Commentaire d’un manuscrit de 1975

MAJ 12 mars 2006


Posted by Jean-Pierre Voyer sur le Debord off on May 09, 1997


 

Comment, après 13 ans de recherches et d’aventures,
j’ai compris la grammaire du mot « valeur »

Sans même la connaître, j’ai appliqué la méthode du Dr Wittgenstein à la métaphysique (à la pathologie) développée autour du mot « valeur » depuis plus de deux millénaires. C’est une découverte palmaire.

Ce n’est pas la grammaire qui doit être corrigée, mais la compréhension de la grammaire. La grammaire n’est ni vraie ni fausse, elle est constituée des règles d’un usage plurimillénaire. La métaphysique, la pathologie, n’apparaît que lorsqu’on s’avise de penser ce qui allait tranquillement de soi. La pathologie résulte du fait que la grammaire n’est pas comprise. C’est pourquoi la méthode du Dr Wittgenstein est de regarder l’usage parce que c’est dans l’usage que des règles plurimillénaires sont appliquées. C’est ce que j’ai fait dans ce texte, et l’on pourra voir que les errements du raisonnement aboutissent progressivement à la compréhension de la grammaire. Penser, c’est comprendre la grammaire.

Ainsi, quand vous dites : « ces arbres sont nombreux » vous dites une sottise car il est impossible que des arbres soient nombreux (des hopplites, oui, car leur nombre leur appartient et agit en chacun d’eux). « Nombreux » n’est pas une qualité des arbres mais une qualité de leur ensemble. L’expression correcte mais assomante serait : l’ensemble de ces arbres est doté d’un grand cardinal. Le nombre est une qualité de l’ensemble et non pas une qualité des éléments de l’ensemble. C’est une autre façon de dire qu’un ensemble consiste dans son concept et non dans ses éléments. C’est à l’ensemble d’être nombreux, unique ou vide.Plus simplement « Il y a un grand nombre d’arbres » plutôt que « Il y a de nombreux arbres ». Comme vous le constatez, et comme Wittgenstein le répète à l’envi : la grammaire cache la logique. [17-04-2015]

Notez encore qu’en grec ancien c’est le même mot systema qui désigne un ensemble et un bataillon de soldats. L’ensemble, comme tout ensemble, a un cardinal et le peloton a un nombre. La différence est que les éléments d’un ensemble ne possèdent pas le cardinal tandis que les soldats possèdent leur nombre. Les éléments d’un ensemble n’existent pas ensemble, les soldats si. Quant aux éléments des multitudes, ils sont écrasés par leur nombre : seuls parmi tous que voulez vous qu’ils fassent ? [17-04-2015]

Texte original Þ

Commentaires des derniers raisonnements qui conduisirent à l’idée ici et  : "La valeur est un échange effectué en pensée". Les commentaires sont dans les cadres blancs.

En 1975 j’aboutis à la conclusion que l’on (et notamment Marx) confond communément la loi de l’échange marchand qui est une loi avec le fait de la valeur qui est un fait. La loi de l’échange marchand est que deux marchandises qui ont le même prix ont demandé la même quantité de travail pour leur production (je ne discute pas l’ombre d’un instant la validité de cette loi car là n’est pas la question pour moi. La question est seulement celle d’une confusion entre une loi et un fait. Personnellement, je considère que cette loi est valable ce qui est sans importance pour notre sujet). Le fait de la valeur est que lorsque les choses deviennent des marchandises, elle ne portent pas seulement un nom, mais qu’à chacune est aussi associé un échange effectué en pensée et cette association est un fait, un fait social total dirait Durkheim. Le nom de cette association est « valeur ». Une expression comme « loi de la valeur » est parfaitement impropre et dénuée de sens de même que l’expression « valeur d’échange » ou celle employée par Smith et Ricardo « valeur échangeable ». La question de l’établissement de ce fait est la même que pour tout autre fait social tel que tabou etc. : c’est un fait accompli mais personne ne sait qui a accompli ce fait, ni quand il le fut. Comme les sauvages répondent à Malinowski : il en a toujours été ainsi, nous devons aussi répondre : il en a toujours été ainsi, ou bien : il en fut ainsi à partir de telle époque (évaluée en millénaires). Aristote traitait déjà de cette question (Cf. Conclusion).

Manuscrit de 1975, page 1688. 25 août 1975.

 

Supercherie

 

[1688] Certes la valeur est sans dimension. Ce n’est pas une grandeur mais le rapport de deux grandeurs.

Oui, la valeur n’est pas une grandeur ; mais non, elle n’est pas le rapport de deux grandeurs [1]. La valeur n’est pas un rapport car le rapport, c’est l’échange lui-même. Si la valeur n’a pas de dimension, ce n’est pas parce qu’elle est un rapport de deux grandeurs mais parce qu’elle n’est pas une grandeur. C’est une idée, et les idées ne sont pas des grandeurs, elles n’ont pas de dimensions.

La valeur ne saurait donc être mesurable. C’est à dire qu’elle ne saurait être accumulée ou soustraite.

Oui, mais, si la valeur n’avait pas de dimension parce qu’elle est le rapport de deux grandeurs, elle serait une mesure, c’est à dire un nombre réel. Donc elle ne serait pas mesurable, mais cependant elle pourrait être additionnée ou soustraite comme peuvent l’être les nombres réels. Donc, si la valeur ne peut être accumulée ou soustraite, c’est parce qu’elle n’est pas un rapport, qu’elle n’est pas une mesure, qu’elle n’est pas un nombre réel ni une quantité, produit d’un nombre réel et d’une unité de mesure. Vous pouvez penser que, pourtant, on additionne bien de la valeur, que, par exemple, on peut additionner des prix. Vous faites erreur. Quand vous additionnez des prix, vous n’additionnez pas de la valeur mais de l’argent ! c’est à dire des quantités d’argent  et non des quantités de valeur. Quand vous additionnez 23 francs plus 57 francs plus 36 francs et que vous obtenez 116 francs, vous obtenez plus de francs, c’est à dire plus d’argent (en pensée seulement, hélas ! n’est-ce pas ?) et non plus de valeur. La grammaire de « telle chose prend de la valeur », « telle chose se dévalue », « valeur ajoutée » etc. est différente. Il s’agit d’une figure de rhétorique, une des nombreuses espèces de la métonymie, je suppose (les barbarismes d’aujourd’hui sont les métonymies de demain. Exemple : technologie pour technique, l’étude de la chose pour la chose ; ici la pensée de l’échange pour l’objet convoité de l’échange). Valoir, c’est valoir une quantité d’argent [Littré : « valoir c’est avoir un prix] ». Valoir plus est valoir plus d’argent et non valoir plus de valeur ce qui est une absurdité. J’ignore le nom de cette espèce de métonymie. Je n’ai pas étudié la rhétorique. Mais valoir n’en demeure pas moins s’échanger en pensée et seulement en pensée.  On peut boire un verre, on peut en boire deux, mais à strictement parler, on ne boit pas du tout de verre liquide, heureusement. On peut valoir plus, mais à strictement parler on ne peut valoir plus de valeur, ce qui est une absurdité, mais seulement plus d’argent liquide.

En passant : grammaire des termes « équivalent », « équivalence » dans le domaine qui nous occupe. « Équivalent » signifie que deux marchandises ont même valeur, c’est à dire qu’à ces deux marchandises est associée la pensée d’un échange avec une même quantité d’argent. Deux marchandises équivalentes s’échangent contre une même quantité d’argent. Deux marchandises équivalentes peuvent, de ce fait, s’échanger dans un échange de marchandises, pratique quotidienne entre les commerçants. Donc la valeur n’est pas une équivalence et l’expression « l’argent est l’équivalent général » n’a tout simplement pas de sens. C’est seulement du psittacisme. Le perroquet a une bonne diction mais il ne comprend pas ce qu’il dit (allez savoir). Le perroquet humain, lui, croit savoir ce qu’il dit. Il se rengorge. Il ne fait pas seulement le perroquet, mais aussi le paon. De même l’expression « telle marchandise est équivalente à telle quantité d’argent » est dénuée de sens puisqu’à cette marchandise très particulière qu’est l’argent n’est associée aucun échange effectué en pensée. De ce fait, l’argent est ce qui est libre. Exception : sur le marché des changes, l’argent, plus précisément les monnaies, redeviennent des marchandises comme des autres. Selon que l’on cote le certain ou l’incertain, je ne sais plus, l’unité d’une monnaie vaut une certaine quantité de l’autre. Et deux marchandises dont l’unité cote la même quantité d’une troisième sont équivalentes.

En toute rigueur : selon Frege, les pensée sont saisies dans le monde, mais il n’y a pas de pensées dans le monde. Il serait donc incorrect de dire que l’échange des marchandises est pré-pensé dans le monde. Il est seulement pré-exprimé. C’est l’expression, dont la pensée est le sens, qui est dans le monde. On appelle ça, couramment, une étiquette. Dans une rue commerçante de Londres,  brillamment éclairée, Marx méditait devant une vitrine où les marchandises portaient une étiquette « sur le front ».

Digression

L’argent, à l’origine, était une marchandise comme une autre à ceci près que c’est l’idée de l’échange avec cette marchandise qui est associée à toute autre marchandise mais jamais l’inverse. L’argent est exactement comme l’universel chez Platon, universel qui ne dépend pas des particuliers. Comme l’universel de Platon, l’argent est totalement libre par rapport aux particuliers. L’argent est l’empereur des marchandises. C’est lui qui en pressant le pouce ou en le renversant décide si un échange effectué seulement en pensée sera réalisé ou non. Mais l’argent est aussi comme l’universel chez Aristote. Il est présent dans chaque marchandise particulière mais comme idée d’un échange. Chaque particulier n’est pas une copie imparfaite de l’universel mais l’universel est présent dans chaque particulier comme idée d’un échange. Marx avait bien raison de déclarer que sa vieille ennemie la marchandise est pleine de subtilités métaphysiques. Il a également raison quand il déclare que les mystères de la métaphysique se trouvent dans le monde et qu’il ne faut pas les chercher ailleurs comme voulut le faire Hegel. Comme monsieur Jourdain fait de la prose sans le savoir, celui qui achète son pain chez le boulanger fait de la métaphysique sans le savoir. — Soit dit en passant, en France, quatre-vingt-dix-neuf boulangers sur cent devraient être fusillés (les minotiers qui les commanditent aussi, évidemment) car eux aussi font de la métaphysique au lieu de faire du pain. Idem pour les cuisiniers qui se prennent pour des artistes. La France est le pays où l’on mange le plus mal sur la route et le plus prétentieusement. Au moins chez Mac Donald nous savons ce qui nous attend et nous sommes servis jusqu’à onze heure du soir. Si les Aveyronnais et les faux pizzaïolos faisaient leur métier, il n’y aurait pas un seul Mac Donald en France. Au moins aux Etats-Unis, on peut manger de bonnes pizzas. Gros con d’imbécile moustachu. Fusillé, lui aussi. — Marx dit que l’argent est le dieu des marchandises et c’est bien vrai puisque chaque marchandise adresse une prière d’échange à l’argent.

La valeur est une idée associée à chaque marchandise. C’est d’une part l’idée d’un échange, un échange effectué en pensée. D’autre part c’est l’idée d’un échange non avec n’importe quelle marchandise mais avec de l’argent et non pas de l’argent en général mais avec une certaine quantité d’argent. L’argent est associé en pensée à chaque marchandise particulière. Ce qui est important ici, ce n’est pas ce qui a déterminé cette certaine quantité d’argent — et qui est exprimé dans la loi de l’échange marchand, loi de Ricardo (je l’appelle ainsi puisque Smith et Marx ne l’ont pas comprise et bien que le terme de "travail matérialisé" ou "fixé" dans un marchandise soit malheureux et ait contribué à induire Marx en erreur. Il n’y a pas plus de travail matérialisé, fixé ou cristallisé dans une marchandise que de beurre en branche. Très simplement, comme le canon pour se refroidir, chaque marchandise a demandé pour sa production un... certain temps de travail. Les marchandises qui s’échangent, ont demandé le même temps. Pourquoi ? parce que celui qui ne respecterait pas cette loi qu’il ne connaît même pas, au delà des fluctuations prévues par la théorie, se ruinerait. Point final. Blague du sentier : il vend à perte, mais cela ne fait rien, il se rattrape sur la quantité) : des marchandises qui s’échangent contre une même quantité d’argent ont demandé pour leur production un même temps de travail — , mais le fait de l’échange effectué en pensée, mais le fait de l’existence de la pensée de cet échange (le tableau est un fait nous dit Ludwig Witt, n’est-ce pas ?). La valeur n’est pas une loi mais un fait. Marx a toujours confondu loi de l’échange marchand et fait de la valeur et de plus, comme Smith, et même Ricardo, il a substantifié une mystérieuse quantité de travail cristallisée (Stendhal !) qui serait contenue par les non moins mystérieuses marchandises. Il devrait être facile pour un mathématicien de modéliser et de prouver enfin ! cette loi. Poser les axiomes, établir le modèle, prouver. Le fait qu’est la valeur n’a pas à être prouvé mais simplement constaté (dépeint dirait Ludwig Witt). Il suffit de savoir voir. Il suffit d’examiner l’usage.

C’est l’argent qui décide si l’échange effectué seulement en pensée deviendra un échange effectif, effectué non seulement en pensée mais pour de bon. L’argent est l’arbitre général, la reconnaissance générale qui s’est éloignée dans une chose. C’est de là que vient le prestige des marchandises particulières  : elles font référence à la reconnaissance générale, au dieu des marchandises, Marx dixit, comme les peintures de la Renaissance italienne faisaient encore référence à Dieu. C’est cette référence qui est aimable en elles de la même manière que dans un tableau la beauté provient de la référence au bien suprême. L’argent est la beauté de l’universel dont rêvait Platon qui existe dans le monde comme une chose tangible (touchable) et qui paraît dans chaque marchandise (comme l’essence chez Hegel, l’argent doit nécessairement apparaître et, ce faisant, il monopolise toute l’apparence. Voilà pourquoi, entre autre, je pensais que le charabia de Debord pouvait avoir un sens et que le spectacle entendu en ce sens pouvait être la société entière et pourquoi, en 1975, je pensais pouvoir rapidement l’expliciter.) Il n’y a pas que les propositions (ni les croûtes de l’affreux pédé albinos Warhol) qui sont des tableaux ! Chaque marchandise est un tableau (ça y est, voilà donc le spectacle enfin défini non trivialement ! La société marchande est composée d’une énorme accumulation de tableaux !) L’argent doit nécessairement apparaître, l’argent a le monopole de l’apparence car il paraît dans chaque chose devenue marchandise (ce qui n’a rien à voir avec le sens stupide de Debord, le sens de monopole de la propagande car pour Debord, il n’est d’apparence que trompeuse. La propagande est toujours un monopole d’ailleurs.) Désormais, chaque chose a non seulement un nom, mais un prix. On peut contempler l’argent dans chaque chose devenue marchandise. Contempler seulement, "Noli me tangere". Ce qui est beau là dedans, c’est la puissance mais la puissance seulement contemplée, comme dans un tableau. (Autre imbécillité de Debord : le capital, autant accumulé qu’on voudra, n’est pas l’argent que l’on regarde seulement, c’est au contraire l’argent dont on peut faire usage notamment dans la pure spéculation et que l’on ne voit surtout pas, comme le signale bien Marx. C’est dans chaque marchandise particulière qu’on peut regarder l’argent : eucharistie, hostie) A chaque marchandise est associée une idée qui peut être réalisée. L’échange avec l’argent peut être effectué. L’achat est jubilatoire car il est actualisation de la puissance. Toute la théologie est là-dedans.

La querelle des universaux portait sur la question de la réalité (de la chosité) des universaux : les universaux sont-ils des choses générales dans le monde ou bien seulement des idées générales ou même seulement des noms généraux ou même seulement des noms et des idées particulières. Avec la valeur, on a une idée particulière qui est associée à une chose particulière (qui devient de ce fait marchandise) mais qui fait référence à une chose générale sous forme d’un échange effectué en pensée avec une certaine quantité de cette chose générale. Toute chose en ce monde a désormais une valeur, mêmes celles qui ne sont pas le fruit de l’industrie, même celles qui sont hors d’atteinte dans l’espace circumterrestre et qui seront bientôt cotées en bourse, c’est à dire qu’à toute chose est associée l’idée d’un échange avec la reconnaissance générale et donc aussi bien l’idée de la reconnaissance générale, ce qui n’est pas le cas dans d’autres mondes. Je ne sais si les universaux existent comme choses générales dans le monde mais je sais qu’il est au moins un universel qui existe ainsi.

L’ADN est à la cabalité ce que l’oxygène est au phlogistique. Chaque cheval particulier comporte le plan du cheval. Il existe de multiples exemplaires du cheval mais le génome n’est pas pour autant une chose générale. Chaque plan de cheval est un plan particulier, c’est ce qui lui permet d’évoluer, c’est ce qui lui permet de différer des autres plans par erreur de réplication et c’est ce qui permet à la police de confondre (c’est à dire de distinguer, le langage est un farceur) les chevaux criminels. C’est constructiviste, ces différents exemplaires ont été construits ou produits par réplication. C’est le même plan reproduit à grand nombre d’exemplaires avec des différences dues aux erreurs de réplication. C’est donc tout le contraire d’un universel ou d’un concept [ je ne l’entendais pas au sens de Frege que je n’avais pas encore lu ]. Ce plan n’existe que dans des exemplaires particuliers. C’est la réfutation de la cabalité platonicienne ou aristotélicienne. Sur ce point précis, les nominalistes ont raison, dans le monde il n’y a de plans de chevaux que particuliers, le général (le nom de cheval) appartient au langage et seulement au langage. A quoi reconnaît-t-on le cheval ? A son nom, c’est écrit dessus. Sur ce point les chevaux sont semblables aux marchandises à cette différence près que sur l’étiquette de la marchandise est écrit son prix tandis que sur l’étiquette du cheval est écrit son nom. Les chevaux se reconnaissent cependant entre chevaux. Les chevaux sont assez savants. Mais ils ignorent qu’ils sont nombreux, ils ignorent qu’ils sont les représentants d’un genre. Ils ignorent qu’ils ont un nom (quand ils ont un maître, ils apprennent leur nom propre mais continuent à ignorer leur nom commun (commun suppose communauté). Si par plaisanterie son maître appelle son cheval « Cheval » ce cheval ignorera toujours qu’il porte comme nom propre son nom commun et que son maître est un farceur.). Ils sont seulement semblables. Sur quoi est basée cette reconnaissance ? Sur la similitude des chevaux. Sur quoi est basée la similitude des chevaux ? Sur la similitude des plans de chevaux, qui sont tous des plans particuliers, et certainement pas sur leur nom qui est seulement une idée générale. C’est la similitude qui fait les noms, ce n’est pas les noms qui font la similitude. Comment le nombre, et le nom, viennent aux chevaux ?

Le fait que l’échange soit caractérisé dans notre pays par le rapport des quantités dans lesquelles les produits du travail s’échangent provient simplement de ce que ce rapport est déterminé ailleurs que dans l’échange lui-même.

Non, l’échange n’est pas caractérisé par le rapport des quantités, car il est lui-même le rapport. Il est caractérisé par le fait que les quantités (et non leur rapport) sont déterminées ailleurs que dans l’échange.

Il [En fait elle, c’est la détermination des quantités qui revêt un caractère nécessaire et indépendant] a un caractère nécessaire et indépendant. Il [elle] est déterminé dans la totalité des échanges sans que cette totalité se connaisse [pour parler comme Barwise, personne ne connaît la situation], se rapporte directement à elle-même. La valeur est comme une loi de l’échange.

Non, la loi de l’échange marchand n’est pas la valeur. La loi de l’échange marchand, telle que la conçut Ricardo, est que les produits qui s’échangent dans l’échange marchand ont demandé un même temps de travail. Quand à l’échange effectué en pensée, il est si peu nécessaire qu’il peut très bien n’avoir jamais lieu.

Et cette loi est la loi d’un certain phénomène, le phénomène de ce qui détermine cette loi, le phénomène de la totalité des échanges.

Du fait de l’annotation précédente, cette phrase devient sans objet. Ensuite, la totalité des échange ne paraît jamais, elle agit mais ne paraît pas. Enfin c’est bien du fait de l’existence de cette totalité qu’il peut exister une loi de l’échange marchand. Wittgenstein (*) a raison de souligner que les phénomènes ne dépendent pas des lois, mais l’inverse. La meilleure preuve en est que dès que les prévisions que permettent d’établir une loi s’écartent de ce qui peut être observé, on change la loi et non le phénomène (**). Dire que les phénomènes obéissent à des lois est une de ces absurdités et de ces abus de langage tels qu’il s’en profère des tonnes chaque jour de par le monde avec la plus grande satisfaction bouvardo-pécuchienne. On peut seulement dire que les phénomènes semblent respecter des lois péniblement construites par des hommes, jusqu’à ce que les progrès de la pensée et des instruments de mesure montrent qu’ils les violent allègrement. Les lois sont humaines, les phénomènes, non. Ici, bien que les phénomènes eux-mêmes soient humains, ce n’est pas la loi découverte par Smith qui fait que les produits qui s’échangent ont demandé, grosso modo, le même temps de travail pour leur fabrication, pas plus que ce ne sont les lois de Newton qui font que les astres évoluent comme ils évoluent et que les pommes tombent comme elles tombent. Mais le fait qu’ici non seulement les lois mais les phénomènes sont humains permet d’espérer qu’ils sont compréhensibles, autrement dit qu’ils ont un sens ; tandis que le fait qu’une pomme tombe en semblant respecter telle loi peut très bien n’en avoir aucun. C’est toute la difficulté de la métaphysique mais aussi tout son intérêt, tandis que pour la physique, prévoir n’est pas expliquer et ne demande pas qu’on explique. Un positiviste strict répond au sujet de la réalité ce que Laplace (qui n’était pas encore marquis de Laplace mais seulement Pierre Simon) répondit à Napoléon au sujet de Dieu : « Sire, c’est une hypothèse inutile. » Aujourd’hui, personne ne parvient à se mettre d’accord sur l’interprétation des résultats de la mécanique quantique et les interprétations pullulent ; mais cela n’empêche pas ladite mécanique de se porter à merveille et de prospérer. Comme le souligne Wittgenstein, la physique classique donnait à bon compte l’illusion d’expliquer tandis que la physique quantique ne fait rien de tel et semble même s’ingénier à faire tout le contraire.

[1689] Le mot « Valeur » désigne donc plus qu’un simple rapport.

En fait non, comme on verra. Il désigne un rapport effectué en pensée.

Il désigne que ce rapport est déterminé et déterminé ailleurs que dans l’échange.

Non, seules les quantités sont déterminées ailleurs, non le rapport. Ce qui est déterminé ailleurs c’est la réalisation de cette idée qui peut très bien demeurer idée et ne jamais être réalisée.

La valeur signifie que le rapport dans lequel les quantités des produits du travail s’échangent préexiste à l’échange, existe en dehors et indépendamment de l’échange à la fois comme une loi et comme un savoir social public, une idées sociale.

Si le rapport préexiste à l’échange c’est donc que l’échange préexiste à l’échange puisque l’échange est le rapport même. Je dis donc déjà sans le comprendre (psittacisme) que l’échange préexiste à l’échange effectif comme une idée.

« Valeur » signifie que tout échange existe en apparence, en idée, indépendamment de toute existence réelle, indépendamment de tout échange particulier.

Voilà, la proposition est trouvée. Mais, comme on verra plus loin, pas encore bien comprise, puisque je régresse

« Valeur » signifie que tout paraît dans tout, que les contraires s’embrassent en idée, indépendamment de l’acte réel et efficace d’apparence, en dehors de tout dialogue réel, pratique, en dehors de tout échange. [1690] « Valeur » signifie seulement que les carottes paraissent dans les radis, dans les chaussettes, dans le boudin etc.

« Valeur » signifie suppression [de l’indépendance] généralisée universelle du travail [Non], mais en idée, indépendamment de l’acte pratique, réel, de la suppression [de l’indépendance] du travail, indépendamment de l’échange.

Certes, la valeur présuppose la suppression généralisée de l’indépendance de l’activité et en ce sens seulement la signifie. Cependant cette suppression de l’indépendance de l’activité n’est pas la valeur mais l’échange lui-même [ Mais surtout, pour parler comme Barwise la connaissance de de la situation ]. L’échange n’existe jamais isolément mais toujours dans une totalité des échanges, donc un échange particulier présuppose toujours une totalité des échanges [ qui elle même présuppose la connaissance de la situation ], la suppression généralisée de l’indépendance de l’activité.

« Valeur » désigne en fait une idée. [Oui] « Valeur » désigne (de même que mana) l’idée universelle de l’échange [Non] [2]. « Valeur » c’est l’idée de l’échange quand elle est dans toutes les têtes. [Non, je m’éloigne.]

« Valeur » est une idée et seulement une idée.

Voilà la proposition à nouveau : la valeur est un échange effectué en pensée. Donc, comme je le remarquais au début en [1], la valeur n’est pas un rapport mais seulement l’idée d’un rapport. Donc, valeur ne désigne pas non plus l’idée universelle de l’échange comme je le disais faussement en [2] mais est l’idée d’un échange particulier, un échange particulier effectué en pensée.

Il s’ensuit que la suppression [de l’indépendance] du travail n’appartient plus à l’échange particulier, n’appartient plus au travail particulier. [1691] L’échange particulier n’est plus qu’une ratification d’un accord qui existe ailleurs et indépendamment de l’échange. L’échange est devenu quelque chose d’inessentiel face à quelque chose d’essentiel.

Il l’a toujours été. Lévy-Strauss avait bien compris ça. Il se trompe seulement sur l’essentiel qui pour lui est la structure de la totalité des échanges. Il avait parfaitement compris aussi que le fameux don n’est qu’une apparence. Mais au moins le don est-il une apparence, que l’on peut isoler, et qui très précisément résulte de cet isolement. Tandis qu’économie, production (en général, pas la production annuelle de pomme de terres, ni la production d’une paire de bottes par le bottier évidemment), consommation (en général, pas la consommation d’essence par kilomètre évidemment) ne sont même pas des apparences ; mais seulement des mots vides de sens, sans description, sans définition, sans référent, sans objet, caquetage de perroquets. Et quand je dis économie, je veux dire economy et non economics qui est une science qui a au moins le mérite d’exister quoi que l’on puisse penser de cette science par ailleurs. En fait, comme je le note dans le chapitre 6 de mon Rapport, « économie » n’est pas un mot vide de sens mais un mot lourdement chargé, à ras bord, de sens, de connotation. Simplement : sa grammaire n’est pas comprise. Sa grammaire repose sur celle du mot « ensemble ». Selon Frege, le mot « ensemble » consiste dans le concept et non pas dans ses éléments. Frege perce à jour la grammaire de ce mot, ce que ne fait pas Cantor. Qu’est-ce qu’un ensemble ? une sorte de tas. Qu’est-ce qu’un tas ? c’est un ensemble. Je caricature à peine. D’ailleurs « ensemble » est un indéfinissable. Il fallut donc axiomatiser comme le fit Euclide pour l’espace il y a plus de deux millénaires. Quel génie chez ces Grecs, et cela dans une guerre permanente, que ce soit à l’extérieur ou dans la cité. Frege échoue comme mathématicien mais réussit comme grammairien. Il fonde la philosophie analytique. Et quelle brièveté, quelle clarté, quelle espièglerie aussi (la lessive Husserl). Je découvre que Nietzsche, contrairement à ce que j’avais entendu dire, estimait beaucoup Socrate, notamment pour son « espièglerie sérieuse » qui entraîna d’ailleurs sa mort puisqu’il se permit une dernière provocation devant ses juges. Il leur déclara que la peine légère à laquelle il venait d’être condamné était une infamie s’il était innocent et une infamie plus grande encore s’il était coupable du crime de corrompre la jeunesse. Aucun rapport avec les minables provocations des caricaturistes danois, comme on voit. Ça c’était de la liberté d’expression. On en parle encore.

Adam Smith a montré que la valeur, ce rapport des quantités [Non, le rapport des quantités est l’échange lui-même et la valeur est seulement l’idée de cet échange.] selon lesquelles s’échangent réellement les produits du travail est comme le rapport des temps de travail nécessaires à la production de ces produits.

Non, je me trompe, Smith a seulement prétendu que la valeur est égale à une quantité de travail. Marx conclut comme on sait que la valeur c’est du temps de travail, congelé de plus! C’est une sottise. Ce n’est pas une raison pour tenir Marx responsable du despotisme en Russie et ailleurs. Ensuite, il divague et Marx à sa suite puisqu’il fait du temps de travail la substance de la valeur. La loi de l’échange marchand établie par Ricardo est que les quantités échangées sont telles qu’elles ont demandé pour leur production un égal temps de travail. C’est une tautologie que de dire que les marchandises s’échangent dans des quantités déterminées. Cette proposition est toujours vraie. Elle le seraient si, par exemple dans un jeu télévisé, les quantités étaient tirées au sort. La question intéressante est de savoir ce qui détermine les quantités de façon qu’elles soient telles que leur production a demandé un égal temps de travail.  Ricardo répond :

« Chacun étant libre d’employer son capital comme il lui plaît, il est naturel qu’il cherche à le placer de la manière la plus avantageuse ; il ne se contentera pas d’un profit de 10 pour cent, si, par un autre emploi, il peut en tirer 15 pour cent. Ce désir inquiet, qu’a tout capitaliste, d’abandonner un placement moins lucratif pour un autre qui le soit davantage, tend singulièrement à établir l’égalité dans le taux de tous les profits, ou à en fixer les proportions de telle sorte que les individus intéressés puissent estimer et compenser entre elles tout avantage que l’un aurait ou paraîtrait avoir sur l’autre. » Principes, Chapitre IV.

C’est la définition de l’enculisme. La liberté bourgeoise est la liberté des capitaux et de leurs propriétaires. C’est la liberté d’enculer. Aujourd’hui cette liberté est totale, elle ne connaît plus de borne. Même la torture est sous-traitée dans les pays qui présentent un avantage comparatif. C’est beau la  liberté bourgeoise. Et tout ça au milieu des protestations de moralité. Les Athéniens, quand ils passaient au fil de l’épée hommes, femmes et enfants d’une citée « alliée » révoltée ne faisaient pas tant d’histoires. On assumait encore ses actes et ses paroles à cette époque. L’Émir de la guerre a parfaitement raison : « hypocrites ».  

Ricardo a précisé que cela ne signifie pas pour autant que la valeur soit du temps de travail [sur ce point, Marx a régressé par rapport à Ricardo.] [...]

[1692]

Notes :

(*) « Toute la vision des Modernes repose sur l’illusion que les prétendues lois de la nature sont des explications des phénomènes ». Carnets. Je suppose que W. ne veut pas dire que ces lois sont de prétendues lois ; mais qu’elles sont des lois prétendument naturelles.

(**) A vrai dire ce n’est plus tout à fait le même phénomène, car on ne le regarde plus du même œil, si je puis dire, à moins, même, que les lois n’aient cessé de s’appliquer justement parce qu’on avait déjà commencé à le regarder d’un autre œil.

 

 


Manuscrit de 1975, page 1704. 26 août 1975

Valeur

[1704] Ce qui est rapproché et déclaré équivalent, échangeable, ce sont non seulement des matières différentes, tissus et vin, fonte, mais des dimensions différentes de ces matières, mètres (longueur) et litres (volume, longueur au cube) et kilogrammes-force (combinaison de masse longueur et temps).

Certes, sous certaines précautions, il est possible d’exprimer le vin en mètres, le tissus et kilogrammes-force et la fonte en litre.

Ce qui importe, c’est que les produits quelconques, exprimés en grandeurs quelconques sont rapportés les uns aux autres, sont supprimés comme de simples apparences.

Il est erroné de dire que la valeur est le rapport des quantités dans lesquelles s’échangent les produits du travail puisque ces quantités sont incommensurables.

Pas seulement pour ça mais parce que la valeur n’est pas un rapport mais l’idée d’un rapport

La valeur est le rapport pratique, réel, pratique de ces produits quelconques.

Je m’éloigne. Je ne comprends pas encore que le rapport pratique, réel, c’est l’échange lui-même, et que la valeur est seulement l’idée de ce rapport pratique.

La valeur n’est pas rapport de choses mais un rapport social, pratique, effectué.

La valeur n’est pas un rapport du tout, c’est l’échange qui est un rapport pratique, social et éventuellement effectué. La valeur est seulement l’idée de ce rapport.

La valeur désigne le fait que l’échange de ces produits peut avoir lieu sans obstacle,

Non, plutôt que le seul obstacle à l’échange devient le manque d’argent ou la saturation de la demande de telle ou telle marchandise, ce qu’il s’agit d’éviter à tout prix, on sait aujourd’hui avec quel brio et quelle inventivité !

... puisque justement les obstacles que sont l’hétérogénéité des produits sont supprimés, pratiquement supprimés.

Non, si l’échange peut avoir lieu sans obstacle c’est parce qu’il est déjà réalisé en pensée, et la valeur est précisément cet échange réalisé en pensée. Cela n’a rien à voir avec une hypothétique hétérogénéité supprimée. La raison de l’échange est évidemment que les produits sont hétérogènes, quelle intérêt cela aurait-il d’échanger des chaussures contre des chaussures à moins que les échangistes ne soient des collectionneurs ou des pétasses.

La fonte n’est qu’en apparence de la fonte mais en vérité aussi du tissus et du vin.

Non, la fonte s’échange en pensée avec du tissus, en fait avec de l’argent. La fonte pense, le saviez vous ? [ Je ne dirais plus cela aujourd’hui, puisque j’a lu Frege. ]

[1705] La valeur n’est rien d’autre que ce phénomène naturel, ce phénomène météorologique.

Exactement, la valeur est la pensée qui se manifeste dans les choses. C’est bien un phénomène météorologique.

La valeur ne signifie rien d’autre que les produits du travail s’échangent en dehors de la production,

Je ne sais pas encore que la production n’existe pas sinon comme classe de faits

sans aucune pensée et surtout sans aucun obstacle.

Sans aucune pensée, certainement pas. La valeur est un échange pré-pensé [ Pré-exprimé, plus exactement. Frege encore ]. Sans aucune parole, oui.

Ces minutieux échanges qui demandent des jours et des jours de palabre chez de plus heureuses peuplades sont ici pré-échangés. Ouvrez, sentez, c’est déjà du vomi.

… disait une pub pour Vomig, un potage prédigéré. Juvénal dit, lui : il l’encule si profond qu’il rencontre le dîner de la veille. Cela en dit long sur une civilisation que des palabres soient considérés comme des obstacles qu’il faut supprimer. Il s’agit d’échanger sans discussion possible. Cela explique que les bourgeois soient grossiers et incultes et qu’ils soient réellement l’homme pressé (Pinault-cul, Lagardère, Arnaud). D’ailleurs, les palabres ne sont pas supprimés aujourd’hui, ils sont simplement réservés à une certaine catégorie dont M. Bernard Lévy (lui-même bourgeois ami de Pinault-cul et Lagardère, il se distingue en cela de ses confrères) est le plus éminent représentant. Plutôt que de palabres, ils s’agit en fait de soliloques télévisés.

Une définition non triviale du spectacle

Tous les échanges possibles sont déjà réalisés en pensée

oui, c’est ça, selon moi, la société du spectacle si ce vocable peut avoir un sens. Voilà quelque chose qui n’a rien à voir avec la télévision, la presse caqueteuse, le show-biz ou la promotion publicitaire des enculés intellectuels, tous phénomènes dérisoires et insignifiants. Les esclaves obéissent parce que tous les échanges possibles sont déjà effectués en pensée et non pas parce que tel ou tel enculé intellectuel cause dans le poste. De même les maîtres dominent parce que tous les échanges sont déjà effectués en pensée et non pas parce que tel ou tel enculé intellectuel payé par eux en sous-main cause dans le poste. Donc cette société du spectacle existe depuis deux bons siècles ! Ce qui est nouveau, c’est que ce fait devient patent, au point que je puis en trouver le concept. De plus, l’argent, cette marchandise particulière, paraît dans toutes les choses. De particulière qu’elle était, elle devient le genre des choses. Les choses n’ont plus seulement un nom, elles ont aussi un prix. En ce sens, le spectacle est l’apparition de l’argent en chaque chose. Voilà qui donne un sens ironique supplémentaire à cette phrase de Marx : "...notre vieille ennemie la marchandise pleine d’arguties métaphysiques..." En effet le nom des choses générales est une argutie métaphysique plurimillénaire, la querelle des universaux. Ainsi, c’est l’argent qui a le monopole de l’apparence puisqu’il paraît dans chaque chose sous forme d’un échange effectué en pensée.

et cette pensée est une propriété de chaque produit du travail sur le marché.

oui, mais pas seulement dans les produits du travail

Maintenant, qui a dit que l’échange était égalité de deux choses. Chez des peuplades plus heureuses, c’est à celui qui donnera non seulement plus, mais beaucoup plus.

Au pays des si-je-t’attrape-je-t’encule, (les infâmes youpis - Young Urban Professionals - aux tours les youpis, que le sida et le plutonium les emportent. Je n’avais pas pensé à l’innocent pétrole lampant, d’autres y ont pensé.) c’est à celui qui non seulement donnera le moins, mais beaucoup moins. C’est ce qu’on appelle en avoir pour son argent.

Tous ces obstacles que sont matière, grandeur et dimension quelconques sont anéantis, supprimés, ils est fait pratiquement, avec effet pratique, abstraction.

L’obstacle n’est pas là.

Voilà ce qu’est la valeur ou équivalence (santé égale. Les produits sont de santé égale. [Je ne me souviens plus de ce que je voulais dire.])

La valeur ne signifie rien d’autre. Le mot valeur ne désigne rien d’autre. Quand on dit valeur, on dit cela.

[1706] Valeur est le mot qui désigne ce qu’il y a de magique dans la marchandise.

Oui, ce qu’il y a de magique dans la marchandise est que l’échange y est réalisé en pensée. C’est vraiment magique.

Valeur désigne l’abstraction pratique, efficace, sociale de tout ce qu’il y a de particulier dans les produits du travail.

Le mot valeur désigne l’échange réalisé en pensée qui réside dans chaque marchandise. Et on ne peut même pas dire que l’échange, quand il a lieu, aussi bien en pensée qu’effectivement, fait abstraction de tout ce qu’il y a de particulier dans les produits du travail puisque l’échange a lieu précisément à cause de ce qu’il y a de particulier dans les produits du travail. Quelqu’un qui achète des chaussures achète des chaussures justement parce que ce sont des chaussures.

Valeur, cette abstraction, cette action mystérieuse, comme une propriété des produits eux-mêmes. Les produits ont de la valeur. Les produits ont du mana.

Les produits contiennent l’échange effectué en pensée.

Ils ont cette propriété miraculeuse de faire eux-mêmes abstraction de toutes leurs particularités, ils ont le pouvoir de produire eux-mêmes ce qu’il y a en eux de général. Voilà ce que dit valeur. Voilà ce que dit mana.

[1707] Evidemment, nous, hommes civilisés, nous savons que tout ceci n’est qu’un mirage, une illusion. Nous savons que ce ne sont pas les produits qui suppriment eux-mêmes tout ce qu’ils ont de particulier, qui font eux-mêmes abstraction de leurs différences. Mais nous ne savons pas dire qui ou quoi opère cette abstraction.

Chacun sait très bien que ce n’est pas lui puisqu’il trouve tous ces produits sur le marché déjà dépouillés de toute leurs particularités.

Non, pas dépouillés de leurs particularités (même remarque que plus haut), mais pré-échangés. Nous sommes tellement habitués à ce pré-échange que nous n’y prêtons pas attention. (Voir la citation de Weber sur ce sujet).

Il trouve sur le marché le produit déjà échangé en pensée à la fois différent et identique, [1708] différent (c’est du papier cul [cf. le Drame des sans papiers par Vuillemin, l’Eternité hebdomadaire n°2.] ), identique, il vaut tant.

Les pensées sont une propriété des objets [Oui]. Valeur est le nom donné à cette pensée des choses.

Donc, ce rapport pratique par excellence qu’est l’échange s’effectue non pas par la volonté, la science, la pensée des échangistes, mais parce que les objets de l’échange sont échangeables! Ils existent tout échangeables dans la nature marchande. On peut même imaginer que l’échangiste n’est plus qu’un rouage subalterne de ce rapport et qu’avec un peu d’invention, la marchandise peut aller elle-même au marché.

Ceci nous montre enfin ce [1709] qu’est la marchandise : c’est un produit du travail devenu par l’opération du saint esprit marchand, échangeable.

Je croyais encore à l’époque que les marchandises sont les produits du travail. Ce que l’on nomme ainsi couramment est en fait le produit du savoir mondial, du savoir total. Rapprocher de la citation de Weber sur l’individu qui s’éloigne des produits. Les produits ne sont pas les produits de la production, qui n’existe pas, mais du savoir mondial, qui existe.

C’est un produit du travail qui a fait lui-même abstraction de tout ce qui pourrait faire obstacle à l’échange.

C’est un produit du travail doué d’esprit. C’est un produit échangeable, c’est à dire un produit qui effectue lui-même l’échange en pensée.

Valeur ne désigne rien d’autre que l’esprit de la marchandise. La valeur est le discours de la marchandise, ce qu’elle nous raconte. Il est juste de dire que les produits du travail ont de la valeur au sens où l’on dit d’un représentant de commerce qu’il a du bagout. Marchandise ne désigne rien d’autre qu’un objet qui pense et qui parle. Certains chantent et dansent, font pschitt, ne s’usent que si l’on s’en sert, mais tous parlent : ils disent je ne suis qu’en apparence du pain, je suis aussi en vérité du vin, du fer, du coton. En fait ils ne disent pas cela, ils disent : je ne suis qu’une apparence de pain. Je suis en vérité de l’argent.

[1710] L’échangiste marchand ne fait que ratifier cet accord, réaliser cette pensée.

Encore n’est-ce pas tout. C’est encore une chose qui a seule pouvoir de réaliser la pensée de la marchandise. Cette chose est l’argent.

Voilà ce qui se passe quant aux phénomènes. Voilà ce que verrait un ethnographe papou.

On ne prête jamais attention à cela que dans le monde de la marchandise, il est dans la nature des objets d’être échangeables, d’avoir de l’esprit, d’être de simples apparences au même titre que dans le monde de la physique les choses ont une masse et les champs, des forces. De même qu’il est dans la nature des symboles d’être symboliques, il et dans la nature de la valeur de valoir. La valeur est bien une propriété des objets marchands. Dire qu’ils ont de la valeur, c’est dire qu’ils valent. Le monde de la marchandise est le monde de la Scholastique. Et chacun le sait, ce monde a une propriété dormitive prononcée. Il n’aspire qu’à dormir et que l’on ne trouble pas son sommeil.

Quant aux perroquets, ils ne veulent pas non plus être réveillés. Ils se contentent de caqueter sur leur perchoir. Spectacle, spectacle, croa, croa. Peut-être ben Laden l’a-t-il réveillé en sursaut ?

[1712] D’ou vient que cette propriété naturelle de la marchandise échappe à l’observateur autochtone (et scandalise tout observateur Papou qui se respecte) ; c’est que l’observateur autochtone est si bête et si borné, [c’est un youpi, que le plutonium et le gaz l’emportent] il a tellement oublié ce qu’est l’acte générique, la reconnaissance pratique, il est tellement habitué à lire le Nouvel Observateur, qu’il ne peut même pas remarquer que cette propriété naturelle de la marchandise est une propriété essentiellement humaine. Quelqu’un tellement esclave qu’il est totalement dénué d’esprit ne peut évidemment pas remarquer que les choses ont de l’esprit.

[1713] Voilà un nouvel élément de réponse à la question fondamentale. Comment les gens pourraient-ils se parler dans un monde où :

1) les choses ont de l’esprit (et non pas une partie de l’esprit, mais tout l’esprit comme nous allons le montrer)

2) les gens ne peuvent pas voir que les choses ont de l’esprit parce que pour cela il faut de l’esprit et que les choses ont pris tout l’esprit.

 

Conclusion

La valeur est un échange effectué en pensée ou, au choix, la pensée d’un échange. « Le rapport dans lequel s'échangent les produits du travail est l’échange lui-même ! La valeur n'est que l'idée de ce rapport. » Selon Frege, une pensée est le sens d’une expression. La valeur est donc le sens d’une expression écrite sur une étiquette.

Cette expression est : « x peut s’échanger contre y » où x et y sont deux nombres ; le nombre x est une grandeur pour une certaine marchandise, par exemple du boudin ; le nombre y est une grandeur pour un corps en or ou en argent. Mais le nombre y n’est pas une grandeur pour le boudin (Cf. Théorème de Lebesgue).

Cependant, le nombre y est attaché au boudin au même titre que le nombre x. Mais le nombre x est attaché au boudin par une mesure tandis que le nombre y est attaché au boudin par… une étiquette. En vérité, c’est l’étiquette qui est attachée au boudin (Cf. Aristote, Éthique à Nicomaque, V, 6)

M. Ripley s’amuse