« Cela
dit, je suis quand même coincé sur (dans 4068.htm, 15 juin 2001) la fin de
paragraphe: « Comment une proposition qui n'a pas de sens, qui n'est pas
vérifiable peut-elle être lourde de conséquences ? Serait-ce le cas aussi pour
“Les boojums n'existent pas” ? ». Esque le niveau de lecture m'échappe, ou
seresque l'analogie économie/boojums s'affaiblit en oubliant le pouvoir (qui se
nourrit plus de croyance que d'existence)?
Au passage, j'ai toujours
ressenti que c'est F. Mit. qui en France a donné sa place au discours
économique grand public, présenté comme explicatif (en opposition au néant
argumentatif de ses prédécesseurs, donc quite appealing !) Peut-on
en déduire que son nom s'appendra à la longue liste des créateurs de religions
ou analogues? Lira-t'on la Paille et le grain comme le tao te
king ? »
Del Dongo
Cher del Dongo,
Je te remercie pour
ton accusé de réception.
Quanta
l'analogie « économie n'existe pas » / « boojums
n'existent pas » :
C'est mon
adversaire qui prétend que la première proposition n'a pas de sens. Je suis
persuadé qu'elle en a un (lourd de conséquences je l'espère) ainsi que la
proposition contraire. De même que « Dieu existe » et « Dieu
n'existe pas » sont des propositions parfaitement claires, elles ont une
forme de proposition vérifiable, elles n'ont jamais été vérifiées et ce n'est
pas les tentatives de vérification qui manquent. Qu'il existe ou non, Dieu a
des sens bien définis (les définitions abondent et se contredisent au besoin)
tandis que les boojums n'on pas de sens défini, ni aucune définition.
Ensuite il
soutient que si elle n'a pas de sens c'est parce qu'elle n'est pas vérifiable,
ce qui me semble une absurdité. Si elle n'a pas de sens, c'est parce qu'elle
n'a pas de sens. On ne peut démontrer l'absence de sens ! Tout charabia
peut être un message secret. (Tout message clair et sensé aussi !) De même
l'absence de preuve de l'affirmation n'est pas la preuve de la négation. On
peut prouver le sens, mais non l'absence de sens. La vérification (preuve ou
réfutation) d'une proposition est aussi la preuve qu'elle avait bien un sens,
mais elle avait ce sens avant la preuve, c'est lui qui a rendu possible la
vérification, c'est lui qui donne à la proposition une forme vérifiable.
Ensuite, les
discours enflammés de Hitler et de Goebbels étaient lourds de sens implicites
et explicites et surtout lourds de menaces et donc de conséquences (ce qui ne
veut pas dire qu'ils étaient pleins de vérités. Tout mensonge a un sens sinon
il ne serait même pas un mensonge. Les mensonges sont donc vérifiables en
principe mais beaucoup demeurent invérifiés. Ils demeurent donc tranquillement
comme propositions réputées vraies.) S'ils avaient été insensés, ils n'auraient
produit aucun effet. De même les discours des sophistes grecs et des rhéteurs
latins. On n'attrape pas de mouches avec du vinaigre (si en vérité mais
passons). On en attrape en proférant, au milieu d'un hollywoodienne mise en
scène « Vous serez comme des Dieux ». Ensuite, ces discours furent
vérifiés de la manière apocalyptique que l'on sait. Hitler mit toutes ses
menaces à exécution (on peut dire qu'il n'a pris personne en traître, c'était
un homme loyal), ce qui est la preuve qu'elles avaient un sens, et le jugement
du monde fut le jugement de l'histoire. Malheur aux vaincus. De son côté,
Staline voulut prouver que l'économie existait. On a vu le résultat.
Toutes les
croyances sur lesquelles reposent les pouvoirs sont pleine de sens, la
croyance en Dieu notamment (il importe qu'elle ne soient pas vérifiables, du
moins pas trop vite comme dirait le crétin Debord) et de même les objets de ces
croyances. Bauer et Feuerbach affirmèrent au siècle dernier que l'objet Dieu
était une projection (pas sur un sous ensemble des entiers naturels mais dans
le ciel) des forces génériques terrestres humaines (ce qui est loin d'être une
preuve de l'inexistence de Dieu, ceci dit). C'était la position de Marx
également. Dieu est la manière de traiter les êtres collectifs autogènes quand
on ne sait pas faire autrement.
Enfin quand on
oppose croyance et existence, il ne faut pas oublier de distinguer existence de
la croyance et existence de l'objet de la croyance. Les croyances en tant que
telles existent toujours. Les objets de croyance parfois oui, parfois non. De
même pour le sens, il faut distinguer sens de la croyance (implicite, explicite
et de facto, pour l'historien après que l'histoire du monde a jugé. Pour
Hegel, le monde est jugement. On est loin du syllogisme. Hegel persiste
cependant à nommer cela syllogisme.) et le sens de l'objet de croyance.
Ceci dit, une
proposition qui n'aurait pas de sens (autre que logique) ne peut en aucun cas être
lourde de conséquences (autres que logiques). Donc mon adversaire commet une
contradiction quand il dit que ma proposition est d'une part privée de sens
et d'autre part lourde de conséquences ; mais il se trahit en
avouant que ma proposition est lourde de conséquences pour lui et pour ses
dogmes marxo-situationnistes ce qui constitue un sens pour lui. Il dit donc
d'une part que ma proposition n'a pas de sens et d'autre part qu'elle a un sens
menaçant pour lui et ses dogmes. S'il était moins stupide, il dirait que ma
proposition est seulement une croyance qui s'oppose à la sienne. Et nous
pourrions discuter. Mais au lieu de cela, il veut disqualifier ma proposition
en me foudroyant de ses oukases. Je veux également disqualifier la sienne mais
j'entends le faire par argumentation et non par contrepèteries. Toutes les
croyances ont un sens et même deux, explicite et implicite. C'est d'ailleurs le
besoin de sens qui fait le besoin de croyance. Donc des croyances insensées ne
satisferaient pas ce besoin de sens.
Histoire
amusante :
l'ethnographe Malinowski (qui pratiquement, contraint et forcé puisque
prisonnier autrichien sur l'îlot australien de Kirivina pendant la première
guerre mondiale, fut un des premiers ethnographes de terrain) enquêtait sur les
voyages Kula en haute mer que pratiquaient les habitants de l'île. Ceux-ci pour
se faire quelques frayeurs supplémentaires dans ces dangereuses expéditions
(1.500 km en pirogues à balancier) disaient croire aux attaques de pierres
volantes en pleine mer. Ils embarquaient donc un enfant afin de pouvoir le
jeter par dessus bord en cas d'attaque et d'apaiser ainsi les pierres volantes.
Malinowski leur demanda pourquoi un enfant et non un adulte. Son informateur
lui répondit que c'était beaucoup plus facile de jeter un enfant à la mer
plutôt qu'un adulte. Quand Malinowski leur demanda s'ils avaient déjà dû
recourir à ce procédé, son informateur lui répondit que de mémoire d'homme,
jamais. On s'amuse comme on peut.
Résumé : étant donné 1)
que pour moi la proposition « L'économie n'existe pas » est, je
l'espère, pleine de sens et vérifiable ; mais que 2) les boojums
n'existent pas et n'ont pas de sens en eux même (ils ont un sens, on peut les
considérer comme une variable d'individu, comme x, ils ont un
sens en logique, ils n'en ont pas dans le monde), 3) la proposition
« L'économie n'existe pas » peut être lourde de conséquence dans le
monde (elle l'est déjà quand on voit la hargne et l'acharnement stupide du pseudo Spinoza-Occam-Lulle-Abélard-Anselme-Augustin-Thomas, et il n'est pas seul,
plusieurs milliers de crétins me haïssent copieusement de par le monde parce
que je piétine leurs dogmes marxo-situationnistes. C'est déjà une conséquence
non négligeable. Ils trouvent à qui parler cela dit.) je travaille à ce qu'elle
le devienne du moins, tandis que « Les boojums n'existent pas » n'est
pas lourde de conséquence dans le monde mais seulement dans la logique (où elle
implique que la proposition « Les boojums existent » est fausse).
Pour qu'elle devienne lourde de conséquences, il faudrait, par exemple, qu'une
secte se mette à adorer les boojums. Cela confèrerait, peu ou prou, un sens à
boojums — mettez vous à genoux et vous croirez — et les sectaires
enrôleraient de nombreux disciples, comme d'habitude.
Le statut de
l'économie politique est celui d'une croyance laïque, civile, qui s'oppose à la
religion, à toute religion. Elle revendique sa laïcité et sa terrestritude.
C'est pourquoi elle est abjecte. C'est la pensée bourgeoise triomphante. Elle a
remplacé, facilement, la religion bien que n'étant pas une religion. Les
enculistes ont remplacé les enfants de chœur ; et les trottinettes, les
chapelets ou le moulin à prière. Le monde a horreur du vide de croyance. Comme
la religion, elle traite des êtres collectifs autogènes
(religion = relier, église = assemblée).
Bon sang, mais
c'est bien sûr ! Qu'est-ce que le spectacle ? C'est la croyance à
l'existence de l'économie. Qu'est-ce que le devenir monde de la religion ?
C'est la croyance en l'existence de l'économie. C'est le passage d'une croyance
à objet céleste à une croyance à objet terrestre. La phrase impérissable
« Le spectacle est l'économie qui se développe pour elle-même » prend
alors un sens ironique : « Le spectacle est la croyance en l'existence
de l'économie qui se développe pour elle-même »(*). Comment n'y
avais-je pas pensé plus tôt ? Debord était un spectateur fanatique !
Debord était un adorateur de boojums. L'Internationale situationniste ne
fut donc qu'une secte d'adorateurs des boojums et depuis elle a suscité, comme
toutes les sectes, des adorateurs fanatiques par milliers.
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Les questions que je me pose à propos du théorème de Gödel :
Quelle sorte de preuve ou de
garantie Gödel donne-t-il de la vérité
de G ?
G affirme-t-elle
vraiment, dans la démonstration précise (17 Gen v),
« Je ne suis pas démontrable »
ou bien affirme-t-elle seulement une certaine condition qui entraîne sa
non démontrabilité : q Î K º NOT ( Démonstration de ( [R(q) ; q] )) ?
Sincères salutations.
JPV
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*. L'illusion d'indépendance
de l'activité intellectuelle est constitutive de l'idéologie au sens de Marx**.
C'est cette apparence d'indépendance qui permet à l'idéologie de fonctionner
comme idéologie dominante, c'est à dire de coloniser les consciences à leur insu, d'orienter inconsciemment les
conduites, de les légitimer et de contribuer ainsi à la constitution d'un
consensus. La croyance à l'existence de l'économie est l'idéologie dominante
bourgeoise même, la mythologie bourgeoise. Debord ne fut que
l'idéologue de pointe de cette croyance, sa forme la plus chic et apparemment
la plus libre, ce qui explique le genre de succès qu'il rencontre aujourd'hui
et sa datcha rue Sébastien-Bottin. Debord est une aubaine pour la pensée
dominante. Il a plus fait, sans commune mesure, pour abrutir que tout
l'antisémitisme de Céline qui possède également une datcha à la même adresse.
J'accuse Debord d'avoir été un agent d'influence, d'autant plus efficace qu'il
prétendait combattre ce qu'il servait, qui plus est bénévole, c'est à dire un
prétentieux imbécile.
**. Je
trouve cette idée dans l'excellente brochure de Claude Orsoni, De la
dissidence, le régime idéologique soviétique et la dissidence. Nautilus, 1983.
Pour Orsoni il n'y pas d'idéologie en Russie puisque cette apparence d'indépendance
de l'activité intellectuelle n'existait pas en URSS. Personne ne croyait plus à
la doctrine officielle, ni dirigés, ni dirigeants. La doctrine unique,
officielle, obligatoire n'était qu'en apparence une idéologie, dans les faits
elle ne l'était plus du tout. En URSS, il n'y avait plus de croyants, c'était
le règne du cynisme. Pour Orsoni, le pouvoir politique stalinien s'oppose à
toute idéologie. En URSS c'est la police qui faisait régner une apparence de
consensus, en vérité, la terreur. Ni trottinettes, ni patins à roulettes, ni
milices pride à Moscou. De même, aujourd'hui, l'idéologie n'est pas constituée
par la propagande d'un tyran (propagande concentrée) ni par le matraquage de la
propagande commerciale (propagande diffuse) qui ne présentent pas ce caractère
libre et spontané requis pour qu'on puisse parler d'idéologie. Le caractère
libre et spontané des patins à roulettes et de la trottinette sont
indispensables à l'idéologie.