15/10/01 28/11/03

DIATRIBE D’UN FANATIQUE

Flaubert, lettre à Louise Colet, 23 janvier 1854 :
« Bédouin, tant qu’il vous plaira ; citoyen, jamais (...) Ah ! ah ! »

L’attaque de New York est
une simple leçon de philosophie à coups de marteaux.

 

 ١   • Une leçon de foi
 ٢   • L’apothicaire Revel
 ٣   • Pendant ce temps l’enculiste s’interroge
 ٤   • Deux hilarantes publicités
 ٥   • Résumé
 ٦   • Une stratège d’Attac
 ٧   • Voilà pourquoi les Chinois comprennent
 ٨   • On peut comprendre qu’un pauvre veuille devenir milliardaire
 ٩   • Le premier amendement de la constitution américaine est une chose admirable
 ی   • Les Américains vivent dans le plus petit pays qui soit
١ی  • A la stupéfaction générale, Ben Laden a déclaré ce monde mauvais
٢ی  • Je disais donc
٣ی  • Moralité
٤ی  • Je suis redevable à Ben Laden
٥ی  • Résumé à nouveau
٦ی  • Conclusion
٧ی  • Notes

 

Arthème Fayard, 1959

« En outre, nous enlevons à des hommes des forces profondes qui leur sont propres, sans leur donner rien en échange, que des formules abstraites et des ambitions amères. A la vérité, devant le matérialisme habile, sordide, brutal, qui s’affirme dans l’Univers entier, seule peut se dresser la puissance de l’Esprit. Cette puissance est, pour mieux dire, celle de la Foi qui hausse le destin humain à la vie surnaturelle, lui rend l’espoir en une justice dont la base est l’amour et non la haine. Sur ce domaine, et là seulement, l’entente peut et doit se faire. Elle est indispensable à la lutte menée par ce que l’on est convenu d’appeler le Monde libre. »  Avertissement de l’auteur.

 

 

UNE LEÇON DE RÉEL
UNE LEÇON DE SENS

L’utilitarisme est un nihilisme
L’épicerie est un nihilisme
Les besoins ont remplacé le besoin de sens

Les Arabes fanatiques qui ont bombardé New York
ont nécessairement de sérieux et puissants motifs.
On ne bombarde pas New York négligemment, par distraction
ou pour le seul plaisir de nuire.

Il suffit de regarder une photographie de Koweït City
pour comprendre la colère d’un Arabe.
Ça donne envie de bombarder.

Voilà le résultat de deux siècles d’épicerie.
Voilà pourquoi Balzac était monarchiste et Stendhal aristocrate
bien que l’Amérique eût déjà les deux Chambres.

Aujourd’hui, ma religion est faite. La proposition « l’économie existe » est un non-sens (référence à une discussion en cours sur mon site : Réponse à la chienlit gauchiste). C’est un non-sens de parler d’économie comme on le fait à tout moment dans le poste et dans les journaux ; et un non-sens intéressé. Demandez-vous à qui le crime profite. C’est un non-sens de prétendre, comme le gros bourgeois Revel, que les hommes vivent pour manger même s’il leur arrive de manger et même, pour la plupart, de ne pas manger. C’est pur nihilisme. L’utilitarisme est la dénégation de toute foi. L’utilitarisme est un nihilisme. Il n’est donc pas étonnant qu’il révère l’économie, c’est-à-dire rien, nulle chose selon l’étymologie. Même les bêtes ne vivent pas ainsi. Les Arabes fanatiques vivent pour leur foi et le prouvent en mourant, même si de temps à autre, ils s’offrent une petite bière avant de se suicider (avant d’en offrir généreusement de nombreuses autres). Ils sont un déni de l’utilitarisme, un déni du nihilisme. Ils prouvent, dans ce monde du nihilisme et des pédés mariés que des hommes sont encore capables de mourir pour leur foi. Voilà ce qu’est le potlatch. Voilà enfin ce qu’est l’acte surréaliste le plus simple. Voilà Dada de retour : c’est le suicide de Vaché puissance douze et demi (pour le nombre) et de Rigaut (pour la précision). D’ailleurs c’est le diminuer que de qualifier cet acte de surréaliste et c’est l’insulter en lui prêtant la prétention propre aux artistes (même s’il est aussi une réussite esthétique. Ben Laden est un artiste malgré lui, en toute modestie devant Allah). C’est un acte de foi dirigé contre la rationalité manchestérienne qui est totale absence de rationalité et de sens, c’est-à-dire pur nihilisme. Des bédouins bombardent New York ! Dans un monde de la résignation et de l’impossible, cet extraordinaire événement revêt la splendeur d’un miracle et appelle l’allégresse qui sied aux miracles. Miraculeux parce que réel dans un monde irréel ! Dans un monde irréel, où jamais aucun événement ne se produit

— autre que commercial. Les événement sont remplacés par de pseudo événements, par des spectacles, comme disait l’autre. C’est donc la société des spectacles et non la société du spectacle. Il n’y a pas de spectacle général. C’est précisément le vide d’événements, la pléthore de faits et de besoins, qui nécessitèrent l’invention d’une nouvelle industrie de création de pseudo événements, de caqueteurs de pseudo sens. De même le vide d’événements, qui n’est autre que le vide de sens, appelle l’événement. Souvenez-vous du calme qui précéda la tempête de 1968. Je présume que le bédouin Ben Laden fut particulièrement choqué par le nom ridicule (comme sont ridicules tous les noms des opérations militaires américaines, ce qui n’empêche pas ce ridicule de tuer beaucoup et à haute altitude) de l’opération Tempête du désert. Il y répondit par une tornade des aéronefs, Stürmer und Tornados —,

le réel revêt un aspect miraculeux. Un monde irréel n’est pas un monde sans choses, les choses pullulent (bien distinguer les choses des faits, lisez Wittgenstein), mais un monde sans événements. Ce n’est pas de la réalité des choses dont il est question mais de la réalité du monde. La perfection d’exécution de cette opération (du Saint Esprit ?) dans un monde de coups foireux et de catastrophes est proprement miraculeuse. Les mains invisibles et sures qui guidaient les bolides étaient animées par la foi. Une telle foi est inconcevable dans un monde sans foi. D’où le côté miraculeux. Le chameau ne saurait passer par le chas d’une aiguille, mais un Boeing 757 peut entrer au Pentagone par la fenêtre du premier étage sans enfreindre les lois de la physique. Cependant, quoi de plus simple, de plus évident et de plus rationnel que de fervents croyants veuillent annihiler le nihilisme bourgeois. « Obéissez à vos porcs qui existent. Je me soumets à mes dieux qui n’existent pas. » Ce nihilisme attire la foi comme le paratonnerre la foudre. Il faut, comme toujours, séparer l’acte de ses intentions, buts et phraséologie. Dans ce monde leurs actes dépassent toujours les intentions des hommes. Quels que soient les buts de Ben Laden, cet acte dépasse ces buts et les paroles qui l’accompagnent (fort peu de paroles de toute façon, elles sont inutiles tant le sens de l’acte est évident). C’est un acte surréel dans la mesure où il prouve, par sa simple qualité d’événement, la totale irréalité du monde manchestérien, totalement dénué d’événements. De même que l’on dit fume c’est du belge, les Arabes ont dit à leur brutale manière fume c’est du réel. C’est une leçon de réalité. Jamais, dans toute l’histoire de la philosophie, ne fut administrée une telle leçon de réel, une telle leçon de sens, une telle leçon d’antinihilisme, non pas leçon de ténèbres mais leçon d’impensable : des gens sont encore capables de mourir pour leur foi tandis que le nihiliste en bon nihiliste risque sa vie pour rien : il fait du saut à l’élastique ; il existe encore des gens qui ne se résignent pas, sinon à Allah. J’admets que l’on se résigne à Allah mais je n’admets pas que l’on se résigne à rien

— se résigner à rien est la stricte définition du nihilisme. Le nihilisme est le véritable obscurantisme qui prétend aux lumières. Voyez la morgue désinvolte de Piotr Stépanovitch chez le gouverneur ou de l’ignoble Glucksmann à la télévision. Le nihilisme, c’est quand les besoins ont remplacé l’espoir et le sens. Les besoins n’ont pas de sens, ils sont ce qui reste quand on a ôté le sens. C’est aussi une définition de la bourgeoisie. Les faits n’ont pas de sens, les événements en ont. C’est ce qui les différencie. Ainsi, des bédouins bombardent New York, c’est un événement ; les États-Unis d’Amérique attaquent l’Irak, ce n’est que la routine, ce n’est que l’épicerie poursuivie par d’autres moyens (en fait, c’est l’État du Texas qui attaque l’Irak. Dallas ! ton univers impitoyable). Dans un monde irréel, il n’y a que des faits. Dickens, goguenard, dans les Temps difficiles (vous devinez desquels il s’agit), fait seriner par son Mr Gradgrind, féru de Bentham, « Des faits, des faits, des faits ! » Les bourgeois, dont le gros Revel, aiment beaucoup les faits, mais aussi beaucoup les paroles pieuses —.

La leçon est claire : assez de bla-bla, assez de futilité, assez de prix Nobel, assez de trottinettes, assez d’actes citoyens, assez de pédés mariés

— les pédés Labiche, ils vont enfin pouvoir se cocufier comme tout le monde ! (D’ailleurs, ça y est, l’un de ces néo-cocus a déjà fait établir un constat d’adultère et un magistrat, sans rire, a déjà rendu un arrêt !) Imagine-t-on mariés les trois cents hoplites thébains du bataillon sacré. Bouvard épouse Pécuchet. Face à la montée de la délinquance, va-t-il falloir marier les gendarmes deux à deux ? —

assez de journées mondiales de la pétasse, assez de Homais et de Hommasse. Madame Bovary se venge, la voilà enfin telle qu’elle se voit, héros mystique apte au grand amour divin. Elle court, que dis-je, elle vole, vers la catastrophe, mais cette fois parce qu’elle le veut. Cette fois, ce n’est pas elle qui fait faillite. Sa réussite est éclatante. Dans une lettre du 25 février 1854, Flaubert écrit à Louise Colet : « N’as-tu donc jamais rien compris à tout ce que j’écris ? N’as tu pas vu que toute l’ironie dont j’assaille le sentiment dans mes œuvres n’était que le cri d’un vaincu, à moins que ce ne soit un chant de victoire ? » Voilà donc ce qu’entendait Flaubert par son « Madame Bovary, c’est moi. » Aujourd’hui, c’est un chant de victoire. Madame Bovary se venge. Un tel monde, avec ses Messier hilares, doit périr. C’est féerie pour cette fois ! C’est philosophie à coup de marteaux et d’enclumes. Aux États-Unis aussi, il y a des gens qui souffrent du nihilisme bourgeois, il y a des gens qui pensent. Ils sauront faire usage de cette leçon. Tous les États-Unis ne font pas du patin à roulettes et du saut à l’élastique. Les pires ennemis de Bush sont à l’intérieur des États-Unis (c’est d’ailleurs le point de vue du fameux révisionniste antisémite Chomsky)

— l’épisode du refus, par les pompiers de New York, de la statue politiquement correcte qui devait être érigée en leur honneur le montre bien. Ils ont demandé le respect de l’histoire et refusé sa falsification par le politically correct, c’est-à-dire par l’hypocrisie puritaine : trois blancs hissant les couleurs figuraient sur la photo dont s’inspira le sculpteur, donc trois blancs devaient figurer dans la statue tandis que l’artiste avait pris la liberté de placer un noir, un hispanique et un blanc. La messe n’est pas dite. (le Figaro, 31 janvier 2002) — 

et ce n’est pas ses services secrets qui l’en avertiront, car ces sales gamins préfèrent s’amuser à Washington avec leur super console de jeu Thales pour assassiner trois paysans afghans à vingt mille kilomètres de distance (le Figaro, 12 février 2002). « La vie est courte, jouez plus », sacré Bill Microsoft ! Désormais, tout homme de plus d’un mètre quatre-vingt est en danger de mort, partout dans le monde. Il faut de toute urgence interdire la fabrication et la vente des Play Station. On pense inévitablement à l’assassinat d’Alcibiade qui, sortant de sa maison incendiée, nu et armé d’un seul poignard, était cependant si redouté que ses assassins n’osèrent l’affronter et le tuèrent de loin, avec flèches et javelots. La foi seule est réelle, le sens seul est réel. Seul ce qui a un sens est réel, seul ce qui est réel a un sens. Dans le monde manchestérien totalement privé de sens (tout le sens est réfugié dans l’argent et seul l’argent est réel), les mots sont aussi privés de sens. On entend bla-bla-bla à la radio. C’est pourquoi les Arabes ont dû faire parler le pétrole lampant (le pétrole, ils connaissent, aussi bien que le pétrolier Bush. Après les pétroleuses, les pétroleurs. Eux, ils n’ont pas manqué le Panthéon) et pourquoi les services américains n’ont pas tenu compte des paroles parfaitement explicites de Ben Laden. Bla-bla-bla, comme d’habitude, se dirent les bavards. A déni de sens, déni de vie. Manchester* était de retour, plus beau que jamais. Manchester n’est pas un homme. Pourtant Gottfried Wilhelm Bush l’a dit : Manchester est le meilleur des mondes possibles et tout y est pour le mieux. Ce n’est pas seulement la proposition : « L’économie existe » qui est un non-sens, c’est le monde de Manchester (laissez faire, si je t’attrape je t’encule, faites appel à l’égoïsme de votre boucher et, bien entendu, « Pompidou des sous » ) qui est un non-sens, c’est-à-dire un monde dépourvu de sens, ce que chacun éprouve cruellement chaque jour. Seule la réalité est sens et seul le sens est réel. Un monde dépourvu de sens est dépourvu de réalité comme chacun peut en faire l’expérience dans sa vie. Mais la méchanceté de Manchester a trouvé à qui parler. Depuis la chute du fameux mur de Berlin, depuis que les pédés se marient, les manchestériens ne se sentaient plus pisser. Le singe Minc agitait ses quatre petites mains. Croyaient-ils que cela durerait toujours ? Non. Ben Laden et les dix-neuf fidèles veillaient, Ben Laden l’un des leurs, l’un de leurs condottieri, Ben Laden diplômé, Ben Laden entrepreneur, Ben Laden milliardaire, Ben Laden qui joue en Bourse à la veille des attentats qu’il commandite. A Manchester, Manchester ennemi. Ce qui est arrivé devait arriver et arrivera encore. La méchanceté appelle la méchanceté. A méchanceté, méchanceté ennemie. Ben Laden a puni ce crime de non-sens, ce crime de nihilisme. Ben Laden a frappé New Manchester. Ben Laden n’aime pas New Manchester l’infidèle (la sans-foi) avec ses tours bourrées de Youpis® (Young Urban Professionals, le « Yuppies » anglo-saxon, parlons français que diable ! Nous sommes au pays de Céline.) Les pédés ont foi dans le mariage. Les Youpis® n’ont confiance en personne. Les Youpis® n’ont foi que dans l’argent. Ils ont foi dans les Écritures... comptables. Contrairement au bétail citoyen qui ne pense qu’à sa petite personne et aux droits de sa petite personne

— ce que l’on appelle improprement individualisme mais qui est en fait pur nihilisme. L’individualisme grec produisit Clisthène, Périclès, Alcibiade et même Brasidas (ne craignez pas le nombre des ennemis), c’est-à-dire des individus et non des troupeaux de conformistes. Jamais le prétendu individu prétendument individualiste ne fut aussi libre d’obéir, jamais le prétendu individu ne fut aussi libre de se soumettre, jamais le prétendu individu ne fut aussi libre de se conformer, jamais il ne fut aussi libre de choisir entre la soumission et... la soumission. Le prétendu individu prétendument individualiste est aussi peu individu dans la société « civile » qu’il n’est citoyen dans l’État. Le maître est à son balcon. Il jette sa chéchia dans la cour. Les esclaves protestent. C’est contraire aux droits de l’homme. Salauds qui confondez individualisme et utilitarisme, salauds qui confondez individualisme et enculisme, individualisme et isolation forcée de l’individu complètement coupé de son genre (ce genre n’est même pas devenu un spectacle comme je l’espérai un moment. Au contraire, il est devenu strictement invisible, intangible. On ne voit que des prides, des proud et les Alpes). Le prétendu individualisme dont on nous rebat les oreilles n’est que la rationalisation apologétique de cet état de fait, la glorification de la séparation et de la soumission. Selon Émile Durkheim, l’individualisme n’est rien d’autre que la religion de l’humanité ! La religion ! Selon Durkheim, une religion, une foi commune, est absolument nécessaire à la cohérence des sociétés et, selon lui, aujourd’hui la seule possible est l’individualisme, la religion de l’individu ! De son côté Hegel a écrit : « L’individu est la forme absolue. » L’individu véritable a soif de genre (l’enculiste aussi, mais il ne se désaltère pas à la bonne source, songez à la mission Flatters). C’est ce qui explique la réelle gratuité du don dans les sociétés où il est pratiqué. Le don n’est pas effectué en raison d’un intérêt caché, comme le prétendent les utilitaristes toujours pleins d’imagination, car il n’est pas effectué réellement d’un individu à un autre individu mais comme célébration du genre, sous les yeux de la divinité (l’individu isolé de force ne peut pas, lui, célébrer ce culte). Le donateur, et à plus forte raison celui qui reçoit, ne veulent pas démériter de leur genre, voilà la coercition à laquelle ils obéissent librement, voilà quel est véritablement le hau des forêts, la présence permanente de son genre dans tout individu digne de ce nom, l’universalité présente en permanence dans la singularité. Durkheim dit « Je ne vois dans la divinité que la société transfigurée et pensée symboliquement ». Il est donc meilleur marxiste que le marxiste Julliard(11) qui ne voit, lui, dans Allah qu’un loup garou. Durkheim dit également que les hommes n’obéissent qu’à ce qu’ils respectent. Etant donné qu’il n’y a plus rien de respectable dans ce monde, les hommes vont bientôt cesser d’obéir (« La seule personne que j’ai visée intentionnellement était Mme Fraysse. Je l’ai visée pour sa qualité de maire, mais aussi parce que je ne la respectais pas. » Richard Durn). C’est d’ailleurs pourquoi le président Bush a besoin d’une guerre de toute urgence. Inversement, Allah étant un être éminemment respectable pour un Arabe musulman, les dix-neuf fidèles peuvent mourir sans sourciller comme ces héros grecs qui avaient tant de choses à respecter. Quels heureux hommes. Et il y a des trous du cul, particulièrement non respectables, qui viennent parler de nihilisme à leur propos ! Qu’est-ce que l’invention du monothéisme, sinon l’invention de l’individu universel ? L’ancienne religion, qu’elle soit éradiquée, comme chez Jules le Tonkinois ou remisée dans l’arrière boutique, comme chez George le Texan, n’a été remplacée par rien sinon par des pédés mariés. De ce fait, le stürmer Ben Laden et ses Tornados se trouvent être les seuls représentants d’une religion digne de ce nom sur terre, non pas la seule, mais la seule encore maître chez elle, capable de faire pièce aux commerçants et aux Jacobins. Ils peuvent donc s’engouffrer dans ce vide. C’est aussi simple que ça. Ainsi que le dit très bien Renan, si l’Eglise catholique n’a pas rétabli l’Inquisition, c’est qu’elle ne le pouvait plus, tandis que l’islam, lui, peut toujours bombarder New York. C’est une honte, c’est un scandale que la seule religion digne de ce nom dans ce monde soit une telle religion, mais c’est de votre faute, vous ne l’avez pas volé, hommes sans foi qui n’avez pas été capables d’en établir une meilleure. Vous patiniez, j’en suis fort aise, et bien sautez maintenant. Puisque vous avez bafoué, et d’abord en vous-même, l’individu universel, vous devez subir la colère d’Allah, le seul individu universel que connaisse un Arabe musulman. « Une fois qu’on a cessé de confondre l’individualisme avec son contraire, c’est à dire avec l’utilitarisme, toutes ces prétendues contradictions s’évanouissent comme par enchantement » « C’est l’humanité qui est respectable et sacrée ; or elle n’est pas toute présente en [l’individu]. Elle est répandue chez tous ses semblables ; par suite, il ne peut la prendre pour fin de sa conduite sans être obligé de sortir de soi-même et de se répandre au dehors. Le culte dont il est, à la fois, et l’objet et l’agent, ne s’adresse pas à l’être particulier qu’il est et qui porte son nom, mais à la personne humaine, où qu’elle se rencontre, sous quelque forme qu’elle s’incarne » « En définitive, l’individualisme ainsi entendu, c’est la glorification, non du moi, mais de l’individu en général » « Nous voilà bien loin de cette apothéose du bien-être et de l’intérêt privés, de ce culte égoïste du moi qu’on a pu justement reprocher à l’individualisme utilitaire » « Car le libéralisme du XVIIIe siècle qui est, au fond, tout l’objet du litige, n’est pas simplement une théorie de cabinet, une construction philosophique ; il est passé dans les faits, il a pénétré nos institutions et nos mœurs, [et il veut pénétrer, aujourd’hui, celles des Arabes] il est mêlé à toute notre vie, et si, vraiment, il fallait nous en défaire, c’est toute notre organisation morale qu’il faudrait refondre du même coup » [C’est exactement ce qu’a du penser Ben Laden : je vais donc les en défaire, se dit-il. Quel brave homme] « Une similitude verbale a pu faire croire que l’individualisme dérivait nécessairement de sentiments individuels, partant égoïstes. En réalité la religion de l’individu est d’institution sociale, comme toutes les religions connues. » « L’individu reçoit de la société même les croyances morales qui le divinisent. C’est ce que Kant et Rousseau n’ont pas compris. Ils ont voulu déduire leur morale individualiste, non de la société, mais de la notion de l’individu isolé. » [En bons utilitaristes qu’ils étaient] « Quel triste calcul que de renoncer, pour vivre, à tout ce qui fait le prix et la dignité de la vie. » [Autant renoncer à la vie se sont dit, en bonne logique, les dix-neuf fidèles] (Durkheim, L’individualisme et les intellectuels) Par individualisme Durkheim entend donc une religion de l’individu et non une religion du moi, c’est à dire tout le contraire de ce que l’on peut constater aujourd’hui : la pullulante affirmation des moi, la fierté du moi à roulettes ; lors d’egopride tonitruantes, les proud, tous semblables, s’époumonent : « moi, moi, moi ».

Ils font ça en groupe parce qu’ils désespèrent d’y parvenir seuls. (selon Durkheim et contrairement à Hobbes, l’égoïsme est un résultat et non le point de départ de l’humanité. De la Division du travail social, Livre I, chap. VI). La glorification de l’individu ne peut avoir lieu que dans la glorification du genre et non dans la glorification du moi. (Voilà pourquoi, dans une lettre, il y a dix ans environ, sans pouvoir argumenter, je disais que B.-H.-Elle était l’anti-individu par excellence puisqu’il était toujours préoccupé de lui-même et voilà donc la raison pour laquelle j’attaque celui-là plutôt qu’un autre, et puis, tant qu’à faire que d’étudier un spécimen, autant choisir le plus célèbre, le plus riche et surtout celui qui a la plus jolie femme, joindre l’utile à l’agréable. C’est le parfait représentant de l’enculisme, de la glorification du moi et non de celle de l’individu. C’est pourquoi il a longtemps arboré l’uniforme de la LVF, chemise blanche et pantalon noir. Ce très riche patineur à roulettes préfère patiner dans le caviar plutôt que dans la choucroute, cela se comprend. Il est marié mais pas pédé, que voulez-vous, on ne peut pas tout faire. Le moi est haïssable. Bernard-Henri Moi (BHM) n’a retenu de l’affaire Dreyfus qu’une bonne occasion de revendiquer le droit à l’incompétence afin de pouvoir discourir de tout sans rien savoir alors que, comme le souligne le sévère Durkheim, la compétence n’est pas nécessaire uniquement dans les cas qui ressortent du sens commun, tel un jugement inique qui n’accorde pas à l’accusé le droit de présenter sa défense. Dans ce cas et seulement dans ce cas, nulle compétence n’est nécessaire et ce n’est donc pas en tant que savant que les savants, par exemple, sont intervenus dans l’affaire Dreyfus, mais comme de simples particuliers. Au lieu de quoi ce galopin, aux frais du gouvernement français — pauvre gouvernement français, Bush a raison, la France n’est plus une grande puissance puisqu’elle confie une mission à un tel godelureau —, s’en alla proposer aux Afghans la création d’une École Nationale d’Administration en Afghanistan. Après les Russes, les Talibans et les bombes américaines, il ne manquait plus que çà aux malheureux Afghans, des énarques ! Le cas de Lévy est intéressant aussi tant il est caricatural dans ce monde caricatural. La caricature fait ressortir les traits significatifs plus discrets chez ses congénères. Aux dernières nouvelles, l’impudique mouche des charniers s’est offert un nouveau cadavre.) Durkheim omet simplement de remarquer que capitalisme et utilitarisme sont la même chose. Qu’est-ce que le capitalisme, sinon l’utilitarisme qui « est passé dans les faits », l’utilitarisme appliqué. L’utilitarisme est peut-être une théorie, mais c’est surtout une pratique qui consiste à utiliser les gens de façon très peu kantienne (évidemment ce passage dans les faits est une illusion, la théorie utilitariste n’est qu’une rationalisation apologétique des faits, « le plus grand bonheur pour le plus grand nombre ». La théorie est sortie tout armée de quelques cabinets anglo-saxons alors que les faits étaient encore embryonnaires. D’où l’illusion d’un passage de la théorie dans les faits. Depuis, d’embryonnaires qu’ils étaient, les faits sont devenus pléthoriques. On ne peut pas dire que la théorie n’y est pour rien puisqu’elle occupe les esprits, mais, pour reprendre une formule de Durkheim, on ne peut expliquer la société que par la société. Cette réserve faite, l’expression est heureuse et je la conserverai). Pourtant Durkheim a lu Marx. Mais Marx était utilitariste. Je me disais bien aussi que toute cette propagande ininterrompue, tonitruante, universelle, pour l’individu et l’individualisme, tout particulièrement quand elle prend une forme prétendument critique contre un prétendu individualisme qui sévirait aujourd’hui, cachait quelque chose. Elle cachait exactement le contraire de l’individualisme, cette vieille merde d’utilitarisme qui vient d’être frappée par le philosophe Ben Laden (Bon sang, mais les voilà ces pierres volantes dont parlait le facétieux informateur de Malinowski ! Pour les conjurer, il n’était donc pas nécessaire de bombarder l’Afghanistan, il suffisait de jeter le singe Minc par la fenêtre. Pourquoi un singe ? Parce que jeter un homme par la fenêtre, c’est contraire aux Droits de l’homme.) L’argument dormait là depuis cent vingt ans. C’est la preuve qu’il est certaines idées qui ne vieillissent pas. Merci Émile ! Voilà ce que c’est que « la laïque » pour laquelle Durkheim milita. Il y est tellement calomnié (on n’y retient, dans les manuels, que son côté édifiant, édificateur plutôt, évidemment, de quoi faire fuir tout jeune homme.) que je l’ai longtemps pris pour un positiviste et un utilitariste au point de le confondre avec Auguste Comte, alors qu’il était l’oncle de Marcel Mauss ! Aux textes, citoyens ! (Merci Université du Québec à Chicoutimi(13), que la colère de Ben Laden vous épargne.) En fait, bien que partisan de la méthode expérimentale de Claude Bernard, Durkheim n’en est pas moins parfaitement anti-utilitariste. Il n’est donc pas le père, mais l’oncle de l’anti-utilitarisme —,

contrairement aux pédés qui se marient, l’individu Ben Laden (comme disent les humanistes de la gendarmerie, en fait Citizen Ben Laden, ce civilian qui attaque non pas un État mais tous États. Tu en veux du citoyen, en voilà. Son ticket, en fait ses billets d’avions, sont valables au delà de toute limite) ne s’occupe que de choses universelles, il ne fait que de grandes choses, il fait fi de sa personne et donc de celle d’autrui. « Les grandes choses exigent que l’on se taise ou qu’on en parle avec grandeur » Contrairement aux nihilistes bourgeois il croit en Dieu, c’est-à-dire en l’humanité. Il ne désespère pas de l’humanité. Il a foi en l’humanité, certes, sous une forme assez brutale mais pas plus brutale, et surtout sans sournoiserie et sans procuration, que la brutalité des États-Unis condamnés par la Cour internationale de La Haye pour usage illégal de la force au Nicaragua comme en cent autres endroits où ils agirent par personnes interposées, (et quelles personnes ! de véritables proconsuls et propréteurs ravageant leurs provinces, des hordes de Verrès) et ne furent même pas condamnés (consultez à ce sujet le négationniste antisémite bien connu Noam Chomsky, 11/9 Autopsie des terrorismes, Le Serpent à Plumes et De la Propagande, Fayard). Le terrorisme par procuration exercé par les États-Unis, le seul hyperterrorisme qui soit, fut la cause de centaines de milliers de morts, d’exactions et d’atrocités sans nombre. Voilà des gens de biens. Chacun son tour n’est-ce pas ?

*. Manchestérianisme, mouvement pour le libre-échange dans la première moitié du XIXe siècle. Les partisans de ce mouvement créèrent une ligue contre les droits de douane sur le blé, dont le siège était à Manchester et dont les représentants les plus célèbres étaient Cobden et Bright. Ces droits furent supprimés en 1846 en application de la théorie de Ricardo (Essai sur l’influence du bas prix du blé sur les profits du capital, 1815 ; Des Principes de l’économie politique et de l’impôt, 1817). Pour que les profits croissent, il faut que les salaires baissent ; or ceux-ci dépendent du prix des biens nécessaires à la subsistance du travailleur et de sa famille. Il faut donc que le prix des biens de subsistance, du blé notamment, baisse. Merci Edouard Leclerc, défonceur, la main sur le cœur, du con sommateur. « Merci patron, merci patron... » comme chantaient les Charlots. Les diverses lois découvertes par Ricardo sont quand même autre chose que la stupide et ridicule loi d’Engel qui m’est opposée par le sournois imbécile (référence à une discussion en cours sur mon site : Réponse à la chienlit gauchiste). L’ère du libre-échange commença sous d’heureux auspices : en quelques années, un million et demi d’Irlandais crevèrent de faim. Deux millions et demi s’exilèrent. Quelques-uns de leurs descendants étaient peut-être dans les tours bombardées par Ben Laden. Notamment, l’abrogation de la loi sur les blés devait permettre de nourrir toute cette misère. Tu parles Charles. Laissez-faire oblige. Londres ne fit rien, c’était toujours ça de pauvres, cette plaie, en moins. (Cela dit, ce n’est pas le libre-échange qui fut responsable de cette hécatombe mais la domination anglaise qui entraîna la dépossession des catholiques, la monoculture de la patate à cochon de pauvre et plusieurs années d’épidémie de la maladie de la patate. Malheur ! Qu’est-ce donc que six mille Youpis® volatilisés à côté de ça.) Aujourd’hui, cette ère du libre-échange ne fait que continuer après quelques parenthèses protectionnistes dont la plus longue fut due à la menace des prétendus Soviets. Elle est en phase terminale, c’est-à-dire en phase de libre-échange des capitaux, ce qui n’était pas prévu dans la théorie initiale où le capital demeurait national. La libre circulation des capitaux n’aura, à long terme, d’autre résultat que de supprimer tout avantage comparatif. Le seul avantage comparatif qui demeure aujourd’hui est celui da la main d’œuvre à bas prix. Je suis sur ce point d’accord avec Marx, évidemment. Plus vite ce sera fait, grâce aux judicieux conseils du singe Minc, mieux ce sera car plus vite on aura le loisir d’admirer ce que sont les mirobolantes promesses du libre-échange. Hélas, les prétendus citoyens d’Attac veillent pour que cela dure encore quelques siècles (Une économie au service de l’homme ! Quel joli mot d’ordre qui rappelle celui qu’on pouvait lire au Portugal en 1975 à la porte des banques : La banque au service du peuple. Comme c’est gentil tout ça. Canailles et crétins.) Comme Proudhon, ils veulent les bons côtés du capitalisme sans les inconvénients, les roses sans les épines. Et ils font ça bénévolement tandis que les think tanks américains se font grassement payer. Comme ces gauchistes maoïstes qui, avant de connaître l’existence des camps, trouvaient la Russie et la Chine très hospitalières, il leur faut cette prétendue mondialisation pour découvrir la nature du capitalisme qui fut un temps masquée par la guerre froide. Alors Manchester devait se tenir à carreau, il devait faire bonne figure, concurrence oblige ! Comme il faisait bon vivre du temps du général de Gaulle. Aujourd’hui, cela repart comme en 40 (1840), rien de nouveau, donc. Le libre-échange n’est ni liberté, ni démocratie, il est seulement liberté du commerce, toujours acoquiné depuis cinquante ans, du fait de la menace des prétendus Soviets, avec les pires régimes réactionnaires, ce qui lui retombe aujourd’hui sur la gueule. A ce titre, on peut considérer l’attaque de Ben Laden comme une séquelle de la guerre froide puisque c’est dans le cadre de cette guerre qu’il fut mis en selle par la CIA. Elle a fini par se produire, cette attaque tant redoutée et tant attendue mais cependant totalement surprenante. Il en est toujours ainsi de ces choses qui paraissent immuables. Un jour, elles cessent. Il en est toujours ainsi de ces choses réputées improbables, voire impensables. Un jour elles ont lieu. A réactionnaire, réactionnaire ennemi et, surtout, avions à réaction. Bien fait, avec le bonjour du Dr Mossadegh

— 1953, opération Ajax(1), destitution illégale et emprisonnement du Dr Mossadegh par le Shah à l’instigation de la CIA. « So this is how we will get rid of the madman Mossadeq in Iran » (il voulait nationaliser le pétrole) déclara John Foster Dulles (how good he was). 2001, retour à l’envoyeur avec le madman Ben Laden (il voulait bombarder New York). « Jésus-Christ, c’est le free trade ; le free trade, c’est Jésus-Christ ! » (Dr Bowring, cité par Marx dans son Discours). Et Mohammed, c’est le Free trade Center par terre ! —

Et merde pour les marchands de roquefort. Cher vieux Marx, quelle puissante pensée, comme tout est bien dit en peu de mots. Liberté du commerce, libre concurrence pour les commerçants (et aujourd’hui liberté totale de circulation des capitaux) et, d’autre part, libre prostitution pour les esclaves salariés

— consultez l’intéressant Pierre Dockès, La Convention d’obéissance (PDF)(12) et ici (commentaire)(12). On y voit nettement ce que « vend » l’esclave salarié, non pas la mythique force de travail, mais sa soumission, son obéissance, pour un temps donné, comme la pute exactement. On ne peut comparer l’obéissance absolue (libre de tout lien) de l’hoplite (citoyen turbulent en temps de paix) qui faisait la terreur de ses ennemis, obéissance dictée par l’amour de la liberté (et du pillage) ; et celle de l’esclave salarié. Ce dernier fait ça pour de l’argent, ce qui est la stricte définition de la prostitution ; et il le fait parce qu’il n’a pas le choix, ce qui fait de lui un esclave. Comme la pute, il doit prendre, pendant un certain temps, les postures qui lui sont demandées et, comme la pute, dans certaines limites acceptées, sauf quand celle-ci rencontre Jack l’éventreur, qui passe toutes les bornes.  Avez vous remarqué la vogue du mot posture dans la littérature charabia ? —

Seuls le commerce et la prostitution (qui est une sorte de commerce d’ailleurs) sont libres dans la démocratie commerciale. Discours sur le libre-échange(2) (1848 à Bruxelles). Et, bien entendu, libre échange obligatoire pour tout le monde sauf pour les États-Unis qui entendent bien demeurer le seul pays protectionniste au monde. Il faut distinguer entre le libre échange théorique, proclamé, de propagande, et le libre échange réel, le libre échange tel qu’il fut pratiqué par l’Angleterre et les États-Unis. Comme le démontre inlassablement Chomsky, le libre échange réel, le libre échange tel qu’il fut pratiqué par les puissances dominantes et non pas le libre échange théorique, fut en vérité protectionnisme et subvention de l’industrie par l’État pendant deux siècles, notamment subvention d’Arpanet, devenu le ci-devant Internet, par l’Etat fédéral des Etats-Unis d’Amérique. Comme le montre également Chomsky, le délabrement du prétendu tiers monde est dû au fait que le libre échange strict, au pied de la lettre théorique, lui fut imposé (et lui est toujours imposé par le FMI), et le protectionnisme interdit, par les puissances coloniales (le FMI n’est que le relais de ces puissances après la décolonisation, elles ont délégué la sale besogne en quelque sorte). Autrement dit, le libre échange tel qu’il est professé par la théorie et la propagande (c’est la même chose) est juste bon pour les nègres et, en ce sens seulement, bon pour les anciennes puissances coloniales aussi. C’est un comble, avec la libération totale de la circulation des capitaux, les rentiers et seulement les rentiers, que Marx méprisait tant, dirigent le monde et non plus les industriels, que Marx respectait. Pourquoi un tel monde d’inflation d’actifs devrait-il survivre ? Keynes a raison : il faut euthanasier les rentiers, pas seulement par l’inflation.

Cobden, Richard (1804-1865) : homme d’État anglais. Économiste, assura par sa victoire sur les grands propriétaires ruraux, le succès des idées libre-échangistes.

Bright J. (1811-1889) : homme politique anglais, dirigeant du parti manchestérien ou libre-échangiste.

Contrairement à l’existence de Dieu, l’existence de croyances n’est pas une question métaphysique. Elle ne relève donc pas de la philosophie mais du Pentagone. Si la proposition « l’économie n’existe pas » est métaphysique, la proposition « l’économie existe » l’est tout autant. Si la proposition « Dieu existe » est métaphysique, la proposition « Dieu n’existe pas » est tout autant métaphysique ; sinon, si l’on pouvait réfuter l’une, on prouverait l’autre et réciproquement. L’existence des religions n’est pas une question métaphysique mais une question pratique. Les croyances sont des forces pratiques. La croyance en l’existence de Dieu est une force pratique et elle le prouve en attaquant Wall Street. Elle ne prouve pas que Dieu existe, mais elle prouve qu’elle existe comme force pratique. Elle prouve qu’elle est capable de changer la face du monde. C’est le réductionnisme qui est attaqué à Wall Street par la puissance de la croyance. Le réductionnisme est un nihilisme. Leibniz dit déjà : le monde n’est pas explicable par le mécanisme, et : la perception ne peut s’expliquer ni par le mouvement ni par les figures. Marx prétendant expliquer le monde nous expose un mécanisme, c’est son péché. La question de l’existence de Dieu est une question métaphysique. La question de la croyance en l’existence de Dieu est une question pratique, terriblement pratique. Pour dire ça très simplement, de même qu’on ne peut prétendre critiquer la religion tout en croyant à l’existence de Dieu, on ne peut critiquer l’économie politique tout en croyant à l’existence de l’économie. C’est une simple question de postulat. Tout cela est plein de sens, extrêmement clair. Autrement dit, on ne peut prétendre garder le poulailler si on est un renard. C’est pourtant ce qu’a prétendu un jour le crétin polytechnicien Lipietz en réclamant des capitaux pour développer un secteur non commercial. C’est bien demander un renard pour garder le poulailler (autant le faire garder par un Corse). Cela vaut bien cette bourde du professeur Bourdieu qui prétendit, en 1981, à l’occasion de la politique du gouvernement français à l’égard de la Pologne révoltée, qu’il avait délégué des pouvoirs à ce gouvernement. Voilà ce qu’on peut entendre avec le bétail salarié qui se croit citoyen et croit qu’il existe une chose comme la souveraineté du peuple dont on pourrait déposséder celui-ci, souveraineté qu’il s’agit donc de protéger et développer. Bétail en stabulation libre, seule la stabulation est libre ! Le dictateur (au sens romain : le Sénat donne pleins pouvoirs au renard pour rétablir l’ordre dans le poulailler, caveant consules, que les consuls prennent garde afin que le poulailler n’éprouve aucun dommage !) Bush est donc très mal placé pour critiquer le terrorisme puisque l’État dont il est le chef a déjà été condamné pour ce fait par le tribunal international de La Haye en 1986. Le renard a trouvé un renard plus fin que lui. Un renard vulgaire et triomphant mais hypocrite s’oppose à un renard fin et secret mais direct. Ça barde dans le poulailler.

 

 

UNE LEÇON DE FOI

Foi : du latin fides, « confiance » :
Fidem magnam habere alicui
Alicui summam omnium rerum fidem habere

La Bofetada del Moro
Dieu encule Hobbes(3)
Ce monde qui prétendait juger est jugé

Le fait que les catholiques ne nomment plus Dieu « Dieu » mais « esprit » ne signifie pas que les catholiques ne croient plus en Dieu (référence à une discussion en cours sur mon site : Réponse à la chienlit gauchiste). Au contraire c’est parce que, pour eux, l’existence de Dieu aujourd’hui va de soi (de même que pour les athées l’inexistence de Dieu va de soi) que la question de son existence est devenue secondaire et a perdu sa virulence (comme une souche de bacille d’anthrax destinée au vaccin) et qu’il n’est plus nécessaire d’y faire référence. C’est la question de l’existence de Dieu qui est devenue secondaire et non l’existence de Dieu qui, justement, ne fait plus question. C’est une religion pacifiée, une religion œcuménique, tandis que le puritanisme et l’islam sont toujours des religions de combat (comme les gaz du même nom). Jusqu’à récemment, les bombardements étaient le privilège des puritains, les choses ont bien changé. A bombardiers, bombardiers ennemis et ces derniers bombardent à très basse altitude avec des bombes chirurgicales bourrées d’intelligence. Notez que dans ce cas, il n’y a plus du tout de question de l’existence de Dieu tandis qu’il y a perpétuelle référence à l’existence de Dieu. Un cinéaste afghan disait que la philosophie de Bush et de Ben Laden était la même et se résumait à : « Si vous n’êtes pas avec nous, vous êtes contre nous. » Le mécréant est aussi croyant que le croyant. La différence est que chez le mécréant la croyance est une question privée (c’est quand même l’esprit du puritanisme qui parle par sa bouche et qui l’anime) tandis que chez le croyant la croyance est une question d’État. C’est pourquoi Ben Laden, et ses collègues, peuvent déployer toutes leurs qualités d’hommes d’État puisque ils ont l’instrument nécessaire, un vecteur d’État

— Je suppose que le but d’Oussama d’Arabie est avant tout de libérer son pays, non seulement des Américains mais de leurs proconsuls autochtones, comme le lui intime sa religion. Il semble que l’ire de Ben Laden contre l’Amérique date de l’attaque de l’Irak par les USA puisque de cette époque date également l’établissement de cinquante mille infidèles américains sur la terre sainte d’Arabie sous le prétexte d’un possible retour de méchanceté de Saddam Hussein cependant épargné par Bush père alors que le dictateur était à merci. C’était bien la peine d’aller guerroyer afin de chasser l’envahisseur russe en Afghanistan pour voir par la suite l’envahisseur américain s’établir sur la terre sainte inviolable, scandale inouï pour un wahhabite (c’est à dire pour tous les wahhabites). Je suppose que Ben Laden n’est pas le seul Arabe wahhabite indigné de cette occupation de la terre sainte par des infidèles. Cela explique aussi que Ben Laden ne soit pas un islamiste, mais simplement un salafiste. Il se moque comme d’un guigne de toute application politique de l’islam. Cela expliquerait aussi pourquoi il est vital pour l’administration Bush d’occuper l’Irak pour au moins dix ans car cela leur permettrait d’évacuer cette Arabie peuplée d’Arabes irascibles. Ben Laden n’a jamais rien demandé d’autre. (30-05-2003. Paul Wolfowitz reconnaît que le but des USA occupant l’Irak, sous le prétexte des introuvables armes de destruction massive, était bien de pouvoir évacuer l’Arabie et de donner ainsi satisfaction à Ben Laden, mort ou vif. L’audace paye ! L’un des buts affichés de Ben Laden est atteint. « For bureaucratic reasons, we settled on one issue, weapons of mass destruction, because it was the one reason everyone could agree on, Mr Wolfowitz was quoted as saying in Vanity Fair magazine’s July issue. (...) Mr Wolfowitz said another reason for the invasion had been "almost unnoticed but huge" — namely that the ousting of Saddam would allow the US to remove its troops from Saudi Arabia, where their presence had long been a major al-Qaeda grievance. » The Canberra Times). Il ne servirait à rien aux Américains d’occuper la terre sainte des wahhabites, fut-ce avec cinq cent mille hommes, étant donné, chacun a pu le constater, que l’Arabie n’est plus dans l’Arabie. —

Pour l’instant, (l’affreux pédé albinos Warhol n’a-t-il pas prédit que chacun serait célèbre un mauvais quart d’heure ? De toute façon, New York était condamnée du seul fait d’avoir abrité une telle ordure) ce vecteur est la seconde puissance mondiale, c’est-à-dire la puissance qui a réussi à attaquer la première puissance chez elle, sans aucun porte-avion mais avec quelques milliards de dollars (nécessaires non pour payer quelques billets d’avion, mais pour acheter un État) et l’aide de Dieu, pour la première fois depuis 1812. Même si Dieu n’existe pas, l’invocation de Son Nom peut être d’un grand secours. Dieu n’existe pas et pourtant Il agit. Il est vraiment tout-puissant, l’existence ne Lui est même pas nécessaire pour agir. La foi ne déplace pas seulement les montagnes, elle les pulvérise. Dire que Dieu existe est finalement un blasphème, l’existence est indigne de Lui. L’existence est vulgaire. La religion catholique ne survit à la fin d’aucun mensonge. Ce n’est pas la croyance qui a fini, ni la religion, c’est la question, c’est la philosophie (quoique les philosophes de confort soient légions dans le monde des patineurs à roulettes et des pédés mariés car ce monde fait une grande consommation de philosophie de confort bien qu’elle ne soit pas remboursée par la sécurité sociale). La question de l’existence de Dieu n’est pas le fait de la religion mais le fait de la philosophie. C’est à la philosophie que le catholicisme survit. Ensuite, c’est la religion elle-même, c’est le catholicisme lui-même, et non la croyance, qui est un mensonge. Dire que le catholicisme survit au mensonge c’est dire que le catholicisme survit au catholicisme. C’est un mensonge qui dit « Dieu existe », ce n’est pas la proposition « Dieu existe » qui est un mensonge. La proposition est seulement vraie, fausse ou dénuée de sens. La proposition « L’éther existe » n’a jamais été le fait d’un mensonge. Le mensonge de la science est le réductionnisme quand il outrepasse son domaine, mensonge symétrique de celui de la religion. De ce point de vue, le mensonge de la religion est moindre que celui de la science et il le prouve aujourd’hui puisque le sens du monde y est toujours en question car, avant d’être une conception du ciel, une religion est d’abord une conception du monde

— de la même façon, le vrai despotisme soviétique était moins pire (moins plus non bon en novlangue, signal fort. Ah ! ah ! Ben Laden a envoyé un signal fort, trous du cul) que la prétendue démocratie commerciale, car, dans ce despotisme, la démocratie était toujours une question et non une prétendue réponse : il n’y avait, en Russie, aucune apparence de démocratie et donc, par la même occasion, aucune idéologie de la démocratie. Personne ne croyait au discours officiel, ce qui n’est pas le cas pour celui de Bush. L’idéologie est comme le vin que boit le vigneron. Son vin est piqué mais seul le vigneron ne s’en aperçoit pas car il en boit tous les jours. —

Au moins, dans la religion, l’esprit a droit de cité. Croire en Dieu n’est pas mentir, exploiter cette croyance pour dire que les esclaves doivent admettre leur sort ici-bas, si. De même, croire en l’existence de l’économie n’est pas mentir, exploiter cette croyance pour dire que l’esclavage n’existe plus et que la liberté du commerce est immuable, si.

L’apothicaire Revel (il a foi dans le progrès celui-là aussi) affirme dans le Point du 12 octobre 2001 : « Le terrorisme islamique en général est l’enfant d’une idée fixe religieuse, non d’une analyse des causes de la pauvreté. Il ne peut conduire à aucune amélioration du sort des sociétés en retard »

— en retard de quoi ? Quelle fatuité de gros bourgeois. Les sociétés en retard sont en fait les ruines de sociétés détruites, (où l’on vivait dans la pauvreté « matérielle » mais dans la richesse relationnelle, dans la frugalité conviviale et non dans la misère, notamment morale — une misère ne va jamais sans l’autre —, comme aujourd’hui, selon l’Iranien Rajid Rahnema qui publiera dans quelques mois chez Fayard un livre sur la question (Quand la misère chasse la pauvreté). Dans un monde où, comme a si bien dit Marx, l’argent est la vraie communauté et la seule communauté, il n’y a plus aucune autre communauté possible mais séparation totale, ce que les crétins nomment individualisme : de même que, selon ces crétins, l’esclavage, c’est la liberté ; la séparation totale serait l’individualisme) par qui ? je vous le demande, donc en avance de destruction. Oui par qui ? Par le commerce conquérant, depuis deux siècles, et non par les États-Unis (quand ceux-ci se décident à sortir de leur île, notamment pour rendre la politesse à Lafayette, le mal est déjà fait), gros con qui invoque Adam Smith à tort et à travers, Smith qui aurait démontré que le commerce, par l’avantage comparatif, apporte The Wealth réciproque. Voyez l’Afrique, voyez les nègres, voyez ces sociétés détruites (malgré mes efforts je n’ai jamais réussi à me procurer African political systems, toujours manquant-emprunté dans les bibliothèques), quel avantage comparatif ? Entre égaux peut-être, comme si, dans le célèbre exemple du porto et du drap, le Portugal, vieille puissance déchue, et l’Angleterre étaient égaux (les riches Portugais étaient, seuls, de plus en plus riche, c’est certain) ! mais entre blancs et nègres ! Quant aux Arabes, il sont aussi une ancienne puissance déchue depuis plusieurs siècles et, ni le commerce mondial, ni les États-Unis ne sont responsables de cette déchéance qui est bien antérieure. Les Anglais et les Américains ont humilié des humiliés de longue date, donc des humiliés très expérimentés, donc pleins de ressources, pas seulement naturelles. Au contraire, les États-Unis se sont tenus peinards pendant presque deux siècles dans leur île, ils avaient assez à faire avec les Indiens, les Espagnols, leurs voisins mexicains, leurs esclavagistes, leur ex-mère patrie et l’établissement de leur marché intérieur, ils n’avaient que faire de colonies puisqu’ils étaient eux-mêmes des colons, se contentant de brèves et brutales trade enforcement wars à l’extérieur. Go west. Les choses ont seulement changé avec le pétrole arabe et la seconde guerre mondiale. —

On ne saurait mieux dire contre les crétins d’Attac et de Politis

— ils se prennent pour des citoyens (le c de Attac) ! Ridicules citoyens théoriques mais esclaves pratiques. Ils sont effectivement citoyens dans l’État mais esclaves partout ailleurs, et c’est partout ailleurs que les choses intéressantes se passent, contrairement à Athènes ou à Rome. Marx a attiré l’attention sur le fait que, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, existait, avec l’établissement du capitalisme, une scission des sociétés en une société politique et une société civile, une démocratie politique et une démocratie commerciale. Ainsi, depuis leur fondation, les États Unis d’Amérique soutiennent invariablement et fermement, chez eux, liberté politique et liberté du commerce. Or sans liberté commerciale, la liberté politique n’est rien. Or la liberté du commerce est la chose des commerçants. Donc... Les prétendus citoyens sont effectivement citoyens dans la démocratie politique (Rousseau disait plaisamment que les Anglais sont libres un jour tous les quatre ans, quand ils votent) mais esclaves, pire, prostitués, dans la démocratie commerciale. Celle-ci est la démocratie des seuls commerçants de même qu’à Athènes la démocratie politique était celle des seuls Athéniens, riches ou pauvres, nobles ou marchands de saucisses. C’est quand même un comble que les prétendus citoyens ne soient pas citoyens dans une société... civile. Cette prétendue société civile n’est pas une société civile mais une société bourgeoise, société des seuls bourgeois. (Dans le § 190 de la Philosophie du droit, Hegel prend soin de préciser, en français « der Bürger [le citoyen, en allemand] (als Bourgeois) », qu’il entend par société civile, société bourgeoise, système des besoins, « une vie de ce qui est mort qui se meut soi-même », et non société de citoyens, et, dans la Philosophie de l’histoire, il déplore que la langue allemande n’ait pas deux mots pour désigner d’une part un citoyen et d’autre part un bourgeois. La distinction entre société civile et société politique était déjà faite chez Hegel. Donc, Marx qui connaissait parfaitement ce texte pour l’avoir critiqué, entendait la société civile de même, ce qui n’a rien à voir avec le sens de contrebande introduit récemment dans la société des pédés mariés, des ignobles papas et des papatineurs à roulettes, par la canaille citoyenne !) Comme la société bourgeoise est partout et l’État nulle part, les citoyens non bourgeois sont littéralement des citoyens de nulle part. La société civile est encore à inventer. Et elle ne peut exister là où existe la société bourgeoise c’est-à-dire là où règne le commerce. Je ne vois pas comment concilier enculisme, et civisme réel. D’où la misérable et ridicule prétention de tous ces actes citoyens infestés de soumission. Voici ce qu’on peut lire dans le supplément du Monde diplomatique de novembre 2002 : « On veut nous faire croire que la citoyenneté s’arrête aux portes de l’économie. Entrer dans une banque... ou dans un magasin... ce serait pénétrer dans un monde régi par une logique ne souffrant aucune discussion. Pourtant, nombre de citoyens refusent de considérer l’économie comme un monde à part dans lequel les règles du jeu seraient intangibles et les comportements obligés. Ils veulent exprimer leur citoyenneté dans leurs actes économiques de consommation, de production, d’épargne et d’investissement. » Le cave Rouillé d’Orfeuil se rebiffe. C’est exactement cela : au delà de cette limite son ticket de citoyen théorique n’est plus valable. Selon les commentateurs, le principal État mécréant visé par les fanatiques serait en fait un État laïc, libre et démocratique. Mais précisément la question est là, car seul l’État est laïc, libre et démocratique dans le pays où il a lieu. Le pays en lui-même n’est pas un État, ni même cinquante, mais un marché (nous rebat-on suffisamment les oreilles avec ce marché !) et le marché n’est ni laïc (le dieu argent y est adoré et seul respecté), ni démocratique (plus de cent trente millions de prostitués — mais aussi cent trente millions d’armes semi-automatiques de grande puissance, Deer hunter — et les seuls maîtres sont les commerçants) et la seule liberté y est celle de la prostitution et du commerce ; et il en est de même dans tous les pays mécréants. La laïcité, la démocratie et la liberté sont les trois piliers des États épiciers et seulement des États, mais les épiciers demeurent des épiciers et les prostitués des prostitués. L’échec tant politique que commercial des pays arabes (est-ce un échec d’ailleurs plutôt qu’une mauvaise volonté constante. Il est évident que pour réussir dans l’échec bourgeois, il fallait abandonner l’islam. Le miracle est qu’il n’en fut rien, qu’une religion effective, maître chez elle, persista, conservant tout son empire sur les consciences, sans que personne n’y prenne garde, ce qui permit à l’événement inouï de se produire, divine surprise ! Il est bien évident, n’en déplaise au bon Arabe intégré Meddeb, que si l’islam n’était pas déjà une religion méchante, il fallut bien qu’il le devienne pour survivre dans un monde aussi méchant lui-même) est symétrique de l’échec spirituel des pays à État démocratique, ce qui ne signifie pas que l’islam est une réussite (il le fut certainement) mais qu’il est devenu le négatif de l’échec spirituel patent de l’État politique pur et du commerce, négatif d’un négatif. Deux échecs s’affrontent ! —

qui soutiennent que le terrorisme antiaméricain (antimondial en fait, attaquer New York, c’est attaquer le monde) serait explicable par la pauvreté croissante que répandrait le capitalisme du fait de la reprise de l’expansion du libre-échange. Il n’a aucun mal à réfuter cette thèse, chiffres à l’appui

— quelle importance, à part ça, que le revenu ait doublé ou décuplé si, par exemple, toutes cultures vivrières ont disparu sans parler de la culture tout court remplacée par l’enculisme qui nécessite un revenu. La prétendue production de richesses est en fait la production de rareté. Et ce n’est pas en accaparant les denrées que les bourgeois produisent la rareté mais en accaparant les moyens de communication. C’est ça le capital, l’accaparement des moyens de communication et, en tout premier lieu, le principal, sinon le seul, l’argent. Il n’y pas que Dieu qui soit un résultat, la rareté aussi est un résultat. Mais, pour le gros bourgeois Revel, peu importe, puisqu’ils mangent, puisque maintenant ils ont dix dollars par jour au lieu de huit ou de trois, même s’il en faut quinze pour ne pas crever de faim. Et avant, ils ne mangeaient pas ? Avant, ils n’avaient pas besoin de dollars du tout. Gros con de bourgeois satisfait, chantre du progrès et du développement, du Fanal de Rouen au Point, de Yonville à Youpiville ! A cet égard, ce monde n’a pas changé depuis Flaubert. Pourquoi aurait-il dû changer d’ailleurs ? Je lis dans What Went Wrong de Bernard Lewis, habituellement qualifié dans la presse d’orientaliste respecté : « Pour un observateur occidental baignant dans la théorie et la pratique de la liberté...[dans la théorie, passe encore, je dirai plutôt dans la propagande, mais pour la pratique... cet homme prend son bain dans la liberté] ; liberté de l’esprit affranchi des dogmes et de la censure [des dogmes religieux et seulement de ceux là, quant à la censure elle n’est plus nécessaire] ; liberté de l’économie affranchie de la corruption et de l’incurie... liberté des citoyens affranchis de la tyrannie [de la tyrannie politique, certainement, mais seulement de celle là. Or il y en a d’autres. Les employés de bureau qui peuplaient les tours infernales ne subissaient peut-être aucune tyrannie, ils était là de leur plein gré, comme les dix mille aventuriers grecs en Mésopotamie, dans le plein exercice de leur souveraineté d’individus maîtres de leur destin et de leurs choix] », comme disent les Vaudois « y’en a point comme nous ». Quelle fatuité ! Le gros bourgeois satisfait par une haute opinion de lui-même n’est pas une spécialité exclusivement française à ce que je vois. Il y en a qui ne doutent de rien, bien qu’ils ne soient pas texans. —

La seule pauvreté que répand le capitalisme est la sienne, dont il abonde, dont il regorge, c’est l’enculisme : l’enculisme est la négation de la confiance, pire encore : le bannissement de la confiance. Ce n’est pas du pain que réclament les terroristes arabes, c’est du sens. D’ailleurs, ils n’en réclament pas, ils en ont à revendre, ils exportent, ils livrent à domicile. Ils ont ce que l’enculisme n’a pas. Ils ont la confiance. L’enculisme n’a que la défiance, c’est-à-dire le nihilisme, la négation de la confiance. Le but de ce terrorisme n’est pas que les pays en retard disposent enfin eux aussi de patins à roulettes et de patineurs mais de stigmatiser l’odieuse pauvreté spirituelle du capitalisme, son odieuse infidélité, son odieux nihilisme, et ses non moins odieuses prétentions à vouloir les en faire profiter. Profiter ! Le but de ce terrorisme est de juger. Juger le bannissement de la confiance. C’est la gifle du Maure. L’Arabie n’exporte pas que du pétrole, elle exporte de la foi de synthèse, reconstituée à partir d’éléments anciens et épars. Pour ce faire, ce doit nécessairement être une foi abstraite de toutes particularités locales (Roy), c’est-à-dire une foi sous une forme acceptable mondialement, a world faith ! « Le fondamentalisme n’est nullement un retour de la culture d’origine des populations musulmanes, c’est une construction intellectuelle et abstraite qui s’oppose à des siècles d’ajouts de traditions, de cultures locales, mais aussi de grandes civilisations. Le fondamentalisme dévalorise la littérature [il devrait faire un tour dans le sixième arrondissement de Paris, en avion de préférence], la poésie, la musique [il n’ose quand même pas condamner le luth et les luthistes irako-syriens], la philosophie, tout ce qui se construit sur des bases autres que celles données par la révélation. Il dévalorise quatorze siècles d’histoire et de culture du monde musulman, accusés d’avoir éloigné le croyant du message originel et de la société exemplaire qui s’était constituée autour du Prophète. » Le radicalisme islamique, qui veut traduire en termes politiques le message fondamentaliste (ce qui n’est même plus le cas de Ben Laden), offre donc « Une identité universelle, en harmonie avec l’internationalisation qu’apporte le monde moderne : celui des migrations planétaires, des voyages, de l’uniformisation des modes de vie et de l’omniprésence des médias, qui installent tout un chacun dans le même temps mondial. » (Généalogie de l’islamisme, Roy, Hachette, 1995) Il est étonnant, mais logique, que face au triomphe mondial du manchestérianisme ce soit une foi de synthèse composée d’éléments archaïques qui se dresse mondialement. Seule l’abstraction de cet archaïsme peut lutter à armes égales avec l’abstraction commerciale. Allah est la première marque mondiale, loin devant Nike ta mère. Monde à monde. Seul un monde peut combattre un monde. Gros imbécile de bourgeois, il s’agit bien de lutte contre la pauvreté. Ce n’est pas le sort de sociétés prétendument attardées qu’il s’agit d’améliorer, c’est le sort du monde qui est en jeu. Le scandale de ce monde abject n’est pas qu’il y ait des pauvres et des riches mais que les riches soient eux-mêmes pauvres en esprit, plus pauvres que les pauvres de ce point de vue. Le scandale de ce monde est qu’il soit sans foi, sans sens, sans réalité, c’est-à-dire nihilisme réalisé, et non pas qu’il contienne des pauvres, ce qui n’est qu’une simple conséquence de ce nihilisme. Cette pauvreté d’esprit offense Allah (je ne suis pas Allah, pourtant je suis offensé. Comment Allah ne le serait-il pas ?) Celui qui adore son Dieu adore en fait, sans le savoir, l’humanité. L’enculisme est le péché contre l’humanité. Allah, qui est, selon Feuerbach et Marx, une projection de l’humanité, est donc en légitime défense. Il frappe Bouvard et Pécuchet, sans oublier Homais, qui ont foi dans le progrès. Il frappe la ressource humaine. Il frappe le bétail qui se croit citoyen et de ce fait n’est que bétail. Depuis qu’en devenant salarié, l’esclave est devenu propriétaire de son corps (habeas corpus, n’est-ce pas ? Lautréamont écrivait à son banquier Darras : « Le 11 septembre, époque à laquelle mon corps fera une apparition devant la porte de votre banque », en effet) il se croit libre, alors qu’il doit se livrer à une pratique déshonorante qui était épargnée à l’esclave antique ou au serf médiéval : il doit se prostituer (ce qu’aurait été bien en peine de faire l’esclave antique puisqu’il n’était pas propriétaire de son corps). Il est seulement libre de se prostituer. L’esclave moderne dispose de la plus stricte liberté, celle qui lui est nécessaire pour pouvoir se prostituer, chose impossible pour un esclave stricto sensu. C’est le fameux principe de moindre liberté. Cette moindre liberté est vitale pour les maîtres des esclaves, aussi n’ont-ils de cesse de mettre fin à tout ce qui pourrait lui faire obstacle. Ce prétendu individu qui est prétendument de plus en plus libre est seulement de plus en plus libre de se prostituer et le libre-échangisme militant veille à ce que cette liberté croisse sans cesse, sans entraves, sans freins, sans obstacles. La nature a horreur de Lipovetsky. Puisque les sphères de l’amour et de la confiance, la famille et la religion, ont été à peu près complètement détruites par le dollar, sauf en Arabie (quatre mille princes les Sa’ūd, quelle famille !), le prétendu individu est totalement livré ą la prostitution. Comme il n’a pas d’argent ni de famille pour le soutenir et que toute la confiance s’est réfugiée dans le dollar, personne n’a confiance en lui et il est donc contraint de se prostituer (si vous avez un moment lisez l’ordure cynique Malthus* qui a au moins le mérite de la franchise) et, évidemment, sommé de se conformer tout en étant « innovant », double bind. Je t’en foutrai de l’innovation. Ben Laden, voilà un innovateur. En France, la passe hebdomadaire fut ramenée récemment par les maquereaux à trente-cinq heures mais elle n’est pas supprimée pour autant. La prostitution ne se conçoit pas sans maquereaux. Le fameux « Ne travaillez jamais » lettriste est généralement mal entendu. Il ne signifie pas « ne vous activez jamais », « ne faites rien » (c’est le rêve de toute pute, se retirer sur la Côte d’Azur avec son mac et ne rien faire) mais ne vous prostituez jamais, ne faites pas de passes, c’est mauvais pour la vie. Au lieu de cela, activez-vous, agissez. Si vous n’y parvenez pas, engagez-vous dans la Légion, renoncez volontairement à votre liberté, servez volontairement, gratuitement, mais ne faites pas de passes. Les Grecs ont accompli deux miracles : construire leurs villes à la campagne, obéir librement. Voilà résumée toute la question du monde. Comment bâtir les villes à la campagne et comment obéir librement ? Ce monde ne connaît que liberté pour les uns et prostitution pour les autres. Les dix-neuf fidèles sont un modèle de libre obéissance. « Ne travaillez jamais » signifie : obéissez librement et non : n’obéissez jamais. La liberté nécessite l’obéissance, l’inverse n’est pas vrai. La liberté du travail n’est que la liberté de la prostitution. On comprend aisément qu’elle intéresse les maquereaux au plus haut point. A Kirivina on s’activait toujours et pourtant on ne travaillait jamais. Grâce à la magie, le jardinage devient une activité exaltante sans parler de la navigation. Voilà à quoi sert la magie, chose qu’un utilitariste anglais est bien incapable de comprendre. La magie est confiance, la magie est foi. La magie est là pour donner un sens et non pour faire tomber la pluie. La magie est là pour enchanter le monde et ceux qui l’habitent. A Kirivina, il n’y avait pas de travail, c’est-à-dire d’activité dépourvue d’esprit. Toute activité était habité par l’esprit, c’est à dire inspirée. Quand un pêcheur pêche pour se distraire (il y avait des loisirs, des hobby, aussi là bas, on ne faisait pas de la magie tout le temps non plus, il faut bien s’amuser un peu) Malinowski dit plaisamment qu’il pêche en amateur, c’est à dire, solitairement, sans se soucier de magie, sans pratiquer les rites, comme n’importe quel Youpi. Comme dans la blague de Fernand Raynaud, quand le pêcheur Trobriandais se distrait, il travaille ! Le travail est l’activité désertée par l’esprit, ce qui reste quand l’esprit a déserté l’activité. L’esprit est ailleurs, dans les banques. Les Grecs et les Romains avaient raison, le travail est parfaitement méprisable, il l’est toujours. Dans ce monde toute la magie s’est éloignée dans l’argent (c’est pourquoi ça me faire toujours bien rigoler quand je lis un de ces imbéciles qui parlent du désenchantement du monde alors que celui-ci n’a jamais été aussi enchanté, aussi magique, aussi fétichiste. C’est seulement la vie des prostitués qui est désenchantée). Je rouvre Jardins de corail et je lis qu’il existe aux Trobriand un district, Kuboma, où réside la caste des artisans (Kirivina est le district chic, aristocratique) et que (souligné en rouge lors d’une ancienne lecture) « comme dans tout système de caste stricto sensu, leur grande habileté manuelle, loin de leur conférer un rang, les relègue parmi les catégories méprisées de la population » bien qu’ils soient paradoxalement craints comme sorciers (la caste des artisans est déjà de la classe dangereuse car, privés de magie blanche, ils pratiquent la magie noire), comme les forgerons un peu partout en Afrique, notamment chez les Touareg. Plus bas dans la page, mais non souligné (à l’époque je ne prêtais pas encore toute l’attention que cet aspect des choses mérite et ce trait m’avait échappé), je lis : « leur travail est sans magie » contrairement aux travaux des autres districts et notamment de ceux des jardiniers qui sont l’objet du livre. Dans toutes les civilisations l’activité sans magie est méprisée et méprisable, elle n’est que du travail. Capito ? L’aliénation signifie désertion de l’esprit, le genre déserte l’activité, il ne reste que le travail. L’individu, isolé de force, ne peut plus pratiquer le culte du genre, il travaille. La suppression du travail ne signifie pas supprimer l’activité mais réintégrer l’esprit dans l’activité qu’il a désertée, ce qui est une autre paire de manches et n’a rien à voir avec le roquefort, ni l’épicerie équitable, ni la RTT (après les VTT, la RTT). Esclave à mi-temps, esclave tout le temps. Toute l’eau de la mer ne saurait effacer une tache d’esclavage. D’ailleurs la magie fait une timide apparition chez les bétaillers de la ressource humaine. Je ne vais pas pleurer sur la volatilisation de six mille Youpis® (aux tours, les Youpis® !) Ces gens, qui n’ont confiance que dans l’argent, ont fait ce monde, peu ou prou, par leur soumission militante, prosélyte et vigilante (ils font tout leur possible pour vous entraîner avec eux dans le malheur, ce sont des propagandistes bénévoles, les pires, contre lesquels on ne peut rien, sauf l’Archange exterminateur Ben Laden). Ils n’ont donc fait que contribuer à mon malheur. Je ne vais pas pleurer sur eux. Les ouvriers avaient, et ont toujours, le point d’honneur grâce auquel ils parvenaient quand même à faire de leur travail une offrande, un assaut de générosité. Les employés de bureau ne l’ont pas, c’est mesquinerie et compagnie. Qu’ils crèvent. Ces oiseaux de malheur furent anéantis par des oiseaux de real bonheur, un nouveau concept de télévision, Rêve d’1 jour®, réalisez votre rêve le plus fou

— « avec crédit illimité, aucune limite financière au rêve réalisé, logistique énorme » (en effet celles d’American Airlines et United Airlines réunies) comme disait, dans le Figaro du 30 novembre 2001, page 32, l’homme à la croix gammée d’honneur, avec palmes s’il vous plaît, il les a bien méritées : il se vante d’avoir monté son émission « au lendemain des attentats du 11 septembre », quel plagiaire. « Après la real TV, nous voulions tout simplement apporter du real bonheur. » Voilà qui est fait et bien fait. Le Figaro nous prévient : l’émission (ne) fonctionne (pas) « avec des candidats volontaires au rêve mais avec la complicité secrète de leurs proches et d’un budget colossal. » Elle « vient bouleverser (le mot est faible) le quotidien des anonymes en fondant toute sa mécanique sur l’effet de surprise (le mot est faible) et la réalisation des fantasmes les plus fous (le mot est faible) ». On ne saurait mieux dire. Cependant, M.-E. Nabe note dans Une Lueur d’espoir (Ed. du Rocher) : « Ça a coûté beaucoup plus cher de produire, réaliser et distribuer Apocalypse Now que d’imaginer détruire le World Trade Center et le Pentagone, et de le faire ! » La réalité dépasse toujours la fiction qui n’est que pâle plagiat. —

C’est la faute à personne, tout le monde il est innocent, tout le monde il est gentil. Cheese ! Or M.-E. Nabe note : « Il y a un crime à vivre comme des cons ! Personne n’est innocent. » C’est un crime contre l’humanité que de vivre comme un con

les occupants des tours étaient donc des criminels ! Des gens qui s’adressent à l’égoïsme de leur boucher ne peuvent pas être des innocents. Des gens qui ont placé leur confiance dans le dollar ne peuvent pas être des innocents. Des gens qui renient la confiance ne peuvent pas être des innocents. Civils, donc innocents. Civils, certainement, innocents, certainement pas. Dans les guerres de religion, il n’y a ni civils ni militaires mais seulement des fidèles et des infidèles. Ceux là sont des infidèles. Ils ont renié leur humanité. Ensuite, Ben Laden et les dix-neuf fidèles sont aussi des civils que je sache. Donc des civils attaquent des civils (faites vos affaires vous-même, n’est-ce pas ?) Or les guerres civiles ont lieu entre civils. Il s’agit donc, en fait, de l’inauguration de la première guerre civile mondiale (à mondialisation, mondialisation ennemie). Des civils arabes (en fait des civils du monde) viennent demander des comptes aux civils américains : hommes de peu de foi, qu’avez-vous fait du monde ? Les paysans du Laos atrocement bombinés, with bombies of united colors, par les Américains, étaient des innocents et le sont toujours. Ils ne font toujours pas de patin à roulettes ce qui de toute façon s’avère problématique quand il vous manque une jambe voire les deux et même la vie. —

Jésus demandait : « Qu’as-tu fait de ton talent ? » Qu’as-tu fait de ton humanité, désormais enfouie sous des milliers de tonnes de gravats, mauvais homme ? C’est une circonstance aggravante d’en être fier et de le crier sur les toits. Pride, cons et fiers de l’être. Ben Laden a donc apporté du real bonheur par un terrible coup de grâce (la grâce efficace évidemment). C’est vrai, je suis fou de bonheur, pour parler comme Stendhal, de constater que dans un tel monde de nihilisme épicier il y a encore des gens qui croient en quelque chose et qui le prouvent, des gens qui nient le nihilisme, mais surtout qui le peuvent, alors que tant d’autres sont réduits à le nier dans le secret de leur cœur. Illuminécheune ! Ailleurs existe. Merci BL sans H, très belle production. Belle réalisation. Réalisation au sens strict. Réalisation au pied de la lettre. C’est au pied de la tour qu’on reconnaît le fidèle. « Le champ de bataille fut superbe ! » Pendant ce temps, dans la cheminée, plusieurs bûches brûlaient ensemble. Cheer ! Champagne de Vertus ! Je bois aux tonnes d’hypocrites propos de circonstance, aux mètres cubes de larmes de crocodile qui se sont déversés sur le monde de la part de gens qui n’en ont rien à foutre, tout occupés qu’ils sont à enculer et pousse-toi de là que je m’y mette (ils se mettent eux-mêmes !), les seuls, comme par hasard, qui soient autorisés à s’exprimer. Je bois à la santé de Stockhausen. Je bois à cette Lueur d’espoir. Ce monde du rien qu’on nous promettait immuable ne l’est pas. Il est destructible par la foi, aidée de l’aviation, il est vrai. Seule la foi pourra y mettre fin. Il est à souhaiter d’ailleurs que ce ne soit pas la foi féroce des wahhabites (muwahhidūn, les « unitaires », un mouvement puritain supérieurement abstrait et post-concomitamment janséniste, seul apte et prédestiné à combattre, du fin fond du XVIIIe siècle, le puritanisme dominant du XXIe siècle !) Pour l’instant seule une foi aussi féroce pouvait être capable d’attaquer un monde aussi féroce (Dallas !), monde sans foi, monde sans confiance, système généralisé de la défiance, système généralisé de la tromperie, système généralisé du nihilisme. Lautréamont lui-même serait resté sans voix : beau comme... beau comme... (beau comme l’injustice, beau comme le retour de l’île d’Elbe). Cet événement est sans doute le seul qui n’aura pas été truqué, de par le monde (M.-E. Nabe). Un vrai attentat avec un vrai sens unique (et extrêmement simple ; « non », plutôt « no ». Ces arabes polyglottes s’étaient auparavant exercés avec « niet » et l’aide de la CIA.) perpétré, comme on dit, par de vrais terroristes qui y sacrifient leur vraie vie grâce au soutien de leur vraie foi. « Écrasant, impeccable, incorruptible. Avec Ben Laden aux commandes, plutôt que le pauvre Cohn-Bendit, on est tranquille... ça ne pourra pas se terminer au Parlement européen ! » (M.-E. Nabe). La force est avec eux. Ben Laden n’est pas homme à présenter des excuses à un ministre ni à un éditeur, ni homme à défier la police de Berlusconi. Finalement, ce coup du monde, c’est-à-dire cette négation du nihilisme, c’est Ben Laden, un musulman, un Arabe, un wahhabite (muwahhid), qui l’a fait. Tout ce vrai est plutôt rassurant au milieu de toute cette pacotille, cette autosatisfaction prétendue, cette indécence, cette suffisance, cette compromission. « Un musulman fanatico-terroriste n’est pas forcément le mieux habilité à juger au nom de tous de ce qui est vivable ou non, mais il se trouve que la démence si sensée de son action en fait l’instrument d’une vérité éclatante sur l’inanité des existences contemporaines. » (M.-E. Nabe) De ces existences, toute confiance est bannie. L’homme est un loup pour l’homme

— notez que le loup aussi est un loup pour le loup. C’est fort heureux pour lui. Ce qui serait terrible pour le loup, c’est qu’il soit un homme pour le loup. Contrairement à ce que prétend l’Anglais Hobbes, l’homme est le seul mammifère qui s’attaque à sa propre espèce et, de cette manière, la connaît, ce que Hegel nomme le négatif, le mal. L’homme nie l’homme mais ainsi connaît son genre, se connaît comme genre tandis que le loup ne reconnaît que des particuliers. C’est ce qu’exprime le mythe du péché originel, le mythe de l’arbre de connaissance. Le moindre peuple sauvage s’intitule dans sa langue « les êtres humains ». C’est ce que fait Bush : les Américains sont les êtres humains. Non, répond Ben Laden, les êtres humains sont ceux qui adorent un seul dieu et non deux comme Bush. Le genre de l’homme est une chose générale, le genre du loup non. Le genre du loup est seulement une idée générale. Le genre du loup n’existe pas avant que n’existe cette chose générale qui, de ce fait, est le genre de tous les animaux. Voici donc comment l’esprit vient aux animaux, pour leur malheur généralement. Tous n’ont pas aussi bien réussi que le chat et le cheval (sans l’homme, le cheval se serait éteint). C’est la même chose pour l’économie. L’économie n’est pas une chose générale mais seulement un idée générale, une coupe arbitraire dans le genre humain, seule chose générale avec ses sous-ensembles autogènes ; coupe arbitraire comme celle, néanmoins judicieuse, que fait un architecte dans l’élévation d’une maison. Vous pourrez examiner soigneusement toutes les maisons que vous voudrez, vous ne trouverez jamais de coupe, sauf après un bombardement de l’OTAN en Serbie. On nomme cela également en termes de métier une vue... de l’esprit ? Capito ? Le négationniste antisémite notoire et linguiste très controversé Noam Chomsky fait également plaisamment observer (il n’a pourtant pas l’air d’un homme qui rigole tous les jours) que certains Américains disent : « New York ressemblait à Beyrouth » mais omettent d’ajouter : « Beyrouth aussi ressemblait à Beyrouth ». Capito ? —

Ce que Hobbes décrivait comme un état de nature est un résultat. Le bannissement de la confiance et l’extension du domaine de la lutte sont un des cercles de l’enfer (lutte au sens de Houellebecq, lutte au sens d’enculisme. De même, d’aucuns s’émeuvent que Houellebecq dise réprouver la liberté individuelle. Mais Houellebecq ne fait que réprouver la liberté d’enculer, liberté fallacieuse d’ailleurs : l’enculiste, dressé à enculer, born to fuck, veut toujours enculer mais il n’encule jamais, c’est toujours lui qui se fait enculer). Le président Bush entend étendre la désertion de la confiance et le nihilisme marchand au monde entier. Je le répète, Allah est en légitime défense et pas seulement lui. Ce n’est pas seulement la confiance en Allah qui est pourchassée mais toute forme de confiance autre que la confiance dans le dollar. Le monde entier a confiance dans le dollar. Qu’il en crève. Une fois de plus, Houellebecq a raison : tout l’humanisme s’est réfugié dans la gendarmerie. Les surréalistes disaient déjà que le seul homme libre dans la rue était le flic. La confiance est son propre but ; mais elle peut être aussi un moyen terrifiant. Cette fois, vous l’avez vue la femelle du requin, et l’aigle, dans le ciel, salopards. A quand le prochain rêve réalisé, à quand le prochain real malheur. Ce prétendu hyperterrorisme est en fait un terrorisme de diplômés qui ont refusé de devenir des Youpis®. Blitzterrorismus (M.-E. Nabe). Ce terrorisme est voyant, ses victimes sont aveugles. Comme Rimbaud, il voit l’abjection de ce monde

— Rimbaud entre dans un café du Quartier latin « plein de lorgnons et de barbes immondes », Claudel. Dans son présumé testament Atta note : « Je résiste à la vie ». (« Te quiero, te adoro, mi vida », Dos gardenias, Ibrahim Ferrer.) Mohamed Atta, non pas poète et martyr comme saint Genet, mais criminel et saint. — 

Ses victimes sont aveugles parce qu’elles veulent ignorer qu’elles sont esclaves, de ce fait elles ne sont que du bétail, de la ressource humaine, elles n’ont même pas droit à la dignité d’esclave, elles militent pour la continuation normale de l’esclavage « sans la moindre idée de ce que pourrait être une vie décente » (les Media et les illusions nécessaires, Noam Chomsky, négationniste antisémite honorablement connu). Dans ce monde, vivre normalement, c’est vivre esclave sans même vouloir le savoir. Normal signifie précisément ne pas vouloir le savoir. Les survivants seront pires, ils militeront pour la préservation normale et la défense normale de leur esclavage normal afin qu’ils puissent continuer à se prostituer librement, comme avant, ce qu’ils appellent la vie normale. Les brillants terroristes volants ont eu tout loisir d’apprécier la bêtise bourgeoise la plus moderne, avec Cadillac rose et palace Belle Époque sur la promenade des Anglais, pendant leur jeunesse studieuse puisqu’ils étaient destinés à devenir des Youpis®. Flaubert l’avait bien dit : voilà où mène l’éducation chez les fils du désert. De même que Flaubert, Ben Laden aussi est un bourgeois quoique infiniment plus riche ! Donc, le nihilisme bourgeois, les épiciers, il connaît. Il va écrire, lui aussi, son chef-d’œuvre qui a quelque chose de Salammbô et de la Tentation de saint Antoine. L’anachorète milliardaire voit une ville immense en rêve. C’est un cœur simple. Mathô est traqué dans la montagne. Les mercenaires seront abandonnés aux lions, dans la plaine désertique. Aujourd’hui, on peut appeler Emma Bovary mon oncle (on le pouvait déjà puisque c’était Flaubert) et il pilote un avion. Il regarde fixement sa cible, c’est-à-dire sa mort, quoi qu’en ait dit le courtisan La Rochefoucauld. C’est un bovarysme mondial froidement exalté qui se dresse contre le nihilisme bourgeois triomphant et qui se suicide (pas à la poudre blanche cette fois). Il trouble le bonheur commercial. « Ce terrorisme ne peut conduire à aucune amélioration du sort des sociétés » (Revel. Ce n’est pas son but, crétin. Ils mangent, ils vont manger, que leur faut-il de plus ? Pas un instant le gros bourgeois ne peut envisager qu’il peut s’agir de stigmatiser l’impiété de son monde, de stigmatiser le péché permanent contre l’esprit de l’infamie bourgeoise tellement satisfaite d’elle-même.) en retard de patins à roulettes. Il peut seulement améliorer le sort des sociétés en avance de bêtise bourgeoise où sévissent les Revel, Attac et Politis et leur messianisme pour pucerons et leurs actes citoyens (ils veulent s’inviter à la table des maîtres et ils prennent des coups. Bien fait.) dont la seule devise est : plus de même merde normale pour tout le monde, plus de merde normale et de citoyenneté normale pour pucerons (les putains ne sont-elles pas des citoyennes comme les autres ?) et toujours moins de confiance, moins de sens. Malgré leur apparente opposition ils sont bien d’accord sur ce point car c’est le point sur lequel ils s’affrontent : quelle est la meilleure manière de faire durer encore quelques siècles le bonheur commercial et la liberté de prostitution (le roman de Houellebecq Plate-forme prend un sens spécial dans ce contexte : Houellebecq se déclare pour la liberté de la prostitution. Mais elle règne déjà depuis deux siècles !) Comment rétablir la confiance des ménages (y compris, désormais, les ménages de pédés) ? Voilà tout l’idéal de ce monde. Le mot normal est, il me semble, le mot préféré de Houellebecq, le romancier de la souffrance normale. Ce terrorisme est une leçon de foi, une leçon de sens du monde (méthode Assimil), une terrible attaque contre le nihilisme. Certes cette foi est moyenâgeuse et le monde auquel elle aspire aussi (mais non le phénomène social total où elle s’exprime et où elle signifie malgré elle, où elle prend un nouveau sens). C’est la seule foi qui reste. Le romancier trinidadien (ni indien, ni anglais) Naipaul dit (cité par E. Saïd Al-Ahram Weekly On-line 6 — 12 août 1998) : « ...le défaut qui accompagna l’histoire islamique : aux questions politiques qui se présentèrent, il n’offrit aucune solution politique ou pratique. Il offrit seulement la foi... Cet islam politique fut rage et anarchie » C’est cela même. L’islam n’a que la foi et il est le seul à n’avoir que la foi tandis que les autres ont le téléphone mobile (le téléphone semble avoir une grande importance pour M. Naipaul qui reproche aux musulmans de savoir l’utiliser — les avions aussi, vous aurez remarqué — mais de ne pas l’avoir inventé). C’est donc le parangon de la foi puisque c’est le seul qui n’a que la foi, un parangon très détestable mais tout à fait approprié, c’est-à-dire bien assez bon, pour s’opposer au monde sans foi des patineurs à roulettes, des pédés mariés et des téléphones mobiles. Le monde des Revel et des Bush a soigneusement détruit et empêché toute autre foi possible et espère bien continuer : c’est là son nihilisme, précisément. Puisque l’islam n’a que la foi, il s’agit donc bien du combat de la foi et du nihilisme téléphonique. La plus belle fille du monde ne peut donner que ce qu’elle a et l’islam n’a que la foi. La féroce foi des salafistes est donc le prédateur parfaitement approprié de ce nihilisme, un prédateur lui-même sans prédateur puisqu’il demeure le seul de son espèce. Cet aigle de la foi se rit des B52, pas les malheureux Afghans, hélas. (A propos, qui est obscurantiste, de ces moyenâgeux ou de ces manipulateurs génétiques animés par le seul appât du gain, de ces moyenâgeux ou des crétins des techno parades ? Cela dit, Ben Laden est peut-être un homme d’État moderne nationaliste qui souhaite l’indépendance totale de la grande Arabie, un super Mossadegh arabe. La foi est son arme stratégique. C’est bien connu, les hommes d’État n’ont pas d’état d’âme. D’ailleurs, serait-il en passe de réussir ? Cela va mal en ce moment dans le mariage d’argent USA-Arabie et cette Arabie soutient toujours Ben Laden malgré les apparences. 30-05-2003 : d’après les déclarations de Wolfowitz, Ben Laden a réussi, au moins sur un point. Demeure celui des Saoud.) Aussi, quand la bise fut venue, il se trouva fort dépourvu, ce monde. Quelle foi peut-il opposer à la foi ancienne ? Quel esprit peut-il opposer à la religion ? Il n’a que des services de sécurité et des leçons de morale (gros stocks de leçons de morale et de dénonciateurs et vigilants en tous genres). La lutte est inégale (les superflics et les super-espions du FBI et de la CIA ne lisent pas l’arabe après dix ans de guerre avec l’Irak). Des puritains incultes toisent une civilisation millénaire. Ils prétendent juger. Ils sont jugés. Aucune défense immunitaire contre la religion : ils sont infestés par le SIDA du nihilisme marchand. Les terroristes ne sortent pas des bouches de métro comme l’avait imaginé Vaneigem, ils sortent du Moyen Âge, l’âge de la foi, l’âge des cathédrales, l’âge de la peste et du choléra. Ils sortent des puits de pétrole. A propos de puits, la couleur tombée du ciel est verte. Le monde est de taille moyenne.

* « Au début du XIXe siècle, le pasteur anglican Malthus, grand prophète de la bourgeoisie anglaise, avait proclamé avec une réconfortante brutalité :

"Quiconque naît dans une société déjà surpeuplée n’a — si sa famille ne peut lui fournir les quelques moyens d’existence qu’il est en droit d’exiger d’elle et dans le cas où la société n’a aucun besoin de son travail — aucun droit à la moindre quantité de nourriture et il n’a réellement rien à faire en ce monde. Au grand banquet de la nature, aucune table n’est mise pour lui. La nature lui signifie d’avoir à se retirer et elle exécute rapidement son propre commandement."

L’actuelle société officielle, avec l’hypocrisie de ses « réformes sociales », réprouve une aussi brutale franchise. Mais en réalité, le prolétaire au chômage est finalement contraint par elle, si elle « n’a pas besoin de son travail », de se « retirer » de ce monde, d’une manière ou d’une autre, rapidement ou lentement, ce dont témoignent, pendant toutes les grandes crises, les chiffres concernant l’augmentation des maladies, la mortalité infantile, les crimes contre la propriété. » Rosa Luxembourg citant Malthus.(4)

Pendant ce temps l’enculiste s’interroge. Comment tant de haine est-elle possible, comment est-il possible de haïr ainsi l’enculisme ? Comment peut-on haïr ainsi de paisibles trottineurs et patineurs à roulettes ? Comment, je l’ignore, mais le fait est là. J’ai entendu à la radio, il y a assez longtemps, le président de l’association des roller-skaters de Paris menacer un représentant de la Préfecture de police de dissoudre l’association si la Préfecture ne permettait pas que les roller-skaters aillent à leur gré, en masse, par milliers, hors des voies précédemment convenues avec la Préfecture. Il ajouta fièrement (pride d’abord) « Le roller c’est la liberté ». Voilà l’enculiste. Quelle élévation d’esprit. Quelle haute idée de la liberté. Parmi les causes du nihilisme, Nietzsche relève, du fait du manque d’une espèce supérieure (les Napoléon se font rares) : « L’espèce inférieure, — "troupeau", "masse", "société" — désapprend la modestie et enfle ses besoins jusqu’à en faire des valeurs cosmiques et métaphysiques. Par là l’existence tout entière est vulgarisée. » (Le nihilisme européen, manuscrit, Nice, 1886) En effet puisque voilà que le roller c’est la liberté. Existe-t-il une valeur plus cosmique et métaphysique que la liberté et un besoin plus vulgaire que le roller ? L’enculisme, comme son nom l’indique, c’est la liberté d’enculer. Enculez-vous les uns les autres. Houellebecq a raison : à côté de ça, la gendarmerie est un humanisme (il est vrai que Houellebecq ne l’entend pas ainsi : il oppose l’humanisme de la gendarmerie à la barbarie des commandos islamistes). Je comprends également quelle liberté Houellebecq dit haïr. Mais cette liberté, qui menaçait de sévir mille ans, malgré les apparences, n’est pas immuable. Le passé la rattrape, cette partie du passé qu’elle n’a pas encore réussi à détruire complètement (on ne saurait penser à tout. Nobody’s perfect.) De même que Cuvier put reconstituer un mammifère fossile à partir d’une seule omoplate, Ben Laden est capable de reconstituer cette merdeuse société à partir d’un seul patineur à roulette ou d’un seul pédé marié et de tirer la conclusion qui s’impose. Un tel monde doit disparaître.

Deux hilarantes publicités. Air France : « Faire du ciel le plus bel endroit de la Terre » (ce n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd) ; téléphones Siemens : on voit, en contre-plongée, un avion de ligne survoler les tours de Manhattan : « Dans le monde des affaires, il suffit d’une seule arme pour démoder toutes les autres », en petites lettres : « Des USA à l’Asie, vous êtes redoutable » avec un petit commentaire en bas à droite : « Be inspired » (A Rome, fanatique signifiait inspiré. Ces crétins ont donc écrit sans le savoir : soyez fanatique. Ah ! ah ! Cette affiche est un véritable message codé tels ceux que la CIA prêtait aux vidéos de Ben Laden. Il y est dit : dans le monde des affaires, ce monde sans foi, la foi est l’arme qui démode toutes les autres. Il y est dit : depuis l’Afghanistan vous terroriserez l’Amérique. Il y est dit : soyez fanatiques.) Oui, la mode est fantasque. Dallas, ton univers impitoyable. Vous avez fait appel à l’égoïsme de votre boucher. Résultat, vous mangez de la vache enragée. Bien fait. Crevez maintenant. Cependant, je connais des bouchers qui ont de l’honneur.

Résumé pour ceux qui n’auraient pas bien suivi. Le schéma est très simple : ce n’est pas le combat des pauvres contre les riches mais le combat du bien contre le mal, c’est-à-dire le combat de la foi contre le nihilisme

— enfin ! il était temps. Bush l’a fort bien compris. Evidemment quand les maîtres boivent, c’est les esclaves qui trinquent. Les Arabes fanatiques l’ont bien relevé quand ils répondaient, je ne sais plus dans quel communiqué, aux reproches qui leur étaient faits de frapper des innocents : les Américains se prétendent la démocratie par excellence, chez eux le peuple est censé être souverain (et non plus Dieu seul comme chez les wahhabites — muwahhidūn), il a donc élu et mandaté ses dirigeants, donc il doit supporter les conséquences des actes néfastes de ses dirigeants. Dans une démocratie, le peuple, souverain, est responsable, le seul responsable, sinon cette démocratie ne serait pas une démocratie. Toujours aussi ironiques, les Arabes fanatiques prennent au mot la propagande démocratique des épiciers et affectent de traiter les esclaves américains en Athéniens. Un Athénien n’aurait rien trouvé à redire à une telle action. Au contraire il aurait demandé la mise à mort des stratèges qui l’avaient permise par leur incurie. Les Athéniens l’ont demandée et obtenue, en toute illégalité, pour beaucoup moins que ça. A Athènes, les esclaves étaient, seuls, innocents de la politique athénienne. Ou bien les victimes dans les tours sont esclaves et donc innocentes, ou bien elles sont citoyennes, donc responsables, donc objectif stratégique. Les Allemands furent les inventeurs, à Guernica, du bombardement stratégique de terreur qui prend les civils comme objectif stratégique. Les anglo-saxons sont les inventeurs du bombardement stratégique qui ne saurait épargner les civils mais ils ne dédaignent pas de recourir au bombardement de terreur et de représailles comme à Dresde, au Havre ou à Hiroshima. Les Américains se croyaient en paix avec Allah, ils se trompaient. Ben Laden, avec une logique implacable, insiste encore : « Chaque Américain est notre ennemi directement ou indirectement ; qu’il porte un fusil ou qu’il paye ses impôts. » Oui en effet, qui finance l’industrie d’armement sinon le peuple souverain par ses impôts ? Happy tax payers. A Athènes, tout riche se devait d’armer au moins une trière. —

Ce n’est pas le combat des pauvres contre les riches mais c’est le combat du sens contre le nihilisme commercial, c’est l’attaque par la foi d’un monde sans foi, c’est le combat de ceux qui honorent la confiance et de ceux qui ont renié la confiance, le combat de ceux qui ont placé leur confiance en Dieu (et dont certains sont milliardaires) et de ceux qui ont placé leur confiance dans le dollar (dont la grande majorité est pauvre), le combat de la confiance et de l’enculisme bourgeois qui est système de la défiance généralisée, système de la tromperie généralisée, le combat de l’abnégation et du profit, le combat des fanatiques de Dieu et des fanatiques de l’argent, le combat d’une foi moyenâgeuse contre l’enculisme ultramoderne (qui sévit depuis deux siècles : lisez les Petits Bourgeois de Balzac) car l’enculisme a anéanti toute autre sorte de foi

— sauf la foi en l’argent, évidemment. Lucien Chardon se dit à tout moment dans Illusions perdues : « De l’argent, de l’argent ». Monnaie fiduciaire, si les mots veulent encore dire quelque chose, monnaie qui repose sur la foi, sur la confiance. La confiance a émigré dans la monnaie et la plus grande défiance règne entre les hommes. La mauvaise confiance chasse la bonne. Voilà ce qu’est l’aliénation. L’aliénation est l’aliénation de la confiance. —

L’enculisme a anéanti toute autre sorte de foi ce qui d’ailleurs explique le facile succès de Hitler en son temps ; mais aussi la grande facilité de recrutement des organisations fanatiques musulmanes : elles offrent un sens à la vie, au monde, dans un monde totalement dénué de sens, totalement nihiliste, impie, dans un monde d’épiciers, de Homais, de gens de biens, de WASP. Que voulez-vous, c’est irrésistible. Quels anticorps la misérable république de Weimar, alors qu’Ebert, son premier président, avait écrasé la foi spartakiste, pouvait-elle opposer à l’homme qui proclamait : « Vous serez comme des dieux », sinon cet enthousiasmant programme dudit Ebert : le socialisme c’est se prostituer beaucoup ! La foi n’est pas nécessairement la religion ni la croyance en Dieu. Si Dieu, selon Feuerbach et Marx, est la projection dans le ciel des forces génériques de l’homme, alors la foi est, même si elle l’ignore (toute la question est là d’ailleurs), la foi dans l’homme. Marx a confondu forces génériques et forces productives. Il a péché. C’est une victime de Jean-Baptiste Say (1767-1832) (que Marx méprisait à juste titre, tandis qu’il respectait Quesnay, Smith et Ricardo) pour qui l’homme était, de toute éternité, un producteur-consommateur. Le coup vient toujours d’où on ne l’attend pas. Pour Marx, Krupp explique Vulcain. Toute religion, avant d’être une conception du ciel, est une conception du monde. De conception, l’enculisme n’en a aucune. C’est l’épicerie au jour le jour avec pour seul précepte : si je t’attrape, je t’encule. L’enculiste est l’infidèle (sans foi), le nihiliste. Il n’a confiance en personne mais seulement dans l’argent. La foi s’est aliénée (elle a émigré) dans l’argent, si les mots, et notamment le mot aliénation, veulent encore dire quelque chose. Moïse avait une bonne raison de piquer une grande colère en redescendant de la montagne. Il avait compris le danger d’un seul coup d’œil. L’enculiste fait du patin à roulettes et de la trottinette. Patinette, trottinette, Orginet, Porginet, Aldous Huxley avait bien vu

— mieux encore que je ne le pensais : chez Jack Welch, le Gentil Electricien, lointain successeur d’Edison à la tête de GE, le CEO « le plus admiré » par le monde ordurier de l’enculisme, il y a des alpha, des bêta et des gamma, le but étant de désigner les dix pour cent de gamma qui seront éliminés et les vingt pour cent d’alpha promus. C’est pas chrétien, ça ? La sainte ordure. Jack Welch est un constructeur d’entreprise et son moyen pour y parvenir, c’est la sélection du bétail. Le Figaro, 17 décembre 2001. Ce Ben Laden est un doux rêveur, encore trop tendre avec un tel monde. —

Le vide de foi créé par le nihilisme des gens de biens ouvre la porte à n’importe quelle foi, peu importe laquelle pourvu qu’elle soit. Comme dirait Houellebecq, c’est la plus con, mais c’est la seule. A qui la faute ? On a la foi qu’on mérite. Si ce monde n’était aussi prostitué, les wahhabites (muwahhidūn) n’auraient rien ą dire, ni rien ą faire. C’est le vide de foi du monde de l’enculisme qui active la foi wahhabite et ses agents dormants. La foi a horreur du vide. N’oublions pas que c’est aux États-Unis que fut inventé le paratonnerre : le vide de foi attire la foudre de la foi. A Rome, fanatique se disait aussi d’un arbre foudroyé ! Ce monde prétendait juger mais c’est lui qui est jugé. Mane, tecel, pharès. Le puritanisme est une religion mais c’est la négation de toute foi, c’est la foi des épiciers. Le puritain se méfie de Dieu ! (à l’origine, chez les Latins, foi signifiait confiance). Il ne craint pas Dieu puisque son sort est déjà joué, mais il s’affaire, à tout hasard, car on reconnaît l’élu à ce qu’il s’affaire même si tous ceux qui s’affairent ne sont pas des élus ; tandis qu’il est certain que celui qui ne s’affaire pas n’est pas un élu (Weber, l’Esprit du capitalisme). C’est le principe de précaution de l’instituteur puritain Jospin qui ne l’a pas toujours appliqué puisqu’il avait épousé une délicieuse baiseuse catholique, blonde, hôtesse de l’air, qui n’était même pas agrégée de philosophie mais simple licenciée en histoire-géo et qui de plus portait culotte, porte-jarretelles et jupon en vichy rouge ! Ces choses-là ne s’inventent pas. Voici comment elles commencèrent : un jour, au restaurant universitaire Châtelet, Jospin se retrouva assis vis-à-vis d’une appétissante étudiante qui avait oublié de prendre un couteau au self-service. Galamment, il lui proposa le sien. Ah ! Freud. Et pendant ce temps, que faisaient les vigilants, tous ces chasseurs de fascistes ? Ils n’ont rien vu venir, ils n’ont dénoncé personne. C’est le désert des Tartarins.

Une stratège d’Attac, Susan George, le Figaro du 31 janvier 2002, note : « Il est clair que ni Ben Laden ni ses partisans ne font aucun cas des pauvres de leur société » (au fait, en quoi cela change-t-il le sort des pauvres que Mme George daigne faire cas de ces derniers ? Comme dit Popu, cela leur fait une belle jambe. Au moins, quand Ben Laden dit qu’il bombarde New York, il bombarde New York), ce qui est tout à leur avantage. Bravo, ces Arabes ne sont donc ni des gauchistes ni des sociaux-démocrates. Elle ajoute : « Il est aussi clair que le terrorisme s’alimente de la pauvreté et de l’exclusion », on la comprend cette bénévole, c’est son business les pauvres de sa société et encore plus ceux des autres sociétés. Ben Laden est un grand bourgeois et ses dix-neuf fidèles sont de petits bourgeois occidentalisés au même titre que Susan George. En quoi la pauvreté et l’exclusion, au sens où l’entend Susan George, peuvent bien alimenter le terrorisme de tels hommes  qui ne sont ni pauvres ni exclus au sens de Susan George et ne font aucun cas du sort des pauvres, toujours selon Susan George ? Voilà d’ailleurs, si l’on en croit la CIA, ce qu’en dit Ben Laden lui-même, parlant des dix-neuf fidèles : « Ces jeunes hommes ont signifié par leurs actes commis à New York et Washington des discours qui ont surpassé tous les autres discours qui ont été prononcés de part le monde. Ces discours sont compris à la fois par les Arabes et les non-Arabes et même par les Chinois. » (le Figaro, 14 décembre 2001) Au milieu de tout ce bla bla généralisé, de tout ce caquetage auto satisfait, à Porto Alegre ou ailleurs, de ces milliers de Homais qui bavachent sans interruption dans le poste, de tels discours signifiés de telle manière provoquent l’exultation. Que ne donnerait-on pas pour une minute du silence de cette racaille jacassante. Ces Arabes ont donné leur vie pour une minute de silence. Qu’ils soient loués. Ils ont tourné le bouton du poste mondial et le caquet mondial s’est tu un instant. C’est peut-être là leur plus belle prouesse, avoir contraint toute cette canaille à se taire une minute. Quel supplice pour ces bavards et quelle humiliation. Voilà, même les Chinois comprennent ! Pas vous ? D’ailleurs, puisque ces médecins, ces urbanistes, ces ingénieurs ne sont ni des gauchistes ni des sociaux-démocrates, c’est-à-dire ne sont pas des bénévoles professionnels et ostentatoires qui font métier de leur compassion à Porto Alegre ou ailleurs, qui dit que ces hommes, et Ben Laden en particulier, ne sont pas affligés dans le fond de leur cœur de la misère de leur peuple ? Simplement, si Ben Laden et ses partisans font cas des pauvres de leur société, il ne le font pas à la manière de Susan George, ne serait-ce que parce que, pour eux, la pauvreté et la richesse spirituelles passent avant tout. Ils se soucient assez peu de la mal-bouffe, il est vrai, puisqu’ils se contentent d’un peu de yaourt et de boulgour, mais aussi peu du droit au logement étant donné qu’ils vivent volontiers sous la tente et dans les grottes. Ils veulent d’abord retirer leur pays, et donc les pauvres qui habitent ce pays, des griffes des proconsuls américains. C’est leur manière à eux de s’occuper des pauvres. Dans ce monde de l’épicerie, ceux qui prétendent lutter contre l’épicerie et sa logique implacable sont eux-mêmes des épiciers, il n’est que de voir le gros con Bové, champion de la lutte du roquefort contre Mac Donald. Epicerie, oui, mais épicerie fine pour tous s’il vous plaît. Hostie pur Dieu. Ces épiciers anti-épiciers veulent seulement rendre l’épicerie habitable et par la même occasion devenir épiciers à la place des épiciers. Laissez-nous faire, réclame Mme George à l’intention des épiciers en chef. L’épicerie est un humanisme. Pour une épicerie équitable. L’épicerie, c’est la vie. Il fut un temps où les situationnistes prétendirent combattre au nom de l’esprit, mais ils ont tous fini épiciers. Dans un tel monde de l’épicerie l’esprit est donc aux mains des Arabes fanatiques, des Arabes inspirés. Ils sont les seuls actuellement qui combattent au nom de l’esprit. C’est l’esprit qui a frappé New York. A qui la faute ? La cause de l’esprit est dans les mains des assassins, c’est-à-dire en bonnes mains, car, depuis deux siècles, l’épicerie assassine l’esprit. L’épicerie a étouffé les rêves de madame Bovary. Madame Bovary se venge. Elle rêvait d’un grand amour, « d’un amour de prince ». Et bien voilà ! dix-neuf princes de l’esprit se suicident pour complaire à Allah. C’est ce qu’il y a de bien avec les musulmans, leur dieu n’est pas un dieu d’amour. Contrairement aux chrétiens, c’est aux musulmans d’aimer leur dieu et de le lui prouver par des actes, ce n’est pas à Lui de les aimer. Il punit leurs ennemis, c’est suffisant, il me semble ; tandis que les Américains, qui sont chrétiens, malgré toutes les bénédictions divines que l’on voudra, doivent punir eux-mêmes leurs ennemis. Avec Allah, c’est le cas de le dire, c’est la guerre des étoiles. Voilà pourquoi l’islam n’est pas une religion parmi les autres et ne peut l’être. Voilà pourquoi elle donne du fil à retordre à l’épicerie œcuménique. L’islam était donc, tapi dans ses déserts depuis des siècles, le négatif secret de l’épicerie, le conservateur des rêves — le négatif est toujours secret, il ne paraît que lorsque survient cette ambiance de futilité et d’ennui qui annonce les grands bouleversements. Alors, il est trop tard. Vous étiez déjà morts, mais vous ne le saviez pas. Il ne sert plus à rien de causer précipitamment dans le poste. — La foudre jaillit du fort potentiel vers le faible potentiel. Où dans un tel monde se trouve le potentiel d’esprit qui eut pu empêcher cette attaque ? L’épicier Bush réplique par des tonnes d’explosif et de beurre de cacahuète (Polyphème, aveuglé de fureur, est fort embarrassé pour alpaguer Ulysse parmi toutes ces peaux de biques afghanes). Ben Laden qui n’est pas un chef d’État a pu attaquer un monde en tant que monde ; Bush qui est un chef d’État ne peut qu’attaquer, détruire ou menacer quelques États. Il ne peut attaquer le monde qu’expriment Ben Laden et les dix-neuf fidèles, le monde de la foi. Quoiqu’il fasse, il ne le pourra jamais. Ce n’est d’ailleurs pas nécessaire, le commerce s’en charge.

Ironie mise à part, voilà pourquoi même les Chinois comprennent : les discours sont seulement signifiés, à la manière des huissiers, et non prononcés car il n’y a pas besoin qu’ils soient prononcés, les actes parlant enfin pour eux-mêmes : les actes dirigés contre un monde insensé sont intrinsèquement sensés, la négation mondiale d’un monde insensé est sensée (ce qui n’est pas le cas des propositions car la négation d’une proposition insensée est nécessairement une proposition insensée). Il ne s’agit plus d’égorger des malheureux dans la Mitidja mais de stigmatiser un monde très content de lui et qui entend bien continuer de l’être, un monde qui s’intitule libre mais qui regorge de prostitués et qui est totalement dépourvu de sens autre que commercial. Ces deux tours n’étaient que deux grands bordels pleins de malheureux contraints de se prostituer chaque jour. Quel idéal, quel sens ! Une vie de prostitution. Et pour finir, le sens tombé du ciel. Ainsi chacun peut donc comprendre, dans sa propre langue, ces discours signifiés (à part ça, il y a cent trente millions de musulmans en Chine). Pour la première fois dans les annales du terrorisme c’est un monde en tant que monde qui a été attaqué et non plus des objectifs particuliers (c’est aussi un monde qui était visé dans ces objectifs particuliers mais ça ne se voyait pas puisque les objectifs étaient particuliers) et personne ne s’y trompe, tout le monde l’a fort bien compris, que ce soit pour s’en réjouir ou pour le déplorer. C’est pourquoi j’ai vu, moi aussi, une lueur d’espoir : il est non seulement possible d’attaquer le monde en tant que monde mais c’est la foi seule qui peut le faire. Il est possible, enfin, de soutenir la cause du monde et cette cause est celle de l’esprit. Le capitalisme a été attaqué là où il ne l’attendait pas, sur son nihilisme, sa négation de toute foi ; par ceux qu’il n’attendait pas, par de fervents croyants ; et pour le motif qu’il ne concevait pas et qu’il est strictement incapable de concevoir, son crime permanent contre l’esprit. Les bombes de Henry et Vaillant sont bien loin. Il y a dialogue de monde à monde. Le monde attaquant utilise la seule arme qu’il possède : le sens, pour lequel, seul, les hommes sont disposés à mourir, comme des héros grecs. Voilà le tour de force de Ben Laden. Si ces discours signifiés surpassent tous les discours prononcés de par le monde c’est parce qu’ils ont été signifiés mondialement. Et puisqu’ils sont seulement signifiés et non prononcés, ils sont par la même infalsifiables. Ils sont cryptés et pourtant tout le monde les comprend très bien. Ben Laden et les dix-neuf fidèles sont les huissiers du sens, ils délivrent un sens ; mais ils en sont aussi les paladins car ils le délivrent des griffes du dragon nihiliste qui, la griffe sur le cœur, nous assure qu’il introduit un degré inhabituellement élevé de morale dans sa politique étrangère (William Kristol, journaliste, fils d’Irving Kristol, conseiller de Bush).

— Voilà qui fait froid dans le dos. Je vous en prie, tout mais pas ça, pas de morale par pitié, surtout avec un degré inhabituellement élevé alors que c’est déjà tellement néfaste à faible dose. Je vais étudier le cas Thomas Woodrow Wilson, qui lui aussi voulait une enduring and generous peace, ce qui entraîna la démission de Keynes de la Conférence de la Paix et la seconde guerre mondiale. Chez lui, la morale n’était pas un vain mot, il paya de sa personne jusqu’à ce que mort s’ensuive. Chez lui, pas de glapissements indignés, comme aurait dit Trotsky. Mais il eut peut-être été préférable qu’il fut une sorte de Roosevelt, l’homme à la carabine, grand chasseur blanc et interventionniste, instigateur du tribunal international de la Haye (!), capable de botter le cul de tous les alliés et de brider leur rapacité. Le gouvernement allemand avait remis son sort entre ses mains, ce qui n’était pas une mince responsabilité. D’ailleurs Roosevelt était partisan d’entrer en guerre dès le début du conflit ce qui eut peut-être réglé toutes choses avant que des dommages irréparables n’aient été commis. Hélas, La Fayette dut attendre. —

On sait où ça mène. L’enfer est pavé de bonnes intentions. Du sens, seulement du sens, tête sans cervelle. Les États-Unis sont sauvagement attaqués. Une fois n’est pas coutume, c’est leur tour et leurs tours. Ils se défendent avec leur vigueur habituelle. C’est de bonne guerre. C’est de tradition millénaire. Les choses sont simples, elles étaient parfaitement prévisibles, il me semble. Remisez vos merdeuses théories sur la guerre juste, faux culs yama, hypocrites salauds (Lettre d’Amérique(5) signée par soixante intellectuels américains, en majorité enseignants, dont l’inévitable Fukuyama. Cette lettre est d’ailleurs parfaitement intempestive, elle laisse penser que, sauvagement agressés, les Américains doivent, en plus, fournir des justifications pour riposter), après les tonnes d’explosif et les tonnes de beurre de cacahuètes, voici les tonnes de morale. Explosif, épicerie, morale, la panoplie est complète. Il faut quand même reconnaître un mérite aux soixante moralistes : ils ont parfaitement compris la leçon : « Ce que nous en savons donne à penser que les griefs de nos agresseurs s’étendent bien au-delà des seules considérations politiques... Il faut donc en déduire que nos agresseurs visent non seulement notre gouvernement mais notre société tout entière, notre mode de vie en général. » Exactement, le mode de vie le plus pauvre du monde, le plus misérable : le mode de vie épicier. Quoi de plus approprié que le mode de vie le plus con soit attaqué par des émissaires de « la religion la plus con ». Il est tout à fait approprié que des gens soumis sans discussion à Allah anéantissent des gens soumis sans discussion à l’épicerie. Plus loin, dans leur innocente hypocrisie (c’est le vin piqué du vigneron. De l’hypocrisie, ils en boivent tous les jours, ils ne la sentent plus) après avoir fait l’éloge appuyé des valeurs américaines

— n’ayez crainte, il ne s’agit pas du commerce et du pognon, seules valeurs américaines réelles, mais de belles valeurs morales, telle que : « Toute personne doit être traitée comme une fin et non comme un moyen. », comme chez General Electric par exemple, ou encore comme dans les bureaux des tours infernales avant leur destruction. Quelle tranquille impudence. Il y a plus de cent trente millions de prostitués, aux États-Unis, qui sont traités comme purs moyens pendant le temps de leur passe quotidienne et même le reste du temps, comme dupes. Quelle audacieuse tartufferie puritaine —

ils déclarent : « C’est pourquoi tout le monde peut en principe devenir américain. » Mais tout le problème est là. Les valeurs américaines réelles étant le commerce et le pognon, le triomphe mondial de ces valeurs fait que partout dans le monde chacun est sommé de devenir américain, sans que les Américains en soient les seuls responsables d’ailleurs, puisqu’ils ne sont que des épiciers parmi d’autres, les premiers, certes, mais parmi d’autres. L’épicerie n’est pas américaine et ce crime contre l’esprit n’est pas américain. Or Ben Laden ne veut pas devenir américain. Les soixante moralistes n’ont pas encore compris ça ! Que va-t-il donc falloir qu’il fasse de plus pour qu’ils comprennent cette simple chose ? Je suppose que Ben Laden estime qu’il est déjà assez américain et milliardaire comme ça. Le commerce et le pognon, il connaît, il parle en connaisseur. Je suppose que les dix-neuf fidèles pensaient aussi qu’ils étaient déjà assez américains et que cela suffisait comme ça. Ils ont d’ailleurs montré qu’ils préféraient le paradis d’Allah au paradis américain, sans l’ombre d’une hésitation. Tout montre que ces Arabes faisaient tout leur possible pour demeurer arabes. Consultez Roy à ce sujet, il semblerait que cela fait cent ans que les Arabes essayent de demeurer arabes. Contrairement aux hypocrites moralistes américains (les soixante gens bons), les Arabes aiment à entrer dans le vif du sujet. Le Maure saisit le vif. Ben Laden et les dix-neuf fidèles n’ont rien à cirer des prétendues valeurs morales universelles américaines et ils le prouvent en attaquant les véritables valeurs effectives américaines, le commerce et le pognon, sources de l’infidélité et de la défiance. Ils n’attaquent pas les églises mais les temples du commerce et du pognon. Les soixante moralistes s’indignent : puisque les assassins du 11 septembre n’ont émis aucune exigence particulière, on peut dire qu’ils ont tué pour tuer. Auraient-ils avancé une exigence particulière, comme font les Américains quand ils veulent tuer, chose dont ils sont coutumiers depuis deux siècles, on ne pourrait pas dire qu’ils ont tué pour tuer (cas déjà traité par Pascal dans Les provinciales). Or les soixante moralistes notent justement que le chef d’Al-Qaïda a défini les « frappes bénies » comme des coups portés contre l’Amérique « capitale du monde des infidèles ». Donc les soixante moralistes relèvent eux-mêmes (merci crétins) que Ben Laden n’a aucun motif particulier, pragmatique, politique, moral, américain pour tout dire, mais un motif général et non seulement un motif général mais un objectif général. Il ne frappe pas l’Amérique comme Amérique mais comme capitale du monde des infidèles. Il ne frappe donc pas l’Amérique mais le monde et il le frappe pour cause d’infidélité. Le motif général de Ben Laden est l’infidélité du monde de l’infidélité et il en frappe la capitale, ou plutôt un de ses temples. Je partage à ce sujet le point de vue du Département d’État US(6) : « En attaquant le World Trade Center, les terroristes pensaient sans doute s’attaquer à un « symbole de l’Amérique ». Il n’en est rien. Ce qu’ils ont attaqué, c’est une institution du commerce international. » On ne saurait mieux dire à ceci près que Ben Laden, qui lit parfaitement l’anglais et comprend donc le sens des mots World Trade Center, déclare attaquer la capitale du monde des infidèles, c’est-à-dire la capitale du monde commercial, c’est-à-dire le monde commercial lui-même. Evidemment, les soixante moralistes ignorent totalement que la valeur universelle de fidélité puisse avoir un autre sens que fidélité à Allah et qu’un sectateur d’Allah puisse être cependant qualifié pour défendre cette valeur universelle. Puisque personne ne défend cette valeur dans le monde de l’enculisme (plutôt que de lutter contre l’enculisme l’honnête pensée du misérable quadrille intellectuel y est tout occupée à lutter contre le fascisme et l’extrême droite, quant aux pédés, ils ne songent qu’à se marier) il faudra donc que ce soit un expert en fidélité, fût-il diabolique, qui s’en charge. Bravo, bien fait ! Il fallait y penser avant. D’ailleurs, si j’en crois Roy (le Monde diplomatique, avril 2002) en transformant l’islam en simple système de normes de comportement, en une espèce d’islam-code en kit, a world faith adaptable à toutes les situations, du désert afghan à l’université américaine, le néofondamentalisme est tout autant un produit qu’un agent de la déculturation moderne. Selon le frère de Messaoui, c’est parce que ces jeunes gens diplômés vivant en Occident ont peu ou pas de culture religieuse, ont perdu leurs traditions religieuses ou autres, qu’ils peuvent tomber sous l’empire, ou se saisir, de la vieille foi wahhabite qui végétait jusque là au fond de ses déserts. La foi wahhabite apparaît alors comme la gardienne des rêves. Donc, comme je le disais : retour à l’envoyeur. Le désert de fidélité mondial a produit sa propre antithèse : la mondialisation de la farouche fidélité des déserts d’Arabie. Ce n’est pas Ben Laden, que je sache, qui a détruit toute fidélité (la fidélité n’est pas nécessairement la religion) dans le monde de l’enculisme ! Ce n’est pas don Quichotte qui a détruit la chevalerie. « La oumma imaginaire des néofondamentalistes est bien concrète : c’est celle du monde global, où l’uniformisation des comportements se fait soit sur le modèle dominant américain (McDo, [Nike] et anglais) soit sur la reconstruction d’un modèle dominé imaginaire (djellaba, barbe et... anglais). » Ainsi Allah peut niquer Nike. La prose débile des soixante gens bons est évidemment publiée, en français, dans le journal de l’américain Combinani. Indéniablement, les États-Unis étaient en légitime défense et c’est bien ce que voulait Ben Laden (et peut-être le Dr Folamour), les arguties des soixante gens bons ne sont pas de mise et si les États-Unis n’avaient pas été en légitime défense cela aurait signifié que Ben Laden n’avait pas atteint son but, que le sens de son action ne serait pas parfaitement et clairement défini, que le discours ne serait pas signifié. Les islamistes invoquent le nom de Dieu pour tuer indistinctement, les puritains invoquent le nom de Dieu pour faire du pognon, ceci expliquant cela, car cela fait longtemps que la plaisanterie dure. Voilà le résultat de l’introduction d’un degré de morale inhabituellement élevé dans la politique étrangère, politique étrangère qui, selon le fameux négationniste antisémite Chomsky, se résume à la guerre et la guerre sournoise, par procuration. Je ne reproche pas aux États-Unis d’être des guerriers mais des épiciers et des épiciers moralistes, des Buddenbrook, c’est-à-dire des hypocrites et des prosélytes qui rêvent de convertir tout le monde à l’épicerie, c’est-à-dire à la négation de l’esprit, et qui ont le culot de se déclarer sans vergogne les amis de tous les musulmans modérés de par le monde (qu’Allah garde ces derniers de tels amis). Non merci. L’épicerie est un nihilisme. A l’épicerie pour tous, les wahhabites (muwahhidūn) répondent par le fanatisme pour tous. Comme le dit si bien Marx se moquant de Feuerbach qui ne voit pas qu’il n’y a pas d’histoire du christianisme mais que les différentes formes que prend celui-ci ont des causes empiriques et contingentes, il en est de même ici. C’est le monde de l’épicerie qui a réactivé cette foi implacable et inhumaine, comme dans une sorte de Jurassic Park. Il ne faut pas réveiller le tyrannosaure qui dort. Le supercrétin Debray prête à un Américain de fraîche date ces paroles : « La force de l’islam réside dans sa vigueur morale, sa ferveur partagée... Nous n’avons pas le moral [seulement la morale ?] mais nous avons les moyens... » Qu’importe le but, qu’importe le sens, puisque nous avons les moyens ! Toujours le mot pour rire, ce cher docteur Folamour (j’ai vu ce film au moins trois fois). Si ce n’est pas du nihilisme, ça, qu’est-ce que c’est alors ? Au moins Ben Laden ne veut convertir personne à l’islam. Il ne veut subjuguer aucun pays non musulman. Il exige, avec force et détermination, que les terres saintes de l’Islam soient évacuées par leurs occupants, ces terres saintes où l’islamisme a échoué. Son seul mot d’ordre est, me semble-t-il, simple et constant : évacuation. Evacuation de l’Afghanistan, évacuation de l’Arabie, et même évacuation de la Palestine. Dehors les Roumis. Ce faisant, il doit faire bien autre chose, il doit attaquer un monde en tant que monde, ce qui n’avait jamais été fait par des États, ni par le Japon, ni par l’Allemagne, ni même par la Russie dont c’était pourtant le but proclamé et qui en a menacé pendant soixante-dix ans. La question du monde est enfin mondialement posée et non par Fukuyama et consorts ni par les épiciers révoltés de Porto Alegre mais par un Arabe fanatique qui signifie : voilà, hypocrites, ce que je fais de votre morale, retour à l’envoyeur. La morale, qui était partie outremer, tel un pucelage sur la pine d’un matelot de l’US Navy, revient sous la forme du requin femelle. Allah nique Nike. C’est un curieux paradoxe : du fait que l’islamisme a partout échoué dans les pays musulmans (Roy), à part l’Afghanistan dépourvu d’État et grâce à l’aide de la CIA, soit par éradication, soit par répression, soit par apparente réussite qui se transforme en un État national et nationaliste (Iran), le projet des islamistes (islamisation de la modernité) n’a plus de sens ni d’avenir dans ces pays mais seulement en Amérique, mais seulement au pays du nihilisme commercial, au pays où l’on invoque Dieu pour faire du pognon (Marx et Weber). C’est l’échec de l’islamisme dans son monde qui a contraint Ben Laden à s’attaquer au monde du nihilisme, à monter au filet comme disent les tennismen. Sinon à quoi bon s’il avait vaincu ailleurs ? L’islamisation de la modernité se fera donc par son anéantissement. C’est logique, puisque, après l’échec de l’islamisme, c’est la seule solution qui demeure pour un islamiste. Voilà un avatar inattendu du rêve américain. Ben Laden qui a échoué (l’islamisme politique, plutôt) dans son monde réussit à New York. C’est bien la preuve que tout le monde peut réussir à New York, que tout le monde a sa chance à New York (de même Paul qui échoua en Judée réussit à Rome). Si Ben Laden fut un instrument de la CIA, la CIA fut également l’instrument de Ben Laden et, sans qu’il soit besoin d’un complot, les stratèges américains sont directement responsables du bombardement de New York (le missile Ben Laden a atteint la vitesse de libération), ce qui fait peut-être leur affaire, mais c’est une autre histoire. La partie est d’envergure. Rira bien qui pourrira le dernier. Et quand bien même il y aurait complot du docteur Folamour, cela ne change rien à l’affaire. En désignant comme coupable plausible la foi brûlante des salafistes, les comploteurs se désignent eux-mêmes en tant qu’ennemis de cette foi, en tant qu’épiciers. Cette foi demeure donc parfaitement qualifiée, qu’elle soit coupable ou non, manipulée ou non, pour stigmatiser le nihilisme radical épicier. Comme quoi à trop vouloir prouver on prouve le contraire de ce que l’on veut prouver. Même s’il s’agit d’une mise en scène, la pièce est bonne, les acteurs extraordinaires, particulièrement Ben Laden dans le rôle de Ben Laden et Mohammed Atta dans le rôle de Mohamed Atta. L’étonnant Peter Sellers tient les rôles des dix-huit autres fidèles, d’un agent de la CIA, du mollah Omar, du président des États-Unis et enfin du Dr Folamour. Bravo l’artiste ! Quoi qu’il en soit, l’arme utilisée demeure la foi et cette arme récuse l’utilitarisme. Olivier Roy fait à maintes reprises le rapprochement entre Ben Laden et Action directe. Or le changement d’échelle est significatif. Le sens qui n’était pas perceptible dans les actes d’Action directe, accompagnés en plus de discours absurdes, le devient dans une action mondiale, sans phrases. Les deux tours abattues sont un idéogramme qui signifie foi ! Même les non-Chinois peuvent le lire. D’ailleurs, comment les Chinois, qui n’avaient sans doute jamais entendu parler d’Action directe, auraient-ils pu y comprendre quelque chose ? Il n’est plus besoin de phrases puisque l’action est mondiale. De toute façon, pour Ben Laden et les dix-neuf fidèles, il n’y a pas un mot à ajouter parce qu’ils sont tous déjà écrits dans le Coran. Cela les dispense donc d’élaborer des discours absurdes et leur permet de se consacrer à des actions significatives que même des Chinois peuvent comprendre. M.-E. Nabe l’avait déjà remarqué : la modération des propos de Ben Laden est étonnante ; la violence et l’ampleur des actes n’en est que plus remarquable. Le célèbre négationniste antisémite anti-américain (mais non pédo-nazi, il ne faut pas abuser) Chomsky demande lui aussi qu’on prenne la peine d’entendre ces propos. Ben Laden parle en homme d’État, ce qu’est incapable de faire Bush qui ne sait parler qu’en prédicateur. Hate, Love ! C’est le monde à l’envers, tant mieux ; qui est le laïc de Bush ou de Ben Laden ?

On peut comprendre qu’un pauvre rêve de devenir milliardaire. Or Ben Laden était déjà milliardaire. Il est né presque milliardaire en dollars, puis il l’est devenu. Ce n’est donc pas le ressentiment du pauvre qui l’anime. Après l’échec de l’islamisme politique (Roy), seul contre tous, que voulez-vous qu’il fît sinon une guérilla mondiale où se marient harmonieusement l’archaïque et le moderne, la foi et l’aviation. De l’Asie aux USA, vous êtes redoutable. Be inspired. C’est la première guérilla mondiale. Blitzguerilla. La guérilla aussi se mondialise ! Elle est loin la sierra Maestra ! Ben Laden réussit là où Khrouchtchev et Castro ont échoué. Il a frappé l’Amérique. La force de Ben Laden, c’est justement qu’il n’est pas un chef d’État (M.-E. Nabe) bien qu’il en ait les qualités nécessaires. Seulement un guérillero mais un guérillero mondial, et milliardaire en plus, ce qui ne gâche rien. De ce fait : il est libre, Max. Ben Laden est peut-être le seul homme libre au monde. Les dix-neuf fidèles sont morts libres, tandis que les gens qu’ils ont assassinés sont morts esclaves, c’est-à-dire en état de péché contre l’humanité. Voilà pour les innocents. La mort des dix-neuf fidèles est pleine de sens, c’est la bonne mort des Grecs. Leurs victimes sont mortes comme elles ont vécu, dans l’absurdité. En signifiant au monde épouvanté l’absurdité de leur mort, leurs assassins démontrent l’absurdité de leur vie. C’est justement parce qu’il n’est pas chef d’État que Ben Laden peut être guérillero mondial. Olivier Roy note que l’État des taliban est le seul exemple d’un État (qui d’ailleurs n’était pas un véritable État mais plutôt une simple police des mœurs) sacrifié par son chef (Omar l’a tué) à une cause internationale du fait de son indéfectible soutien au projet mondial de son hôte Ben Laden. Les plus faibles seront les plus forts dit à peu près l’Évangile. Ben Laden est un condottiere qui combattit d’abord pour le compte des États-Unis puis qui poursuit la guerre pour son propre compte. Contrairement aux condottieri des temps passés, il n’épargne pas ses troupes et celles-ci ne veulent pas être épargnées. Ah ! si tous les milliardaires du monde étaient comme Ben Laden. Voilà au moins un milliardaire qui n’est pas perpétuellement rigolard en train de serrer les pognes de ses collègues devant les caméras de télévision, après une fusion prétendument superprofitable. Quel somptueux dépensier. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité se manifeste un tel colossal refus, une telle foi colossale, des avions colossaux, des tours colossales, l’attaque d’un pays colossal, l’attaque du centre d’un monde par une poignée de braves. C’est le premier attentat mondial. Le chevalier à la triste figure attaque enfin un géant dans ses moulins à vent, dans ses moulins à vide, dans ses moulins avides. Ce Quichotte croit attaquer des infidèles. Or il attaque des infidèles. Donc personne ne rit ! Ce que disait très gentiment Simone Weil en 1940, Ben Laden le dit très méchamment aujourd’hui.

Cela dit, le premier amendement de la constitution américaine(7) est une chose admirable héritée de Voltaire (financier véreux) et qui fait de ce pays un pays révolutionnaire (vous aurez remarqué que depuis l’attaque de Ben Laden, la constitution américaine a été pratiquement abrogée : tout américain peut disparaître sans laisser de trace, à tout moment, exactement comme un Irakien). Pas de loi Gayssot là-bas et pas de Gayssot non plus, ils furent tous éliminés par Mac Carthy. Gayssot, go home. Si je savais l’écrire en russe, je l’écrirais en russe. Ce n’est pas ce pays que je n’aime pas, c’est New Manchester, c’est l’épicerie et les épiciers où qu’ils se trouvent, c’est l’enculisme, c’est les Youpis®, c’est les pédés mariés, les actes citoyens commis par des esclaves qui se prennent pour des citoyens, et les vigilants, c’est l’esprit de la perfide Albion qui martyrisa lord Byron et Alan Turing, les Irlandais et même les Anglais (qui aime bien, châtie bien, n’est-ce pas ?) et maintenant les Américains, c’est le cant anglo-saxon qui insulte le vrai Graal, qui insulte l’Espérance, en un mot : le nihilisme de l’épicerie, toutes choses qui ne sont pas le triste privilège de l’Amérique, hélas. Mais cependant l’Amérique est aujourd’hui la terre d’élection de l’enculisme, « la capitale du monde des infidèles » (Ben Laden). Je ne me réjouis pas que l’Amérique et des Américains aient été frappés, je me réjouis que le centre du nihilisme mondial le soit et qu’il le soit pour cause de nihilisme, pour cause d’infidélité, c’est-à-dire, enfin, pour une raison fondamentale et non pour quelque raison politique ou anti-impérialiste. Dans ces horribles ruches, une nuée d’innocents s’activait à développer le nihilisme de l’épicerie et ses odieuses exigences. Quelle curieuse innocence ! Je vois une lueur d’espoir non parce que des Américains ont été assassinés (n’ayons pas peur des mots, les sectes d’assassins sont une vieille tradition moyen-orientale, Fidā iyyūn, ceux qui se sacrifient, 1090-1256) mais parce que l’immuable centre du nihilisme mondial a été attaqué par la foi qui est sa négation. L’essentiel est que l’immuable et insolent centre du nihilisme mondial ait été attaqué d’une manière inouïe qui dépasse le bon sens. Cet acte est aussi insensé, du point de vue du nihiliste Homais, que ce qu’il attaque : le nihilisme, ce qui n’est que justice. Un tel crime ne peut avoir lieu que dans un monde criminel. Attaquer New York, c’est attaquer le monde. Je ne me réjouis pas que New York soit attaquée (quelle importance ?) mais je me réjouis que le monde du nihilisme commercial soit attaqué et qu’il le soit pour cause de nihilisme, que le monde de l’infidélité soit attaqué pour cause d’infidélité. Qui osera prétendre que Hegel a tort quand il dit que les choses progressent par le mauvais côté, c’est-à-dire par le mal. A mauvais côté, mauvais côté ennemi. Seul le mal peut stigmatiser le mal. C’est la prodigieuse méchanceté du monde de l’infidélité qui a réveillé quelque monstre de fidélité au fond des déserts d’Arabie. C’est la négation de la négation c’est-à-dire la négation du nihilisme qui est négation de toute confiance. A déni de vie, déni de vie ennemi. Ben Laden, qui n’êtes pas encore aux cieux au moment où j’écris, délivrez-nous du mal. Amen. Dans le Petit Larousse de 1966, je peux lire, à l’article islam : « Inspiré du judaïsme et du christianisme, l’islam est un monothéisme très strict. Le culte est très simple. Obligation de réciter la profession de foi, les cinq prières quotidiennes précédées d’ablutions purificatoires, pèlerinage à La Mecque une fois dans la vie, aumône légale, guerre sainte contre les infidèles menaçant une terre musulmane. » (Le dernier commandement a disparu de l’édition 1998. Too late !) Ben Laden ne fait rien d’autre qu’exécuter implacablement ce très simple programme. De quoi pourraient se plaindre les Américains puisqu’ils militent activement pour la liberté religieuse dans le monde et réprimandent vertement(8) les gouvernements européens qui ont pris des mesures contre les sectes. Ils aimeraient bien que la religion demeure une chose privée afin que le nihilisme commercial, l’interdiction de la confiance, l’interdiction de l’altruisme, puisse se développer tranquillement dans le monde. Précisément, d’après ce que j’ai compris en lisant Roy, l’islam n’est ni une religion d’État, ni une religion privée mais une religion civile. L’État est un corps étranger pour l’islam « Dans le monde musulman, la société civile est une société de droit et c’est l’État qui finalement peut apparaître particulariste et "fanatique"... Le fondamentalisme des ulemâ définit une société de droit ; c’est-à-dire que l’espace social est régulé par des normes objectives qui sont aussi indépendantes de l’arbitraire du Prince que peut l’être le droit positif occidental (ni plus, ni moins). ... Il n’y a pas de totalitarisme islamique, de réduction de la société civile au politique, d’autant que dans l’islam il y a autoreproduction du droit et de ses interprètes sans intervention de l’État. Par définition, le retour à la shariat n’est ni fasciste ni totalitaire (ce qui n’implique pas qu’il soit démocratique). » La shariat est un droit au même titre que le droit positif bourgeois et non un despotisme (Roy, l’Afghanistan, Islam et modernité politique, Seuil, 1985). La religion, complétée par les solidarités horizontales des groupes de solidarité (açabiyya) est (ou était, ou serait...) la société civile des musulmans. Une telle société de sens et de solidarité, réelle ou rêvée

— « L’imaginaire politique islamique accepte et même revendique le présupposé selon lequel l’islam existe sub specie æternitatis... intemporel, anhistorique et non critiquable. » (Roy, l’Echec de l’Islam politique, 1992, Seuil) ; mais l’imaginaire politique américain revendique bien, lui, le présupposé de la démocratie et de la liberté, et, Bush dixit : immuables, (il me semble, qu’en vérité, il a dit plus modestement : durable) c’est-à-dire intemporelles, non critiquables, pour les siècles des siècles ; alors qu’il ne s’agit en fait que d’une démocratie commerciale, c’est-à-dire d’une démocratie des seuls commerçants et de la liberté du seul commerce. Comme quoi, tout le monde peut se tromper ! —,

est aux antipodes de l’enculisme qui règne dans la société civile commerciale. Il faut donc comprendre la fureur et la méchanceté des Arabes lorsque l’enculisme menace leur société ou leurs rêves de société. Ils sont aussi furieux et méchants que les Américains quand leur prétendue démocratie est attaquée. La religion joue pour les musulmans le rôle que le commerce joue pour les Américains. C’est elle qui règle la vie de tous les jours, quel que soit le régime politique, comme le commerce règle la vie de tous les jours des Américains

— les Américains vivent dans des centres commerciaux (Chomsky), et les musulmans dans les mosquées ! A chacun son temple. Cela dit, aujourd’hui, dans les pays arabes les plus riches, beaucoup de musulmans vivent aussi dans les centres commerciaux climatisés. —

Mais ces Arabes furieux sont aussi très bien placés pour apprécier l’affligeante misère morale, la pauvreté de vie, le désert de confiance dans lesquels sont plongés les prétendus individus souverains occidentaux. Comme je le disais plus haut, ils sont voyants, leurs victimes sont aveugles. De cette misère, de cette pauvreté de vie, ils ne veulent pas. Tels le milliardaire Ben Laden, ils préfèrent encore une vie de pauvreté mais une grande richesse de vie et... de mort. La tentative de l’islamisme politique pour islamiser la modernité n’est autre qu’une tentative, vaine, pour humaniser une société inhumaine. L’échec de cette tentative conduit à la négation pure et simple de la modernité avec les moyens de la modernité. Tout diplômés qu’ils fussent, les dix-neuf fidèles ne différaient pas des pauvres, diplômés ou non, qui peuplent le monde entier

— Les États-Unis eux-mêmes sont un pays occupé, et le plus occupé du monde puisque ce pays fait tout en plus grand que tout le monde. Les Américains auront certainement les plus grandes peines à se libérer de cette occupation mais, je suis d’accord avec Marx sur ce point, la libération de tous les territoires occupés dans le monde ne peut venir que de la libération des Américains, c’est-à-dire de la libération du pays le plus occupé. Le salut du monde dépend de l’Amérique et des Américains. Ce n’est évidemment pas les Arabes, aussi fanatiques soient-ils, ni Allah, aussi puissant soit-il (et encore moins le gros con Bové. C’est déjà un extraordinaire succès que les Arabes fanatiques aient pu donner une leçon de philosophie aux donneurs de leçon de morale — là encore, les Américains n’ont pas le monopole des leçons de morale —, leçon qui tient en un mot : mécréants, ce qui est un comble pour les bigots que sont les puritains. Les esclaves de Dieu tendent la main aux esclaves du commerce... dans la mort) qui vont libérer tous les pays occupés du monde, mais les Américains à condition qu’ils commencent à libérer leur propre pays de ce et de ceux qui l’occupent. Encore un effort, Américains (encore un, après tant d’autres ? Eh oui) si vous voulez être républicains. Pour l’instant, ce pays terrorise ses propres habitants, au nom de Dieu, évidemment. Sacrés Buddenbrook ! Terrorisme bien ordonné commence par soi-même. Il est fort possible que, par la grâce du docteur Folamour, un néo-fascisme bostonien viennent de s’instaurer aux USA pour... mille ans. Malgré ses allures texanes, Bush est bostonien. —

La seule chose qui les en distingue est qu’ils eurent les moyens de s’en venger et un généreux mécène (voilà donc la manière dont Ben Laden s’occupe des pauvres, il leur permet de vivre et de mourir dignement), ce qui leur permit de poursuivre réellement des buts individuels. Ils eurent un but dans leur vie, librement choisi, et ils l’atteignirent, contrairement aux prétendus individualistes qui sont censés peupler ce monde et qui se contentent de faire, en masse, où on leur dit de faire. C’est la raison pour laquelle l’islamisme s’en prend au commerce et à ses symboles. L’islamisme est une réponse à l’enculisme. A violence, violence ennemie. Il s’agit de la rivalité de deux sociétés civiles (réelles et rêvées, l’une comme l’autre) ou, si vous préférez, de deux religions civiles, l’une qui révère Dieu ou du moins le prétend, l’autre qui révère l’argent, effectivement et sans aucun doute possible, mais qui prétend pourtant révérer la démocratie et la liberté. J’apprécie particulièrement ceux qui prétendent que « notre » monde est désenchanté. Mais c’est Klingsor, ce monde, avec, partout, des filles-fleurs nues comme des bananes pelées (évidemment, le monde de la passe tarifée et syndiquée n’est pas du tout, mais pas du tout, enchanté ; le monde enchanté, c’est le monde d’Hilare Messier, le monde de la nouvelle magie). Tout musulman est citoyen de l’Islam, réellement dans la religion civile, idéalement dans la communauté des croyants, avant d’être un pseudo-citoyen d’un État, c’est-à-dire un citoyen purement théorique et non pratique, et donc beaucoup plus citoyen que les prétendus citoyens purement théoriques de la société commerciale où seul l’homme abstrait, l’homme théorique, est un citoyen tandis que l’homme concret est un enculiste hobbesien (Marx). De même que la religion catholique qui se mêlait de la vie civile et du prêt à intérêt était une gêne pour les commerçants de l’Europe du Nord qui n’eurent de cesse de privatiser la religion afin que tout l’espace civil fût libre enfin pour le commerce ; de même le commerce est une gêne pour la vie civile religieuse des musulmans, une gêne pour l’exercice quotidien de leur foi au point que les islamistes n’ont de cesse de mettre fin à ses ravages. Selon l’islamisme politique, l’établissement d’un État musulman qui protègerait et défendrait cette vie civile religieuse contre les atteintes du commerce permettrait cependant de développer les présumés bons côtés de celui-ci, c’est-à-dire la technique et la science. C’est du moins ce que j’ai compris dans ce que j’ai lu de Roy : les islamistes « se définissent d’abord par leur rupture avec le fondamentalisme traditionaliste des ouléma, qui repose sur l’alliance avec les pouvoirs de fait. Le programme des islamistes n’est plus le strict juridisme des ouléma, mais l’action politique et sociale. Ce qu’ils veulent c’est l’État et non la seule application de la chariat, car la chariat ne pourra être mise en œuvre que dans un État vraiment islamique... Toute mise en œuvre de la chariat qui se désintéresse du contexte social et politique n’est qu’hypocrisie. Ce refus du strict juridisme des ouléma repose sur la volonté de définir une doctrine politique de l’islam qui prenne en considération la société moderne avec toute sa complexité... Il faut rétablir la souveraineté de Dieu sur la société des hommes, qui, retombée dans la djahilliya (le temps de l’ignorance), l’a oubliée. Une fois cet objectif atteint, le domaine de législation et de décision politique sera minimal. Il suffit que les bons musulmans délibèrent entre eux, pour que la loi de Dieu soit reconnue comme telle. » Il s’agit de rétablir la prédominance du droit de Dieu, de la souveraineté de Dieu, sur l’arbitraire des hommes (Généalogie de l’islamisme. Hachette, 1995). Ça m’a tout l’air d’être un mouton à cinq pattes. Evidemment cette chose a déjà été condamnée une première fois par l’histoire et par Marx, ce n’est autre que l’État chrétien, religieux en politique et politique en religion. Il fut également condamné une seconde fois par l’histoire (c’est-à-dire par ce qui est arrivé et non pas par l’Histoire, ce qui devait arriver. Le jugement du monde est ce qui arrive.) en tant qu’État qui entend se substituer au commerce pour accomplir la tâche du commerce, ce qui fut le cas de la Russie dite soviétique (et non le cas des nazis qui eurent l’intelligence de laisser le commerce aux commerçants avec le succès foudroyant que l’on sait — et qui eurent aussi la chance, évidemment, de disposer d’un commerce déjà bien établi quoique ruiné et de ministres keynésiens compétents. — Ah ! la Mercedes SSK. Aucun État ne peut être une alternative au commerce.) Ce projet était de toute façon condamné. C’était vouloir allier les inconvénients du roi de Prusse à ceux de Staline. Plus simplement encore, le commerce présuppose le nihilisme. C’est donc pure folie que de vouloir faire cohabiter la foi et le nihilisme. C’est vouloir marier la carpe et le lapin. Il n’y a de place que pour un seul calife. Le Marx de la Question juive dirait que dans cette société civile-là (celle régulée par les uléma et non celle projetée par les islamistes), tout élément politique ne s’est pas encore réfugié dans l’État, ce qui a pour conséquence que l’homme de cette société civile-là n’est pas l’homme « naturel », c’est-à-dire l’homme égoïste de Hobbes et des Droits de l’Homme comme l’est celui de la société civile bourgeoise issue de la Révolution française (coup d’État bourgeois). Les hommes de cette société civile-là sont (ou étaient, ou seraient...) réellement frères en religion, puisque la religion est leur vie civile, et non pas seulement sur les frontons ridicules des édifices publics de la société bourgeoise. Evidemment, le projet des islamistes, qui est de protéger cette société

— de la restaurer en fait puisqu’elle est déjà détruite si elle a jamais existé, destruction qui ne date pas d’hier. Au début du siècle dernier, Rosa Luxembourg fait déjà référence au commerce mondial quand elle se moquait du professeur Bücher. Les Frères musulmans sont fondés vers 1928. Aujourd’hui d’attardés perspicaces découvrent le commerce mondial et le libre-échangisme (un sujet pour Houellebecq) —

n’aurait eu d’autre résultat, s’il avait réussi, que de détruire cette société aussi sûrement que le commerce, sans en connaître les avantages, puisque, finalement, il s’agissait de faire d’une religion civile (là réside toute l’originalité de cette religion) une religion d’État. C’est donc une bénédiction que ce projet ait été réduit, par son échec, à s’en prendre directement au commerce, chez lui, car il s’élève ainsi dans un élément supérieur

— consultez ce que j’écrivais déjà en 1982 avec Pierre Brée, à ce sujet : le Jugement de Dieu est commencé. Je n’écrirais plus aujourd’hui que les États arabes étaient des États chrétiens, au sens que Marx donne à ces termes dans la Question juive, car j’ignorais alors l’existence et le rôle des uléma. Brièvement résumé, je disais que, malgré les apparences, la critique de la religion n’avait toujours pas eu lieu. La preuve : aujourd’hui, elle bombarde New York, la religion, pas la critique, hélas. La critique de la religion doit mettre en évidence la vérité qui est en jeu dans le mensonge religieux, sinon elle n’est aucune critique, elle est seulement dissimulation et propagande pour le mensonge matérialiste et utilitariste. Cachez ce saint que je ne saurais voir. Couvrir d’opprobre la religion sans mettre à jour la nécessité qui s’y exprime, c’est reculer pour mieux sauter (sauter ! en effet). La religion ne prouve pas l’existence de Dieu, elle prouve le besoin vital de sens, sens qui fait totalement défaut au présent monde. Chassez la religion, elle revient au galop, sur son cheval arabe. Tant que vous serez matérialistes, vous serez bombardés. Le bombardement de New York est une simple discussion philosophique. —

L’islamisme était déjà condamné et vaincu avant même son attaque du monde, mais non le principe qu’il défend, la fraternité dans la foi, qui s’élève, par cette attaque, à la dimension du monde en s’opposant directement au monde du nihilisme, au monde du dernier homme, au monde des pédés revendicatifs et des épiciers révoltés. Croyant poser la question de l’islam politique, la question de l’islamisation de la modernité, l’islamisme posait en fait la question du monde. Le prophète Jésus l’a dit : les derniers seront les premiers. Roy ne comprend pas l’acte de Ben Laden. Au lieu d’élever Action directe il abaisse Ben Laden qui, selon lui, n’aurait rien à proposer. Or, de même qu’Omar sacrifie son État à la cause de son hôte, ce dernier sacrifie sa cause déjà perdue sur l’autel mondial

— plus exactement la cause des islamistes car, selon Roy, Ben Laden et ses partisans ne sont déjà plus des islamistes. Notamment, ils agissent à l’échelle mondiale en se référant seulement à la communauté des croyants tandis que les islamistes, en dépit de leurs proclamations, ont toujours agi dans un cadre national voire nationaliste. Mais surtout, ils ne font plus aucune référence politique ce qui est la raison qui les rendit acceptables pour les petits malins de la CIA. Et puis Ben Laden a-t-il jamais été islamiste politique, n’est-il pas plutôt simplement fondamentaliste salafiste avec pour seul mot d’ordre US go home ? Quoi qu’il en soit, Ben Laden et ses partisans (dont certains chefs islamistes) sont issus de l’échec de l’islamisme, un islamisme triomphant ne leur eut pas laissé de place —,

il n’avait plus rien à perdre, donc, par un trait de génie, il l’offre à la cause mondiale. C’est un acte de générosité (Durkheim dirait que c’est un suicide de type altruiste, tel qu’il se pratique dans les sociétés archaïques). C’est un holocauste. C’est une leçon. Ce faisant, il revalorise sa cause perdue, au grand désappointement de tous les gens bien intentionnés. En fait, Ben Laden propose une démonstration : sa cause est perdue, elle s’est révélée incapable d’islamiser la modernité, mais le principe qu’elle défend, la foi, est capable de bombarder New York ! Quelle autre force pouvait le faire dans le monde ? Aucun matérialiste, aucun manchestérien, ne pouvait prévoir une chose pareille : la foi devient ainsi une puissance mondiale, totalement libérée de tout projet politique ou nationaliste et même... de la religion. Ben Laden vient de tirer un trait sur la religion. Il n’est plus question que de la foi idéale, abstraite, mondialisée. A mondialiste, mondialiste ennemi. La religion se trouve réduite à sa plus simple expression, à une relation personnelle entre Dieu et le fidèle, comme chez l’ennemi américain. A puritain, puritain ennemi. Finalement, le seul innocent dans cette affaire semble être Ben Laden lui-même, innocent au sens de Perceval le niais. Faut-il être niais pour bombarder New York sans aucun projet politique précis, sinon une simple référence à la communauté des fidèles et sans se soucier de la riposte américaine qui sera terrible, évidemment ? Et pourtant New York fut bombardée, ce qui est le point essentiel. Ben Laden propose de bombarder New York et il bombarde New York capitale de la soumission, du conformisme et de l’impossibilité. Il démontre que, contrairement à ce que prétend la propagande manchestérienne, ce qui est réputé impossible est possible pour qui n’est pas soumis. Grâce à l’aviation, une poignée de néomusulmans fanatiques ont pu signifier tout le mépris qu’ils portaient à la brillante civilisation de M. Bush et de l’Américain Combinani, tous deux directeurs du monde, tels ces Japonais qui se suicidaient devant la porte de leur ennemi pour lui signifier leur mépris. A mépris, mépris ennemi. La liberté est d’abord criminelle. Roy s’étonne que derrière l’extrême violence de l’action, il n’y ait aucun programme politique, aucun projet de société et aucune revendication (préface à la réédition de Généalogie de l’islamisme). Sur le point de la revendication (s’il entend ce mot au sens de réclamer quelque chose), il se trompe. Il y a perpétuelle référence au jihad. Or jihad veut dire en bon français : dehors les Roumi. L’originalité du cheikh mondial Ben Laden est d’attaquer les Roumi chez eux. Quand à l’absence de programme politique et de projet de société, c’est bien la preuve qu’il s’agit d’autre chose, c’est précisément ce qu’il faut essayer de comprendre ; la preuve que Ben Laden, s’il a repris des méthodes employées par des gauchistes, n’est pas un gauchiste pour autant et qu’il est libéré des discours politiques absurdes de ceux-ci. Il attaque les mêmes cibles que les gauchistes mais pour d’autres raisons et... sans phrases (jihad n’est pas une phrase). Ce n’est pas non plus un tiers-mondiste puisqu’il est un homme du monde. Il entend disputer le monde à l’épicerie. Le mérite de Roy est de voir qu’il s’agit de quelque chose de très moderne sous des dehors archaïques, et qui est produit non pas par l’islam seul mais par le monde ; de quelque chose qui n’a rien à voir avec la vieillerie gauchiste qui est déjà jugée et rien à voir avec les vieilleries modernistes ou prétendument post-modernistes. En un mot, c’est, enfin, la critique de l’économie politique, c’est-à-dire la critique de ses présupposés utilitaristes : croyez en Dieu et vous bombarderez New York. C’est un potlatch. Quelque chose de neuf et de beau a eu lieu : la foi attaque l’épicerie. Voilà donc où réside cette lueur d’espoir. L’islamisme n’est pas une maladie de l’islam (Meddeb) mais une maladie du monde, c’est-à-dire le négatif secrété par l’épicerie, non pas maladie de l’estomac comme le prétendent les épiciers révoltés de Porto Alegre, mais maladie de l’esprit puisque l’épicerie est un crime permanent contre l’esprit et accessoirement un crime contre l’estomac. L’acte de Ben Laden et des dix-neuf fidèles est ce négatif qui devient visiblement négatif, ce négatif qui s’attaque enfin à son objet proprement dit (l’épicerie et ses prétentions) et de ce fait devient visiblement le négatif de cet objet. Et cet objet était à New York, capitale du monde de l’épicerie. Evidemment, les épiciers poussent de hauts cris et agitent leurs sacro-saintes valeurs que le monde entier leur envie. Il faut croire que l’expression du mépris de Ben Laden n’était pas encore assez claire. Mais il n’y a pas que des épiciers dans le monde. L’épicerie n’est pas américaine même si les États-Unis sont les premiers parmi les épiciers. Je n’ai rien contre l’Amérique, certainement peuplée d’une foule de braves gens, mais seulement contre l’épicerie et les épiciers, où qu’ils se trouvent, notamment à Paris (sauf les épiciers arabes qui restent ouverts tard le soir, ce qui est bien pratique comme dirait Wittgenstein). Contrairement au marxiste Julliard, si fier de ne pas croire aux loups-garous(11), Ben Laden, lui, ne croit pas à l’existence de l’économie et se moque totalement des discours fondés sur cette croyance et des gens qui formulent ces discours. Son propos est ailleurs. Il est la preuve qu’ailleurs existe. Son action est aussi un manifeste poétique. La cause de Ben Laden est libérée de ce genre de chose, politique, nationalisme, projet de société, déficit de la sécurité sociale, droit au logement, non remboursement du Doliprane®. Ben Laden est au même point que ces ouvriers qui en 1968 se mettaient en grève et ne demandaient... rien. Cependant Ben Laden proclame clairement et brièvement les motifs de son action, ce qu’étaient bien incapables de faire les ouvriers de 1968 : il attaque le monde des infidèles pour cause d’infidélité. N’est-ce pas encore assez clair ? Ben Laden est un radical car il prend les choses par la racine et la racine de l’homme, c’est la foi. L’islam, chez Ben Laden, n’est plus qu’une foi abstraite, un concept, libéré de toute référence territoriale, clergé ou instances religieuses car (Encyclopédie § 109) « le concept est ce qui est libre ». Cela ne préjuge en rien des intentions, des buts, de la stratégie, de la foi de Ben Laden ni des ses commanditaires, s’il en a. Comment pourrais-je en avoir la moindre connaissance. Je ne suis certain que de la foi des dix-neuf fidèles puisqu’ils en ont donné de solides preuves (un peu trop solides, ne trouvez-vous pas ?), eux aussi ont accompli un sacrifice. Comme saint Antoine, ils résistent à la vie. D’ailleurs, mises à part les preuves de son existence, de cette foi, je ne sais rien non plus. En sacrifiant l’islamisme (littéralement car, voudrait-il continuer, l’islamisme ne le pourrait plus, vous savez pourquoi, maintenant. Ben Laden, c’est aussi Terminator. Peut-être est-ce un de ses noms de code à la CIA ?) dans cette aventure mondiale, Ben Laden expose au monde étonné, Bush dixit, les motifs profonds de l’islamisme : la haine de l’épicerie, la haine du nihilisme commercial négateur de la foi et, beaucoup plus simplement, négateur de toute vie décente : manger (de la merde en plus) n’est pas vivre même si ne pas manger n’est pas vivre non plus. La cause est perdue mais le motif est exposé mondialement... Comme les anciens Grecs et Romains vantés par Robespierre, des musulmans meurent pour leur patrie

— la religion mythique de leurs pères et non plus le pays de leurs pères puisqu’il s’agit de musulmans dispersés dans le monde, coupés totalement de leurs sociétés d’origine, de leur famille, de leur société d’accueil, occidentalisés et individuellement réislamisés, toujours selon Roy. Ces Arabes déracinés sont les véritables habitants des États-Unis de même que l’hérodien Paul était le véritable habitant de l’empire romain, même Néron dut l’admettre. C’est leur propre pays qu’ils ont bombardé pour le motif de son impiété. Le monde est leur pays, ils sont les véritables citoyens du monde. Ils on vu le monde. Ils l’ont jugé. Veni, vidi, vici —,

patrie qui est aussi leur foi et ils aiment leurs lois. Les Américains préfèrent l’argent aux lois

— sinon les lawyers parce que pour eux, laws are money. Que vous disais-je : sept familles de victimes attaquent le consort Ben Laden en justice pour un milliard de dollars en dommages et intérêts et cent milliards d’amende sous le noble prétexte qu’elles veulent le ruiner pour l’empêcher de nuire. Ah ! l’hypocrisie puritaine ne connaît pas de bornes. Si je n’étais Dieu, je voudrais être avocat en Amérique —,

ces musulmans non. L’argent est un despote implacable au dessus de toute loi. Bien plus ; les lois bourgeoises sont conçues spécialement pour faciliter le règne de l’argent. Les lois sont au service de l’argent. Il s’agit coûte que coûte de préserver la confiance dans l’argent.

« Les Américains vivent dans le plus petit pays qui soit : Mon ghetto, ma maison, ma voiture, ma télé, mon chien, et mon frigo (le chien dans le frigo ?). Tout est réduit à sa plus simple expression. Un grand vide habite ce vaste espace. Et ce vide, il faut le cacher ! » (M.-E. Nabe) On dirait du Groucho Marx. Partis d’Europe, les Américains sont rapidement parvenus à la misère morale (qui, cela dit, n’épargne pas l’Europe). La misère physique n’est pas vice. La misère morale, le nihilisme, si. C’est ce vice que prétendent imposer au monde entier ces gens de biens. Ils se heurtent donc à la vertu intraitable du paladin Quichotte et à son épée de Damas(9) : « Quand l’épée s’est abattue sur l’Amérique, les hypocrites ont levé la tête plaignant ces tueurs qui ont joué avec le sang, l’honneur et les lieux sacrés de l’islam » (Ben Laden). « Il faudrait peut-être se demander pourquoi l’islam aujourd’hui est le brasier de foi le plus fervent. Si les Occidentaux (les Francs) du vingtième siècle n’avaient pas été aussi iniques, peut-être les musulmans se seraient-ils contentés aujourd’hui d’un islam pépère. Je vais au-delà, et à l’envers : si la foi s’est fixée si fort sur les musulmans, c’est qu’ils sont les seuls à croire encore en quelque chose. Ils appellent ça Allah, mais c’est plutôt "Allons !" L’islam est leur moyen de transport. Une façon de dire non. Un "Non" d’or noir qui brille dans les cœurs verts. Un non à la pourriture de l’âme et de l’esprit des hommes qui ne savent que faire du fric ou du cholestérol. » (M.-E. Nabe). Autrement dit, le nihilisme bourgeois, dans sa prétention à l’immuabilité de son expansion, se heurte à l’esprit qui toujours nie. Diable !

A la stupéfaction générale, Ben Laden a déclaré ce monde mauvais, de telle manière que personne ne puisse l’ignorer, à tel point que le chef de la propagande mondiale lui-même, le président Bush, se crut obligé de déclarer qu’il était bon. Pendant un court instant le bombardement massif et ininterrompu de la propagande nihiliste (la liberté c’est le free trade, le free trade c’est la liberté) s’est trouvé suspendu. Ce fait, qui avait déjà eu un précédent en 1968, a réjoui des millions de gens de par le monde et pas seulement des musulmans, des millions de gens que l’on ne risque pas d’entendre car ils n’ont pas la parole (Selon le cadavérique Glucksmann, plus de la moitié — quel optimiste — de la population mondiale se réjouit et il ne se pose pas de question !) Les Arabes ont parlé pour eux. Comme 1968, ce fut une totale surprise. Divine surprise. Seul Allah est capable de cela : attaquer à mains nues, avec pour seule arme le poignard d’Alcibiade, la plus puissante nation du monde. Le poignard d’Alcibiade a démodé toutes les armes !

— C’est quand même autre chose que d’aller chier sur la Lune ou de détruire un Mac Donald (il serait totalement indécent de comparer le démontage du Mc Donald à Millau par le crétin Bové et l’attaque contre le Centre du Commerce Mondial par les dix-neuf fidèles. Dixit Eddy Fougier, chercheur quelque part, le Figaro du 31 janvier 2002. On ne saurait mieux dire.) Ce petit caca ne fut qu’un gros caca pour l’humanité, toujours autant dans la merde sur la Terre. —

C’est un acte de rébellion mondiale puisque personne dans le monde ne peut l’ignorer. Mondiale, parce que mondialement connue. C’est un NON gigantesque. C’est pourquoi il a réjoui des millions d’hommes qui subissent ce monde dans l’isolement total, dans un désert de la confiance comme on dit un désert de la soif. A spectacle, spectacle ennemi. C’est un prélude. Nabe demandait : « Quel est le sens de cet acte ? » Une certaine forme d’aliénation de la confiance, la confiance placée en Dieu, stigmatise la désertion de toute autre forme de confiance. Dans cet acte, une certaine forme de confiance s’intitule le paladin de toute forme de confiance. Même si elle croit et dit combattre pour elle-même et pour des causes particulières, elle combat pour la confiance en général, elle porte les couleurs de la confiance en général et cela parce qu’en elle a été insultée la confiance en général. Etant donné que c’est la seule espèce de confiance qui demeure, c’est la confiance en général qui a été insultée à travers elle (oui, la confiance est une espèce en voie de disparition). Du fait de son unicité, à titre de seule survivante, elle est obligatoirement le champion de toute confiance. Voilà pourquoi même les Chinois comprennent ! La cause que sert Ben Laden, la négation du nihilisme, le dépasse et dépasse son dieu, je blasphème. Ah ! ruse de la raison. D’aucuns y verront le malheur de ce monde. A qui la faute ? Les hasards de l’histoire (ce hasard porte un nom : USA, deux siècles de coups fourrés, la politique extérieure des USA, c’est la guerre, dixit Chomsky, célèbre négationniste et antisémite, trade enforcement war, car les Américains qui sont des commerçants conséquents n’ont de cesse que partout le commerce triomphe et soit respecté) ont fait que ce sont des Arabes musulmans qui ont attaqué New York. Mais ce qui importe, ce n’est pas qu’ils soient des musulmans mais qu’ils soient des fidèles. Ce n’est pas en tant que musulmans, c’est en tant que fidèles qu’ils sont les paladins de la confiance, les ennemis du nihilisme. Ce qu’ils accomplissent est une prouesse. Ces gens qui à travers leur foi particulière honorent la confiance comme vertu suprême sont les paladins de tous ceux qui respectent en secret la confiance dans un monde d’enculisme où la confiance, traquée sans relâche, sans répit, sans recours, bombardée nuit et jour par des chapelets d’insanités, doit se terrer au plus profond de chacun (« Il est crucial que les sentiments humains normaux soient écrasés », Noam Chomsky, authentique négationniste antisémite). Voilà pourquoi, monsieur, votre homme est muet. Mais voilà aussi pourquoi tout espoir n’est pas perdu. La confiance couve sous la braise dans le cœur de chaque homme lorsqu’il n’est pas un enculiste, ni un enculeur (les gens ordinaires, ceux qui à l’occasion votent Le Pen pour stigmatiser la canaille citoyenne, ceux qui n’ont pas renié la confiance dans le fond de leur cœur, par opposition aux enculistes et aux enculeurs, et qui sont la grande majorité). Sa flamme brillante resurgit à la moindre occasion, au moindre prétexte. Ces paladins sont l’unique recours, le rempart de la confiance. L’esprit consiste dans la confiance. La confiance s’est aliénée dans le dollar. Elle réside maintenant dans le dollar. Mais ce faisant elle est devenue générale, mondiale. Le monde entier a confiance dans le dollar. En s’aliénant, l’esprit est devenu monde. L’aliénation est le prix à payer pour la généralisation de l’esprit car l’émigration de la confiance dans le dollar est également la négation de la confiance, sa désertion et, désormais, la plus grande défiance règne entre les hommes (ce qu’ignorait totalement le président Bush, personne ne l’avait prévenu, visiblement, vu sa stupéfaction). L’émigration de la confiance dans le dollar est aussi la négation de la confiance pour une autre raison : la confiance suppose le doute. Sans doute possible, pas de confiance possible, pas de foi donnée. Or personne ne peut douter de l’argent, personne ne peut ne pas avoir confiance dans l’argent. Tout doute est impossible et l’argent est donc une certitude absolue. C’est pourquoi le monde de l’argent se présente comme immuable et le seul possible sinon le meilleur, pour l’instant... Le monde entier a pu constater la sublime puissance de la confiance quand elle nie ce qui la nie (ce qui la nique en chantant des cantiques), quand elle récuse son bannissement. C’est sa négation (le dollar) qui l’a suscitée, c’est sa négation (le dollar) qui l’a armée. C’est la puissance colossale de sa négation (le dollar) qui assura sa puissance et sa détermination. C’est l’épaisseur du mur qui sépare de la vraie vie (le mur du dollar) qui exaspère la vraie vie, la vie de l’esprit. Quoiqu’il en soit c’est une question entre l’esprit et l’esprit. L’esprit nie ce qui nie l’esprit et qui, cependant, est aussi l’esprit, l’esprit d’un monde sans esprit. Cela n’a rien à voir, enfin, d’une lutte des pauvres contre les riches mais des fidèles contre les infidèles, de ceux qui honorent la confiance contre ceux qui ont renié la confiance. C’est une prouesse. C’est un acte de générosité. Ce n’est pas parce qu’il y a beaucoup de morts (d’ailleurs les Américains ont déjà égalisé en Afghanistan : 3.500 partout. Œil pour œil, dent pour dent.) que ce n’est pas un acte de générosité. Que font donc, de leurs milliards, les autres milliardaires et de leur vie, les autres vivants ? Comme Wittgenstein, Ben Laden se débarrasse de sa fortune. Il vous la déverse sur la tête. Dites merci au moins. C’est une leçon cher payée, mais c’est une leçon et c’est un bon maître. C’est un holocauste stricto sensu (selon l’étymologie, brûlé tout entier, sous-entendu : on ne mange pas la viande, tout pour les dieux, rien pour les hommes, autrement dit sacrifice total). La fumée fut-elle agréable aux narines d’Allah ? C’est un acte de générosité pour l’avenir du monde, s’il en a un toutefois, que de détruire ces deux insolentes tours du centre du nihilisme mondial et, ironie suprême, de confier la direction de l’opération à un urbaniste diplômé (I. S. n° 6, page 7 : Représentation en relief de la fonction modulaire elliptique !) Généreux, c’est-à-dire désintéressé. On ne peut être plus milliardaire que l’est Ben Laden. Son intérêt est donc ailleurs. Et c’est encore un acte de générosité si ce monde n’a pas d’avenir. Avant que de crever, j’aurai assisté à cette gifle du Maure au puritain, au WASP, aux gens de biens qui ne sauraient douter de leur bonté ni de leur droit après deux siècles de coups fourrés et de nihilisme épicier

— et, dans un registre mineur, le 21 avril 2002 j’ai vu la claque du péquenot à l’arrogant vichy rouge, pluriel, libéral, libertaire et citoyen. Le singe Minc en est tombé de sa table. Singe voit, singe tombe. (Vite, il "écrit" un livre, il ne perd pas une minute, le vent tourne.) « Non aux méchants », vive les gens bons, vive les saucisses. Les Deschiens ne les font plus rire. Vous l’avez eu dans le cul, salopards, ceux qui ont voté merde vous ont dit merde. Merci, Ben Lepen, de nous avoir débarrassé pour un petit moment de « la gauche la plus salope du monde » (j’ai lu ça quelque part, 14 janvier 2003), celle-là même qui lui mit le pied à l’étrier en 1981. Retour à l’envoyeur.

Voilà qui aurait plu à Bloy. Se faire enculer, passe encore. Mais se faire enculer par quelqu’un qui chante des cantiques, non merci. Le catholique Borgia ne chantait pas de cantiques pendant qu’il accomplissait ses forfaits. Merci BL sans H. Il faut vraiment être désintéressé pour vivre comme un anachorète alors qu’on est milliardaire, alors que les Sa’ūd vivent sous les ors. Dans son désert, le saint repousse toutes les tentations que lui présente le démon. Les hypocrites verseurs de larmes de crocodiles qui se déclaraient tous américains au lendemain du 11 septembre font déjà, trois mois après, comme si cette prouesse mondiale dont les auteurs sont de simples particuliers (faites vos affaires vous-même, n’est-ce pas ?) ne s’était jamais produite, comme s’il n’était rien arrivé de remarquable (y compris ces antimondialistes qui continuent leur petit business comme si rien ne s’était passé. Ils voudraient seulement rendre le nihilisme épicier habitable et équitable.) C’est l’omerta, ils sont tous des Corses. Cependant les tours n’ont pas repoussé, ni les morts ressuscité, depuis. Ces hypocrites ont repris leurs douteuses affaires qu’ils n’avaient d’ailleurs jamais interrompues. En revanche, ceux que cet acte a réjouis n’oublieront jamais. Cette gifle infligée aux ennemis de la confiance illuminera leur vie pour le restant de leur existence. Ben Laden a raison, c’est le règne de l’hypocrisie. Engels le disait déjà : « Telle est l’humanité du négoce : la gloire du système de liberté du commerce c’est de faire hypocritement servir la moralité à des buts immoraux. » Mais le Corse américain Combinani, directeur du Monde, a raison également : les hypocrites sont tous des Américains ; heureusement la réciproque n’est pas vraie. (Le président Bush est aussi directeur du monde. Le prostitué Combinani s’empresse donc de lui lécher la main et même... les deux.) Combinani et son journal s’affirment comme porte-parole des hypocrites, de la France pourrie, de la France bouffie (de suffisance), de la France de la collaboration, de la France de l’épicerie et des épiciers destructeurs de forêts primaires

— le Monde est toujours le Temps, seul l’envahisseur a changé. Ces gens sont des conformistes au sens de Moravia. Ils seront mussoliniens quand Mussolini prendra le pouvoir en France ou ailleurs. Aujourd’hui Le Pen est un résistant, Combinani, membre de la Waffen US, troupes d’élites mondialistes, est un collabo, toujours empressé avec l’occupant. Aujourd’hui l’occupant, c’est le maréchal Manchester —,

ce qui ne peut étonner personne. Quand Combinani, en première page de son journal, se permet de dire effrontément en mon nom comme au vôtre : « Nous sommes tous des Américains »

— Waffen US, que vous disais-je ? Et pourquoi pas tous laotiens, salopard ? Ce dieu qui bénit l’Amérique et auquel beaucoup d’Américains, dont leur président et chef de guerre, font référence à tout bout de champ, entre deux fructueuses affaires ou deux guerres, tient, selon ce président, pour précieuse toute vie humaine, sauf, apparemment, la vie des paysans laotiens et de bien d’autres. Salauds de puritains. Si au lieu de dix provinces puritaines sur les Treize Provinces d’antan il y avait eu dix provinces quaker au lieu d’une seule (Pennsylvanie), le sort du monde en eut été changé ainsi que le nez de Cléopâtre. Les Arabes fanatiques sont nets et honnêtes, leur dieu ne tient pas pour précieuse la vie des Américains ni la leur d’ailleurs. Honnêteté bien ordonnée commence par soi-même. Le paladin Ben Laden venge, sans même s’en soucier, les véritables innocents que sont les paysans laotiens. C’est le justicier malgré lui —,

il ne parle, en fait, qu’au nom des hypocrites. C’est indéniable, Combinani et Hilare Messier sont des Américains. Je ne suis ni américain, ni wahhabite (muwahhid). Roy ne suy, sire de Coucy-Couça, suy. Et cella me suffy. Soit dit en passant, le prostitué Combinani relève par ailleurs que le prétendu consommateur (en fait le vrai prostitué) est censé passer sa vie entre le supermarché et la télévision, puis de la télévision au supermarché. Mais alors quand fait-il sa passe quotidienne ? Quand une pute a fait beaucoup de passes, elle s’achète un vison blanc, puis, quand elle est en colère, elle jette son vison par terre et le piétine. Mais, entre-temps, elle doit faire des passes. Le prétendu client roi est seulement une pute qui doit faire des passes avant de pouvoir acheter son vison blanc. On parle toujours du vison, jamais des passes. La prétendue société ce consommation est une société de prostitution.

Je disais donc : l’économie n’existe pas. Le monde est un système de confiance, basé sur la confiance, c’est-à-dire présentement basé sur le dollar. Dans un tel monde il n’y a pas de place pour une prétendue économie, ni pour une prétendue base matérielle, le dollar n’a rien de matériel, et c’est la seule façon d’expliquer l’acte des dix-neuf fidèles. La confiance n’est pas un mythe. Repoussez l’incrédulité : vous me ferez plaisir. Conclusion générale : seule la foi, la confiance (au sens large et non au seul sens wahhabite, salafiste ou même simplement religieux) peut vaincre un monde qui repose déjà sur la foi, sur la foi dans le dollar, seule la foi peut vaincre l’épicerie. Les épiciers Hobbes, Locke et Hume ont baisé Marx et Engels mais, le 11 septembre, le vent a tourné. Le dollar est très spirituel mais il ne donne pas d’esprit à ceux qui n’en ont pas, il n’en donne pas, non plus, à ceux qui en ont. Foi de Normand, Bush est comme le cidre, s’il est bon c’est parce qu’il est bouché : « Je suis stupéfait qu’il y ait une telle incompréhension de ce qu’est notre pays, qu’il y ait des gens qui nous haïssent. Je suis comme la plupart des Américains, j’ai du mal à le croire parce que je sais à quel point nous sommes des gens de bien. (I just can’t believe it because I know how good we are.) » (Farceur, il voulait dire gens de biens ! ça oui alors. Vous n’avez rien à craindre, puisque c’est le commissaire aux comptes personnel du président Bush qui vous le certifie, les comptes d’Andersen !) Il y en a qui ne doutent de rien et que le doute n’effleure jamais. Enfin, ils sont stupéfaits, c’est toujours ça. Je crois au contraire que les Arabes fanatiques comprennent très bien ce qu’est le pays de ces gens bons et ce que sont les gens bons, c’est-à-dire ceux qui se disent tels. Ceux qui le sont réellement ne s’en vantent pas généralement. Les Arabes ont horreur du nihilisme surtout quand il prétend dominer triomphalement la planète. Notez bien : Bush n’est pas stupéfait que, pour une fois, la haine du nihilisme commercial ait les moyens de se concrétiser, il est stupéfait que l’on puisse le haïr. Et cette haine n’aurait pas eu les moyens de se concrétiser, il n’en saurait toujours rien, le pauvre homme, après deux siècles de coups fourrés. C’est bien un Buddenbrook. Dieu nous garde des gens bons. Dieu n’aime plus l’Amérique, il la hait et le prouve. Où va-t-on ? Dieu seul le sait.

Moralité : il vaut mieux bombarder New York que de baiser Mme Jospin. Ensuite, grâce à l’aventurier milliardaire Largo Winch Ben Laden

— l’idole, non des religieux, mais des délinquants du monde entier, ah ! ah ! la liberté est d’abord criminelle. Ben Laden est le premier, et pour l’instant le seul, délinquant mondial —

cela fait cinq mois que l’on n’entend plus parler des nazis pédophiles négationnistes. Ouf ! Pendant ce temps les deux chochottes (Allons-y chochotte, chochotte allons-y ! Erik Satie) minaudent et se font prier pour la présidentielle. Patineurs à roulettes, pédés mariés, pantalonnades électorales, le singe Minc grimpe sur la table, agite ses quatre petites mains et fraternise avec Bové, ce qui n’a rien de surprenant (il n’a pas tardé, le gros moustachu), frivolité et ennui, ce monde s’apprête à disparaître, nul ne sait comment mais ça promet. Les messieurs de Davos ont plus que jamais besoin de leurs dévoués et bénévoles amis antimondialistes. Il y a pour ces derniers beaucoup de juteuses places en perspective comme il y en eut après 1968 pour leurs aînés. Opportunistes moustachus ou non, vous vous le mettez au cul votre autre monde possible, c’est-à-dire le même aménagé pour quelques siècles de plus. Il y aura toujours des gens qui n’en voudront pas. Désormais, Ben Laden sera le critère absolu. Le monde est divisé entre ceux qui croient encore en quelque chose mais généralement n’ont pas la parole et ceux qui ne croient plus en rien (les nihilistes, stricto sensu) mais qui pourtant monopolisent la parole. Ces derniers n’ont rien à dire, mais ils veulent que ça se sache. Cela dit, Ben Laden n’est pas mon cousin.

Je suis redevable à Ben Laden. Grâce à lui j’ai pensé à vérifier l’étymologie du mot foi et j’ai découvert le nom de ce à quoi j’ai voué ma vie. Que croyez-vous, l’ange Gabriel (oh ! Gaby) ne parle pas qu’à Mohammed. Jusqu’à présent, j’étais comme Beethoven, l’esprit me parlait mais je ne comprenais pas ce qu’il me disait. Ensuite quelques conversations téléphoniques à propos de l’affaire Ben Laden ont attiré mon attention sur le terme de nihilisme, car l’ignoble crétin emphatique et larmoyant Glucksmann, mur des pleurnicheries sentencieuses (quel dommage qu’il ne se soit pas trouvé, lui et sa progéniture, avec les autres innocents, les autres papas, dans les tours, c’était sa place. Quelle ordurerie que de faire des enfants dans un tel monde et de venir pleurnicher par la suite. Les anciens avaient le culte des ancêtres, les egopapas, tel l’ignoble Glucksmann, ont le culte de leur antipathique egoprogéniture. Les egopapas s’inquiètent, pauvres petits moi, quel monde va-t-on leur laisser, plein de trous dans l’ozone et de rayonnements ionisants ? Un des rares big boss de ces tours fut sauvé par sa fille qu’il conduisait à l’école à l’heure du crime), tel que seule l’école de la rue d’Ulm sait en produire (l’école du culot dirait le professeur Bouveresse), se répand en conférences et déclarations sur le nihilisme des croyants fanatiques, ce qui est une contradiction dans les termes. Grâce à ce grossier contresens, immédiatement dans mon esprit se fit le rapprochement : c’est ce monde qui est nihiliste et non les Arabes fanatiques et c’est précisément pourquoi ces derniers le frappent. Les nihilistes russes étaient des fanatiques mais tous les fanatiques ne sont pas des nihilistes. De même, certains nihilistes russes étaient des assassins mais tous les assassins ne sont pas des nihilistes, notamment un certain lieutenant-colonel George Washington (et ici DOC 2008-12-28-1)

— né en 1732, planteur de tabac esclavagiste, en Virginie « colonie fondée sur la fumée ». “La vie de la plantation était bien différente de celle qui s’observe dans une économie agraire rudimentaire. Elle réunissait des centaines d’esclaves, d’artisans blancs, de contremaîtres, d’intendants et de marchands, qui cultivaient le tabac pour en faire commerce, produisaient des denrées comestibles, fabriquaient des outils, des instruments agricoles et des vêtements pour leur propre usage et pour les vendre sur des marchés locaux ou étrangers où ils étaient acheminés parfois par les propres bateaux du planteur. La plantation de Virginie était la version XVIIIe siècle d’une company town moderne et non un village rural romantique. Le propriétaire devait manifester à la fois un sens aigu des affaires et une vaste connaissance pratique pour mener ce monde à mi-chemin entre l’agriculture, le commerce et l’industrie. La largeur de vue et les connaissances si étonnamment variées d’hommes tels que William Byrd ou Thomas Jefferson se retrouvaient chez tous les planteurs virginiens riches ou aisés du XVIIIe siècle : ils s’intéressaient à l’histoire naturelle, connaissaient bien la médecine et la mécanique, se jouaient de la météorologie et se sentaient tenus d’avoir des notions précises de droit. Il est certainement erroné d’attribuer cette culture à quelque inspiration née de l’exemple éloigné et des enseignements abstraits qu’offrait le siècle des Lumières en Europe : elle était imposée en fait par la vie de la plantation et ne faisait que répondre aux problèmes pratiques qui se posaient au planteur virginien.” Cependant le système de la plantation, tel qu’il se développa en Virginie et dans les Antilles, fut, de l’avis de certains historiens, la première expérience depuis l’Empire romain d’une agriculture de type commercial, organisée à grande échelle.” “Les biographies et les lettres de ces hommes révèlent une société de ‘quatre cent familles’ liées entre elles et par des liens matrimoniaux” (Boorstin, Histoire des Américains, « Les Virginiens ») 

assassin de Jumonville, gendre du marquis de Vaudreuil (L’année précédente, en 1763, les Anglais commandés par Sir Jeffrey Amherst procurèrent des couvertures contaminées par la variole à des Indiens de l’Ohio, inaugurant ainsi la guerre biologique. Les Anglo-saxons sont des gens charmants. Selon les déclarations de certains musulmans fanatiques, l’Amérique est un pays occupé et appartient toujours aux Indiens.) Au contraire, ces Arabes fanatiques, ces croyants inspirés, sont des anti-nihilistes, des annihilateurs de patineurs à roulettes et de papas. La foi les meut. Ce massacre de mécréants par des croyants fanatiques est barbare, criminel, cruel, mais il n’est pas nihiliste. Il fut perpétré au nom de la plus haute valeur, au nom de Dieu et pour le service de Dieu tandis que le nihiliste célèbre la mort de Dieu (selon Weber, les Américains, en dignes héritiers des commerçants d’Europe du nord du XVIe siècle ont mis leur Dieu au placard pour pouvoir se livrer aux joies du commerce en toute liberté, leur dieu est un dieu d’arrière boutique). Nietzsche applique à lui-même le terme de nihiliste. Le nihiliste tue pour tuer tandis qu’il ressort des conversations de Robert Fisk avec Ben Laden que ce dernier nommait impie l’Amérique pour le motif qu’elle occupait des terres saintes de l’Islam (sacrées, c’est-à-dire, selon le dictionnaire, interdites et inviolables) et donc que ce massacre fut accompli pour le service et la gloire de Dieu. Les motifs d’un tel acte sont parfaitement clairs et parfaitement connus, dans le monde et... à Colone. Contrairement aux actes confus des activistes politiques, cet acte se passe parfaitement de toute déclaration, de toute revendication. Il n’en a nul besoin. Tous le monde a parfaitement compris le message qui se résume en un mot : mécréants. Les quaïdiens sont des négateurs puisqu’ils nient mais non des nihilistes. Le négateur nie un objet donné, l’épicerie et ses prétentions par exemple, le nihiliste nie tout et toutes valeurs. C’est l’objet nié qui donne son sens à l’acte du négateur. Comme le dit si bien Nietzsche, le nihiliste tient pour valeurs cosmiques et métaphysiques ses besoins vulgaires. Chez le nihiliste se marient cynisme et naïveté, le cynisme se caractérisant par le mépris de toute valeur. Le cynique ne manque pas d’idéal, il va de déception en déception, c’est ce qui l’amène à mépriser toute valeur ; finalement, le cynique ne connaît qu’une seule valeur, lui-même (ainsi La Rochefoucauld, désabusé plutôt que cynique, théoricien de l’amour propre, Talleyrand ou Sacha Guitry mais aussi bien tout enculiste moderne, au talent près, évidemment. L’enculiste aussi va de déception en déception mais il n’est même pas capable de l’envisager. Le cynique se fait du mal — Stavroguine notamment —, l’enculiste — Piotr Stépanovitch notamment — se dorlote, enfin, il essaye). Chez Dostoïevski, les possédés sont le jouet du véritable cynique Stavroguine. Le cynisme fait défaut chez les quaïdiens, ils sont inspirés, et la naïveté y est présente au sens strict : il sont natifs d’un désert métaphorique où l’on est simple et fruste comme dans le vrai désert, ils sont bédouins. Ils vivent aussi bien dans les déserts d’Afghanistan que dans le désert du New Jersey, peuplé de gens bons bénis par Dieu ou dans les déserts pullulants de Londres et de Paris. Ils ont dépouillé toutes les subtilités de l’islam millénaire pour renouer mythiquement avec le temps où il était étranger et pur combat. Seule une foi aussi fruste et féroce que le wahhabisme pouvait répondre à la férocité du nihilisme manchestérien (il n’y a pas plus féroce qu’un épicier anglican pour qui le free trade, c’est Jésus-Christ), avec quel panache d’ailleurs. Ben Laden n’est pas Stavroguine et les dix-neuf fidèles avaient des âmes trempées, des nerfs d’acier, ils n’ont rien de commun avec les sinistres médiocres qu’étaient les fonctionnaires nazis, individuellement ce sont des hommes exceptionnels capable d’agir individuellement et seuls, des hommes du désert, sans commune mesure avec les êtres falots dépeints par Dostoïevski, slaves extravagants sans aucune rigueur, jouets d’un jouet (Piotr Stépanovitch). Ces anachorètes n’ont aucun besoin ce qui leur évite d’en avoir de vulgaires. Il faut aux quaïdiens, pour agir, un puissant motif. Donc ils ne sont pas cyniques, donc ils ne sont pas nihilistes. Les leftists américains disputent (chose impensable en France, pays de la voix de son maître et de la collaboration, pas en 1940 mais aujourd’hui, pas tout le monde mais seulement ceux qui causent dans le poste) de la responsabilité et de la culpabilité de l’Amérique dans cette attaque mais, à ma connaissance, ils ne disputent jamais du sens de cette attaque. Or, pour une fois, précisément, l’Amérique est confrontée non à une cause politique, comme au Viêt-Nam par exemple, mais à la religion, mais à la colère de Dieu, chose inouïe ; mais à la définition de ce qui est humain et de ce qui ne l’est pas, à une autre définition que la sienne, pour une fois

— il n’est d’humain que l’épicerie, bénie par Dieu comme il se doit et assortie de références obsessionnelles à des valeurs, violées, dans les faits, chaque jour que Dieu ne fait pas. Le pire avec l’épicerie, c’est qu’elle a des prétentions. Elle ne peut vendre sa camelote sans faire référence à chaque instant à Dieu et aux plus hautes valeurs. Quand Homais, Bouvard et Pécuchet sont aux commandes d’un pays aussi puissant que les États-Unis, ça fait rire, mais ça fait peur aussi. Cela dit, Homais, Bouvard et Pécuchet sévissent aussi en France, non seulement au gouvernement mais dans la presse, la radio et la télévision, le syndicalisme, la politique etc. mais cela fait seulement rire. Après tout, les Homais, les Bouvard et les Pécuchet sont une spécialité française, nous sommes donc bien servis. En plus, nous avons Bové ! Mais nous n’avons pas suffisamment de mégatonnes pour faire peur. —

Les pieux épiciers puritains rencontrent plus pieux qu’eux  ! A pieux, pieux ennemis. Malraux fut un prophète exact. Dès la première année de ce siècle, le discours signifié par les jeunes gens de Ben Laden affirme que si ce siècle veut avoir lieu, il devra être spirituel et que seul l’esprit peut assurer la sécurité des Américains et pas seulement des Américains, ce qui n’a rien à voir avec le roquefort. Ben Laden n’est ni un homme d’État, ni un homme politique, mais un fidèle d’une sincère dévotion et d’un mysticisme épuré (Roy). Après l’échec de l’islamisme politique, il tourne la page politique. C’est précisément cette absence de référence politique, la chariat, rien que la chariat, qui plut tant à la CIA. On connaît mieux aujourd’hui le projet religieux de Ben Laden, il est devenu mondial. La cause de cette attaque n’est pas une question territoriale, ni une question d’épicerie, mais un sacrilège et, à ce sacrilège, les Arabes fanatiques répondent par un sacrilège (l’assassinat aussi est un sacrilège). A sacrilège, sacrilège ennemi. « Une religion qui tolère les sacrilèges abdique tout empire sur les consciences » (Durkheim). Le leftist Hitchens demande au leftist Chomsky si l’Amérique a jamais commis un acte aussi horrible que cette attaque. Oui, elle a commis un sacrilège, et elle l’ignore évidemment (tandis qu’à My Lai et en tant d’autres endroits, elle le savait). Même Chomsky semble l’ignorer. L’Amérique, enfin ses dirigeants, croyaient avoir affaire à une banale trade enforcement war, ce qu’ils nomment généralement défense du monde libre. Ils ont à faire à une guerre de religion. L’Amérique est confrontée à la religion et à la foi et non au nihilisme justement parce qu’elle incarne le nihilisme, la pauvreté de vie telle qu’elle fut fustigée par Nietzsche, la vie réduite à l’épicerie. Malgré sa puissance phénoménale ou peut-être à cause de cette puissance, l’Amérique est le plus petit pays du monde, a pinheaded country, le pays des gens bons que Dieu bénit et des prix Nobel de physique (cela dit, l’Amérique n’a pas l’exclusivité de la pauvreté de vie, elle est seulement la première, comme partout ailleurs ; c’est la même chose en France, en pire sur certains points, mais avec des médailles Fields). C’est comme si toute l’intelligence de l’Amérique était mise de côté, sous prétexte que c’est trop fatigant. C’est le terrible désert de confiance des États-Unis et du reste du monde qui suscite et provoque le sursaut de la terrible confiance des déserts d’Arabie. J’attire au passage l’attention sur ce qui m’oppose aux leftists américains dans cette affaire. Ils dressent la liste des atrocités commises au cours du siècle dernier par leur pays au titre de sa politique étrangère. Je me fais un plaisir de reprendre au besoin cette litanie, comme on peut en juger ici ; mais selon moi le tort principal de l’Amérique est le tort qu’elle fait à elle-même, le tort qu’elle fait à ses propres prétendus citoyens (je peux dire la même chose de la France évidemment, mais ce petit pays n’intéresse plus personne et n’est pas une cible digne des Arabes. On ne devient pas français dans le monde, on devient américain y compris en France car parmi tous les épiciers, les États-Unis sont les premiers.) Selon moi, là est la cause de la vindicte des Arabes fanatiques : ils ne veulent pas, eux aussi, devenir des zombies. Ils préfèrent encore mourir. Si c’est ça être américain, alors plutôt crever, et, comme ils l’ont prouvé, il ne s’agit pas d’une figure de rhétorique. Si les Américains étaient chez eux un magnifique exemple d’humanité, ainsi que semble le croire leur président, alors qu’ils ne sont que des épiciers, des « maximisateurs rationnels » et, pour le reste, des prostitués, les Arabes ne les bombarderaient pas, ils s’empresseraient de devenir américains (pour l’instant, des crève-la-faim rêvent de devenir américains, mais ce n’est pas l’esprit, la haute moralité, la haute civilisation des américains qu’ils envient mais leur obésité. Un Maigre chez les gras, Breughel, il me semble, et l’inverse, Un Gras chez les maigres, en Arabie.) D’ailleurs, à ce titre, ils pourraient aussi bien bombarder les Français ou les Anglais et même... les Chinois. Mais les États-Unis sont le pays capital du monde de l’infidélité, c’est-à-dire du monde de l’épicerie, comme l’indique obligeamment Ben Laden. De toute façon ces deux points de vue sont liés car un pays qui en opprime d’autres ne peut être un pays libre et si l’Amérique était ce magnifique exemple d’humanité vanté par le président Bush, la litanie de ses forfaits ne pourrait pas exister. Pas de fumée sans feu dirait Sitting Bull. Les États-Unis sont un pays occupé comme un autre, occupé par les épiciers et par l’épicerie comme la plupart des autres pays. C’est bien connu, pour les épiciers, il n’y a que l’épicerie qui vaille, ce que nous exposait Flaubert et si vous n’aimez pas l’épicerie, c’est que vous êtes fou ou criminel. Pour les Arabes, ce n’est pas le cas et ils le prouvent. Roy se trompe, Ben Laden n’a pas échoué

— qui, d’ailleurs, peut se vanter de connaître les buts poursuivis par Ben Laden, ce qui est nécessaire pour affirmer qu’il a échoué selon ces buts. Pour ma part, je m’en tiens à ses déclarations et au sens que prend son opération indépendamment de ses buts inconnus. Après la bataille, peu importent les buts, seul compte le résultat : la foi a bombardé New York, la foi a bombardé Sodome, la foi a bombardé l’épicerie, quels que soient par ailleurs les buts de Ben Laden. La raison d’être n’est pas dans le commencement, elle n’est pas non plus le but, la raison d’être est un résultat, Heil Hegel ! (résumons Hegel en une phrase : ce qui existe n’est pas nécessaire, il le devient. Est-ce assez simple ?) Peu m’importe de savoir pourquoi cela est arrivé, mais seul m’importe le sens de ce qui est arrivé. Le sens est un résultat. —

Sa réussite est philosophique, elle porte sur le sens du monde et de la vie, choses qui ne sont plus débattues nulle part dans le monde aujourd’hui puisque l’épicerie a triomphé partout et... pour toujours selon ses thuriféraires gagés. Les religions furent la seule manière que les hommes ont trouvée, jusqu’à présent, pour traiter théoriquement des être collectifs (c’est d’ailleurs une thèse de Durkheim), nécessairement transcendants, c’est-à-dire de traiter théoriquement d’eux-mêmes (notons au passage qu’un des prédicats de la divinité a échappé à la sagacité de Feuerbach : la transcendance. Même ce prédicat est humain puisque les choses collectives, caractéristiques de l’humanité et d’elle seule, sont transcendantes et... invisibles, l’invisibilité, autre prédicat humain non considéré par Feuerbach. On ne peut que constater leurs effets. Faire de Dieu un être transcendant est donc un effet d’extra lucidité, de poésie et non d’obscurantisme, comme peuvent le prétendre tous les petits Jules-Ferry qui, du monde, ne connaissent que l’épicerie natale.) Ces Arabes sont aujourd’hui les seuls qui traitent théoriquement de cette question, question sur laquelle Marx a totalement échoué. Dans sa leçon, le milliardaire philosophe expose avec clarté, par l’exemple, la différence entre une vie de pauvreté et la pauvreté de vie. Je peux affirmer avec certitude que cette réussite philosophique n’a jamais été envisagée par Ben Laden qui est, non le médecin, mais le philosophe malgré lui. Là où triomphe l’épicerie, seuls les bavards intarissables Homais, Bouvard, Pécuchet et Adler (ce dernier, véritable moulin à paroles, bla bla bla bla , bla bla bla bli, tous sujets, tous terrains. Il connaît les pensées les plus secrètes de Ben Laden ! On ouvre le robinet, l’eau tiède coule. C’est le confort moderne) peuvent s’exprimer et grimper sur la table. On les entend tous les jours, jacasser, de façon ininterrompue, dans le poste de TSF. Peut-être BL sans H n’a-t-il pas réussi ce qu’il escomptait mais sa proclamation « Il n’y a pas que l’épicerie qui vaille et je le prouve » demeure. Elle n’est pas seulement valable, du moins je l’espère, pour les seuls Arabes ni pour les seuls musulmans. Enfin, si Ben Laden et les dix-neuf fidèles ne le disent pas, qui l’a dit, qui le dira ? Roselyne Bachelot (le trou du cul Ruquier s’est lui aussi excusé, quelle engeance) ? Que nous dit le philosophe malgré lui ? « La vie n’est qu’un second rêve » autrement dit, le rêve prime la vie. L’épicier dit : « Pour rêver, il faut avoir la vie » (qu’est-ce qu’un épicier connaît du rêve et donc de la vie ?), Ben Laden réplique « Qu’importe la vie pourvu qu’on ait le rêve » et le prouve. Seuls, aujourd’hui, les quaïdiens sont capables de nier théoriquement l’épicerie de façon audible

— théoriquement parce qu’il s’agit seulement d’une démonstration. Il suffit d’ailleurs de reprendre les paroles du philosophe : ses jeunes gens n’ont fait que signifier un discours, ce qui est le propre de la philosophie. Il n’était pas question, pour Ben Laden, d’envahir ou de détruire l’Amérique. Quand les extrémistes chiites font sauter une caserne de marines au Liban, les Américains se retirent sans coup férir. Ils se retirent également au premier sang en Somalie. Mais là, décemment, ils ne pouvaient se retirer des États-Unis, l’armée américaine ne pouvait pas, décemment, évacuer les États-Unis à la première sommation, pour aller où d’ailleurs ? En Palestine, avec Jérusalem pour capitale ? Mais la Palestine est un pays déjà « surpeuplé », il y a encore des Indiens vivants là-bas — ;

ils ne sont pas les seuls à nier l’épicerie, je le souhaite, mais ils sont les seuls qui ont réussi à se faire entendre. Dans ce monde de la séparation et du silence bavard, le tout est de se faire entendre, sinon comprendre (les soixante gens bons ont parfaitement compris, mieux que personne, à quoi s’attaquaient les Arabes fanatiques), et, sur ce point, ces Arabes ont parfaitement réussi avec une très grande économie de moyens : non seulement ils se sont fait entendre, mais encore entendre du monde entier. Attaquer New York, c’est attaquer le monde. Donc pour attaquer le monde il suffisait d’attaquer New York. C’est fait. C’est une lueur d’espoir que ces hommes parviennent à se faire entendre malgré l’organisation systématique du mutisme — enfin des non-épiciers, des non-épiciers-révoltés et des non-zélateurs gagés ou bénévoles de l’épicerie parviennent à se faire entendre —, ce qui mérite bien un coup de champagne ; mais le fait que pour y parvenir il faille de tels hommes qui recourent à de tels moyens est un indice de l’état de mutisme du monde. Aux grands maux, les grands remèdes, n’est-ce pas ? A qui la faute, je vous le demande encore ? Peut-être faudrait-il fusiller d’abord tous les professionnels du mutisme qui causent dans le poste, de ce débit accéléré, sans même reprendre haleine, tant ils ont de hâte à nous imposer leur « ignorance bien informée » (Davies et Sardar), tant ils ont de non-choses à nous dire

— quand c’est Houellebecq qui cause dans le poste, c’est autre chose. Il trouve le mot juste. Quelle économie de moyens ! Qu’a-t-il invoqué pour sa défense dans le procès à lui intenté par des associations musulmanes ? Il ne connaît rien au monothéisme, il change souvent d’avis ; mais il place les points-virgules mieux que personne. Le tribunal ne put que s’incliner devant un tel argument — ;

alors il ne serait peut-être plus nécessaire de parler si fort lorsqu’on a quelque chose à dire ! Ces professionnels du mutisme, qui se disent tous américains, ont leur part de responsabilité dans l’attaque de New York puisqu’ils ont plus que leur part dans l’organisation du mutisme. Les Arabes fanatiques ont parfaitement assimilé la pratique américaine du bombogramme, du bombardement en tant que communiqué de presse (Pourquoi le monde déteste-t-il l’Amérique, Davies et Sardar, Fayard, 2002), au point qu’ils l’améliorent en le transformant en manifeste philosophique. A bombogramme, bombogramme ennemi (même les Chinois peuvent lire). Fini de rire, la philosophie est redevenue une chose sérieuse. La discussion sur l’existence de Dieu, c’est-à-dire sur le sens du monde, a repris, un peu brutalement il est vrai. Les élèves surpassent les maîtres. Ils proclament : non, l’épicerie n’est pas l’état ultime du monde ; non, la reconnaissance n’a pas eu lieu malgré le complet rose de M. Fukuyama ; oui, la discussion continue ; oui, il faut discuter tout ce qui est discutable. C’est aussi une réussite esthétique, comme l’a très bien relevé Stockhausen (même Meddeb, le bon Arabe intégré, en convient), c’est à dire manifestation de l’universel dans l’extrême singularité, frapper un monde en frappant un seul point. Dans l’espace des phases, l’évolution d’un seul point décrit l’évolution d’un système dans son entier. Flaubert conte des atrocités (« des choses atroces de misère et de fétidité ») dans un style impeccable de précision (« une déviation d’une ligne peut complètement m’écarter du but, me le faire rater tout à fait »), les Arabes fanatiques accomplissent des atrocités dans un style impeccable de précision, sans dévier d’une ligne. Flaubert et ces Arabes traitent du même monde sans espoir (traiter « à la fois proprement et simplement des choses vulgaires ! c’est atroce. »). La beauté est dans le style (et le danger dans le stylet. Dans la même lettre à Louise Colet, 23 janvier 1854, Flaubert dit : « Bédouin, tant qu’il vous plaira ; citoyen, jamais (...) Ah ! ah ! ») et non dans l’objet du récit ou dans le crime (« Je suis convaincu d’ailleurs que tout est affaire de style »). Selon Flaubert, Madame Bovary est un livre qui n’est composé que de style. Il l’écrivit par haine de cette ignoble réalité dont la reproduction le dégoûtait (« On me croit épris de réel, tandis que je l’exècre. C’est en haine du réalisme que j’ai entrepris ce roman »). C’est en haine de l’utilitarisme que les Arabes ont bombardé New York. Aujourd’hui, les vrais artistes n’y vont pas de main morte. Puisque, selon l’heureuse formule de Durkheim, l’utilitarisme n’est pas une théorie de cabinet mais est passé dans les faits, c’est dans les faits également qu’il faut le récuser. Le roman ne suffit plus. Il n’a jamais suffit d’ailleurs. Il ne s’agit plus de reproduire la dégoûtante réalité, il s’agit de l’anéantir.

— Je suppose qu’André Breton aurait apprécié ce chef-d’œuvre d’humour noir des membres d’un des équipages mortifères qui, la veille du drame, s’enivrent dans un bar de Jersey City, font du tapage, du scandale, refusent de payer leurs consommations, puis s’écrient : « On s’en fout, on a plein d’argent, nous sommes pilotes chez American Airlines. » —

Cette stupéfiante désinstallation, cette formidable performance, tire un trait sur toute la canaille artistique qui grouille (et qui parle, qui parle, qui parle dans le poste), depuis presque un siècle, sur le cadavre de dada, cadavre qui empeste encore plus que ceux de ground zero. Voilà deux tours que l’ordure Christo ne pourra emballer. Ben Laden laissera plus de traces à New York, et dans le monde, que n’en laissa Duchamp. Il prouve qu’il était encore possible d’aller plus loin dans l’art de la pourriture et des pourris que ne le pensaient les pourris eux-mêmes. Ce qui pourrit incite au dépassement. Cette fois, comme promis sur l’affiche, l’artiste se suicide sur scène. Le public en a pour son argent. De quoi se plaint-il ?

— Le maire de Youpiville, provocateur nihiliste (il tient ses besoins vulgaires pour des questions cosmiques et métaphysiques, et, surtout, il prétend nous en faire profiter), grand prêtre des fêtes sinistres, c’est-à-dire de gauche, est toujours à la recherche « du vrai plaisir », ce qui n’est pas sans risques. Le provocateur vient d’encaisser le salaire de sa provocation : ennui, frivolité et tapage nocturne... il ne faut pas réveiller le chourineur qui dort. L’arme de la critique ne saurait remplacer la critique des armes, n’est-ce pas ? —

Aujourd’hui les nihilistes pride font du patin à roulettes tandis que les fanatiques modestes apprennent à piloter des avions. Nihilisme : négation de toute valeur, doctrine niant qu’il existe un quelconque absolu, et pouvant amener à dénier tout fondement aux valeurs morales, tout sens à l’existence. Dénier tout sens à l’existence ! Mais ce n’est pas seulement une doctrine, c’est ce monde même, qui, non content de dénier tout sens à l’existence, utilise les valeurs morales pour atteindre ses buts immoraux comme le soulignait déjà Engels. Ce monde commercial est le nihilisme réalisé, le devenir monde du nihilisme, la généralisation du nihilisme commercial, c’est-à-dire la généralisation de la pauvreté de vie, au monde entier. Et un croyant fanatique est tout sauf nihiliste. Au contraire, il n’a de cesse d’annihiler le nihilisme, d’annihiler ce qui dénie tout sens à l’existence, d’annihiler ce qui utilise les valeurs morales à des fins immorales, qui invoque le nom de Dieu, de la démocratie et de la liberté pour faire du pognon. Les Arabes fanatiques répliquent à ce crime permanent contre l’esprit en assassinant indistinctement, au nom de leur Dieu vengeur et vindicatif, une masse de libres prostitués impies. Ils ne veulent pas devenir américains, ils ne veulent pas faire du patin à roulettes, ils ne veulent pas aller à Paris plage (Youpi plage, en fait. Il n’y a pas d’innocents à Youpi plage. Youpiville est la capitale mondiale du patin à roulette et de la pédérastie revendicative) sinon en avion, ils ne veulent pas profiter des bienfaits de la civilisation du gros bourgeois Revel. Quels trouble-fête ! Non, les Arabes ne veulent pas de coaches. Anecdote : Maxime du Camp veut dire à Flaubert tout le bien qu’il pense d’un poème de Bouilhet. « Oh ! je voudrais pouvoir me le foutre dans le cul ! » Non, les Arabes ne veulent pas de coaches.

[ Les Arabes préfèrent se tourner vers le moyen âge comme le notait Castoriadis il y a dix ans déjà. Il disait que, puisque dans l’Occident avait disparu, pour l’instant, tout aspect émancipateur, les Arabes ne risquaient pas de s’émanciper, mais préféreraient se tourner vers le moyen âge, comme les romantiques en Europe dans une autre époque, et pour les mêmes raisons. Il faut entendre le gros bourgeois émancipateur Revel reprocher aux Arabes de ne pas être capables de s’émanciper. Le gros con. Comment la généralisation mondiale de l’idiotie, terme de Castoriadis, pourrait-elle tenter le moindre bédouin ? Les Arabes n’ont pas envie de devenir des cons, des Youpis. Ils valent mieux que ça. Le bon Youpi est le Youpi mort. Les bédouins ne veulent pas de ce désert là, ils préfèrent le leur. Comment ne pas leur donner raison ? ]

La véritable religion civile des États-Unis, c’est le commerce et rien que le commerce qu’il ne faut pas confondre avec la démocratie dont il est la négation hypocrite mais, heureusement, de plus en plus manifeste. Les fameuses valeurs, non pas invoquées mais effectives, des bourgeois sont connues : faire du fric et du cholestérol (double bénéfice pour l’apothicaire Homais), le reste n’est qu’hypocrisie et propagande. Sacrés Buddenbrook. Enfin, je suis redevable à Ben Laden parce qu’il me permet de dire, comme vous pouvez le constater, tout le bien que je pense de la merveilleuse civilisation de MM. Bush et Combinani mais aussi de leurs amis épiciers révoltés de Porto Alegre. Aide-toi et Ben Laden t’aidera. Merci encore pour ce coup de main, BL sans H.

Résumé, à nouveau : au milieu de toutes ces louanges, au milieu de toutes ces auto-célébrations, au milieu de toutes ces apologies, au milieu de toutes ces galéjades, au milieu de toutes ces pantalonnades, au milieu de toutes ces congratulations, au milieu de tout ces Pompidou des sous, au milieu de toutes ces autosatisfactions, au milieu de toutes ces certitudes, au milieu de tous ces taratata, au milieu de tant de déclarations à la télévision, au milieu de tant de charity business, au milieu de tant d’antimondialisation business, au milieu de toute cette propagande apologético-critique, soudain, l’été dernier, ce monde, pas seulement l’Amérique, fut déclaré mauvais, avec de tels moyens et de telle façon que personne ne pût même faire semblant de l’ignorer. Ben Laden et Omar en fuite (selon Gilles Kepel (Jihad), Omar s’est enfui au volant d’une moto, objet surréaliste ! lapsus qui provient sans doute de l’attraction des expressions tapis volant, carpet bombing et cadavre exquis.), ce monde va retrouver son obscurantisme paisible. Le bétail citoyen va pouvoir de nouveau paître en paix. Bush est l’obscurantisme personnifié, le gardien suprême et le protecteur de l’obscurantisme et même de l’obscurité (vous saisissez la nuance ?) et les gauchistes de Porto Alegre s’apprêtent à manger le grain transgénique dans sa main (de la pseudo rébellion à la vraie collaboration, ils n’auront dansé qu’un seul été. Merci encore BL sans H, les choses se clarifient. Chacun rejoint son vrai camp. Courrier international du 17 janvier 2002 : sur les ondes d’une radio suédoise, Susan George présente ses excuses — c’est une habitude parmi cette engeance. D’ailleurs, ça y est (22-09-2002), le gros con moustachu Bové a lui aussi présenté des excuses pour avoir tenu des propos pro-palestiniens — et remercie G. Bush pour son action énergique en Afghanistan. Comme ils vont vite en besogne ces épiciers révoltés !) Selon Olivier Roy, l’erreur de Ben Laden serait d’avoir accompli un acte inacceptable, même pour les musulmans (le Monde 14 septembre 2001). Nous étouffons sous les actes acceptables. Au contraire, seuls comptent les actes inacceptables. Sinon, c’est cause à mon cul ma tête est malade. Il y a des gens qui ne comprennent que la force, surtout ceux qui ont pour habitude de l’employer en priorité, comme les États-Unis depuis deux siècles. Les mythes nous apprennent que les actes fondateurs furent des actes inacceptables à tel point qu’on s’en souvient encore aujourd’hui. On tue son père, on baise sa mère, on se crève les yeux etc...Voici le temps des héros revenu. A bas l’épicerie ! Le héros de l’épopée est incompréhensible pour les habitants de la cité et surtout sa démesure constitue un danger pour la cité, en effet. A démesure, démesure ennemie ! La force de cet acte et la réussite de Ben Laden résident dans son inacceptabilité dans un monde de l’acceptation généralisée. Seul un acte indiscutablement mauvais peut stigmatiser un monde mauvais et parce que c’est ce monde mauvais qui l’a produit, non seulement au sens général évoqué plus haut, mais particulièrement : ces hommes fanatiques et intrépides, durs à la peine, de vrais bédouins, ont été recrutés, financés, entraînés et armés, sur la base de leur fanatisme et de leur détermination, par la cynique et perspicace CIA qui agissait ainsi comme elle avait pour habitude de le faire partout dans le monde. Ce fut une fois de trop(10). Retour à l’envoyeur, adresse inconnue. Ah ! ah ! vieux Lénine, ils n’ont pas fourni la corde mais la dynamite. Les petits génies de la CIA ne pouvaient pas imaginer un seul instant que ces sauvages désertiques, tout occupés à enculer leurs dromadaires, étaient doués de libre arbitre, d’esprit stratégique et, encore mieux, d’une certaine imprévisibilité que l’on nomme habituellement liberté ou création et que, plutôt que les habituels proconsuls corrompus, c’étaient des hommes intègres comme fut Cicéron dans sa province. Une fois n’est pas coutume. Comble de malheur, ils sont tous diplômés et ont un fervent idéal. Ces hommes ont d’abord déclaré mauvais le monde russe, puis sur leur lancée, ils ont déclaré mauvais le monde anglo-saxon. Mendiants ingrats. Qui d’autres qu’eux pouvait le faire aujourd’hui avec tant de force ? Parmi tant d’actes discutables, hypocritement et sournoisement mauvais, qui s’affublent des oripeaux de la morale, en voici un enfin indiscutablement mauvais qui s’exerce à visage découvert. Ce monde odieux de l’acceptation et du real bonheur ne peut être stigmatisé que par un acte inacceptable. Seul un tel acte peut désigner la plaie de ce monde. Seule la foi, quelle qu’elle soit, peut désigner le nihilisme. Seule la foi est qualifiée pour cette tâche. Si la pilule est amère, à qui la faute ?

Conclusion. Le soir du 11 septembre, j’ai pensé : le monde est attaqué et non l’Amérique est attaquée. Voilà pourquoi, ce 11 septembre au soir, j’ai débouché le champagne (c’est la seule chose que j’apprécie dans l’épicerie). Cela je le savais dès le 11 septembre. Cependant ça n’a pas été facile de le dire, c’est-à-dire de le savoir effectivement. Il y a loin de la coupe au lèvres. Il y a loin du sentiment à l’idée. C’est pourquoi je dis : bien que tout ce qui est dit ne soit pas idée (loin de là hélas), seul est idée ce qui peut être dit ; et, bien que tout ce qui est dit ne soit pas savoir, seul est su ce qui peut être dit.

Che vuoi ? demande l’inquiétant chameau du Diable amoureux (Cazotte, 1772). Levez-vous vite, orages désirés !

Salam aleikum.

 

J.-P. Voyer
perso.wanadoo.fr/leuven

 

Notes
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1. Le bonjour du Dr Mossadegh
  •  www.angelfire.com/home/iran/1953cp.html
    www.nytimes.com/library/world/mideast/041600iran-cia-index.html
2. Marx. Discours sur le libre échange
  •  perso.wanadoo.fr/leuven /disco01.htm
  
  sep.free.fr/marx/txt/1848libreechange.htm
3. Arendt. Signification de la philosophie de Hobbes
  •  perso.wanadoo.fr/denis.collin/de_hobbes.htm
4. Luxembourg. Cours d’économie politique
  •  www.marxists.org/archive/noneng/francais/luxembur/intro_ecopo/intro_ecopo_11.htm
5. Les soixante gens bons. Lettre d’Amérique
 
 •  Lettre d’Amérique.htm
    Réponse de cent vingt-huit intellectuels américains
  •  www.lemonde.fr/article/0,5987,3232--270076-,00.html
6. Département d’État US
  •  usinfo.state.gov/francais/terrornet/03.htm
7. Arno. Le premier amendement de la constitution américaine
  •  www.uzine.net/article48.html
8. Fouchereau. Les sectes, cheval de Troie des États-Unis en Europe
  •  www.monde-diplomatique.fr/2001/05/FOUCHEREAU/15215.html
9. Emeriau, Motoyasu. Qu’est-ce que l’acier damas ?
  •  acier.damas.free.fr/f_damas/quest.htm
10. Olivier Roy. Une fois de trop
  •  www.monde-diplomatique.fr/1998/10/ROY/11134
11. Jacques Julliard. Merci Ben Laden
  •  julliard.htm
12. Pierre Dockès. La Convention d’obéissance
  •  csf.colorado.edu/jwsr/archive/vol6/number3/pdf/jwsr-v6n3-dockes.pdf
 •  www.cndp.fr/RevueDEES/notelecture/200106-15.htm
13. Emile Durkheim. Oeuvre
  •  http://www.uqac.uquebec.ca/zone30/Classiques_des_sciences_sociales/livres/Durkheim_emile/durkheim.html

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Mahomet a fait descendre du ciel, et a placé dans le Coran, non seulement des doctrines religieuses, mais des maximes politiques, des lois civiles et criminelles, des théories scientifiques. L’Évangile ne parle, au contraire, que des rapports généraux des hommes avec Dieu et entre eux. Hors de là, il n’enseigne rien et n’oblige à rien croire. Cela seul, entre mille autres raisons, suffit pour montrer que la première de ces deux religions ne saurait dominer longtemps dans des temps de lumières et de démocratie, tandis que la seconde est destinée à régner dans ces siècles comme dans tous les autres.

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Une religion qui deviendrait plus minutieuse, plus inflexible et plus chargée de petites observances dans le même temps que les hommes deviennent plus égaux, se verrait bientôt réduite à une troupe de zélateurs passionnés au milieu d’une multitude incrédule.

Tocqueville. De la démocratie en Amérique (1840)

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Là pourtant n’est pas l’essentiel de la religion. Celle-ci est, avant tout, de l’ordre de l’action. Les croyances ne sont pas essentiellement des connaissances dont s’enrichit notre esprit : leur principale fonction est de susciter des actes.

Durkheim. Le problème religieux et la dualité de la nature humaine (1913)

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S’ils se plient volontiers à la condition d’esclaves, les Américains s’obstinent toujours à refuser celle de paysans.

Fitzgerald. Gatsby

AVIS

J’ai illustré cet article en guise de réponse aux élucubrations de Dantec dans son American Black Box, pages 185-188. Quant au champagne, je suis petit-fils d’épicier et mon père est mort le verre à la main à quatre-vingt treize ans et, quant à l’École de la rue d’Ulm, je n’en suis pas un ancien pensionnaire mais plutôt un ancien pensionnaire de la maison d’arrêt de Caen. On peut voir le bureau sur lequel j’ai écrit ma Diatribe et le lieu où j’ai bu le champagne, face aux tilleuls. Celui de droite a deux-cent cinquante ans.

To you ! To you ! my noble linden trees

Découverte à peu près simultanée, et pour des raisons de causalité étranges qu’il faudra que j’explicite un jour, des écrits de Jean-Pierre Voyer et d’un collectif dénommé Téléologie, dont la proto-histoire se constitua, à ce que je sais, il y a une douzaine d’années sous la forme de la Bibliothèque des Émeutes, et qui a publié coup sur coup plusieurs ouvrages dont La Naissance d’une Idée, rapportée il y a peu de France.

Voyer m’avait déjà fait parvenir, environ un an après le 11 septembre 2001, une plaquette publiée aux Éditions Anonymes sous le titre : Diatribe d’un fanatique. Je ne le connaissais absolument pas à cette époque, et je dois dire que son opuscule me fit bien rire : du Marc-Édouard Nabe, mais avec la prétention de l’universitaire philosophard en prime, et sans le talent de l’invective ni de la formule, à tel point qu’à plusieurs reprises il se voit obligé de citer l’auteur d’Une lueur d’espoir pour appuyer ses élucubrations dignes d’un Thierry Meyssan qui se serait tapé la rue d’Ulm. Une sorte de Debord mâtiné de Luther ou de Savonarole pérorant sur la destruction du nihilisme par Ben Laden et ses merdaillons de la Légion arabe. Seigneur, seul un ancien situ pouvait tomber si bas ! Imaginons un mauvais sous-produit dérivé de Julius Evola en overdose de méta-amphétamine idéologique, trépignant de joie dans son appartement d’étudiant attardé et ouvrant une bouteille de champagne en provenance de la grande surface discount la plus proche (on n’imagine que très difficile­ment Voyer établir une différence entre un Mercier et un Cristal Roederer), devant le spectacle — ô combien jouissif pour tous ces petits protestants impuissants dont les « artistes allemands » forment l’avant-garde intellectuelle depuis longtemps — des attentats commis contre les tours du World Trade Center.

Ce n’est pas la première fois que des néobourgeois contestataires nous font le coup du radicalisme politique. Les fanatiques calvinistes — sur lesquels Voyer tape à bras raccourcis, histoire de se dédouaner à l’avance — ont TOUJOURS été des ALLIÉS objectifs du mahométisme. Déjà Luther s’était plaint ouvertement de l’appui donné par les princes protestants à l’Autriche-Hongrie catholique dans sa lutte contre les Turcs, d’autres prêcheurs réformés suivront ses pas. Plus tard, les utilitaristes anglais (que Voyer hait trop ouvertement pour ne pas leur ressembler) puis surtout cette sinistre catin de Voltaire, et les autres « Lumières » de l’époque, reprirent cette idée à leur compte, en vieux anti-catholiques qu’ils étaient tous, et firent en Occident la promotion de la religion musulmane, plus en accord selon eux avec les « idées de tolérance de la démocratie » que l’horrible modèle monarchique que continuait alors de représenter la Sainte Église apostolique et romaine.

Car l’Islam partage cette hérésie de la « foi individuelle » et de l’ami-économie divine avec la Réforme. Mais la Réforme, en dépit de ses erreurs, de ses errements, de ses mauvais calculs d’épicier, reste indéfectiblement liée aux Évangiles et à l’Ancien Testament.

Et relisant le Coran encore une fois, je trouve très peu, et en fait pratiquement aucune référence à ces deux Livres fondamentaux du monothéisme. Or, l’Islam se prétend pourtant la continuité de la foi d’Abraham. Une continuité telle que son premier acte fut d’édifier une mosquée sur l’ancien emplacement du Temple puis, plus tard, d’interdire l’accès aux lieux saints de la chrétienté (Nazareth, Bethléem, Jérusalem) aux foules de pèlerins qui depuis des siècles venaient s’y recueillir. C’est d’ailleurs à plus ou moins long terme ce qui adviendra, lorsque la Cisjordanie, l’ancien Israël biblique, aura été, par la confédération des forces nihilistes, travestie en « État palestinien », et qu’un jour des fanatiques islamistes purs et durs y prendront le pouvoir, sous une forme ou sous une autre.

Prions juste pour que Jérusalem soit épargnée et reste, en attendant qu’elle redevienne Capitale du Monde, sous la protection de l’État juif.

L’Islam est une « continuité qui fait rupture », alors que la « scission » chrétienne scelle une Nouvelle Alliance, y compris AVEC l’Ancienne. Le prophète Mahomet est le seul prophète de ce rameau religieux à avoir prophétisé un sabre à la main, en coupant des têtes, sa succession serait florissante, jusqu’à Saint-Just, Robes­pierre, Lénine, Pol Pot. Si l’on observe la France, la Russie, l’ex-Indochine et le monde arabe d’aujourd’hui, on ne peut qu’adopter une posture de révérence absolue envers ces idéaux et les bienfaits qu’ils ont apportés à leurs peuples !

Aussi, reprendre, comme Voyer le fait ingénument, la définition du Larousse républicain au terme « Islam », qui le présente comme un syncrétisme « inspiré du christianisme et du judaïsme » n’a de cesse, chaque fois que j’y repense, de provoquer chez moi un fou rire inextinguible.

Voyer, ouvrez donc, je vous prie, les livres sacrés des religions monothéistes — une fois au moins dans votre vie d’universitaire néo-hégélien —, essayez d’y comprendre quelque chose puis, à défaut de votre conversion, nous nous satisferons de votre silence.

Un dernier mot : Voyer a quand même l’air d’une autre trempe que les pseudo-critiques post situationnistes dont j’ai eu connaissance, ces dernières années (je ne parle évidemment pas des raclures de bidet de la presse aux ordres). On ne doit jamais sous-estimer une haute intelligence dévoyée. Au contraire.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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