A
Reverse Affair
Funny ! Étant donné que je ne
suis pas le Général de Gaulle, je reçois cette lettre d’une folle (Grand stratège créatif) qui n’est pas Simone Weil,
et… me voilà mêlé à l’affaire Bogdanoff dont je ne me suis jamais soucié, ni de
près, ni de loin. Je suis le Forrest Gump français. Où que ce soit, j’y
suis, où que ce fût, j’y étais :
From:
"Sophie Petterka" <sophie@nostromo.dk>
To: <m.rypley@wanadoo.fr>
Date: Wed, 24 Aug 2005
Message :
Vous
faites quoi dans la vie, quand vous vous amusez vraiment ?
Pourriez-vous me faire un
résumé bien condensé de votre idéologie ?
Je ne suis
pas assez masochiste pour me taper tout les textes (ni le quart, ni la moitié d’ailleurs).
Auriez-vous des enfants ?
Ou
YBM est-il juste un accident génétique, survenu juste après le tien ?
À
propos de ce dernier, mon pseudo est XAL, bien entendu.
Comme
tu peux voir, ton site m’a involontairement inspirée.
J’ai
du mal à comprendre que les articles soient datés de 2000 et 2004, quand le
contenu sent autant le moisi. Quoiqu’il est vrai que la connerie n’a pas d’âge,
et que pour dire des conneries, autant les copier aux anciens.
Envoies-moi
tes réponses pronto, j’ai perdu assez de temps á venir feuilleter ton
site.
Sophie
Cette dame, si toutefois on
peut la nommer ainsi, me somme de lui commu-niquer pronto un résumé de
mon idéologie alors qu’elle se permet de mettre — au milieu d’un flot
d’accusations burlesques ; j’apprécie le burlesque à sa juste valeur —, sur
une page de discussion de Wikipedia consacrée à l’affaire Bogdanoff, un
lien sur mon programme de recherche publié en 1971
chez Champ Libre (tout en confondant au passage le Dr Wilhelm Reich avec
le Reich millénaire, troisième du nom), c’est à dire un lien sur le résumé de
mon idéologie qui n’a jamais varié (l’idéologie, pas le lien) depuis et qui est
bien condensé puisqu’il n’est pas développé.
Mais
puisqu’elle aime le condensé, je peux faire mieux en quelques axiomes : ♦♦♦ la valeur est un
échange effectué en pensée, la valeur n’est pas une loi mais un fait. 1976,
j’arrivais à cette conclusion après quinze ans de
poursuite acharnée et diverses aventures. On ne peut goûter le sel de la chose
que si l’on connaît la pléthorique littérature sur le sujet, depuis Aristote.
La solution est un œuf de Christophe Colomb. Il suffisait d’y penser ; ♦♦♦ l’économie n’est pas une
institution mais seulement une idée dans la pensée bourgeoise. 1976, idem
pour la production et la consommation. Notez, c’est amusant, que la pensée
bourgeoise, est, elle, une institution, et comment ! ♦♦♦ le
phénomène comme phénomène n’est pas un phénomène. « Ce qui
donne figure aux figures est soi-même dépourvu de figure ». (Mauthner)
— ♥♥♥ 1959, je saisis la chose mais je suis incapable de saisir
la pensée, c’est à dire de la formuler ; ♥♥♥ 1962, je lis Sartre, Husserl. Afin de pouvoir
lire la Critique de la raison dialectique, je lis Marx, à Lausanne – je
n’ai pu me procurer une copie de la
Transcendance de l’ego qu’à Lausanne – (Œdipe à Colone, Ariane à
Naxos et moi… à Lausanne. Je suis bien connu dans le monde et… à Lausanne). Dès
la lecture de Marx, à savoir Le Capital, je fus choqué par sa prétention
à ce qu’une certaine entité, l’économie, fut mise à côté d’autres entités moins
puissantes et subordonnées, je fus immédiatement choqué de ce que Marx
prétendît expliquer la société par une partie de la société (l’erreur fatale de Hilbert, mutatis
mutandis : fonder les mathématiques par une partie des mathématiques)****. [ « Dès que
l’on a abandonné les idées naïves sur la détermination d’une partie de la vie
des sociétés par une autre (“infrastructure et superstructure”)… »
(Louis Dumont, Essai sur l’individualisme, « Introduction », p. 17).
Pour ma part je n’ai jamais eu à les abandonner car je ne les ai jamais admises
car je suis un bon sauvage. ] Il me fallut quinze ans pour arriver
à la conclusion que l’économie n’existait pas (exister entendu au sens du
dictionnaire : qui comporte les caractères d’une chose), c’est à dire
n’était pas une chose, était donc littéralement rien). Il me fallut
encore trente ans, vers 2003, pour arriver à la conclusion que l’économie est
seulement une classe de faits – c’est d’ailleurs la définition qui est donnée
dans tous les dictionnaires : l’économie est l’ensemble de…
Ce qu’il fallait donc découvrir, c’est qu’un ensemble de choses n’est pas une
chose, ce qui est la preuve que l’économie n’existe pas –, or les classes de
faits ne font rien. Ainsi donc, non seulement Marx prétendait expliquer la
société par une partie de la société, mais cette partie de la société se révéla n’être aucune partie
de la société mais seulement une classe de faits. Autrement dit, les
sociétés ne sont pas des ensembles et les parties des sociétés ne sont pas des ensembles. L’année suivante,
j’en trouvai la confirmation chez Frege. ♥♥♥ 1996, je tombe par hasard sur la formulation,
par Hegel, Phénoménologie, III. Force et entendement : « le suprasensible est (ainsi) le phénomène comme
phénomène », ce qui signifie implique que le phénomène comme
phénomène n’est pas sensible. Traduisons,
comme Lefebvre nous y invite, Erscheinung par apparition phénoménale,
les choses seront plus claires(bbb) : « le suprasensible est (ainsi)
l’apparition phénoménale [Erreur ! Cf. commentaire
de Lefebvre] comme apparition phénoménale », ce qui me
permet d’écrire : l’apparition phénoménale en tant qu’apparition n’est
pas phénoménale, car le propre du suprasensible est de ne pas apparaître
tandis que le propre du phénoménal est de paraître. Capito ?
Ce n’est pas seulement l’apparition de Jésus et de sa mère qui est miraculeuse,
toute apparition est miraculeuse, c’est un miracle qu’il y ait apparition
plutôt que rien (ce que comprend parfaitement le Dr Poirier, aussi secoué
soit-il : secoués de tous les pays, unissons-nous). – En vérité, je
vous le dis, Hegel a écrit « le suprasensible est l’apparition en tant
qu’apparition », mais les deux traducteurs
français se sont entêtés à traduire par le terme kantien de phénomène, Lefebvre
l’affirme expressément dans une note, page 116(aaa), par respect de la tradition
philosophique et page 534, dans son glossaire, tout en signalant l’avantage
que donnerait la traduction apparition : « En renonçant au Phänomen
kantien, Hegel donne un verbe à tout ce registre, lui ouvre toute la grammaire,
en quelque sorte. » En effet, Erscheinung permet d’écrire, grâce au verbe apparaître, puisque le propre
du suprasensible est de ne pas être sensible : l’apparition
en tant qu’apparition n’apparaît pas (seules les choses apparaissent, l’apparition est un
privilège des choses, et l’apparition n’étant
pas une chose, elle n’apparaît pas), ce qui anéantit tout le
charabia de Husserl sur l’idéalité du phénomène : l’apparition n’étant aucun objet,
ni objet manifeste, ni objet non manifeste, Husserl n’avait aucune
chance de faire l’expérience, un jour ou l’autre, de la forme pure de
l’apparition. Bernique et charabia. La seule expérience qu’il eût pu faire et
que j’ai faite, c’est celle de la nécessaire (dans tous les mondes possibles)
invisibilité de l’apparition, l’expérience de la supra sensibilité de l’apparition.
Je suis certain que Sartre a tâté de la chose. Vous pouvez vous contorsionner
tant que vous voudrez et verser des flots de lessive Husserl, vous ne verrez
jamais la vision, la vision n’est pas visible, la sensation n’est pas sensible,
l’audition n’est pas audible, « la voix s’entend » (Jack des Rides à
Prépuce) mais le pet aussi et de plus il sent. Le suprasensible (le seul
suprasensible) est donc l’apparition en tant qu’apparition. Wittgenstein est
encore trop prudent quand il dit que rien n’indique que ce qui est vu dans le
champ de vision est vu par un œil, il devrait dire que rien n’indique qu’il est
vu. Alors merdre ! Pourquoi
ne pas écrire ce que Hegel a écrit ? La « pondération sémantique
différente » du terme phénomène fout précisément la merde, bon
Dieu. Aux chiottes Kant et la tradition. (A propos, un lecteur qui a répondu à ma demande d’aide me
signale que dans la Cripure de la raison Tique en allemand, on
trouve : Erscheinung: 742 ;
Phänomen + Phænomen + Phænomenon : 51 et
que les traducteurs français ne se gênent pas du tout pour traduire Erscheinung par phénomène
selon leur fantaisie. Voir document.) On peut généraliser apparition
en manifestation (Hegel et Hyppolite le font). Une planète invisible,
non découverte, se manifeste par des perturbations des orbites des planètes
connues. Il est vrai qu’en français le mot phénomène est utilisé pour phénomène
naturel et que dans Force et entendement Hegel parle effectivement
des phénomènes naturels, astronomiques, et du jeu des forces découvert par
Newton — Naturerscheinung, Phänomen, mais il n’y a pas à chier, Hegel
n’a écrit ni l’un ni l’autre de ces mots, mais bien Erscheinung.
Lefebvre emploie aussi apparition phénoménale pour distinguer les
apparitions de classe naturelle, (Naturerscheinung en allemand),
des apparition de Jésus, des hallucinations — et de leur intérieur, du fond des
choses, du suprasensible, enfin accessibles à l’entendement par l’intermédiaire
du jeu des forces découvert par Newton. Grâce à Newton, le phénomène devient la
médiation entre l’entendement et l’intérieur des choses : ce farceur de
Hegel précise aussitôt après la fameuse phrase qu’il n’entend pas par phénomène
le monde sensible, mais au contraire le monde sensible comme aboli, comme
monde intérieur révélé par le jeu des forces dévoilé par Newton. Le
deuxième livre de la Logique commence par « L’essence doit
nécessairement apparaître ». Je dirais : il en est de même des
choses. – Autrement dit : l’apparition en tant qu’apparition n’apparaît
jamais. L’apparition est toujours apparition de quelque chose, l’apparition en
tant qu’apparition est l’apparence, l’apparence n’apparaît jamais, apparaître
est un privilège des choses et l’apparence n’en est pas une. « Nous
appelons apparence l’être qui est immédiatement en lui-même un non être. »
(Force et entendement). Pour Hegel, comme pour le sens commun et pour
Kant (l’apparence chic qui a son siège dans la raison pure : l’apparence
transcendantale qui nous entraîne nous-mêmes, malgré tous les avertissements de
la critique, tout à fait en dehors de l’usage empirique des catégories et nous
abuse avec l’illusion d’une extension de l’entendement pur), il n’est
d’apparence qu’illusoires. Or, si toutes les illusions sont des apparences,
toutes les apparences ne sont pas des illusions. Toute apparition en tant
qu’apparition est apparence. (Sartre dit que l’apparence est l’absolu relatif,
apparemment une contradiction dans les termes.) Une conséquence est que l’ego,
le moi, le Je sont des objets comme les autres – Sartre, de la
Transcendance de l’ego, 1936, 75 pages sans l’introduction de Sylvie
le Bon et les appendices, toujours
disponible chez Vrin, 47 francs, ça se lit en une demi-heure heure
(c’est la Logique de l’Encyclopédie qui se lit en une demi-heure,
montre en main, si vous sautez les additifs). Sartre montre entre autre quand,
exactement, Husserl va trop loin. Les fameux états
de conscience, les fameux vécus, sont des objets comme les autres, c’est à dire
des objets manifestes, au même titres que les tables et les chaises.
C’est là-dedans que Husserl va chercher de l’idéalité, c’est à dire des objets
non manifestes. C’est l’illusion contre laquelle lutte Kant, l’apparence
transcendantale qui nous conduit… nulle part. « Tous les résultats de
la phénoménologie [ lesquels svp ? Sartre
montre plaisamment, dans son premier roman, que si la réduction
phénoménologique est possible, elle mène à la nausée, au phénomène d’être.
Plutôt qu’une hypothétique réduction phénoménologique, ce doit être l’usage de
la mescaline, si j’en crois madame Simone, qui a conduit Sartre à faire
l’expérience d’un monde qui se vide de toute signification (un monde qui
n’en est plus un, donc), un monde réduit au phénomène d’être. Enfin, l’être
paraît (tout nu !) et c’est parfaitement dégoûtant. Il y a de ça chez
Lovecraft. ] menacent ruine si le Je n’est pas au même titre que le
monde un existant relatif, c’est à dire un objet pour la conscience. »
(page 26). Je fais un parallèle avec Frege qui affirme : tout ce qui,
dans une expression, n’est pas fonction est objet. Je dis : tout ce qui n’est pas apparence
est objet***, seule l’apparence n’est pas objet.
Le monde est le monde de l’homme. Le monde est un savoir mais il l’ignore.
Voilà ce fameux inconscient. L’inconscient, c’est le monde de l’homme. Les individus
saisissent les pensées dans le monde. Dans la formulation de Brentano toute
conscience est conscience de quelque chose, le mot conscience est de
trop. Occam, rasoir, s’il vous plaît. Ce mot n’est pas seulement superflu, il
est nuisible. Qui dit conscience dit contenu de conscience. Sartre se noie dans
ce contenu malgré ses aperçus audacieux. Ce n’est pas le lieu de développer
cela ici. Un jour, peut-être. Qui dit apparition ne dit qu’apparition. —
♦♦♦ un ensemble de choses n’est
pas une chose
(2003 — Descombes a déjà formulé la chose en 1991, mais il lit le latin et le
grec et il parle cinq langues, à ce qu’on m’a dit. Cela dit, cet homme revient
de loin quand on connaît l’ambiance à Normale Sup en 1968 —, ce qui a pour
conséquence qu’un ensemble n’apparaît jamais* et qu’une société n’est pas un ensemble
d’individus ou qu’une institution n’est pas un ensemble d’actes individuels).
L’année suivante j’en trouvai confirmation chez Frege ; ♦♦♦
Conséquence signalée par Descombes : l’ensemble des arbres d’une forêt
n’est pas une partie de la forêt. Ensemble et forêt sont des objets
d’ordres différents ; ♦♦♦ Conséquence : l’économie n’est pas une partie de
la société, ce qui est une proposition beaucoup plus intéressante que
« l’économie n’existe pas ». Ces propositions constituent la preuve
de l’inexistence de l’économie ;
♦♦♦ the given is forms of knowledge (d’après
un article de Descombes — Philosophie
des représentation collectives — citant Largo Winch citant
Wittgenstein), le monde est un savoir, le monde est sujet. Le
monde n’est pas pour autant un sujet collectif, mais un sujet commun : le
monde est le même monde pour tous. Ce qui diffère, pour chacun, c’est, pour
parler comme Houellebecq (Particules élémentaires, le cousin corse), le
rayon d’action (2004, ce qui ne
signifie pas que le monde pense, ni même qu’il contienne des pensées, il
contient par contre des actes de penser, des saisies de pensées dans le monde. Halte
tu serres parlait, il me semble, de processus sans sujet. Mais le sujet,
c’est le processus. A croire que cet homme n’a jamais lu les Grundrisse
où Marx dit d’abord, dans la Méthode de l’économie politique, par
provocation : le sujet est la population, puis conclut – après
moult raisonnements que Papaioannou déclara ne pas comprendre (moi non plus,
aussi je compte toujours faire, depuis 1976, un
commentaire de ce passage) – par : le sujet est la société. Marx,
durkheimien sans le savoir ?) ; ♦♦♦
Penser, c’est formuler (2005, je suis
parfaitement bien placé pour traiter de cette question puisque j’ai
« su » quelque chose pendant trente-sept ans sans pouvoir le
formuler. Ce qui est une preuve, notamment, qu’il n’y a pas de langage privé et
que ce qu’on ne peut formuler, on ne le sait pas. Ce que je savais, c’est que
j’avais effectué une expérience dont j’étais incapable de formuler le résultat.
Il ne s’agissait pas de traduction, mais de formulation du résultat d’une
expérience. Question : en quelle langue quelqu’un qui pratique
parfaitement plusieurs langues formule-t-il ? Je serais très heureux si un
lecteur polyglotte pouvait me donner des indications). Autre question :
comment les sourd muets formulent-ils ; ♦♦♦ Formuler n’est pas exprimer (08-10-2005, à
l’instant même, en lisant Identification
des pensées de Descombes. N’en déplaise aux mentalistes, formuler n’est
pas exprimer. Preuve de la différence de la
formulation et de l’expression : le lapsus ; mais ♦♦♦ formuler n’a pas lieu
dans la tête, il a lieu dans une certaine langue, le français en ce qui me
concerne. Nous vivons dans un savoir, le monde est le monde de l’homme. Ci-dessous, je demandais où
a lieu la formulation ? Dans la langue, pardi, c’est à dire dans le monde,
dans une institution. Il est impossible de formuler en charabia – je sais, il y
en a qui ne se privent pas de le faire, dont Jack des Rides A Prépuce
–, vous êtes obligé de formuler dans la langue, de même que, lorsque vous
voulez aller de Chartres à Vendôme en automobile, vous devez emprunter – ou
prendre – la nationale 10. La langue française et la nationale 10
sont deux institutions, sont deux savoirs (non pas savoirs collectifs, mais
savoir communs, la nationale 10 est la même pour tout le monde,
hélas ! sinon il n’y aurait pas d’embouteillages quand quelques milliers
d’imbéciles saisissent la même idée en même temps, même idée qui les conduit
sur la même route. Seul l’acte de saisir la pensée et l’automobile
appartiennent aux individus). On parle bien du génie de la langue et du génie
civil, n’est-ce pas ?) ; ♦♦♦ Le monde habite ses habitants parce qu’il est lui-même
habité. Les éléments de la liste lisent la
liste en permanence ; littéralement, ils la font accéder à la réalité, à
la chosité. Le monde est une institution composée d’institutions. Ni
l’économie, ni la production, ni la consommation ne sont des
institutions ; mais seulement des idées dans la pensée bourgeoise,
seulement des classes de faits.
Ceux qui parlent
de l’Économie, de la Production, de la Consommation comme ils
parleraient de la Sécurité sociale, de la Gestapo, du français (la langue
française), de l’argent, toutes institutions très puissantes, ne savent pas de
quoi ils parlent ; mais ils savent pourquoi ils parlent : leur seul
but est l’intimidation. [ Histoire amusante : Feu, feu, feu, feu l’éditeur
Lebovici disait, en 1977, à l’un de mes amis américains, RGBP, alors inspecteur
des ventes chez Champ libre : « Mais bon sang, Voyer a tort,
l’argent existe ». L’argent oui, bien sûr ; mais l’argent est une
institution, l’économie non. Comme dit Descombes, l’argent et l’économie n’ont
pas le même genre d’être. Lebovici disait également à RGBP :
« Mais c’est étonnant, Voyer a des lecteurs ». C’est charmant d’avoir
ce genre d’éditeur. Au moins les Gallimard se réjouissent quand leurs auteurs
ont des lecteurs, du moins je le suppose. Fin de l’histoire amusante. ] La tâche du
penseur est alors tout (sic svp) tracée. Il s’agit de réduire à néant ce qui
est déjà néant, tour de force devant lequel même Tancrède de Hauteville
reculerait : il s’agit de combattre un fantôme. L’Économie n’est pas une institution ; mais
la croyance en l’existence de l’Économie est une institution, la plus
insidieuse qui soit. Ce sont les mêmes qui rient de l’émir Ben Laden, cet
obscurantiste. Cela dit, l’économie est une honnête classe de faits si on la
considère pour ce qu’elle est, une classe de faits et seulement une classe de
faits. De même, la population n’est pas une institution mais seulement une
classe d’objets (Wittgenstein et Descombes diraient, faits, règles et choses
n’ont pas le même genre d’être). Voilà
le passage de Marx, Méthode de l’économie politique, dans Grundrisse
commenté. Marx veut y considérer le concret pensé et le concret concret (vrais
moutons à cinq pattes) alors qu’il devait considérer les totalités
pensées — « totalité d’éléments pouvant se penser comme étant
collectivement » Cantor (si le sujet de « pouvant se penser comme
étant » n’est ni Cantor, ni la totalité, absurdité, mais les éléments,
nous avons une totalité concrète). Comme d’habitude avec Cantor, cette définition
est une pétition de principe puisqu’elle fait appel à la notion de totalité qui
ne peut être que collective. Frege résout la question : il explique
l’ensemble vide et le singleton qui sont des totalités non collectives. Si le
mot ensemble était définissable, il n’y aurait pas eu lieu de recourir à
l’axiomatisation, à la définition axiomatique — et les totalités
concrètes qui impliquent les deux ordres : objets (visibles et non
visibles mais formulables) et apparence. Ce qui est curieux, et fut souligné
avec insistance par Sartre, c’est que l’apparence n’est pas d’un différent genre
d’être comme faits, règles et choses le sont, car l’apparence
n’a pas d’être du tout. Il s’agit de deux ordres : objets et non objet,
êtres et non-êtres d’où le titre du plus célèbre de tous les livres de Sartre
(mais probablement pas le plus lu). Or les genres d’être ne
concernent que les objets. Étonnant, non ?
J’ajouterai, de Frege :
♦♦♦ les pensées sont
saisies dans le monde (ce qui ne signifie surtout pas qu’il y ait des
pensées dans le monde. Il y a simplement des hommes qui commettent l’acte de
penser, c’est à dire des hommes qui saisissent des pensées dans le monde. Dans
le monde, il n’y a pas de pensées mais seulement des états des choses sur
lesquels les hommes saisissent des pensées, pensées qui sont donc saisies dans
le monde, sur les états des choses. Pour plus de précisions, consultez
l’amusant exemple pris par Frege de la ruse militaire : un général abuse
son adversaire et prélevant des éléments de ses régiments pour former un
régiment supplémentaire. Ainsi il obligera l’ennemi à saisir une pensée
fausse quand il comptera le nombre de régiments avec sa lorgnette.
Descombes donne l’exemple de l’avocat décrivant un état des choses qui porte
les jurés à saisir des pensées favorables à son client, etc. Notez également
qu’il n’y a pas non plus de pensée dans les têtes. Amusant non ? La question a
été définitivement réglée par Leibniz avec l’expérience de pensée du moulin
dans la Monadologie. Où sont les pensées alors ? Dans la
formulation. Où est la
formulation ? Ce problème ne m’intéresse pas parce qu’il n’est pas un
problème : la preuve, il ne m’empêche pas de dormir. Si vous souffrez
d’insomnies, consultez le docteur Wittgenstein) ; ♦♦♦ les
pensées n’appartiennent pas à l’individu, seul l’acte de penser lui
appartient ; ♦♦♦ seul
le concept a le pouvoir de constituer des collections ; ♦♦♦ un ensemble consiste dans le concept et non dans
les objets qui tombent sous le concept [la preuve de l’inexistence
de l’économie] ; de Durkheim : ♦♦♦ seule
la société peut expliquer la société ; une société n’est pas un
ensemble d’individus, un ensemble d’individus n’est pas une société, ni même un
groupe, ni même une foule. Sociétés, groupes, foules sont des formes de savoir.
Voilà donc quelle est mon
idéologie, c’est à dire quelle est la liste, partielle, de mes croyances. Sur la question de 1959 (l’axiome ne fut formulé qu’en
1996 environ), Durkheim répond
magnifiquement à Locke qui ne répondit pas à Leibniz : « Aussi ni
Locke, ni Condillac n’ont-ils considéré les phénomènes psychiques
objectivement. Ce n’est pas la sensation qu’ils étudient, mais une certaine
idée de la sensation ». Ainsi donc, la sensation aussi est seulement
une idée dans la pensée bourgeoise ! La croyance à l’existence de la
sensation et la croyance en l’existence de l’économie sont les deux
piliers de la pensée bourgeoise, c’est à dire de la pensée anglaise. Happy ?
Dans une nouvelle lettre, la
folle qui n’est pas Simone Weil me demandait : mais où est le
résumé ? A cette question idiote, je lui donnai une réponse idiote dans
une lettre privée destinée à exacerber sa virulence absurde dans la discussion
de The Bogdanov
Affair sur le Wikipédia anglais, ce qui n’a pas manqué. A Londres,
durant la dernière guerre, de Gaulle excédé s’était exclamé, parlant de Simone
Weil : « Mais c’est une folle ! »
* *
Gremlin
Je profite de l’occasion qui
m’est offerte par miss Petterka pour ajouter encore un axiome (axiome : ce
que l’on croit digne, valable) à cette énumération de mes croyances. Tout
l’effort de ma pensée porte sur la distinction entre totalités pensées et
totalités concrètes. Marx fut incapable de faire cette distinction (hélas, il
n’est pas le seul). ♦♦♦ De
tous les genres possibles, seul le genre humain est un genre concret ; les
autres ne sont que des genres pensés. Le genre de l’homme n’est pas
seulement le genre de tous les animaux, il est le genre de tous les genres
possibles. Comme Frege l’exprime dans une parfaite clarté et concision : les totalités pensées ne
consistent pas dans les objets qui tombent sous le concept mais consistent dans
le concept (attention ! ne vous méprenez pas. Chez Frege, concept
ne signifie ni pensée, ni acte de penser mais : expression à une place
libre, fonction, signe de classe et, pour Frege, dans une expression, tout ce
qui n’est pas fonction est objet. Enfin, pour Frege, une pensée est ce qui peut
être vrai ou faux et un fait est une pensée vraie). Une extension est une liste
et une liste d’arbres, par exemple, n’est pas une liste d’arbres… mais une
liste de noms propres, noms propres qui ne sont autres que les variables
valeurs qui remplacent la variable syntactique dans … est un arbre marqué
pour l’abattage de la coupe n° 483 de la forêt de N*. Je vais traiter
tout en détail, la question est d’importance. Certes, les gardes forestiers qui
ont mesuré avec leur grand pied à coulisse en bois le diamètre des fûts afin de
calculer le cubage, puis, après avoir mis l’aubier à nu en ôtant l’écorce avec
une petite serpette, apposé un poinçon
avec leur marteau à poinçonner, ne numérotent pas les troncs qui vont être
vendus au enchères puis abattus. Donc les noms propres auront la forme le
premier arbre, le deuxième arbre etc. (ou les coordonnées GPS) et la
proposition dont la valeur de vérité sera le vrai prend la forme : le
premier arbre est un arbre marqué pour l’abattage de la coupe
n° 483, etc. Le garde effectue une bijection entre la chose arbre
et l’objet nom d’une classe d’équinuméricité — objet qui figure
dans… la liste par ordre croissant des noms des classes d’équinuméricité que
chacun apprend par cœur à l’école primaire. Cette liste est unique. C’est la
même pour tous. Elle est commune. Elle n’est ni dans le monde ni dans les têtes
mais dans sa lecture qui a lieu dans la langue. Aucune machine n’applique de
règles et jamais aucune machine ne le fera ou alors c’est qu’elle aura cessé
d’être une machine. C’est pourquoi les machines ne commettent jamais d’erreur.
Elles se contentent d’avoir des pannes. Les hommes seuls sont capables de
commettre des erreurs parce que seuls ils suivent des règles ; mais en
plus, ils ont aussi des pannes —. Quand viennent les courtiers pour évaluer la
coupe, peu importe qu’ils renomment dans l’ordre qui leur plaira les mêmes
arbres qui porteront alors un autre nom. La liste, prétendument d’arbres, n’en
demeure pas moins une liste de noms propres. Il est facile de constater la
différence qu’il y a entre des arbres et une liste de noms d’arbres, c’est
à dire la différence entre une extension de concept et les choses qui tombent
sous le concept par l’intermédiaire de leur nom propre. Frege avait raison,
dans ses Fondements, me semble-t-il, de dire qu’il ne définirait pas la
notion d’extension de concept puisqu’elle était déjà suffisamment connue
des forestiers, gardes et courtiers, et même des ignares bûcherons, en fait des
savants qui s’ignorent, parfaitement capables de lire une liste et d’effectuer
une bijection.
Une liste n’est pas composée
de choses, elle est composée de noms propres. Et comme les noms propres de la
liste sont les variables valeurs pour lesquelles la fonction de vérité
retourne le vrai, la liste consiste dans le concept, dans le critère, dans le
signe de classe. En somme, la liste est le parcours de valeur de la fonction
de vérité. C’est simple à comprendre — en fait non. (Le mathématicien Frege
a échoué — du fait que la classe des objets étant un objet, cette classe des
objets viole le théorème de Cantor étant donné que la puissance de cette classe
est supérieure à la puissance de l’ensemble de ses parties. Pourquoi ?
Parce que ces parties sont aussi, toutes, des éléments de
cette classe et pas seulement des parties de cette classe. Simple, non ?
Cantor s’était parfaitement aperçu de la chose avant même que Russell ne le lui
signalât — mais le philosophe Frege a triomphé.)
Ce n’est pas le cas des
totalités concrètes qui ne sont pas seulement des listes de noms propres
(précisément, les théoriciens du capitalisme considèrent ces fameux individus
dont on nous rebat les oreilles comme des arbres ou plutôt des bestiaux, on
comprend parfaitement pourquoi, et l’humanité comme une liste pensée ou écrite
— le ridicule individualisme méthodologique, la sociologie compréhensive ne
comprennent rien. Je n’aimais le professeur Bourdieu que lorsqu’il donnait des
claques). Elles ne consistent pas seulement dans le concept ;
contrairement aux listes pensées ou écrites, elles consistent aussi dans les
objets qui tombent sous le concept (ex : est un Français) ; elles habitent
les objets (elles les hantent dit curieusement Marx au début de Grundrisse)
qui tombent sous le concept. La liste existe réellement, concrètement, non plus
seulement sur le papier** mais dans les objets
eux-mêmes ; elle agit dans chaque objet (la liste pensée n’agit pas dans
chaque arbre quoique chaque arbre sera abattu, mais ce sera le fait du bûcheron
qui énumérera la liste comme faisait Herr Barbie, non pas bûcheron mais
boucher, à Lyon), elle est cause, elle est sujet. Heil Hegel ! « Le concept
est ce qui est libre, en tant qu’il est la puissance substantielle
qui est pour elle, et
il est la totalité, en tant que chacun des moments
est le tout que lui-même est [ c’est
clair comme de l’eau de boudin. Il paraît qu’en allemand, c’est très clair****** ],
et est posé comme unité inséparée avec lui [ lui ?
le concept, je suppose ]… » Encyclopédie,
Bourgeois, Vrin, 1970, Log. § 160. Consultez la variante :
« en tant qu’il est la puissance, étant pour soi, de la substance »
(autrement dit en tant que la puissance, qui est savoir, sait qu’elle sait. Ce
n’est pas demain la veille). Pas mal Hegel. Quand j’écrivis mon Introduction à la science de la
publicité (j’ai lu tardivement Hegel – sous l’influence des situationnistes,
eux- mêmes sous l’influence des surréalistes – après 1970. Phénoménologie :
21 octobre 1970, Encyclopédie-Bourgeois : 5 mai 1972, Encyclopédie-
Gandillac : 17 mai 1972), je tombais en arrêt devant ces intéressants
paragraphes de Hegel, je savais bien qu’un trésor était caché dedans. Chacun
des moments est le tout que lui-même [ le
concept ] est. Vous reconnaissez la définition de l’infini
actuel par Bolzano, les parties sont le tout, sauf que l’application n’est
certainement pas une bijection, ni aucune autre application connue, mais plutôt
une relation du genre « …se supprime comme apparence en direction de
l’immédiateté de…. »(ccc)
Ce qu’il faut retenir, ici, c’est que le concept est totalité. Et il n’est
totalité que parce qu’il entretient une relation interne avec les
moments qui de fait sont le tout. A part ça Hegel ne traiterait pas des
totalités concrètes ! Il faut
faire un petit effort de lecture, un petit effort de penser. Ainsi une ville
habite ses habitants et en ce sens chaque habitant est le tout. Plutôt c’est
l’eucharistie : le tout est présent dans le tabernacle qu’est chaque
habitant. C’est pourquoi je dis que les totalités concrètes sont infinies
(selon Hegel, fin du § 160 : « ce qui est déterminé en et
pour soi. »). Elles sont d’une profondeur infinie. La liste existe
concrètement, certes, mais seulement**
parce qu’elle habite les objets dont elle est la liste ce que Marx n’a jamais
pu envisager (il n’est pas le seul, hélas). Il est facile de distinguer la
liste des habitants de Lyon, qui ne fait rien, sauf quand Herr Barbie la lit,
et la ville de Lyon qui est une liste concrète, qui agit, qui est sujet, qui
est savoir. D’ailleurs, elle est illisible. C’est parce qu’elle est infinie
qu’elle est illisible — plutôt qu’infinie, il faudrait peut-être dire
incalculable. Un nombre incalculable est un nombre qu’aucune machine ne peut écrire,
lui donnerait-on l’éternité pour le faire. Elle ne le peut pas, non pas parce
qu’elle n’aurait pas le temps, elle ne
le peut pas parce qu’elle ne le peut pas (de toute éternité ajouterai le
plaisantin Hegel), comme l’a démontré l’illustre pédé non marié Turing. Chaitin
montre que le programme de la machine serait, dans le meilleur des cas, aussi
long que le nombre. Donc le problème est reporté. Quelle est la machine qui va
écrire le programme. Chaitin montre aussi qu’il existe des nombres entiers non
calculables et que le hasard algorithmique existe dans l’arithmétique. Un
nombre incalculable est un nombre incompressible, tandis que le nombre pi,
dont le numéral comporte une infinité de symboles, est condensable, ne
serait-ce que dans le très court et très médiocre algorithme de Leibniz qui
converge très difficilement. Le nombre transcendant pi, avec ou sans
guillemets à « transcendant », est parfaitement calculable. Jour et
nuit, dans le monde entier, des grappes (clusters) de machines calculent les
décimales de pi. Cependant, ce calcul s’arrêtera dès que l’Iran se sera
enfin doté de l’arme nucléaire, ce qui est un fait purement contingent qui n’a
rien à voir avec la calculabilité de pi qui est de toute éternité.
Ainsi, la liste concrète se distingue de la liste pensée en ce qu’on ne peut l’écrire —
Les totalités concrètes ne sont pas des mécanismes (les totalités pensées non
plus, mais la liste pensée peut être écrite par une machine. Un astronome peut
demander à sa machine l’impression de la liste de la totalité des étoiles
connues, d’écrire donc l’extension du concept …est une étoile connue,
mais cela n’implique nullement que cette totalité existe autrement
que comme totalité pensée ou écrite. — Le seul homme que je connaisse qui
ait pu faire cette distinction est précisément un astronome [ 08-03-2007. M. Gautier me signale qu’il n’est pas
astronome mais a dirigé l’édition d’une encyclopédie d’astronomie. Il prépare
un nouvel ouvrage sur les sciences du XXe siècle ], M. Gautier dans son
livre l’Univers existe-t-il ? M. Gautier ne se prononce même
pas sur l’existence ou l’inexistence d’une totalité concrète dont le nom propre
serait l’Univers. Il fait seulement remarquer que la question n’est même
pas seulement posée*****,
que l’existence pertinente de la question n’est même pas seulement envisagée
par le bon gros sens bourgeois, et donc loin d’être résolue, l’un ou l’autre
cas possible étant prouvé. — C’est l’erreur de Marx. Durkheim n’a
pas commis cette erreur. Il est prudent. Il attaque la liste concrète par
l’extérieur, mais il ne préjuge pas de l’intérieur, mieux il le pressent et il
termine sa carrière sur la question de la religion. En fait, l’étude le
Suicide ne porte pas sur le suicide mais sur la démoralisation, terme qui
revient sans cesse dans l’étude. Simplement, la démoralisation n’est pas
mesurable, le taux de suicide si. Donc le suicide est un index, un indicateur
de la démoralisation éminemment non mesurable, non calculable. Et cet index
permet à Durkheim de mettre la démoralisation en relation avec les causes de
la démoralisation, ce qui n’a absolument rien de naturaliste, ni de
déterministe. Durkheim n’est absolument pas naturaliste et son neveu avait donc
de qui tenir. Ce n’est pas le genre des chevaux qui broute l’herbe de la
prairie mais les individus de genre cheval. Ce n’est pas le genre humain qui
peut être démoralisé, mais seulement les individus de genre humain. Mais, et là
est toute la différence avec les chevaux, c’est leur propre genre qui les
démoralise, genre qui n’a rien de naturel. Ce genre est concret, il agit, il
est sujet, il est cause de la démoralisation. D’où l’importance de sursum
corda. Voilà la question autour de laquelle tournait Durkheim. Une totalité
concrète « tremble dans ses profondeurs et pourtant elle n’est pas
inquiète » (Hegel), mais ses habitants le sont. « Les peuples sont
las quelques temps avant que de le savoir » (Cardinal de Retz). Pour se
propager, l’onde de lassitude demande un certain temps, le temps que la
puissance substantielle soit pour elle-même.
a. Lefebvre, Note 1,
page 116 : « Erscheinung. Il
convient ici de respecter la traduction traditionnelle dans les contextes
philosophiques. Parfois la notion d’ “apparition”, plus proche du sens
courant, et notamment religieux, peut cependant encore s’imposer. En revanche,
la notion de “manifestation”, outre qu’elle ne peut être requise pour traduire
d’autres concepts [ Hyppolite traduit pourtant
indifféremment Erscheinung par phénomène ou manifestation ],
semble induire un statut du phénomène centré sur son principe “agissant”, qui
ne correspond pas à celui de l’Erscheinung dans la Phénoménologie. »
Lefebvre,
Glossaire, page 534. « die Erscheinung : à la fois l’apparition au sens général, y compris
au sens des “apparition miraculeuses” de la tradition religieuse, et la
manifestation phénoménale, au sens théorique, au sens théorique, le phénomène.
Par convention, mais aussi en raison d’une pondération sémantique différente
des deux formes, nous avons traduit Erscheinung par phénomène ou
apparition phénoménale. En renonçant au Phänomen kantien, Hegel donne un
verbe à tout ce registre, lui ouvre toute la grammaire, en quelque
sorte. »
b. La fatale ambiguïté provient que phénomène étant
construit sur le verbe grec qui signifie apparaître, on confond, par oubli de
son origine de participe présent substantivé, l’apparaître et l’apparaissant.
Phénomène est devenu pour le lecteur moderne un pur substantif. Voir Le Grain de sel de Mr Ripley.
c. Comme dans ce remarquable passage des Manuscrit
de 44 : « Quand ma production
est calculée en fonction de ton besoin, qu’elle est raffinée, je
ne produis qu’en apparence cet objet ; mais je produis en vérité un
autre objet, l’objet de ta production, objet que je pense échanger
contre l’objet de ma production, échange que j’ai déjà effectué en pensée. »
Tout y est dans ce passage : le calcul, le raffinement produit par le
genre, par la division du travail, l’apparence, l’altérité, la pensée,
l’échange déjà effectué en pensée, l’immédiateté supprimée des objets qui ne
sont qu’en apparence ce qu’il semblent être mais en vérité un autre objet, immédiateté
supprimée des activités qui ne sont qu’en apparence ce qu’elles semblent être
mais sont en vérité… etc. Dans cette robinsonnade où le genre est réduit à deux
individus, on voit clairement que le genre est savoir, c’est lui qui calcule,
c’est lui qui raffine, qu’il
se supprime comme apparence en direction de
l’immédiateté des individus, que de ce fait chacun des deux
individu « est le tout que le genre est », comme dirait le vieux dans
son Enzyclopädie. Le problème est de généraliser. Ce n’est pas de la
tarte. Pas mal le jeune Marx. Je récite cette sourate tous les jours en me
levant.
*. Un exemple : je sais
qu’exhiber un corbeau blanc prouve seulement que tous les corbeaux ne
sont pas noirs, ce qui n’empêche pas que le reste des corbeaux puissent être
parfaitement et tranquillement noirs. Voici néanmoins un exemple d’ensemble
invisible. Considérons des cailloux blancs ou noirs mélangés à la bétonnière
puis versés sur le sol où ils forment un tas. Ce tas et la répartition des
cailloux sont soumis aux lois de la physique et de la statistique et même,
aujourd’hui, aux loi de la physique des billes (Gilles de Gennes). Les cailloux
blancs et noirs sont inextricablement imbriqués et si, tel le peintre Seurat,
vous reculez suffisamment, le tas, moucheté de près, devient un tas gris de
loin. Cependant, l’ensemble des cailloux blancs de ce tas et l’ensemble des
cailloux noirs de ce tas sont parfaitement disjoints, il n’ont aucun élément
commun, leur intersection est vide. Pouvez-vous prétendre voir ces
ensembles ? Si j’avais constitué, disons, un tas composé seulement de
cailloux noirs, vous auriez pu me dire : mais ce tas de cailloux est un
ensemble de cailloux (Cantor l’a bien dit), je peux donc voir un ensemble. Un
tas de cailloux est une chose composée de choses composées de choses... Un
ensemble est un être mathématique.
**. La liste existe
concrètement, certes, mais seulement parce que…En effet, la liste n’existe
pas concrètement parce qu’elle est écrite sur une bande de papier avec de
l’encre, qui sont des choses — ou « écrite » dans le cerveau, ou
écrite en codage à base deux sur un disque dur (micro aimants tassés comme des
sardines dans une boîte) ou dans une mémoire flash (micro soudures) d’une
machine à calculer —. La liste ne consiste pas dans le papier ni dans l’encre,
ni même dans les signes, mais dans la lecture de la liste, mais dans sa
formulation, donc dans l’usage du langage. La meilleure preuve est que les
aèdes grecs étaient capables de débiter une liste de soixante mille vers bien
rythmés sans la moindre bande de papier ni la moindre trace d’encre. La bande
de papier est une chose, la liste est un être mathématique. Ne confondez pas.
La liste ne consiste pas plus dans les arbres que dans le papier et l’encre, ou
n’importe quelle configuration du cerveau ou d’une machine à calculer.
Descombes dirait que papier, encre, configuration du cerveau ou d’une
machine sont d’un genre d’être
différent de celui de la liste proprement dite, de même qu’une chemin de fer
avec ses voies, matériels roulants, signalisation et un accident de chemin de
fer. Tout cela vient de Frege quand il dit : seul le concept a le
pouvoir de constituer des collections. Le mathématicien a échoué, le
philosophe a triomphé. De même Frege crée la pragmatique quand il dit : les
pensées sont saisies dans le monde ; donc en contexte, évidemment.
Dernièrement les Français ont dit non au con texte, faut-il le
rappeler ?
***. Cela me permet de préciser ce que j’entendais quand je
disais au Dr Weltfaust que j’étais, contrairement à Hegel et à Marx
(Lénine philosophe, n’en parlons mêmes pas. C’est Wittgenstein qui a réglé son
compte à Mach philosophe : le champ visuel n’a pas de Bord. Le mariage,
ce puits sans bords, Maupassant, Une vie), modestement dualiste. Je
ne disais pas que j’étais dualiste au sens matière-esprit, mais au sens ce
qui est objet-ce qui n’est pas objet. Qu’est-ce qui n’est pas objet ?
L’apparence, c’est à dire l’apparition en tant qu’apparition. Cela vaut,
évidemment, pour les objets qui n’apparaissent jamais, tels les nombres —
personne n’a jamais vu un nombre et personne n’en verra jamais et cependant, si
j’en crois Frege, les nombres sont des objets —. Je suis donc dualiste car je
reconnais deux ordres : l’ordre des objets, visibles (les choses) et
invisibles (invisibles, certes, mais… formulables. Formulables, sinon, il n’y
aurait pas de mathématiques), et l’ordre de l’apparence. Si cela ne produisait
pas des phrases bizarres, il serait judicieux de généraliser visible et
invisible en manifestes et non manifestes. L’article de Descombes
contre Sperber et surtout contre ce que Sperber représente (tout ce que je hais
depuis cinquante ans), article que je lis en ce moment (Wittgenstein devra
attendre encore un peu), est très intéressant. Étonnante distinction ontologique
entre langue et discours, mot et phrase (Gardiner). Mots et phrases sont des
objets qui n’appartiennent pas au même genre d’être, exactement
comme dans le cas de l’économie et de l’argent ou de l’économie et de la
société !
****. Alors que je lui disais que dans la
conception par Marx de la société il y avait une ménagerie de bêtes féroces
dont une était plus puissante que les autres, un ami me répondit qu’une
ménagerie était une ontologie. Sur le moment, je ne compris pas ce qu’il
disait. Cet ami est un lecteur de Descombes. Je comprends donc seulement
aujourd’hui ce qu’il voulait dire, et qu’il disait en fait (ah ! ce voulait
dire), car, en fait d’ontologie, j’en étais resté aux vieille lunes de la
vieille philosophie. Et, en effet, l’erreur de Marx est bien une erreur
ontologique au sens de Descombes, l’ontologie, la ménagerie d’objets de
Marx, est fausse ; il y a un intrus dans la ménagerie. L’objet économie
n’est pas du même genre d’être que l’objet société ou que
l’objet partie de la société. En aucun cas, donc, l’économie ne peut
être une partie de la société, ni agir sur la société. Ce qui, par contre, agit
fortement dans la société, c’est l’erreur ontologique commise par Marx et
reprise dans le monde entier. Une erreur ontologique devient une force
pratique quand elle pénètre les masses (et toc ! encore une critique ad
hominem). L’arme nucléaire est de la gnognote auprès des erreurs
ontologiques. Il fut commis, au Sacré Nom de cette erreur, une trentaine de
millions d’assassinats de par le monde. Aujourd’hui, le massacre continue car
tout le monde est devenu marxiste. En luttant contre les manchestériens, Marx
leur a rendu un sacré service en commettant une erreur ontologique. Mais
personne n’est fondé à le lui reprocher. Marx demeure néanmoins le héros Marx,
un Titan. Funny, non ?
*****. Kant pose la question pour la résoudre
aussitôt par des preuves fallacieuses. « Analytique des principes,
Analogies de l’expérience, Troisième analogie, Principe de la communauté [ la communauté, rien que ça ]. Toutes
les substances en tant que simultanées sont dans une communauté universelle
(c’est à dire en état d’action réciproque). » Des trois analogies, Kant
conclut (PUF, page 199) que « tous les phénomènes résident dans une
nature ». Je n’ai rien contre l’idée, mais comme M. Gautier, j’en
demande une preuve. Je suis positiviste dans l’âme. Sire, la nature est une
hypothèse inutile. (Le futur marquis de Laplace répondit au futur
Napoléon : « Général, Dieu est une hypothèse inutile »)
******. « § 160. Der Begriff ist das Freie, als die
für sie seiende substantielle Macht, und ist Totalität, indem jedes
der Momente das Ganze ist,
das er ist, und als ungetrennte Einheit mit ihm gesetzt
ist ; » Meiner, Hamburg, 1991.
Gandillac, Gallimard, 1970 (il y a quand même de bons
auteurs chez Gallimard) donne : « Le concept est ce qui est libre, en
tant qu’il est la puissance substantielle qui est pour elle-même, et il
est une totalité, chacun de ses moments [ universel,
singulier, particulier ] étant le tout qu’est le concept et [ chacun étant ] posé avec lui [ le concept ] à titre d’unité
non-séparée. » Ici c’est clair. Mais est-ce exact ? Voilà ce que je
lis. Seule une totalité concrète est capable de réaliser ce tour de force.
Gibelin, 1952, Vrin, donne : « La
notion est l’élément libre (das Freie) en tant que la puissance
substantielle existant pour soi et c’est la totalité dans laquelle chacun
des moments est le tout, qu’il [ qui ça ?
Proust serait horrifié par ces amphibologies. Puisque la notion est de genre
féminin, « il » désigne donc l’élément libre mais cela peut
être aussi bien chaque élément. J’opte pour ce dernier sens car je pense,
personnellement, que le tout est présent en chaque élément. C’est ce qui
constitue les touts concrets. Hegel n’y va pas de main morte : chaque
élément est le tout ] est, et qui est posé avec lui [ qui ça lui ? Le tout ? ]
comme unité indivisée, … »