la nécessité de faire explicitement appel au concept pour caractériser la classe... La "classe" des objets sélectionnés [ par le concept considéré comme une fonction de vérité, fonction qui retourne une valeur de vérité, le VRAI ou le FAUX, et accepte pour argument des objets, leurs noms propres, plutôt. Quand la fonction retourne le VRAI, l’objet appartient à la classe ] est alors toujours extension d’un concept et n’a pas d’existence indépendamment de lui. » Autrement dit, ce n’est pas la faute des tilleuls de la rangée est de l’allée sud s’ils tombent sous le concept ...tilleuls de la rangée est de l’allée sud, (laissons tomber l’allée ouest qui a une quadruple rangée de tilleuls comme bordure et l’allée est qui a une double rangée de tilleuls comme bordure, ne compliquons pas inutilement les choses) mais bien la faute du concept (et celle des jardiniers, de l’architecte et du maître du domaine — M. d’Anglas — qui donna l’ordre d’accomplir cette chose il y a trois siècles. Oui, c’est bien dans le monde qu’on saisit les pensées. Voilà pourquoi les paysages sont si beaux). S’il n’y avait pas de concept, les tilleuls ne tomberaient pas sous le concept et auraient une paix royale. Ils pousseraient comme ils voudraient ou pourraient et non en de savants alignements. Le nombre d’un concept n’est pas l’extension de ce concept, ce que comprend à tort Cantor quand il lit Frege, mais l’extension d’un concept constitué grâce à la relation d’équivalence ...équinumérique à...pour Frege, une relation est une expression à deux places : ...bla bla bla... Une relation d’équivalence est une relation (notée R ci-dessous) biplace, réflexive (x R x), symétrique (si x R y alors y R x), transitive (si x R y et si y R z, alors x R z) — Le nombre qui convient au concept A est l’extension du concept ...équinumérique au concept A, concept du second ordre (un concept tombe sous un concept d’ordre plus élevé) obtenu en saturant une place de la relation avec le nom propre d’un concept  (l’expression « le concept A » ne désigne pas un concept puisqu’elle est un  nom propre qui désigne donc un objet, alors que les concepts ne sont pas des objets. Ph. de Rouilhan (Frege, les Paradoxes de la représentation. Ed. de minuit, 1988 et Frege dans ses écrits posthumes, « Les Sources de connaissance en mathématique… » 1924-1925 ) résout ainsi ce paradoxe en s’appuyant sur les textes de Frege : l’expression « le concept A » désigne bien un objet, objet qui est une représentation du concept ou de la fonction dans le domaine des objets et cet objet est l’extension du concept ou le parcours de valeur de la fonction. Et, en effet, tout écolier qui trace au tableau le parcours de valeur d’une fonction sait très bien qu’il représente, dans le monde des objets — et même dans le monde des choses —, la fonction et qu’il la représente seulement. Qu’est-ce qu’une fonction ? Ce n’est pas un objet mais un événement : c’est le fonctionnement d’une machine ; pas la machine, mais son fonctionnement dans le temps.) ; un nombre est une classe de classes équinumériques (c’est à dire de classes que l’on peut mettre en bijection, bijection qui ne nécessite nullement de connaître la notion de nombre*. Les nombres sont des classes de classe. Dans le préambule à son mémoire, Gödel dit : nombre naturel, classe de classe ; je me demandais alors ce qu’il voulait dire. Il se référait à Frege, en fait) et, bien entendu, comme on peut le remarquer, sa définition ne dépend pas... du nombre d’objets qui tombent sous quelque concept que ce soit, ce que justement Cantor reprochait à Frege. Le nombre d’éléments de la classe de classes équinumériques (le nombre de classes équinumériques donc) est totalement indifférent à la définition du nombre, c’est la classe de classe qui est le nombre, et non le nombre d’éléments de cette classe ; de même que le nombre des droites du plan parallèles à une certaine droite a (une infinité) dans la définition de la direction : la direction est une classe de classes fondée sur la relation d’équivalence ...parallèle à... et non pas un certain nombre de droites. Et il y a non seulement une infinité de droites dans chaque classe mais une infinité de directions, une infinité de classes d’équivalence disjointes (l’intersections de deux classes disjointes est vide. Du fait qu’elles soient disjointes, elles partitionnent le plan en une infinité de directions). La réunion des classes de direction est l’ensemble des droites du plan et l’ensemble des classes de direction, est appelé ensemble quotient de l’ensemble des droites du plan par la relation ...parallèle à... Digression : différence entre appartenance et inclusion : soit l’ensemble des objets jaunes. Considérons une partie, un sous ensemble, de cet ensemble obtenu par restriction du concept constitutif : l’ensemble des motos jaunes. Cette partie de l’ensemble des objets jaunes n’est pas un élément de l’ensemble des objets jaunes car de mémoire d’homme personne n’a jamais vu d’ensemble jaune (ni de nombre blanc. Les rouges et les noirs de la roulette, les numéros verts du téléphone, désignent en fait des numéros, des numérals, c’est à dire les signes ou les noms des nombres et non les nombres eux-mêmes. Mais cette partie de l’ensemble des objets jaunes est cependant un élément de l’ensemble des parties de l’ensemble des objets jaunes. Le théorème de Cantor porte sur la relation qui existe entre le cardinal de l’ensemble des éléments et le cardinal de l’ensemble des parties. Frege, toujours lui, signale le premier que tout élément d’un ensemble en est aussi une partie à titre de singleton. Amusant, non ? Fin de digression. Voilà ! dirait le l’irascible capitaine Ferraud (Harvey Keitel) dans Duellistes de Ridley Scott d’après une nouvelle de Conrad. Achetez ce DVD, c’est magnifique, c’est beau. Chacun des costumes de hussard a coûté cent mille francs en 1976. Napoléon aurait dit : donnez leur de beaux uniformes, ils se feront tuer allègrement. Scott n’a fait que deux bons films dans sa vie : Duellistes et Alien et ses courts métrages. Refin, de redigression. Combien y a-t-il d’éléments dans la classe d’équivalence qui a pour nom quatre (ou dal, four, vier...) quelqu’un le sait-il (une infinité puisque, déjà, les combinaisons des entiers quatre à quatre sont en nombre infini) ? Frege ne définit pas numériquement le nombre, c’est bien la moindre des choses. Dernière remarque, l’équinuméricité est constituée par la bijection des objets qui tombent sous deux concepts dits équinumériques ; des objets ! car, je le répète, l’unité appartient au concept et la discernabilité aux objets, à la suite de quoi Frege ajoute à peu près : c’est très simple, ainsi tout s’éclaire, le problème est résolu. La bijection s’effectue sur les objets, en les marquant avec une craie par exemple (il n’y a donc pas besoin de savoir compter, ce qui est heureux, sinon Frege construirait les nombres à l’aide des nombres. L’archéologie lui donne d’ailleurs raison comme on peut le voir dans la note ci-dessous due au Dr Besnard), mais, là encore, l’équinuméricité appartient aux concepts et non aux objets. Il dit également (deux fois) que la lessive Super inattentive® de Husserl lave plus blanc, mais que son dosage est très difficile et que lui, Frege, n’a jamais réussi à obtenir le bon dosage. Trop forte concentration, tout devient blanc ; trop faible, tout reste sale et l’on ne distingue toujours rien, en tout cas pas un nombre. Il dit également, toujours à propos de Husserl : « L’inattention est une force logique hautement efficace. De là sans doute vient la distraction des savants »). /♣

 * Vestiges de bijections vieux de trente mille ans ! (Dr Besnard)

« Il est clair qu’il fut un temps où les hommes ignoraient tout du concept de nombre entier. Jusqu’à récemment, chez certaines peuplades, la suite des entiers s’arrêtait...à 2 ! (On comptait de la sorte : un, deux,...beaucoup) [ D’ailleurs, vers 1860, John Stuart Mill s’arrêtait à 3 en évitant soigneusement le cas du 1 et le cas du zéro. Je l’ai toujours dit : ces idéologues anglais sont des sauvages. Et tout cela se termine par le bombardement de l’Irak. Logique ! ]

Toutefois, ces hommes qu’on pourrait appeler « pré-numériques » ne sont pas démunis face aux situations quotidiennes. Ainsi, imaginons un homme de Cro-magnon, appelons-le Tik, chargé de veiller sur un troupeau de 8 moutons.

Tik ne sait pas compter, mais il aimerait bien savoir si tous ses moutons sont bien rentrés à l’enclos. Rien de plus facile ! Le premier jour, il fait sortir ses bêtes une par une, en faisant à chaque fois une encoche dans un os ou dans un bâton, par exemple. Dès lors, Tik n’aura qu’à faire rentrer ses moutons un par un, en faisant simultanément glisser son doigt d’une encoche à l’autre. Cette technique a été utilisée il y a au moins 30 000 ans, comme en témoigne un radius de loup retrouvé en république Tchèque, comportant 45 encoches [ je n’ai pas vérifié l’information du Dr Besnard ]. Mais cette technique est plus qu’une astuce. Qu’a fait Tik ? Il a réalisé un appariement [ terme employé par Bolzano pour bijection ] entre les moutons et les encoches, ce qu’en termes mathématiques on appelle une bijection, f, de l’ensemble M des moutons dans l’ensemble E des encoches. Rappelons qu’une bijection est une application qui possède les deux propriétés suivantes : elle envoie deux éléments distincts sur deux éléments distincts (elle est injective), et tout élément de l’ensemble d’arrivée est l’image d’au moins un élément de l’ensemble de départ (elle est surjective).

Mais Tik pourra bientôt se rendre compte que d’autres ensembles peuvent être mis en bijection avec E. Ces ensembles possèdent une propriété commune indépendante de la nature de leurs éléments. [ Tik découvre les classes d’équinuméricité, autrement dit, les nombres. Ils sont malins ces sauvages, ce qui n’est pas le cas de ces crétins qui encombrent les routes à chaque départ et retour de vacance. ] Cette propriété, on peut l’appeler « avoir 8 éléments ’’, c’est ainsi que naît le concept abstrait du « nombre 8 ’’. Tik utilisera son bâton pour reconnaître les ensembles à 8 éléments : c’est un représentant particulier parmi ces ensembles, qui sert de référence. La suite des entiers naturels (0, 1, 2, etc...) n’est rien d’autre qu’une référence universelle arbitraire [ soit, la référence est arbitraire (dal, four, vier etc.) mais la suite ne l’est pas puisqu’elle est une suite. Tik a pris soin d’ordonner cette suite, de classer ses bâtons et de les nommer, ce qui fut certainement un sacré boulot. C’est curieux, Tik traite les nombres comme Frege : les cardinaux d’abord, les ordinaux ensuite contrairement à Dedekind, Peano et von Neuman ], apprise par cœur, qui a le même usage (en plus facile à transporter) qu’une infinité de bâtons de comptage ! »

Cette fable est une fable mais l’utilisation du bâton à encoches est un fait avéré et daté. Il est donc étonnant que plusieurs dizaines de milliers d’années avant Dedekind, Tik effectuât des applications bijectives sans le savoir, comme M. Jourdain, et qu’il fallut plusieurs dizaines de milliers d’années pour que Dedekind en saisisse la notion. Une fois de plus, Bolzano et Frege ont raison : on se saisit les idées et cela pour la simple raison que la chose est pratiquée sans pensée depuis des millénaires. Il ne manque plus que la pensée et le nom. Hegel a raison : la raison d’être est un résultat, elle vient à la fin. Cette fable permet également de saisir la différence entre but et raison d’être ou fondement : Tik a un but, qu’il connaît (savoir si des moutons se sont égarés ou si le loup les a dévorés), mais il ignore le fondement, la raison d’être de son activité qui est le nombre. Creusez, prenez de la peine, un nombre est caché dedans. De même que l’universel est le commencement mais que tous les animaux ne peut prétendre être une zoologie, de même l’application bijective est le commencement mais elle ne peut prétendre être une arithmétique. Il faudra trente mille ans pour concevoir la notion d’application grâce à Dedekind et deux mille ans pour concevoir la droite numérique, grâce à Bolzano. Hegel a encore raison, comme d’habitude : l’histoire est une régression vers ce qui a servi de commencement. Cet exemple est particulièrement éclairant : Frege, pour établir ses classes d’équinuméricité et triompher du redoutable zéro et du non moins redoutable un, doit recourir à une technique vieille de trente mille ans ! Nulle trace de platonisme là-dedans, au contraire. Les nombres sont des objets qui n’existent pas dans le temps et dans l’espace, qui ne tombent pas sous les sens. Mais cela ne signifie pas qu’ils existent dans le ciel des idées, mais dans le savoir mondial, comme pratique qui ignore sa raison d’être. Cela confirme ce que j’aime à dire : n’est su que ce qui peut être dit. Bien que pratiquée depuis trente mille ans au moins (les bâtons à encoches sont toujours utilisés de nos jours par les bergers alpins), l’application bijective ne devient connue que grâce à Dedekind qui dit la chose.

** Voir également : Histoire universelle des chiffres. Georges Ifrah, Laffont/Bouquins. Page 9 et suivantes, Les premières machines à compter. Il est étonnant que la numération ait commencé avec des machines. Voilà qui ridiculise, une fois de plus, ce crétin de Debord qui n’avait pas de mots assez durs pour le langage binaire de l’ordinateur. Qu’y a-t-il de plus binaire qu’une bijection, une correspondance one-one, qu’y a-t-il de plus binaire qu’une relation à deux places, deux, donc binaire ? Vade retro binarius. /

[suite] [retour] « la méréologie, une théorie des relations entre touts et parties ». Les êtres collectifs de Cantor ne satisfont pas Lesniewski, mais ce n’est pas le collectif qui leur manque, mais l’être (Université de Neuchâtel, Miéville, Lesniewski, l’homme et l’œuvre, format PDF. Encore un site non pédophile, non néo-nazi et non négationniste et même non fasciste ! C’est incroyable ce qu’ils pullulent sur le Net, quoique Frege eût été réac et antisémite ! Egalement : Denis Vernant, Etude critique sur « les Fondements de la mathématique » de Stanislas Lesniewski, format PDF) Du peu que j’en sache, les classes collectives de Lesniewski (toute classe est subordonnée à elle-même, il n’existe pas de classes qui ne soient pas subordonnées à elles-mêmes, ainsi le paradoxe des classes non subordonnées à elles-mêmes de Russell disparaît. Il obtient cela en remplaçant, je suppose, le concept d’appartenance de Peano par le concept de subordination, c’est à dire d’inclusion) n’ont pas grand chose à voir avec les choses collectives qui ne sont constituées que par les relations entre elles et leurs éléments (mais c’est tout bonnement le fait social de Durkheim ! Voilà donc une nouvelle manière de le dire : l’économie n’est aucun fait social, il n’y a pas de fait social qui serait l’économie. Une autre manière de le dire est : il n’y a de fait social que total, un fait social qui n’est pas total

— et infini car la relation d’un fait social total à lui-même est infinie, analogie, que je développerai, avec la numérotation (numéroter, compter, c’est bijecter, apparier les objets d’une suite d’objets déjà connue, la suite des nombres naturels, avec les objets d’une suite inconnue) des nombres pairs, ou des puissances n des nombres entiers par Bolzano. La différence est que ce n’est pas un ensemble qui est infini (notion extensionnelle), mais une relation (notion compréhensive) et cette relation est déjà écrite par Hegel, prête à l’emploi : ...se supprime comme apparence en direction de l’immédiateté de... Dans un ensemble infini, on peut apparier la totalité des éléments avec une partie des éléments, la totalité des nombres entiers avec la totalité des nombres pairs par exemple. Dans le cas d’une chose sociale, ce n’est pas la totalité des éléments qui sont appariés, un à un, avec une partie des éléments, mais la totalité des éléments en tant qu’elle est différente de ses éléments (à la manière dont l’extension d’un concept est différente des objets qui tombent sous le concept selon Frege) qui est présente dans chaque élément, fantôme, geist, (Anders) qui hante chaque élément. Et cette totalité est une extension effective (l’universel concret et non plus un universel pensé comme tous les animaux) de concept parce que le concept sous lequel tombent les éléments de la totalité est une propriété des éléments de cette totalité. En ce sens, les êtres collectifs réels sont bien concepts et esprit, comme le voulait Hegel, car leur extension hante chacun de leurs éléments, ce qui n’est pas le cas pour les arbres d’une forêt. Les habitants d’une ville sont habités par leur ville ce qui fait que la ville est une ville, les hoplites en ordre de bataille sont habités par leur nombre, la nationaux sont habités par leur nation, c’est à dire par le concept ...français. Une autre manière d’exprimer cela : selon Hegel, ce qui est posé par un autre est fini, ce qui se pose lui-même est infini. Ainsi sont les êtres collectifs réels, ils se posent eux-mêmes sans rien demander à personne (hélas suis-je tenté de dire), sauf cas bien précis. Voilà ce que j’entendais par infini quand j’écrivais, en 1978, communication infinie. C’est d’ailleurs cette infinité interne qui confère leur invisibilité aux choses collectives, sauf dans quelques cas bien précis. Par analogie avec les puits de potentiel qui sont des zéros, imaginez un demi hyperboloïde équilatère engendré par rotation autour d’un des axes de coordonnées d’une demi hyperbole. Il n’a pas de bord, comme le champ vision, il n’a pas de fond, comme le champ visuel. C’est un puits d’apparence. (c’est une métaphore, évidemment, comment représenter quelque chose qui n’apparaît jamais ?) Les choses collectives sont infinies parce que le concept sous lequel tombent leurs éléments est une propriété de ces éléments. On peut généraliser : tous les hommes est un tout effectif, un tout réel et non plus seulement un tout pensé parce que le concept sous lequel tombent ses éléments est une propriété de ses éléments (ce qui n’est pas le cas pour les tilleuls, ni pour les chevaux) sauf pour le président Bush chez qui le concept ...homme est remplacé par le concept ...gens bons (selon Frege, il n’y a que des noms propres. Les prétendus noms communs sont en fait des concepts. Ainsi Hitler serait un nom propre ! Ah ! je jouis, le degauche se révolte dans sa fange). D’ailleurs les Arabes ont démontré combien ils sont méchants, méchants, méchants. C’est pourquoi ils me plaisent. Voilà ! dirait l’irascible Alan Breck. Je mets mon épée en fibre de carbone à leur service — /

n’est aucun fait social mais seulement une idée. La propagation de cette idée peut être, elle, un fait social total authentique : idéologie, mythe, religion, etc. Ce qui manque au fait social de Durkheim pour être une chose collective, c’est la totalité. Son neveu l’avait bien compris), ce que je nomme communication ; tandis que dans un ensemble au sens de Cantor, il n’y a aucune relation entre l’ensemble et ses éléments autre que celle d’appartenance. « Depuis Lesniewski, on devrait être convaincu que la théorie des ensembles est incapable de fournir une représentation adéquate des relations entre ensemble et éléments, lorsqu’elles dépassent la simple appartenance. » (Frédéric Nef, L’Objet quelconque. Vrin, 1998, page 191) Dans son avant propos, Nef précise qu’il passera sous silence « deux domaines de l’ontologie de l’objet : l’esprit et les objets sociaux », ça fait beaucoup ! Aux dernières nouvelles, l’un de ses collègues (Vincent Descombes, La Denrée mentale, 1995 ; Les Institutions du sens, 1996, Seuil) s’apprêterait à traiter des objets sociaux. Il serait temps !

Et cela est encore valable pour les mathématiciens platoniciens puisque pour eux, si les objets mathématiques existent comme des choses, c’est à dire indépendamment de notre pensée, dans l’Empyrée, c’est cependant comme des choses particulières qui ne sont accessibles qu’à la seule pensée. Donc ces choses ne sont pas des choses du monde mais de l’Empyrée ; plus simplement, elle ne sont pas des choses. Une classe d’objets mathématiques peut très bien être décrétée, dans un certain système, être elle-même dépourvue de classe, elle n’en est pas moins un objet mathématique. Une telle classe est un nom, les noms n’ont pas de nom, c’est bien connu. Et les noms des choses sont des classes. Frege n’est pas platonicien : selon lui, c’est dans le monde que l’on saisit les pensées

Le monde lui-même, en tant qu’il est conçu comme l’ensemble des choses, n’est pas une chose mais seulement une notion, un concept, au sens restreint (par opposition au sens hégélien d’universel concret : le concept est ce qui est libre car il est la puissance de la substance). S’il peut être, cependant, lui-même une chose (c’est mon opinion), il devra l’être à un autre titre que « l’ensemble des choses » (déjà, une forêt n’est pas un ensemble d’arbres, à plus forte raison, donc, une ville ou une nation ne sont pas des ensemble d’habitants. Cependant, une forêt n’est pas un être collectif — un ensemble d’arbres l’est, mais seulement au titre d’objet de notre pensée. Ici « pensée » n’a pas le sens frégéen mais signifie, selon Frege lui-même, l’acte de penser — tandis qu’une ville ou une nation le sont et non plus seulement au titre d’objet de notre pensée.) C’est ce qu’il s’agit de concevoir.

Le fait qu’un ensemble de choses ne soit pas lui-même une chose me permet de montrer que les prétendues choses économie, production, consommation, etc. dont la définition repose sur la locution « est l’ensemble de » ne sont pas des choses mais seulement des notions, exactement comme le CAC40. L’économie n’existe pas sinon comme notion dans notre pensée, exactement comme le CAC40. De même la production et la consommation bien qu’il y ait beaucoup de choses produites et beaucoup de choses consommées. La production ne produit rien et la consommation ne consomme rien. Mais surtout, ni la production, ni la consommation n’expliquent rien, exactement comme le CAC40.

J’attaque l’abus de langage qui consiste à tenir des idées générales pour des choses générales. Cela ne signifie pas que je dénie l’existence de choses générales. Au contraire, parce que je récuse cet abus de langage, je peux envisager l’existence de véritables choses générales qui ne sont pas des fantômes peuplant un abus de langage mais qui existent, et qui agissent, qu’on les pense ou non, indépendamment de notre bon plaisir dirait Frege, ce qui précisément leur confère leur statut de choses comme le note Durkheim. Les choses collectives ne sont pas des ensembles parce que les ensembles ne sont pas des choses. L’économie, contrairement à ce que prétend l’économie politique (et les journalistes stipendiés et imbéciles. Ils sont tellement imbéciles qu’il n’est même pas nécessaire de les stipendier), n’est pas une chose collective, ni aucune autre chose d’ailleurs, mais seulement une classe de faits. De même que le concept de chien ne mord pas, une classe de fait ne fait rien.

Prétendant remettre Hegel sur ses pieds, Marx peupla sa théorie d’une ménagerie de prétendues choses générales qui ne sont en fait que des classes de faits tandis que Hegel avait en vue l’universel concret, c’est à dire une chose collective. Marcel Mauss, lui, tenta d’étudier une chose générale. Le chapitre VI de cette étude sera consacrée au commentaire du célèbre passage des Grundrissse de Marx où celui-ci parle de l’universel concret. Quelques pages avant, il dit que la consommation est hantée par la production et que la production est hantée par la consommation, considérations peu marxistes. N’oubliez pas les réserves que je fais sur l’existence d’une Production et d’une Consommation, mais, comme dit Wittgenstein, on ne peut définir tout à tout moment, sinon la conversation devient impossible. Donc, pour que cette conversation continue, faisons semblant d’être d’accord et surtout de comprendre le sens de ces quelque expressions.

« Les idoles adorées par les païens sont assimilées à des noms qui ne renvoient à aucune réalité » Commentaire, par Abdelwahab Meddeb d’un verset du Coran, XII, 40, « Ceux que vous adorez en dehors de Lui... » Que disais-je. Mécréants, idolâtres, ils ignorent la vraie foi, ils ignorent le vrai dieu.

 


HYPOSTASIER : v.t. Didact. Considérer à tort une idée, un concept comme réalité en soi, absolue. Hypostasier la conscience collective. (Petit Larousse.)

En fait, hypostasier une abstraction c’est la tenir pour une chose, c’est la réifier, c’est la chosifier. Voilà donc quelle est la réification et la seule réification en ce bas monde, ce qui n’a rien à voir avec le bla bla confus du stalinien et surfait Lukacs. Wittgenstein parle, lui, de la réification de la règle, de la confusion constante entre règle et mécanisme. Même Bourdieu met en garde contre le danger de passer du modèle de la réalité à la réalité du modèle. « Les sciences humaines ont, d’ailleurs, tendance à utiliser en toute innocence le mot ‘mécanisme’ pour caractériser à peu près n’importe quel processus manifestant une certaine forme de régularité [telle la sublime et célèbre loi d’Engel] : l’action humaine est dirigée, en plus des ‘mécanismes mentaux’, par des ‘mécanismes’ sociaux, économiques, politiques, culturels » [et j’ajoute, après Molière, des mécanismes dormitifs.] Bouveresse, Essais I, Wittgenstein et l’anthropologie, IV.

Tous les animaux — la totalité des éléments de cette multiplicité définie que constituent les animaux — peut se penser comme étant collectivement sans contradiction de telle sorte qu’on peut concevoir cet être collectif comme un objet. Cependant, les animaux ne sont collectivement — ils ne sont dotés d’un être collectif — que pour autant que l’on pense cet être collectif. L’être collectif tous les animaux n’existe que pour autant qu’on le pense. Tous les animaux est seulement un être mathématique * et comme tous les êtres mathématiques, il n’existe que dans la pensée. Il n’est doté d’une existence dans le monde que parce que dans le monde de nombreux zoologues, notamment, le pensent. Hegel note plaisamment : L’universel est le commencement. La science commence avec tous les animaux mais tous les animaux ne peut cependant pas prétendre être une zoologie.

*. Plus précisément, cet ensemble des animaux n’est pas mathématique, à proprement parler, mais est cependant un ensemble au sens mathématique — au sens de Cantor donc. Pour éviter toute ambiguïté, disons que tous les animaux est, au même titre qu’un être mathématique, une notion (soulignons que si tous les êtres mathématiques sont des notions, toutes les notions ne sont pas des êtres mathématiques). La question est de ne pas confondre la notion et la chose : la notion « tous les animaux » existe, la chose « tous les animaux » n’existe pas. Autrement dit, tous les animaux n’est pas une chose mais seulement une notion, comme c’est le cas des êtres mathématiques.

Tous les hommes — la totalité des éléments de cette multiplicité définie que constituent tous les hommes — existe comme un être collectif sans qu’il soit nécessaire de le penser *. Ce qui signifie que cette totalité, cet être collectif est sujet, est concept, est savoir, il n’a pas besoin qu’on le pense pour exister **. De ce fait, il est impossible de penser, il est impossible de concevoir cet être collectif comme un objet achevé pour cette simple raison qu’il se conçoit lui-même sans rien vous demander, qu’il est sujet, je le répète, qu’il est concept, qu’il est lui-même savoir, c’est à dire qu’il vous emmerde (Durkheim, plus poli que moi dit qu’il est coercitif) quoique vous en pensiez ou n’en pensiez pas : « Le concept est ce qui est libre en tant qu’il est la pure négativité de la réflexion de l’essence en elle-même ou la puissance de la substance, et en tant qu’il est la totalité de cette négativité... » Encyclopédie 1817 § 109 ; 1827 §160. Il est infini car il se pose lui-même et non parce qu’il dure toujours, toujours, toujours et ne finit jamais, jamais, jamais. C’est pourquoi le monde peut être un savoir peuplé d’ignorants, qu’un pays riche peut être peuplé de pauvres *** et un pays libre peuplé d’esclaves ou d’ilotes. Les deux occurrences du terme concevoir n’ont pas le même sens : la première signifie penser, la seconde signifie concevoir, signifie concept si les mots veulent encore dire quelque chose. De même savoir ne signifie pas nécessairement pensée, ne signifie pas nécessairement penser ; et pensée et penser signifient souvent ignorance. Le monde est un savoir mais il l’ignore. Ses habitants sont des ignorants mais ils l’ignorent aussi, à part Socrate qui le savait. Mais hélas, Socrate est mortel.

*. Marx ne l’ignorait pas encore du temps qu’il était encore hégélien, du temps qu’il n’était pas encore marxiste : « L’homme, c’est le monde de l’homme ». Autrement dit, l’homme, c’est tous les hommes et non pas seulement une pensée, une abstraction. La cabalité n’est pas tous les chevaux mais seulement une pensée, une abstraction. Tandis que le genre des animaux est seulement une pensée, le genre de l’homme est pratique, substantiel, il existe qu’on le pense ou non, il est chose en soi, il est le concret. Tous les hommes est un monde et ce monde est monde parce qu’il contient sa propre image comme négatif. Le genre des animaux est une notion et seulement une notion, le genre de l’homme est une chose. L’animalité, la cabalité sont des notions et seulement des notions, l’humanité est une chose et, c’est le comble, sa notion n’existe pas, seulement son nom. De même que tous les animaux ne peut prétendre être une zoologie comme le note le plaisant Hegel, tous les hommes ne peut prétendre être la notion de l’humanité. Une chose est ce qui a un nom. Ce qui n’a pas de nom n’est aucune chose. Mais tous les noms ne désignent pas une chose (c’est le cas de l’économie, précisément). Toutes les notions de l’humanité proposées depuis plusieurs millénaires sont nulles. Les meilleures furent encore celles présentées comme étant celles de Dieu ou des dieux. Feuerbach vous l’avait bien dit. Telle l’Esprit prôné par Hegel, c’est parce que le genre de l’homme est riche de contenu, contient le déterminé ou la différence à l’intérieur de lui-même, qu’il est de ce fait le concret. Le genre de l’homme existe qu’on le pense ou qu’on ne le pense pas, il agit, il est sujet. Celui des animaux, non. Le genre des animaux n’est pas, le genre de l’homme est. Le genre des animaux est l’objet d’un savoir, le genre de l’homme est un savoir. La différence, dans le genre des animaux, est pensée, dans le genre de l’homme, elle est. Le genre des animaux est une conséquence du genre de l’homme ; le genre des animaux, pas les animaux eux-mêmes. Je suppose que c’est ce que voulait dire Marx par « Le genre de l’homme est le genre de tous les animaux ». Contrairement aux animaux, l’homme vit dans son genre, il habite son genre pratique et son genre l’habite. Le genre chien ne mord pas mais le genre homme bombarde à haute altitude. Et là encore Hegel a raison, le vrai c’est le tout, le vrai c’est le genre et lui seul. Schopenhauer répond à Kant : la chose en soi est volonté. Hegel répond à Kant : la chose en soi est savoir.

**. Evidemment, beaucoup de choses existent sans qu’on ait besoin de les penser, mais ici je ne parle que des êtres collectifs. Les êtres collectifs qui existent sans qu’il soit besoin de les penser sont des savoirs (des situations), ceux qui ne sont pas des savoirs n’existent que pour autant qu’on les pense : ils sont seulement objets d’un savoir, il ne sont pas savoir (des situations), ils ne sont pas sujet. Les savoirs sont réels, les êtres collectifs objets de savoirs sont seulement des abstractions. Ces derniers êtres collectifs ne manquent pas de collectif mais d’être. Les savoirs sont, les abstractions ne sont pas. La réalité est, les abstractions ne sont pas. Les scolastiques n’y avaient pas pensé. Pour eux ou bien les universaux étaient (réalisme des essences, — soit transcendant, Platon — soit immanent, Aristote) ou bien ils n’étaient pas (nominalisme, Occam — pour lui, seul le singulier est réel. Ce qui est universel existe seulement dans la pensée.) Or certains universaux sont, certains ne sont pas. Certains universaux sont substantiel, certains non. Certains universaux sont des choses (des situations), certains non. L’animalité n’est pas une chose, l’humanité si. La chose animalité n’existe pas, la chose humanité si. L’humanité, c’est la chose tout qui existe (comme situation. La connaissance de la situation est un élément de la situation. Cela ressemble à : X={X}. « En effet, une multiplicité peut être ainsi constituée que l’hypothèse d’un “être collectif” constitué de tous ses éléments conduit à contradiction, de telle sorte qu’il est impossible de concevoir cette multiplicité comme un “objet achevé”. Je nomme de telles multiplicités absolument infinies ou inconsistantes » disait Cantor. En effet. L’axiome de fondation permettait d’éliminer ces être collectifs là. L’axiome de non-fondation les réintroduit. L’axiome de fondation joue, sur ce point, le même rôle que le postulat d’Euclide pour l’espace). Le genre de l’homme est monde. C’est l’universel concret de Hegel. Marx, avant de devenir un affreux réductionniste, disait aussi : l’homme (le genre de l’homme), c’est le monde de l’homme. L’homme est le seul animal dont le genre est monde (situation).

***. « La “richesse nationale” des Anglais est fort grande. Ils n’en forment pas moins la nation la plus pauvre du monde. » (Engels, Esquisse d’une critique de l’économie politique. Annales franco-allemandes.) Soit dit en passant, tout au long de ce texte, Engels n’emploie le mot économie qu’au sens d’économie politique, qu’au sens de science philanthropique hypocrite où tout n’est plus que noblesse et générosité, système parfait de la tromperie institutionnalisée, science complète de l’enrichissement née de la jalousie réciproque et de la cupidité des commerçants. « Telle est l’humanité du négoce : la gloire du système de liberté du commerce c’est de faire hypocritement servir la moralité à des buts immoraux. »

Résumons : tous les animaux est un ensemble au sens de Cantor, tous les hommes n’est pas un ensemble au sens de Cantor *. Toute la différence est là. Tous les hommes, non content de n’être pas un tel ensemble, n’en n’est pas moins un être collectif, qu’on le pense ou non. Un ensemble au sens de Cantor est un être collectif qui existe seulement pour autant qu’on le pense. Même la multiplicité définie absolument infinie de Cantor n’existe que pour autant qu’on la pense. Tous les hommes est un être collectif qui existe qu’on le pense ou non. Il n’y a d’ailleurs rien d’étonnant à cela car c’est la pensée qui contient tous les animaux mais c’est tous les hommes qui contient toute pensée. Nous sommes, donc je pense.

*. Evidemment, tous les hommes, la totalité des éléments de cette multiplicité définie que constituent tous les hommes, est aussi légitimement un ensemble au sens de Cantor ; mais comme tous les ensembles, cet être collectif n’existe que pour autant qu’on le pense. (Comme je le dis plus loin, quand on a dit tous les hommes, on n’a rien dit. Et, comme dit Hegel, l’universel est le commencement, mais tous les animaux ne peut prétendre être une zoologie — préface de la Phénoménologie.) Il n’a aucune sorte de réalité directe dans le monde ; s’il existe, c’est dans la pensée, et s’il existe dans le monde c’est seulement par l’intermédiaire de la pensée. Ce qui est remarquable, c’est que tous les hommes désigne aussi un être collectif qui existe qu’on le pense ou non, qui existe directement dans le monde sans l’intermédiaire de la pensée (qui est donc immédiatement, pour parler comme Hegel, une zoologie : tous les hommes est immédiatement un zoologie, et comment : meuh, bêêê, hi han, crac boum hue, non aux méchants), ce qui est la moindre des choses puisqu’il est le monde même, qui contient toute pensée.

C’est pourquoi toutes les abstractions telles que économie, production, consommation, technique (en a-t-on assez entendu parler de la technique — sans parler de les technologies, technologie signifiant, en fait, étude des techniques. Dans ma jeunesse, je devais suivre des cours de technologie qui avaient lieu en classe. Quant aux cours de technique, forge, moulage, fonderie, ajustage, tournage, fraisage, rectification, alésage, traitement thermique des métaux, métrologie, ils avaient lieu à l’atelier. Trous du cul, c’est là, exactement, que vous devez vous les mettre, vos technologies, pignoufs — par tous les Homais de la planète), nature, matière, population, univers (tout ce qui existe) dont la définition comporte le mot ensemble ou le mot tout n’existent que pour autant qu’on les pense. Ce sont seulement des notions et non des choses, c’est, me semble-t-il, ce qu’essaye de dire J-F Gautier * à propos de l’univers. (Gautier ne dit pas d’ailleurs que l’univers n’existe pas mais qu’il faut apporter la preuve de son existence plutôt que de la tenir acquise par principe. Il faut donc se conduire avec l’univers comme avec tous les autres objets de la science expérimentale. C’est quand même la moindre des choses !) Elles n’existent que dans la pensée, et pour certaines elles n’existent pas du tout car on ne peut appeler pensée la pensée indigente qui les profère (attention : avant de mettre en marche la gueule, enclencher la cervelle). Elles sont en fait, dans l’usage courant, des abstractions hypostasiées, c’est à dire des abstractions dont on prétend incidemment, sans avoir l’air d’y toucher mais avec une insidieuse insistance, qu’elles existent même quand on ne les pense pas, qu’elle ne sont pas seulement des abstractions mais aussi des réalités. C’est le péché d’hypostasie. Toute l’eau de la mer ne suffirait pas pour effacer une tache de sang intellectuelle. La réalité est, l’abstraction n’est pas. Inversement, dans l’usage courant, tous les hommes est tenu seulement pour un ensemble au sens de Cantor, on pense avoir tout dit quand on a dit tous les hommes. Or tous les hommes n’est pas seulement un tel ensemble, il est sujet, il est concept, il est savoir. C’est le péché inverse de celui d’hypostasie. On tient pour une abstraction ce qui se tient par lui même, ce qui est le concret par excellence (« Le concept est ce qui est absolument concret... » Encyclopédie 1827 §164), l’universel qui se tient par lui-même sans qu’on ait à le penser. Comme le dit très bien Max Weber, les sauvages ne commettent pas ce péché inverse. Ils savent très bien que tous les hommes est sujet. Les Grecs, eux, savait encore que tous les hommes est le destin. Œdipe est un aveugle qui s’ignore. Il croit voir mais il ne voit pas. Il n’est pas le seul, hélas.

*. Tout ce qui existe... existe mais pas nécessairement comme un tout. Tout ce qui existe n’existe pas. Tout ce qui existe est une notion et seulement une notion et non une chose. Toutes les choses existent, c’est certain, mais toutes les choses n’est pas une chose, seulement une notion. Le jour où l’on aura conçu une conséquence de l’existence de tout ce qui existe, non plus seulement comme notion mais comme chose, qu’on aura conçu, donc, un effet d’univers dont on pourra tester l’existence (par exemple, vérification de l’hypothèse de Mach sur l’inertie, qui conduisit Einstein à choisir l’hypothèse d’un univers fini.), on pourra alors tester l’existence de l’univers, et prouver ainsi que tout ce qui existe, existe comme un tout. Pas avant. Jusqu’à nouvel ordre, l’univers n’existe pas, sinon comme notion, sinon comme hypothèse (tandis que Durkheim montre que tous les hommes existe comme une chose dont on peut tester les effets, ce qui constitue la preuve de son existence, et avec quel brio et quel succès, sans suite, hélas quand on voit ce qu’est devenue la sociologie). L’universel univers est de ces universaux qui n’existent pas. D’ailleurs, si l’on interrogeait à ce sujet la femme de ménage de Wittgenstein (elle est morte mais il suffit d’interroger sa petite nièce qui, bien que duchesse puisqu’elle a épousé le duc de Bedford, pourra répondre aussi bien), elle répondrait : « L’univers, c’est une vue de l’esprit. » Ce n’est pas elle qui répondrait « Si l’univers n’existe pas, par quoi le remplacez vous ? » ce qui signifie en fait « Par quoi remplacerez vous ma croyance en l’existence de l’univers si vous affirmez que l’univers n’existe pas ? » Par quoi remplacer quelque chose qui n’existe pas ? De quoi sont les pieds ?

Je soutiens que Hegel traite de ces questions et seulement de ces questions et lui seul. J’ai fait le pari de Pascal mais j’ai parié sur Hegel. C’est moins risqué. J’ai parié que tout ce que Hegel disait avait un sens, ou plutôt pouvait avoir un sens ce qui est en parfait accord avec ce que Hegel disait de la raison d’être qui est un résultat. Hegel est une auberge espagnole, vous n’y trouverez que ce que vous y apportez. Si vous n’apportez rien, vous ne trouverez rien. Hegel est un générateur de propositions et de métaphores. Kierkegaard disait que Hegel n’était que le premier professeur de philosophie mais un assez extraordinaire professeur de philosophie. Je dirais que Hegel ne fut qu’un moulin à parole mais un extraordinaire moulin à parole. (L’irascible Schopenhauer disait de Hegel qu’il était un bavard irresponsable.) Dans l’Antiquité, on appelait cela un oracle. Tout est dans l’interprétation de l’oracle. L’oracle fournit les paroles, vous devez fournir le sens. On s’expose à ne rien comprendre à Hegel, c’est à dire à ne rien pouvoir en faire, si on comprend Esprit, Idée et Concept au sens courant d’esprit, de pensée et d’idée. De toute évidence ces termes désignent chez Hegel des êtres collectifs. Le concept d’aliénation n’a de sens que s’il concerne un être collectif, sinon, c’est de la trouducuterie journalistique. Et ces êtres collectifs, contrairement à ceux traités par Cantor, n’ont pas besoin qu’on les pense pour exister. Ils sont sujet. Si vous préférez, ce que dit Hegel ne prend un sens que si l’on suppose qu’il traite des êtres collectifs. Comme dans une équation différentielle, Hegel pose des contraintes telles « la contradiction est la règle du vrai », « l’être du fini est son non-être », « L’Idée est la synthèse du fini et de l’infini » et ces contraintes entraînent que seuls des êtres collectifs peuvent y satisfaire, et parmi ces êtres collectifs, seules les multiplicités humaines, et parmi ces multiplicités humaines, seules les multiplicités intériorisées. Hegel a posé l’équation, vous devez la résoudre. Merci Hegel. Ainsi, le point le plus important chez Hegel, celui sur lequel il sera régulièrement attaqué sans être compris est que le savoir se présuppose lui-même, que le savoir est déjà donné *. Seul un être collectif réel peut être son propre présupposé. Il s’est constitué sans demander la permission à personne. De ce fait, il est infini. « Les bases réelles dont on ne peut faire abstraction qu’en imagination » (Marx) sont déjà savoir et non « bases matérielles ». La logique y est déjà à l’œuvre. C’est elle qui vous donne des coups de pieds au cul (mais c’est moi qui mets la main au cul à Debord et à Lévy).

*. Evidemment, si on entend savoir au sens usuel de pensée, ceci est une absurdité (qui a quand même eu cours pendant deux millénaires). Ce n’en est plus une si on l’entend au sens d’être collectif, au sens de Durkheim. Cela devient même un truisme. Coletti a raison, Hegel restaure la métaphysique après l’attaque justifiée qu’elle a subie de la part de Kant mais le sujet n’est plus celui qu’on croyait, la logique n’est plus celle que l’on croyait : c’est la logique des êtres collectifs et tous les reproches que Hegel fait à Kant sont fondés. Hegel répond à Kant seul le tout est le vrai et l’universel est le commencement, ce qui est bien la preuve qu’il traitait des êtres collectifs. La logique n’a plus lieu dans une tête, elle a lieu dans le monde. Le monde contient une multiplicité de buts mais lui-même n’en a aucun.

Une « collectivité humaine » (in ridicule définition circulaire de l’économie, Petit Larousse *) a cette particularité de ne pas nécessiter, pour exister, d’être conçue (au sens de penser). Elle se conçoit elle même (concept = conception, si les mots veulent encore dire quelque chose, et pas seulement pensée.) contrairement à l’être collectif des multiplicités définies de Cantor qui est seulement une « hypothèse » que l’on peut penser. (Je fais donc l’hypothèse, vérifiée par Durkheim, qu’il existe des êtres collectifs qui ne sont pas seulement des hypothèses que l’on peut penser. Capito ?) Qu’elle se conçoive ne signifie pas qu’elle se pense ni qu’elle doive se penser pour exister, hélas, trois fois hélas, comme on peut le constater chaque jour, mais qu’elle se fait. Les mathématiciens font les ensembles, mais les collectivités humaines se font elles-mêmes et, non contentes de cela, elles font aussi les mathématiciens. Les collectivités humaines sont, l’économie n’est pas. Dans un échange portant sur la définition de l’économie, un intervenant du Debordoff répondit : « L’économie est tout ce qui existe ». Ce qui peut paraître une outrance est en fait la seule réponse affirmative possible. C’est ce dilemme qu’expose Marshall Sahlins et que l’on peut résumer ainsi : si l’économie existe, elle est tout ce qui existe, si la culture existe, elle est tout ce qui existe. Il n’y a de place que pour un seul calife. En fait, l’éclectisme qui règne habituellement sur cette question, notamment chez Marx, présente le monde comme une véritable ménagerie contenant toute sortes de bêtes féroces. Pour Marx, l’économie n’est pas tout ce qui existe mais seulement la plus grosse et la plus féroces de toutes les bêtes de la ménagerie. Vous l’avez reconnue, c’est Tyrannosaurus Rex ; mais il y a de nombreuses autres bêtes qui lui sont soumises dans l’infernal paradis marxiste. (Gödel a démontré que Ratiocinator Rex ne peut exister. C’est toujours ça.) Tyrannosaurus est la bête, la plus féroce, qui détermine en dernière instance. Marx disait d’ailleurs que la nature de Darwin ressemblait à la société de leur époque (la nôtre) avec sa lutte pour la vie etc...

*. « économie : ensemble des activités d’une collectivité humaine relatives à la production, à la distribution, et à la consommation des richesses. » On remarque que cette définition présuppose l’existence de collectivités humaines. Et sur quoi reposent les collectivités humaines ? Sur l’économie puisqu’on vous l’a dit.

Cantor pouvait penser aussi fort et aussi longtemps qu’il le voulait une multiplicité comme étant collectivement, cet être collectif ne demeure pas moins extérieur aux objets dont est composée cette multiplicité, il n’existe que pour autant qu’on le pense. La multiplicité elle-même est extérieure aux objets dont elle est composée. Une collection est extérieure aux objets dont elle est composée (je n’avais pas lu Frege, on l’aura compris, lorsque j’écrivis les passages qui précèdent et qui suivent).

Un ensemble de billes n’existe que pour autant qu’on le pense, ce qui ne signifie pas que les billes n’existent que si on les pense, ni qu’elles soient affectées le moins du monde par le fait qu’on les pense comme un être collectif. Un sac de billes existe, lui, qu’on le pense ou non. Mais il demeure autant extérieur aux billes que l’ensemble des billes demeure extérieur aux billes dont il est l’ensemble. Au contraire, tous les hommes existe qu’on le pense ou non car il entretient une relation d’intériorité avec chacun de ses éléments : tous les hommes agit en chacun de ses éléments, il habite ses éléments. Il n’y a pas besoin de former l’hypothèse que tous les hommes est un être collectif réel. De ce fait, d’ailleurs, dire de « tous les hommes » qu’on le pense demeure un abus de langage car jusqu’à présent tous les hommes est demeuré strictement impensable, contrairement à l’être collectif des multiplicités définies de Cantor qui non seulement est pensable mais est seulement pensable. (Pour un mathématicien, une chose est « tout objet de notre pensée. » Dedekind.) Le fait que tous les hommes entretienne une relation d’intériorité avec chacun de ses éléments (il est la médiation de ses éléments), le fait qu’il contienne le négatif comme apparence entraîne qu’il est une multiplicité absolument infinie. Il est impossible de concevoir (au sens de penser) une telle multiplicité comme un objet achevé pour parler comme Cantor, il n’est même pas possible de la concevoir du tout (au sens de penser). Ce n’est plus seulement l’hypothèse d’un être collectif qui peut conduire à une contradiction comme chez Cantor, puisque dans une telle multiplicité la contradiction est la règle. Les dernières tentatives au cours de ce siècle pour concevoir (et non plus seulement au sens de penser) une telle multiplicité absolument infinie se sont très mal terminées. Et nommer une telle chose n’est pas la penser. Vous pouvez nommer votre chien mais aussi le flatter ou le battre. C’est beaucoup plus difficile avec tous les hommes. Vous pouvez nommer tous les hommes mais c’est tous les hommes qui vous flatte ou qui vous bat. Les tentatives de Hitler et de Staline ne furent rien moins que des tentatives pour faire de ces multiplicités absolument infinies des objets achevés, pour parler comme Cantor. Fukuyama proclame, quant à lui, que tous les hommes est un objet achevé. La preuve, sur la photo, il porte un complet rose. Les multiplicités humaines sont infinies parce qu’on ne peut en faire des objets achevés, et on ne peut en faire des objet achevés parce qu’elles sont sujet. La question n’est pas, d’ailleurs, qu’on puisse ou non en faire des objets achevés car on ne peut en faire des objets, achevés ou non, puisqu’elles sont sujet.

Penser effectivement tous les hommes n’est pas une question de pensée mais une question de politique. Seul tous les hommes peut penser effectivement tous les hommes. Durkheim dit : seule la société peut expliquer la société. Alors que « Tous les animaux » est l’objet d’un savoir « Tous les hommes » qui est un savoir intrinsèque a réussi à échapper jusqu’à présent à toute connaissance, il a réussi à n’être l’objet d’aucun savoir. C’est, hélas, un savoir absolu, c’est à dire un savoir libre de tout lien et qui n’en fait qu’à sa tête bien qu’il n’ait pas de tête. Hegel se trompait donc, le savoir absolu est au commencement et non à la fin. Le but est de faire cesser l’absolutisme de ce savoir. Il faut couper la main invisible d’Adam Smith. L’absolutisme de l’ancien régime était de la gnognote à côté de l’absolutisme du monde marchand. Du temps du Roi, on pouvait toujours couper la tête à icelui. On ne peut couper la tête au savoir absolu. Evidemment quand Marx écrit que l’argent est le compendium encyclopédique de tout ce qui existe, les perroquets n’entendent qu’une formule à répéter.

Tous les efforts de Marx consistèrent dans un oubli méthodique de ces questions, tous les efforts de Marx consistèrent dans un reniement méthodique de Hegel (méthodique comme le montre Henri Denis dans son remarquable l’Économie de Marx, histoire d’une échec, PUF, 1980). Il écrivait cependant à son père en 1837 : « Peu à peu j’abandonnai l’idéalisme et j’en vins à chercher l’idée dans la réalité même. » Tous les efforts de Marx consistèrent à tenter de concevoir le monde comme un mécanisme avec ses forces ceci et ses forces cela. On sait avec quelle gourmandise Hegel se jette sur ces forces dans Force et entendement, tandis que Newton répugnait à employer le mot force et ne l’employait qu’avec les plus grandes précautions. La mécanique analytique de Lagrange et Hamilton ne fut inventée que pour se libérer de ces encombrantes forces centrales. Comme je l’ai déjà dit, Marx ne prit dans Hegel que le pire. Tous mes efforts depuis quarante ans ont consisté à combattre cet oubli méthodique de Marx, c’est à dire à disqualifier son réductionnisme.

♦ Ce combat commença en 1962 lorsque je lus le Capital car j’avais déjà découvert en 1959 (nuit du 19 juin entre dix heures et demie et minuit et demi, pleurs, pleurs de joie), sans jamais avoir entendu parler de Husserl et de sa tentative insensée *, que, si les choses apparaissent, si donc de ce fait il y a apparition, l’apparition en tant qu’apparition n’apparaît jamais et ne saurait apparaître. Seules les choses apparaissent. Apparaître est un privilège des choses. Cependant 1) les choses ne sont pas pour autant des apparitions, 2) réciproquement l’apparition n’est pas une chose ni aucune autre sorte d’objet, 3) c’est précisément pour cette raison que l’apparition n’apparaît pas. Plus simple, tu meurs. J’étais donc vacciné contre le réductionnisme (et les marxistes, et les gauchistes, et les cogniticiens) avant même d’entreprendre cette lecture de Marx car les sciences de la nature ne traitent que de ce qui apparaît ou plus généralement se manifeste, or l’apparition en tant qu’apparition n’apparaît jamais ni ne se manifeste quoique Wittgenstein dise que lorsque je vois un chat vivant, je vois son âme, c’est à dire ses gestes pleins d’intention et de signification (c’est la même chose avec le tigre d’ailleurs). Le suprasensible kantien ne tombe pas sous les sens mais est cependant concevable par l’entendement. L’apparition comme apparition ne tombe pas non plus sous les sens, mais en plus elle n’est pas concevable. Quand vous voyez Jésus ou sa mère, vous avez une apparition, vous avez une vision. Quand vous voyez une table ou une chaise, il y a apparition, il y a vision. Voir n’est pas avoir. D’ailleurs Johnny chante : Voir c’est voir... L’apparition est totalement impersonnelle et totalement vide. Dans ce dernier cas, il n’y a ni sensation de ceci, ni représentation de cela, ni sense data, ni contenu de conscience, toute cette merde héritée de Locke qui parle notamment d’idée pénétrant effectivement dans l’esprit par les sens. Pourquoi pas par le trou du cul, pendant qu’il y est ? Quand vous voyez un objet rouge, vous n’avez pas une sensation de rouge, vous n’avez pas non plus une représentation (Kant dit : Puisque les phénomènes sont des représentations... Kant est infesté de lockisme) vous voyez un objet rouge. Point final. Voir n’est pas avoir. Durkheim règle magnifiquement son compte à Locke et consort, j’y reviendrais. Il dit notamment que Locke ne parle pas de la sensation, mais de l’idée qu’il se fait de la sensation. Autrement dit, voilà encore de la mythologie. La mythologie des sauvages ou celle des Grecs sont beaucoup plus amusantes et poétiques que la triste mythologie de Locke.

*. il ne prétendait rien moins que de voir la vision : « ce sont justement ces actes [ dont l’intuitionner, il voulait intuitionner l’intuitionner ], jusque là dénués de toute objectivité, qui doivent désormais devenir les objets de l’appréhension et de la position théorique » Recherches logiques, tome2, introduction, page 10. Je dis, moi, l’apparition comme apparition n’est aucun objet, réel ou non, et ne peut l’être. Pour parodier Frege (dans une expression, est objet tout ce qui n’est pas fonction) et Saddam Hussein, je dirais : puisque l’apparition n’est aucun objet, c’est donc la fonction pure, la mère de tous les faits. Bien entendu, cette fonction pure n’a rien de transcendantal, mais est seulement le familier qui n’est pour autant pas connu.

Ce n’est que récemment (après la parution de la traduction Lefebvre, 1991), lors d’une troisième lecture de la Phénoménologie, que je remarquai cette formulation propice chez Hegel : « Le suprasensible est donc le phénomène en tant que phénomène ».

La phrase de Hegel est : « Das Übersinnliche ist also die Erscheinung als Erscheinung » Hegel n’emploie pas le terme kantien de Phänomen et cependant Hyppolite et Lefebvre, les deux traducteurs des deux éditions de la Phénoménologie, traduisent ce terme par phénomène. (Il me semble qu’en allemand, phénomène se dit Naturerscheinung ou Phänomen. Tout lecteur qui pourrait m’éclairer sur ce point sera le bienvenu.) Voici ce qu’en dit Lefebvre dans son lexique :

« die Erscheinung : à la fois au sens général, y compris au sens des “apparitions miraculeuses” de la tradition religieuse, et la manifestation phénoménale, au sens théorique, le phénomène [12 novembre 2008 : erreur ! La manifestation phénoménale est manifestation d’un phénomène, elle ne saurait donc être un phénomène. Cf. Force and the Undesrstanding]. Par convention, mais aussi en raison d’une pondération sémantique différente des deux formes, nous avons traduit erscheinen par "apparaître", et Erscheinung par phénomène ou apparition phénoménale [non sens ou pléonasme. L’apparition étant manifestation d’un phénomène Lefebvre dit sans le savoir : (manifestation d’un phénomène) phénoménale Cf. Force and the Undesrstanding. Je comprends très bien que Lefebvre emploie cette expression pour distinguer cette apparition du type d’apparition de la Vierge Marie, mais ce n’en est pas moins fautif. Cf. Littré]. En renonçant au Phänomen kantien, Hegel donne un verbe à tout ce registre, lui ouvre toute la grammaire, en quelque sorte. »

Mais l’expression, telle qu’elle figurait dans les deux traductions françaises (je me souviens de m’être précipité de l’une à l’autre quand l’idée me vint, je n’avais pas encore accès à Internet à cette époque. La pression sur quelque touches m’eut alors amené directement au texte allemand et de là à mon dictionnaire [étonnant : je constate, à ma grande surprise, en établissant un index, que je citais cette phrase de Hegel dans un article de le Revue de préhistoire contemporaine, en 1982. Or Lefebvre a publié sa traduction en 1991]) fut parfaitement éclairante pour moi. Comme l’explique Lefebvre, en renonçant à Phänomen Hegel a donné un verbe au registre. Le verbe phénoméner n’existe ni en allemand, ni en français. L’emploi de phénomène en français au lieu d’apparition contraint donc à l’ambiguïté de l’expression le phénomène comme phénomène n’est pas un phénomène, tandis que l’emploi d’apparition supprime toute ambiguïté puisqu’il existe un verbe correspondant : l’apparition en tant qu’apparition n’apparaît pas, alors que la phrase l’apparition en tant qu’apparition n’est pas une apparition n’a aucun sens

— pas exactement d’ailleurs, car cette phrase signifie quand même que l’apparition en tant qu’apparition n’est pas apparition au sens de l’apparition de Jésus ou de sa mère. Les vocables « l’apparition », sous entendu en général, et « une apparition » n’ont pas le même sens (une apparition, sans autre précision, est plutôt du genre une apparition de Jésus) : vous avez une apparition quand Jésus vous apparaît, il y a apparition quand vous regardez une table, et le propre de cette apparition là est de ne pas apparaître. C’est la table qui apparaît, comme elle est et là où elle est et elle seule. C’est la seule chose sensée qu’a dite Husserl qui, à part ça, perdit son temps à essayer de voir l’apparition pure, de voir l’apparition comme apparition, de voir le phénomène comme phénomène. Merde à Locke —

ce qui n’est pas le cas avec le phénomène comme phénomène n’est pas un phénomène. Ainsi, abstraction faite du sens que Hegel peut donner à ces expressions, le fait qu’il a pris la peine d’écrire le suprasensible est le phénomène comme phénomène et non pas le suprasensible est le phénomène, est une preuve suffisante que pour Hegel le phénomène comme phénomène n’a pas le même sens que le phénomène, autrement dit que pour Hegel le phénomène comme phénomène n’est pas le phénomène, quel que soit le sens de ces expressions, donc indépendamment du sens, je le répète. En conséquence, si le supra sensible est le phénomène comme phénomène, ce qui implique que le phénomène comme phénomène est le suprasensible (relation d’identité), le phénomène comme phénomène n’apparaît pas puisque ne pas apparaître est le propre du suprasensible, tandis que le phénomène apparaît puisque apparaître est le propre du phénomène. Autrement dit, le phénomène comme phénomène n’est pas un phénomène. Capito ? Encore une fois, plus simple, tu meurs.

Ainsi donc, à la lecture de la phrase Le supra sensible est donc le phénomène comme phénomène, je me suis dit : bon sang, mais c’est bien sûr ! Si le suprasensible est le phénomène comme phénomène, puisque le propre du suprasensible est de ne pas être sensible, notamment de ne pas apparaître, le phénomène comme phénomène n’apparaît pas, donc le phénomène comme phénomène n’est pas un phénomène puisque le propre du phénomène est d’apparaître. Cela, je le savais depuis 1959 mais je ne savais pas le dire et Hegel m’a donc fourni les mots sans le faire exprès puisque comme son texte le prouve ce qu’il dit n’a rien à voir avec mes préoccupations. Quoique * ! L’expression l’apparition en tant qu’apparition n’apparaît pas supprime toute ambiguïté induite par le phänomen kantien et, d’autre part, c’est ce que Hegel a réellement écrit. Il a écrit que le suprasensible est l’apparition en tant qu’apparition, ce qui entraîne que l’apparition en tant qu’apparition n’apparaît pas puisque le propre du suprasensible est de ne pas être…  sensible exception faite pour Jésus et sa Mère.

*. » On dit ordinairement que le suprasensible n’est pas le phénomène, mais c’est que sous ce vocable de phénomène, ce n’est pas vraiment le phénomène que l’on entend, mais plutôt le monde sensible lui-même ». Je suppose que Hegel vise ici Kant qui dit notamment : « La distinction des objets en phénomènes et noumènes et du monde en monde des sens et monde de l’entendement... ». Manifestement, pour Kant, un phénomène est un objet sensible du monde des sens.

Notez bien : je n’essaye pas de dire ce que Hegel veut dire, je ne déduis rien du sens de ce que Hegel dit (comment le pourrais-je, puisque je ne comprend toujours pas ce qu’il dit), je parviens simplement à dire enfin ce que je sais grâce aux mots fournis par hasard par Hegel et, pour ce faire, je mets les mots dans l’ordre qui me convient. Ce que dit Hegel, je m’en fous, quoique si quelqu’un parvenait à m’expliquer ce qu’il voulait dire, j’en serais très heureux. Ce n’est pas ma faute si les traducteurs ont traduit apparition par phénomène et ce n’est pas ma faute si la phrase qui m’inspira fut celle écrite par ces traducteurs. Et si j’ai pu comprendre ce que j’ai compris à la lecture de cette phrase, d’autres le peuvent aussi, heureusement. La difficulté est que, ce que j’ai compris ce jour là, je le savais déjà depuis trente ans, ce qui n’est pas le cas de tout le monde je suppose. Chez Hegel, en allemand, la phrase est encore plus éclairante et sans équivoque. J’ai donc un mérite accru pour avoir découvert son potentiel inconnu dans sa traduction française malgré l’ambiguïté du terme phénomène en français et en français seulement. Quoi qu’il en soit, je m’en réjouis. Je suis prêt à tout pour une idée : mon cheval pour une idée, mon cheval pour une idée !

Auparavant, je n’avais même pas de mots pour désigner ma découverte. Le texte de Hegel prouve que l’idée n’y était pas, il parle d’autre chose, ce qui est dommage car, si elle y avait été il y deux siècles, le monde ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui. Les mots sont fournis par Hegel, mais non l’idée, non le sens, qui sont miens. Hegel fournit les paroles, je fournis la musique. Murmures de la forêt, je comprends le chant des oiseaux. Autrement dit je fais un heureux contresens, d’aucuns appelaient cela détournement *. La différence avec ceux qui font des contresens habituellement est que je le sais, ce qui signifie que je ne prétends pas, ici, interpréter Hegel, tandis qu’eux croient l’interpréter. Je ne cherche plus, ici, à comprendre ce qu’il dit, je me contente d’utiliser ce qu’il dit, quoique je n’ai pu le faire qu’en cherchant à comprendre ce qu’il disait. La philosophie est un billard électrique, ça a fait tilt ! La preuve que je ne tiens pas compte du sens donné par Hegel, est que j’ai pu lire deux fois ce passage, en essayant de deviner (c’est le mot avec Hegel) laborieusement le sens présumé de Hegel, sans rien y remarquer de remarquable. Il faut brutaliser Hegel comme il a brutalisé les catégories et pas seulement les catégories. Cette phrase propice aurait été écrite par une armée de singes tapant sur des machines à écrire, ou seulement par ses traducteurs, cela ne changerait rien à la chose puisque je ne tiens pas compte de son sens mais seulement de sa lettre. Simplement, je l’ai trouvée là et pas ailleurs et c’est d’elle que j’avais besoin. La probabilité est plus grande de trouver une phrase propice chez Hegel que chez une armée de singes, mais, je le répète, cela reviendrait au même étant donné que je ne prête aucune attention au sens, que j’ignore, que donne Hegel à cette expression ; donc des singes, ou des machines, auraient pu aussi bien l’écrire et même les téléologues puisqu’ils écrivent n’importe quoi, qu’ils se contentent d’agiter des mots dont le sens leur échappe. Frege dit : on ne produit pas d’idées, on les saisit. C’est le cas ici. Ce qui était une connaissance obscure (mais cependant certaine, inébranlable, c’est pourquoi j’attends tous les petits cons gauchistes de pied ferme), et donc incommunicable, est devenu un concept : l’intérieur est le phénomène comme phénomène, ce qui revient à dire qu’il n’y a pas d’intérieur. Heil Wittgenstein ! Comme dirait Frege, ainsi tout s’éclaire et le problème est résolu. Cependant, je dis : merci Hegel ! car je n’avais aucune chance de trouver ces mots, même dans le désordre, en lisant Henri Troyat or, seul ce qui peut être dit est su. Il faut faire des contresens sur Hegel et bombarder New York. Ils sont là pour ça. Le contresens est nécessaire (le bombardement aussi), le progrès l’implique. /♦

*. Dans Force et entendement, Hegel déclare, à son habitude, la guerre au bon sens, ce qui est la raison pour laquelle, je suppose, il plut tant aux surréalistes. Or la science nouvelle à son époque s’opposait aussi au bon sens. Là où ce dernier, à peine remis de l’audacieuse hypothèse de Copernic vérifiée par Galilée et Kepler d’après les observations de Tycho Brahe, se demandait pourquoi les pommes tombaient sur la Terre et non pas la Lune, Newton, pris, selon la légende, sous un pommier d’une inspiration subite, rétorqua que la Lune tombait exactement comme les pommes. (Un siècle plus tard Laplace dit que, non, les pommes ne tombaient pas ; mais qu’elles orbitaient exactement comme la Lune. Hooke l’avait déjà dit du temps de Newton : sans la surface de la Terre s’interposant sur le trajet de la pomme, celle-ci aurait orbité autour du centre de masse. Newton disait que non, qu’elle décrirait une spirale. Newton, lui non plus, n’aimait pas se corriger, ceci est bien connu. Le fair play et lui, ça faisait deux.) Hegel oppose au bon sens la théorie de l’attraction universelle et tout particulièrement la troisième loi de Newton, la loi de l’égalité de l’action et de la réaction. Toute force selon cette théorie n’existe que pour autant qu’elle en suscite une autre, opposée, de même module. Voilà donc enfin quelque chose qui passe en son contraire, incessamment, ce qui devait combler Hegel : « le jeu des forces... moments qui sans repos ni être se transforment immédiatement dans leurs contraires ». L’intérieur dont il parle et qu’il oppose au bon sens est le fond des choses, qui semble révélé par Newton et ce fond est passage incessant d’une force dans sa réciproque et inversement. Le phénomène est la médiation de cet intérieur, le moyen terme entre l’entendement et le fond des choses. Par le phénomène, l’intérieur naît à l’entendement. Ce n’est pas dans ce sens que j’entends intérieur et phénomène, évidemment. Vous l’avez compris, j’ai toujours fait, et je ferais toujours, feu de tout bois. Feu sur le quartier général. Cet intérieur n’a pas d’épaisseur, pas de surface et ce n’est pas un point. Mais c’est le point logique ou métaphysique qui n’occupe pas d’espace, de Leibniz, la monade ! Non, je pense plutôt que cet intérieur, le phénomène comme phénomène, est cette chose qui n’est aucune chose, l’apparence selon Hegel quoique celui-ci, dans le passage incriminé, donne le phénomène non comme apparence (il oppose phénomène et apparence explicitement) mais comme totalité des apparences.

Si les situationnistes, et notamment Debord, ont eu tort, c’est parce qu’il n’ont pas combattu Marx mais en firent une simple répétition sous des prétentions critiques. Ils ont effectivement combattu le marxisme mais ils ont méthodiquement oublié de combattre Marx comme si les marxistes avaient tous les torts et Marx aucun *. C’est pourquoi ils furent vaincus en même temps que le marxisme puisqu’ils étaient eux-mêmes marxistes, c’est à dire réductionnistes. Comme le scorpion sur sa grenouille, ils ont sombré avec ce qu’ils combattaient. Donc dès 1962 je combattais déjà Debord puisque je combattais déjà Marx. Cela confirme ce que dit Hegel : la raison d’être est un résultat. La raison d’être vient à la fin. L’oiseau de Minerve etc. En 1962, je combattais déjà Debord sans même savoir qu’il existait. Quand je rencontrai Debord, en 1967, j’étais donc déjà son ennemi de toute éternité, l’anche tu pizarre, ce qui avait tout pour réjouir un ivrogne.

*. C’est pourtant eux qui écrivirent dans leur très plat débat d’orientation : la critique de Marx est la voie royale de la critique révolutionnaire.

Voilà donc les raisons qui firent, que lorsque je lus la Société du spectacle en 1967, je pensai que l’auteur traitait dans cet ouvrage des questions que j’ai exposées plus haut. Je pensai qu’enfin un auteur ne concevait pas le monde comme un mécanisme * mais tenait compte du rôle de l’apparence dans son existence, je pensai donc qu’un auteur critiquait enfin le réductionnisme de Marx. D’après ce qui précède, vous comprendrez que j’étais la victime désignée pour tomber dans cette escroquerie, mais, ce faisant, Debord avait enfin trouvé en moi un lecteur. (Mais dans cette auberge à la française coquettement apprêtée, je ne trouvai finalement que ce que j’apportais.) Je continuai à le penser pendant vingt ans mais je dus finalement me rendre à l’évidence ** : Debord n’était qu’un grossier réductionniste. Effectivement son ouvrage traite de l’apparence mais l’apparence pour Debord n’était que l’apparence facile pour journalistes, l’apparence qui trompe énormément comme les éléphants roses, l’apparence au sens vulgaire d’illusion, de « discours médiatique », l’apparence de la pensée Canal plus selon laquelle la société actuelle reposerait sur un système général d’illusions, alors que, comme Canal plus, elle repose sur l’argent qui est une certitude absolue. Seule ma générosité interprétative lui prêtait une apparence de profondeur. C’est pourquoi Debord fut célébré par les journalistes ***. Enfin ils rencontraient une idée qu’ils pouvaient comprendre. Enfin ils se sentaient de l’esprit. Debord ne fut que le dernier avatar du marxisme le plus borné camouflé sous une prétention critique, habillage qui ne fut qu’un habillage précisément et qui laissa intacte la grossièreté marxiste ****. Pendant ce temps, dans sa cheminée, « plusieurs bûches brûlaient ensemble ». L’homme était poëte.

*. Le structuralisme fut un super marxisme, l’aboutissement de ce qu’il y avait de pire dans la pensée de Marx, par autonomisation complète du « système », un stalinisme sans Staline mais avec beaucoup de staliniens. C’est la contradiction qui m’a toujours choqué dès les premières lignes que je lus de Marx : le système fait tout mais il faut quand même éduquer les masses et s’éduquer soi-même. A quoi bon, je vous le demande, puisque le système fait tout ? Pourquoi ne pas attendre tranquillement que les choses se fassent maintenant que l’on sait qu’elles se font ? « En dépit de ses prétentions subversives et de la phraséologie révolutionnaire qu’il a utilisée copieusement, le structuralisme a certainement fourni le plus bel exemple de la manière dont une critique qui met en évidence le rôle déterminant du ‘système’, le poids des contraintes et des conventions et la dépendance des individus peut s’annuler elle-même en supprimant purement et simplement l’instance susceptible de faire un usage quelconque de la connaissance ainsi acquise.... Au lieu de provoquer l’émancipation espérée, la critique finit par ne plus fonctionner que comme un encouragement à l’opportunisme et à l’indifférence... Une vision des choses comme celle qui vient d’être décrite a toutes les chances de produire une génération d’intellectuels qui manifestent à la fois des prétentions tellement exorbitantes dans le domaine de la critique et des capacités d’adaptation tellement remarquables dans la pratique concrète que l’on est bien obligé de se demander si l’expression de leur volonté réelle ne doit pas être cherchée plutôt du côté de l’acceptation foncière que du refus de principe. » (Bouveresse. Le philosophe chez les autophages, p. 161, Minuit, 1984). Des places, des places, oui mais des Panzani. C’est ce que j’appelle la prépuçologie qui est la science des places. C’est cette science qui a conduit Debord chez Gallimard. Bouveresse est bien placé pour connaître tous ces salauds puisqu’il est lui-même normalien. Selon lui Normale sup est l’école du culot et de l’impudence.

**. Le Tapin de Paris, 1978. Imaginez la stupéfaction à Champ Libre lorsque ces prétendus critiques de Marx lurent les premières lignes de cette affiche. Je rejetais les prétentions des situationnistes à avoir critiqué Marx, cependant je persistais encore à pressentir dans le mot spectacle autre chose qu’un mot . Il me fallut encore dix ans (Réponse à Marc-Edouard Nabe. 1997) pour me décider à rejeter totalement et publiquement la prétendue critique La Société du spectacle (cette théorie exacte mais qui ne doit, quand même, pas apparaître trop rapidement comme fausse, selon les dires de son auteur qui n’était pas à une contradiction près) et pour affirmer que le mot spectacle n’était qu’un mot au même titre que le mot économie. Les mots économie et spectacle ne correspondent même pas à des abstractions, ils ne sont que des mots. C’est la moindre des choses puisque Debord croyait encore à la réalité de l’économie comme si jamais Weber n’avait écrit une ligne à ce sujet. Vu le nombre d’hommes, marxistes ou non, qui sont dans ce cas, l’original et scandaleux Debord fut d’un parfait conformisme. Evidemment, le mot spectacle peut conserver un sens si l’on renonce à lui donner le statut d’explication générale que prétendit, avec insistance et grands chevaux, lui donner Debord. Et ce sens est alors le sens ordinaire du mot spectacle. Dans ce monde, effectivement, la propagande, autrefois fournie gracieusement par l’Etat, est devenue une entreprise de spectacle privée et rentable, et l’hilote (esclave d’Etat et esclave commercial) doit payer cette propagande comme il paye tout le reste. Debord s’est également trompé quand il affirma que la culture deviendrait la marchandise vedette. C’est la propagande (la prétendue culture n’est qu’une forme de cette propagande), assistée de ses milices pride et bénévoles (elles font ça gratuitement comme toutes les milices contrairement aux journalistes qui sont payés), qui est devenue la marchandise principale. A part ce léger détail, le monde est le même monde que connut Balzac : « Qu’est-ce que la France en 1840 ? un pays occupé d’intérêts matériels, sans patriotisme, sans conscience, où l’argent domine tout, où l’individu dévore tout, même la nation que l’égoïsme livrera un jour à l’invasion. On ne tient plus à grand-chose. Dans cinquante ans, on ne tiendra plus à rien. » Au lieu d’investir dans les chemins de fer, on investit dans la propagande rebaptisée communication et dans les trottinettes. Voilà tout.

♦. Notamment, j’écrivais encore en 1982 : « Les “objets”, les marchandises, s’opposent à la marchandise, au processus total de l’aliénation de la communication. C’est cet aspect total de la marchandise qui dépasse et englobe chaque marchandise particulière aussi bien que tout “objet” particulier, que Debord désigne par le terme de spectacle. Avec ce concept de spectacle, ce côté total de la marchandise ne peut plus être ignoré car il est impossible de considérer une marchandise particulière comme un spectacle sinon comme élément d’un décor où se joue une pièce d’envergure mondiale. Ce n’est plus une marchandise particulière qui peut être spectacle mais seulement la totalité de leur accumulation et de leurs relations. Et ce qui est réel dans une marchandise particulière est seulement ce qui tient à son rôle dans un décor total, seulement ce qui a trait au spectacle de la communication totale. » (Revue de Préhistoire Contemporaine, pp 122-123). Soit dit en passant, la marchandise, contrairement aux marchandises particulières, est une abstraction, personne ne l’a jamais vue et ne la verra jamais. Sartre dirait : la marchandise n’est pas, c’est une abstraction hypostasiée. D’autre part, ce crédit fait à Debord est un pur produit de ma générosité interprétative. Jusqu’à preuve du contraire, c’est moi seul, bon public et bon prince, qui ai désigné par spectacle l’aspect total de la marchandise (abstraction hypostasiée) et non Debord. L’ennui, c’est que, contrairement à ce que je pensai un moment, il n’y a pas de spectacle de la communication totale, je dus me rendre à l’évidence, donc pas de spectacle non plus en ce sens. La raison qui fit que je pensai qu’il y avait un spectacle de la communication totale est que, si l’aliénation au sens de Hegel à un sens, elle doit avoir un effet constatable. On devrait donc pouvoir constater ce qui s’éloigne, comme un peintre peignant s’éloigne de sa toile afin de juger de l’effet. Qu’il n’y ait pas de spectacle de la communication totale ne signifie pas cependant que l’aliénation n’existe pas mais simplement que l’aliénation ne se manifeste pas comme spectacle. C’est la même raison qui me fit écrire Reich, mode d’emploi : tandis que pour la psychiatrie ou Freud, seuls certains sont malades, seuls certains ont des psychoses et des névroses, pour Reich, tout le monde il est malade, tout le monde il a une névrose caractérielle. Voilà donc me suis-je dit cet effet constatable, voilà donc le rayonnement fossile de l’aliénation. Si tout le monde il est malade, c’est donc qu’il y a quelque chose qui pourrit au royaume de Danemark, c’est donc que Hegel a raison, c’est donc que l’aliénation existe. Vous remarquerez que dans Reich, mode d’emploi, je ne dis pas du tout ça en ces termes alors que c’est ça que je voulais dire. On ne fait pas ce qu’on veut dans la vie. Heureusement d’ailleurs, songez à ce qu’eut fait Hitler s’il avait pu.

***. Et pas seulement par les journalistes. Debord eut les lecteurs qu’il méritait, une armée de bons à rien, d’indigents, qui voulaient du facile ayant l’air difficile, vite et surtout sans se fatiguer. Ce qu’ils n’aiment pas dans le travail du négatif c’est le travail.

****. Qu’on ne se méprenne pas. Je ne dis pas que Marx est grossier. Marx est subtil. Les marxistes, et Debord en tout premier lieu (quel gros imbécile prétentieux), sont grossiers à quelques exceptions près (Colletti, Papaioannou). Marx, hégélien, se débat dans son réductionnisme, il souffre ; ses successeurs non, ils flottent le ventre en l’air, comme des poissons crevés dans un étang.

 

II. Merci Max

Quelques citations de Max Weber en rapport avec notre sujet

De l’objectivité de la connaissance
dans les sciences et la politique sociales (1904)

148 — « La science sociale que nous nous proposons de pratiquer est une science de la réalité. »

176 — « L’idealtype est un tableau de pensée, il n’est pas la réalité historique ni surtout la réalité authentique, il sert encore moins de schéma dans lequel on pourrait ordonner la réalité à titre d’exemplaire. »

187 — « Danger de la confusion entre idealtype et réalité. »

178 — « Rien n’est plus dangereux que la confusion entre théorie et histoire, dont la source se trouve dans les préjugés naturalistes. Elle se présente sous diverses formes : tantôt on croit fixer dans ces tableaux théoriques et conceptuels (les idealtypes) le ‘véritable’ contenu ou ‘l’essence’ de la réalité historique, tantôt on les utilise comme une sorte de lit de Procuste dans lequel on introduira de force l’histoire, tantôt on hypostasie même les ‘idées’ pour en faire la ‘vraie’ réalité se profilant derrière le flux des événements ou les ‘forces’ réelles qui sont accomplies dans l’histoire. »

224 — « Il est évident qu’on hypostasie un concept abstrait en une force qui agit derrière l’histoire. »

189 — « La théorie de Marx est l’exemple de loin le plus important parmi les constructions idealtypiques. Toutes les ‘lois’ et constructions du développement de l’histoire spécifiquement marxistes ont évidemment — dans la mesure où elles sont évidemment correctes — un caractère idealtypique. Quiconque a appliqué une fois les concepts marxistes connaît l’importance heuristique éminente, et même unique, de ces idealtypes quand on les utilise seulement pour leur comparer la réalité, [Mazette, Weber connaît donc la réalité ! Il couche avec sans doute. Si on peut comparer quelque chose à la réalité, c’est donc qu’on connaît directement la réalité. A quoi bon les idealtype alors ?] mais aussi leur danger dès qu’on les présente comme des constructions ayant une validité empirique ou comme des ‘forces agissantes’ réelles (ce qui veut dire en vérité métaphysiques) ou encore comme des tendances. »

Le malheureux Weber ignorait certainement de quel genre de danger il s’agissait, il ne se doutait certainement pas qu’il s’agissait non seulement d’un danger du point de vue de la rigueur scientifique mais de dizaines de millions de morts. La citation qui suit le prouve :

143 — « La soi-disant ‘conception matérialiste de l’histoire’ dans le vieux sens primitif et génial du Manifeste du parti communiste, n’exerce sans doute plus d’empire de nos jours [1904] que sur quelques profanes et dilettantes. En effet, c’est dans ce milieu que se trouve encore répandue cette curieuse idée que le besoin d’explication causale d’un phénomène historique n’est pas satisfait aussi longtemps que l’on n’a pas trouvé (ou apparemment trouvé), d’une façon quelconque, l’intervention de causes économiques. » [Parfaite qualification du réductionnisme de Marx.]

Lénine fut un dilettante fanatique ! En a-t-on assez entendu sur ces forces réelles et agissantes, cette base matérielle, en a-t-on assez entendu de ces infrastructures et de ces superstructures (d’où une voix crie à travers la brume « Verlaine !"). Selon le dilettante Debord, non moins fanatique et borné que le premier, l’économie a abandonné sa position de base inconsciente. Ainsi chez les sauvages, l’économie était la base inconsciente de la société ; mais les sauvages ne le savaient pas. Quels cons ignorants ces sauvages. On ne la fait pas à l’utilitariste Debord. Si l’économie a abandonné sa position de base inconsciente, c’est donc qu’elle a atteint sa conscience de soi ! Le singe Minc et Debord sont cette conscience de soi, Pierre qui rit et Pierre qui pleure. Aujourd’hui, selon Debord, le spectacle serait l’économie qui se développe pour elle-même.

Le point de vue de Weber est exactement opposé :

« Le progrès que l’on constate dans la différentiation et la rationalisation sociale signifie donc, sinon toujours, du moins normalement quand on considère le résultat, que, dans l’ensemble, les individus s’éloignent [notez le terme « s’éloignent »] de façon croissante de la base rationnelle des techniques et des règlements rationnels qui les concernent pratiquement et que, dans l’ensemble, cette base leur est d’ordinaire plus cachée que le sens des procédés magiques du sorcier ne l’est au "sauvage". La rationalisation de l’activité communautaire n’a donc nullement pour conséquence une universalisation de la connaissance relativement aux conditions et aux relations de cette activité, mais le plus souvent elle aboutit à l’effet opposé. Le "sauvage" en sait infiniment plus des conditions économiques [ apparemment, l’économie ne pose pas de problème à Weber, alors qu’il hypostasie gaillardement, en passant, comme si de rien n’était. Notez que le sens de la phrase ne change pas si Weber avait écrit : « ... des conditions de sa propre existence ». Les mots « économiques » et « sociales » n’apportent rien au sens, ils sont seulement des ritournelles machinales, des tics de langage. On notera que deux lignes plus haut, Weber se contente de parler simplement des conditions et des relations de l’activité communautaire et nullement des conditions économiques et sociales etc. ] et sociales de sa propre existence que le "civilisé", au sens courant du terme, des siennes. » Essai sur quelques catégories de la sociologie compréhensive. 1913.

D’après ce que j’ai compris de Weber, voilà à quoi sert l’idealtype : à le comparer à la réalité. Pourquoi le comparer à la réalité ? Pour modifier la réalité, pour agir sur la réalité ? Vous n’y êtes pas. Seulement pour améliorer l’idealtype. Au moins, si ça ne fait pas de bien, ça ne fait pas de mal. Voilà un homme modeste et prudent qui nous change heureusement de tous ces dilettantes frénétiques. D’après ce que je sais, Weber était un homme qui ne cédait pas à l’intimidation. Il eut de ce fait de nombreux déboires avec ses collègues.

III. L’ingénieur Musil
émet un jugement laconique
et désabusé sur la réalité

L’homme sans qualité (I-436)


Ce qu’on appelle généralement la réalité n’est rien d’autre que la routine.

 

 

IV. Commentaire de Wittgenstein

Des ensembles substantiels ou intrinsèques


HYPOSTASE : n.f. (gr. hupostasis, ce qui est posé dessous). Théol. chrét. Chacune des trois personnes divines considérées comme substantiellement distinctes. (Petit Larousse)

Wittgenstein commence son Tractatus par : « Le monde est tout ce qui arrive. » (tout ce qui a lieu [alles was der Fall ist] dans la traduction Granger)

Cette proposition contient déjà le négatif comme apparence.

N’arrive (n’a lieu) que ce qui est observé. Ce qui n’est pas observé au moins une fois, n’arrive pas (n’a pas lieu). Il existe peut-être ; mais il n’arrive pas (il n’a pas lieu). Sinon, Wittgenstein aurait écrit : le monde est tout ce qui est. Ainsi, le monde n’est pas tout ce qui est mais seulement tout ce qui arrive. Ce qui n’arrive pas, même s’il existe, ne fait pas partie du monde. Autrement dit, tout fait qui n’est pas observé au moins une fois n’est aucun fait.

Donc, s’il est tout ce qui arrive, le monde contient le négatif comme apparence puisque n’arrive que ce qui a été observé au moins une fois. Ainsi, le ver est dans le fruit dès la première ligne du Tractatus. Ce qui arrive, et a fortiori tout ce qui arrive, présuppose un observateur. Cependant « tout ce qui arrive » n’est pas observable même si ce qui arrive doit être observé pour arriver.

Par exemple, le short blanc à rayures bleues de Mlle Dombasle est apparu au moins une fois à M. Patrick Besson en 1981. Il fait donc indéniablement partie de tout ce qui arrive. C’est un fait.

Contrairement à ce qui existe simplement, immédiatement (pure hypothèse, évidemment), le monde n’existe que parce qu’il est observé, et il n’est observé que parce qu’il contient des observateurs. De ce fait « tout ce qui arrive » est un savoir, le monde est un savoir car il n’existe que pour autant qu’il contient des observateurs. Si le monde est un savoir, comme le veut Hegel, alors la logique — une logique spéciale — a lieu dans le monde — le fameux syllogisme hégélien a lieu dans le monde, il est le fait d’êtres collectifs — et non dans les têtes, comme le veut Hegel encore. Dans le monde, les contraires s’embrassent, plutôt violemment.

Les ensembles substantiels (c’est à dire les ensembles qui existent qu’on les pense ou non, les ensembles qui existent par eux-mêmes précisément parce qu’ils contiennent des observateurs) sont des ensembles intériorisés (il ne suffit pas qu’ils contiennent des observateurs pour être substantiels). Le nombre des hoplites en ordre de bataille existe, la population d’une ville n’existe pas. Le nombre des hoplites existait directement dans le monde (au point que dix mille d’entre eux pouvaient mettre en fuite, sans avoir à combattre, soixante mille soldats esclaves perses par le seul caractère menaçant de leur nombre, tant celui-ci existait fortement), car chacun des hoplites était habité par leur nombre (et les Perses, au lieu d’être habités par leur propre nombre pourtant supérieur étaient habités par celui des Grecs), contrairement à la population qui est le nombre des habitants d’une ville*. Les habitants d’une ville (sauf si elle est assiégée — voir la théorie de l’objet commun dans Critique de la raison dialectique. Sartre, 1959) ne sont pas habités par leur nombre. La population est donc, contrairement à la croyance habituellement répandue, seulement un être mathématique. L’abus de langage commis à l’égard de « population », abus dont parlait déjà Marx dans un célèbre passage des Grundrisse, sans parvenir à régler la question (ce qui sera l’objet de mon chapitre V), consiste dans l’hypostase d’une abstraction. L’abus ne consiste d’ailleurs pas dans l’hypostase elle-même mais dans la confusion entre l’hypostase et une chose et de l’abstraction à l’hypostase, il n’y a qu’un pas comme nous le verrons bientôt, un faux pas, évidemment. Jésus, au moins, était un homme ; mais il n’était pas divin, du moins ni plus ni moins que n’importe quel homme. Le Saint Esprit est divin ; mais il n’existe pas. Sartre commence ses Questions de méthode par : « La philosophie n’est pas ... c’est seulement une abstraction hypostasiée. » C’eût été encore mieux s’il avait écrit : l’histoire n’existe pas, c’est seulement une abstraction hypostasiée. Par contre, chaque habitant est habité par la ville. La ville n’est pas un être mathématique. La ville est un ensemble substantiel, car cet ensemble entretient une relation d’intériorité avec chacun de ses éléments, en l’absence de tout mathématicien (mais la présence des mathématiciens ne le gêne pas non plus : il tremble dans ses profondeurs et pourtant il n’est pas inquiet).

*. Le problème est le même, comme je l’ai montré au premier chapitre, si l’on entend par population « l’ensemble des habitants d’une ville »

Tous les efforts de Marx, dans la pensée, et des marxistes (auxquels je peux ajouter Debord), dans le monde, auront été pour éliminer l’observateur, on sait comment.

 

 

Jean-Pierre Voyer

 

1. Suarès (Carlo). Critique de la raison impure et les paralipomènes de la comédie psychologique composés sous forme de dialogues avec Joé Bousquet et René Daumal. Editions Stock, 1955, In 8°, Br., 310 p. 200 F Librairie ancienne Revel

 

M. Ripley s’amuse