Traduction Gauthier-Jolif →  

 

Traduction Ross →  

 

Traduction Taïeb →  

 

Traduction anonyme annotée →  

 

Traduction Bodéüs →  

 

Édition complète, format .DOC, académie de Montpellier →  

 

Un exemple d’erreur sur le terme « équivalence »

Un peu de musique. Le wahhabisme n’est pas ce que l’on croit. Paroles en français

 

Une propriété de la langue, néfaste pour la fiabilité de l'action de penser, est sa propension à créer des noms propres auxquels nul objet ne correspond. (…) Ainsi, une grande part du travail du philosophe consiste — ou devrait du moins consister —  en un combat avec la langue.

Frege. Écrits posthumes

 

Égal : isos

Valeur (prix d’une chose) : timé

Valeur (courage) : andreia (est-ce à dire mâlitude ?)

Anti : égal à ; s’échange avec (ce qui ouvre la porte à toutes le confusions)

 

Éthique à Nicomaque

Livre V

Traduction Tricot

6

<La justice distributive, médiété proportionnelle.>

 

[1131 a 9] Et puisque, â la fois, l’homme injuste est celui qui manque à l’égalité et que l’injuste est inégal, il est clair qu’il existe aussi quelque moyen entre ces deux sortes d’inégal. Or ce moyen est l’égal, car en toute espèce d’action admettant le plus et le moins il y a aussi l’égal. Si donc l’injuste est inégal, le juste est égal, et c’est là, sans autre raisonnement, une opi­nion unanime. Et puisque l’égal est moyen, le juste sera un certain moyen. Or l’égal suppose au moins deux termes. Il s’ensuit nécessairement, non seulement [15] que le juste est à la fois moyen, égal, et aussi relatif, c’est-à-dire juste pour certaines personnes, mais aussi qu’en tant que moyen, il est entre certains extrêmes (qui sont le plus et le moins), qu’en tant qu’égal, il suppose deux choses <qui sont égales>, et qu’en tant que juste, il suppose certaines personnes <pour lesquelles il est juste> . Le juste implique donc nécessairement au moins quatre termes : les personnes pour lesquelles il se trouve en fait juste, et qui sont deux, et les choses dans lesquelles il se manifeste, au nombre de deux également. Et ce sera la même égalité pour les personnes et pour [20] les choses ♦♦♦ : car le rapport [Ross parle de relation] qui existe entre ces dernières, à savoir les choses à partager, est aussi celui qui existe entre les personnes ♦♦. Si, en effet, les personnes ne sont pas égales, elles n’auront pas des parts égales ; mais les contestations et les plaintes naissent quand, étant égales, les personnes possèdent ou se voient attribuer des parts non égales, ou quand, les personnes n’étant pas égales, leurs parts sont égales. On peut encore montrer celas en s’appuyant sur le fait qu’on tient compte de la valeur propre des personnes. Tous les hommes reconnaissent, en [25] effet, que la justice dans la distribution doit se baser sur un mérite de quelque sorte, bien que tous ne désignent pas le même mérite, les démocrates le faisant consister dans une condition libre, les parti­sans de l’oligarchie, soit dans la richesse, soit dans la noblesse de race, et les défenseurs de l’aristocratie dans la vertu.

♦ Grâce aux interpolations entre crochet, le problème est clairement posé : le juste en tant qu’égal suppose deux choses qui sont égales et en tant que juste il suppose deux personnes qui l’admettent comme juste. Il est donc contradictoire que quelques lignes plus bas Aristote soutienne que le rapport entre les deux choses est le même que le rapport entre les deux personnes. Comment une égalité entre deux choses peut-il être le même rapport que l’accord de deux personnes sur ce qui est juste ?

♦♦ En supposant qu’Aristote ait vraiment écrit cela, il dit une chose extraordinaire à l’insu de son plein gré : effectivement, dans ce cas, le rapport qui existe entre les choses et le rapport qui existe entre les personne est le même rapport. En effet, ce rapport est… l’échange. C’est le seul rapport qui ait lieu entre les personnes et entre les choses dans le cas qui nous occupe. Il n’y a ni égalité, ni proportion (qui est l’égalité de deux rapports), ni équation, ni mesure (hormis la mesure du boudin et la mesure de l’or), ni rien d’autre. Le seul rapport qui ait lieu est l’échange. Point final. Je mets ma main au feu (ordalie) qu’Aristote, dans le cas où il aurait écrit exactement cela, n’avait aucunement l’idée que je viens d’exposer. Et s’il l’avait, c’est un malheur que depuis plus de deux mille ans personne n’ait compris ce qu’Aristote avait effectivement écrit et pensé. C’est exactement comme pour « le phénomène comme phénomène est le supra sensible » de Hegel.

♦♦♦ Mais ils est parfaitement absurde de prétendre qu’il s’agit de la même égalité pour les personnes que pour les choses, parce que l’égalité des personnes est l’égalité de statuts et l’égalité entre les choses est l’égalité de leurs… prix. Dans le premier cas, il s’agit de statuts, dans le second il s’agit de nombres. L’égalité de statuts n’est pas la même égalité que l’égalité de nombres et enfin, les statuts des personnes dans l’exemple d’Aristote ne sont pas égaux, ils sont différents. C’est une cascade d’absurdités, une cascade d’erreurs : ce n’est pas les choses qui sont égales, c’est leur prix et de ce fait

Le juste est, par suite, une sorte de proportion (car la proportion n’est pas seulement une propriété d’un [30] nombre formé d’unités abstraites, mais de tout nombre en général), la proportion étant une égalité de rapports et supposant quatre termes au moins. — Que la proportion discontinue implique quatre termes, cela est évident, mais il en est de même aussi pour la proportion continue, puisqu’elle emploie un seul terme comme s’il y en avait deux et qu’elle le men­tionne deux fois : par exemple, ce que la ligne A est [1131 b] à la ligne B, la ligne B l’est à la ligne Γ ; la ligne B est donc mentionnée deux fois, de sorte que si l’on pose B deux fois, il y aura quatre termes proportionnels. — Et le juste, donc, implique quatre termes au moins, et le rapport <entre la première paire de termes> est le même <que celui qui existe entre la seconde paire>, car la division s’effectue d’une manière semblable entre les personnes et les choses . Ce que [5] le terme A, alors, est à B, le terme Γ le sera à Δ ; et de là, par interversion, ce que A est à Γ, B l’est à Δ ; et par suite aussi le rapport est le même pour le total à l’égard du total. Or c’est là précisément l’assemblage effectué par la distribution des parts, et si les termes sont joints de cette façon, l’assemblage est effectué conformément à la justice.

Pure absurdité. Dans le cas des personnes, la division s’effectue à la manière de Procuste ou du Dr Mengele, indépendamment du fait que le seul rapport qui a lieu dans le cas présent est l’échange, le rapport marchand. Une certaine longueur de boudin s’échange contre une certaine masse d’argent. Le rapport de cette longueur de boudin et de cette masse d’argent, c’est l’échange lui-même, qu’il soit seulement pensé, ou qu’il soit effectué. Remarquons qu’Aristote ne raisonne que sur le cas du troc, or, quand une marchandise arrive sur le marché, déjà du temps d’Aristote, elle est généralement séparée de son fabricant et l’on ignore tout de la personne de ce dernier. Le fait qu’une marchandise soit une chose qui ait une valeur, c’est à dire une chose à laquelle est associée la mention d’une quantité d’argent grâce à une étiquette, entraîne que ladite chose est devenue totalement indépendante des caractéristiques des personnes, y compris de l’âge et du mérite du capitaine.

 

7

<La justice distributive, suite. La justice corrective.>

 

Ainsi donc, l’assemblage du terme A avec le terme Γ, et de B avec Δ, constitue le juste dans la [10] distribution, et ce juste est un moyen entre deux extrêmes qui sont en dehors de la proportion, puisque la proportion est un moyen, et le juste une proportion. — Les mathématiciens désignent la proportion de ce genre du nom de géométrique, car la proportion géométrique est celle dans laquelle le total est au total dans le même rapport que chacun des deux termes au terme correspondant. Mais la proportion de la justice distributive n’est pas une [15] proportion continue, car il ne peut pas y avoir un terme numériquement un pour une personne et pour une chose . — Le juste en question est ainsi la pro­portion, et l’injuste ce qui est en dehors de la proportion. L’injuste peut donc être soit le trop, soit le trop peu, et c’est, bien là ce qui se produit effectivement, puisque celui qui commet une injustice a plus que sa part du bien distribué, et celui qui la subit moins que sa part. S’il s’agit du mal, c’est l’inverse : [20] car le mal moindre comparé au mal plus grand fait figure de bien, puisque le mal moindre est préférable au mal plus grand ; or ce qui est préférable est un bien, et ce qui est préféré davantage, un plus grand bien.

Cette expression est totalement dénuée de sens. Je devine qu’Aristote pourrait dire : « Il ne peut pas y avoir un nombre unique pour une chose et pour une personne » [C’est ainsi que traduit Ross], mais c’est aussi une absurdité. On peut seulement dire : « La personne numéro trois » et « Deux mètres de boudin ». Le nombre d’une personne est un ordinal tandis que le nombre d’une chose est une mesure d’une des grandeurs associées à la famille de corps à laquelle appartient la chose en question (les cylindres, dans le cas du boudin). (Lebesgue). Cependant, on peut dire aussi : « Le deuxième morceau de boudin ». On peut dire aussi : « Telle personne mesure un mètre quatre-vingt ». On peut dire aussi : « Un esclave de vingt ans et d’un mètre quatre-vingt s’échange contre vingt thalers » mais il ne s’agit pas de deuxième et troisième termes d’une proportion mais d’un échange. « Vingt thalers » est le prix de l’esclave et la mention de ce prix est la valeur de l’esclave.

Voilà donc une première espèce du juste. [Ross : chapitre 4] Une autre, la seule restante, est le juste correctif, qui intervient [25] dans les transactions privées, soit volontaires, soit involontaires. Cette forme du juste a un caractère spécifique différent de la précédente. En effet, le juste distributif des biens possédés en commun s’exerce toujours selon la proportion dont nous avons parlé (puisque si la distribution s’effectue à partir de [30] richesses communes, elle se fera suivant la même proportion qui a présidé aux apports respectifs des membres de la communautés; et l’injuste opposé à cette forme du juste est ce qui est en dehors de la dite proportion). Au contraire, le juste dans les transactions privées, tout en étant une sorte d’égal, et l’injuste une sorte d’inégal, n’est cependant pas [1132 a] l’égal selon la proportion de tout à l’heure, mais selon la proportion arithmétique. Peu importe, en effet, que ce soit un homme de bien qui ait dépouillé un malhonnête homme, ou un malhonnête homme un homme de bien, ou encore qu’un adultère ait été commis par un homme de bien ou par un malhonnête homme la loi n’a égard qu’au caractère distinctif du tort causé , et traite les parties à égalité, se demandant [5] seulement si l’une a commis, et l’autre subi, une injustice, ou si l’une a été l’auteur et l’autre la victime d’un dommage. Par conséquent, cet injuste dont nous parlons, qui consiste dans une inégalité, le juge s’efforce de l’égaliser : en effet, quand l’un a reçu une blessure et que l’autre est l’auteur de la blessure, ou quand l’un a commis un meurtre et que l’autre a été tué, la passion et l’action ont été divisées en parties inégales ; mais le juge s’efforce, au moyen du châtiment, d’établir l’égalité, en enlevant le gain obtenu. [10]On applique en effet indistinctement le terme gain aux cas de ce genre, même s’il n’est pas approprié à certaines situations, par exemple pour une personne qui a causé une blessure, et le terme perte n’est pas non plus dans ce cas bien approprié à la victime ; mais, de toute façon, quand le dommage souffert a été évalué, on peut parier de perte et de gain. — Par conséquent, l’égal est moyen entre le plus et le moins, [15] mais le gain et la perte sont respectivement plus et moins en des sens opposés, plus de bien et moins de mal étant du gain, et le contraires étant une perte ; et comme il y a entre ces extrêmes un moyen, lequel, avons-nous dit, est l’égal, égal que nous identifions au juste, il s’ensuit que le juste rectificatif sera le moyen entre une perte et un gain. C’est pourquoi aussi’, en cas de contestation; on a recours au juge. [20] Aller devant le juge c’est aller devant la justice, car le juge tend à êtres comme une justice vivante ; et on cherche dans un juge un moyen terme (dans certains pays on appelle les juges des médiateurs), dans la pensée qu’en obtenant ce qui est moyen on obtiendra ce qui est juste. Ainsi le juste est une sorte de moyen, s’il est vrai que le juge l’est aussi.

Autrement dit, dans ce cas, on ne se soucie pas de l’âge du capitaine.

Le juge restaure l’égalité. Il en est à cet égard comme d’une ligne divisée en deux segments inégaux : [25] au segment le plus long le juge enlève cette partie qui excède la moitié de la ligne entière et l’ajoute au segment le plus court ; et quand le total a été divisé en deux moitiés, c’est alors que les plaideurs déclarent qu’ils ont ce qui est proprement leur bien, c’est-à-dire quand ils ont reçu l’égal. Et l’égal est moyen entre ce qui est plus grand et ce qui est plus petit, selon la proportion arithmétique. C’est pour cette raison aussi [30] que le moyen reçoit le nom de juste (δίκαιον), parce qu’il est une division en deux parts égales (δίχα), c’est comme si on disait δίχαιον, et le juge (δικαστής) est un homme qui partage en deux (διχαστής) [ NDT : jeu de mot sur jugement et dichotomie qui en grec ne diffèrent que d’une lettre ]. Quand, en effet, de deux choses égales on enlève une partie de l’une pour l’ajouter à l’autre, cette autre chose excède la première de deux fois ladite partie, puisque si ce qui a été enlevé à l’une n’avait pas été ajouté à [1132 b] l’autre, cette seconde chose excéderait la première d’une fois seulement la partie en question ; cette seconde chose, donc, excède le moyen d’une fois la dite partie, et le moyen excède la première, qui a fait du prélèvement, d’une fois la partie. Ce processus nous permettra ainsi de connaître à la fois quelle portion il faut enlever de ce qui a plus, et quelle portion il faut ajouter à ce qui a moins : nous apporterons à ce qui a moins la quantité dont le [5] moyen le dépasse, et enlèverons à ce qui a le plus la quantité dont le moyen est dépassé. Soit les lignes AA’, BB’, ΓΓ’, égales entre elles ; de la ligne AA’ admettons qu’on enlève le segment AE, et qu’on ajoute à la ligne ΓΓ’ le segment ΓΔ, de telle sorte que la ligne entière ΔΓΓ’ dépasse la ligne EA’ des segments : ΓΔ et ΓΖ ; c’est donc qu’elle dépasse BB’ de la longueur ΓΔ’. — Et cela s’applique aussi aux autres arts, car ils seraient voués à la disparition si ce que l’élément actif produisait et en quantité et en [10] qualité n’entraînait pas de la part de l’élément passif une prestation équivalente en quantité et qualité.

          Α                Ε       Α’

          Β                          Β’

Δ        Γ                Ζ        Γ’

Les dénominations en question, à savoir la perte et le gain, sont venues de la notion d’échange volontaire. Dans ce domaine, en effet, avoir plus que la part qui vous revient en propre s’appelle gagner, et avoir moins que ce qu’on avait en commençant, perdre : c’est ce qui se passe dans l’achat, la vente et toutes [15] autres transactions laissées par la loi à la liberté des contractants. Quand, au contraire, la transaction n’entraîne pour eux ni enrichissement ni appauvrissement, mais qu’ils reçoivent exactement ce qu’il ont donné, ils disent qu’ils ont ce qui leur revient en propre et qu’il n’y a ni perte, ni gains. Ainsi donc, le juste est moyen entre une sorte de gain et une sorte de perte dans les transactions non volontaires : il consiste à posséder après, une quantité [20] égale à ce qu’elle était auparavant.

8

<La justice et la réciprocité. Rô1e économique de la monnaie.>

 

Dans l’opinion de certains, c’est la réciprocité qui constitue purement et simplement la justice : telle était la doctrine des PYTHAGORICIENS, qui définis­saient le juste simplement comme la réciprocité. Mais la réciprocité ne coïncide ni avec la justice distributive, ni même avec la justice corrective (bien qu’on veuille d’ordinaire donner ce sens à la justice [25] de Rhadamanthe : Subir ce qu’on a fait aux autres sera une justice équitable), car souvent réciprocité et justice corrective sont en désaccord par exemple, si un homme investi d’une magistrature a frappé un particulier, il ne doit pas être frappé à son tour, et si un particulier a frappé un magistrat, il ne doit pas seulement être frappé mais recevoir une punition supplémentaire. En outre, [30] entre l’acte volontaire et l’acte involontaire, il y a une grande différence. Mais dans les relations d’échanges, le juste sous sa forme de réciprocité est ce qui assure la cohésion des hommes entre eux, réciprocité toutefois basée sur une proportion et non sur une stricte égalité. C’est cette réciprocité-là qui fait subsister la cité car les hommes cherchent soit à répondre au mal par le mal, faute de quoi ils se considèrent [1133 a] en état d’esclavage [NDT : Si les uns donnent trop et ne reçoivent pas assez, il n’y a plus de société politique, mais simple relation de maîtres à esclaves. {Tiens donc ! Ça ne vous dit rien, citoyens en peau de lapin ?}], soit à répondre au bien par le bien, — sans quoi aucun échange n’a lieu, alors que c’est pourtant l’échange qui fait la cohésion des citoyens. Et c’est pourquoi un temple des Charites [NDT : ou des Grâces {χάρις, charis d’où charismatique}] se dresse sur la place publique on veut rappeler l’idée de reconnaissance, qui est effectivement un caractère propre de la grâce, puisque c’est un devoir non seulement de rendre service pour service à celui qui s’est montré aimable envers nous, mais encore [5] à notre tour de prendre l’initiative d’être aimable.

Or la réciprocité, j’entends celle qui est proportionnelle, est réalisée par l’assemblage en diagonale. Soit par exemple A un architecte, B un cordonnier, Γ une maison et Δ une chaussure il faut faire en sorte que l’architecte reçoive du cordonnier le produit du travail de ce dernier, et lui donne en contre-partie son propre travail. Si donc tout d’abord on a établi [10] l’égalité proportionnelle des produits et qu’ensuite seulement l’échange réciproque ait lieu, la solution sera obtenue ; et faute d’agir ainsi, le marché n’est pas égal et ne tient pas, puisque rien n’empêche que le travail de l’un n’ait une valeur supérieure à celui de l’autre, et c’est là ce qui rend une péréquation  préalable indispensable. — Il en est de même aussi dans le cas des autres arts, car ils disparaîtraient si ce que l’élément actif produisait à la fois en quantité [15] et qualité n’entraînait pas de la part de l’élément passif une prestation équivalente en quantité et en qualité. — En effet, ce n’est pas entre deux médecins que naît une communauté d’intérêts, mais entre un médecin par exemple et un cultivateur, et d’une manière générale entre des contractants différents et inégaux qu’il faut pourtant égaliser . C’est pourquoi toutes les choses faisant objet de transaction doivent être d’une façon quelconque commensurables entre elles ♦♦. C’est à cette fin que la monnaie a été introduite ♦♦♦ [20], devenant une sorte de moyen terme, car elle mesure toutes choses  et, par suite l’excès et le défaut, par exemple combien de chaussures équivalent à une maison ou à telle quantité de nourriture. Il doit donc v avoir entre un architecte et un cordonnier le même rapport qu’entre un nombre déterminé de chaussures et une maison (ou telle quantité de nourriture), faute dr. quoi il n’y aura ni échange ni communauté d’intérêts ; et ce rapport ne pourra être établi que si entre les biens à échanger il existe une [25] certaine égalité. Il est donc indispensable que tous les biens soient mesurés au moyen d’un unique étalon, comme nous l’avons dit plus haut. Et cet étalon n’est autre, en réalité, que le besoin [NDT : ou la demande au sens économique, cf. W. D. Ross], qui est le lien universel (car si les hommes n’avaient besoin de rien, ou si leurs besoins n’étaient pas pareils, il n’y aurait plus d’échange du tout, ou les échanges seraient différents) ; mais la monnaie est devenue une sorte de substitut du besoin [NDT : ou de la demande au sens économique, cf. W. D. Ross] et cela par convention, et c’est d’ailleurs pour cette raison que la monnaie reçoit [30] le nom de νόµισµα, parce qu’elle existe non pas par nature, mais en vertu de la loi (νόµoς) [NDT : ou de la convention, ou de la coutume], et qu’il est en notre pouvoir de la changer et de la rendre inutilisable.

 Du latin pærequare, égaliser. Mais a aujourd’hui le sens de « répartir équitablement » « égalité dans la répartition » (Robert)

Si vraiment c’est cela qu’Aristote a écrit, alors c’est un véritable Procuste puisqu’il veut égaliser les gens, sans doute en les coupant s’ils sont trop grands. Des personnes égales ont le même statut et non pas la même taille ou le même poids.

♦♦ Non, les choses faisant objet de transaction ne doivent pas être commensurables entre elles (double pléonasme. D’ailleurs, Barthélémy Saint-Hilaire ne dit pas commensurables mais simplement comparables) elles doivent être simplement échangeables. Et que faut-il pour qu’elles soient échangeables, il suffit qu’elles aient un prix. A partir du moment où elles ont un prix, elles sont échangeables contre de l’argent, seulement échangeables et non pas échangées. Le prix est un échange effectué en pensée et seulement en pensée. De nos jours, cette pensée est le sens d’une expression écrite sur une étiquette pour parler comme Frege.

♦♦♦ Non, la monnaie n’a pas été introduite pour que les choses soient commensurables, elle n’a été introduite que pour que les choses aient un prix, ce qui n’a rien à voir avec une quelconque mesure. Cela ne se fait pas par convention explicite : un jour, des choses eurent un prix, puis plus tard, les choses eurent un prix.

Le fait qu’une certaine mesure de blé s’échange contre une certaine mesure d’argent ne signifie pas que l’argent mesure le blé, ni que le blé et l’argent sont commensurables ; mais seulement que tant le blé que l’argent, en tant que marchandises, sont mesurables et donc mesurés, le blé en litre, par exemple, l’argent en onces par exemple. Point final. Voilà ce que parler veut dire. Cela signifie que des grandeurs sont associées aux corps blé et argent et que ces grandeurs sont mesurables et mesurées. Rien d’autre, rien de plus.

Il y aura dès lors réciprocité, quand les marchandises ont été égalisées  de telle sorte que le rapport entre cultivateur et cordonnier soit le même qu’entre l’œuvre du cordonnier et celle du cultivateur. Mais on ne doit pas les faire entrer dans la forme d’une proportion une fois qu’ils ont effectué l’échange [1133 b] (autrement, l’un des deux extrêmes aurait les deux excédents à la fois), mais quand ils sont encore en possession de leur propre marchandise. C’est seulement de cette dernière façons qu’ils sont en état d’égalité et en communauté d’intérêts, car alors l’égalité en question peut se réaliser pour eux (Appelons un cultivateur A, une certaine quantité de nourriture Γ, un cordonnier B, et le travail de ce [5] dernier égalisé, Δ) ; si au contraire il n’avait pas été possible pour la réciprocité d’être établie de la façon que nous venons de dire, il n’y aurait pas communauté d’intérêts.

♦ Non, ce n’est pas les choses (notez le terme « marchandises », est-il anachronique ?) qui doivent être égalisées, mais… leur prix. La monnaie fut introduite pour ça, afin que les choses aient un prix et que ce prix puisse être égalisé. Un prix étant l’idée d’un échange d’une certaine quantité de n’importe quoi avec une certaine quantité d’argent, idée qui est, de nos jours, le sens d’une expression écrite sur une étiquette, cette quantité est, elle, parfaitement mesurable. La monnaie ne mesure nulle chose sinon… elle-même ; elle est, depuis son invention il y a trois mille ans, une mesure réalisée, elle consiste en des pièces de métal qui sont pré-pesées, pré-mesurées avec des sous-multiples pré-mesurés. Il sera ainsi facilement possible d’égaliser les prix à condition que les marchandises aient un prix. Il faut regarder l’usage ; depuis quatre mille ans, il serait temps.

Cela dit, notez que cette égalisation, nécessaire dans le cas d’échange de marchandises entre commerçants, pratique courante, est cependant une exception et non la règle. La règle est d’échanger des marchandises contre de l’argent et réciproquement. Une autre exception est… le change, c’est à dire l’échange d’argent.

Quand on achète du boudin, on achète un mètre de boudin, par exemple. Il n’y a pas d’égalisation, il n’y a pas de mesure sinon celle du boudin. Simplement le mètre de boudin est pré-échangé, en pensée (cette pensée est le sens d’une expression écrite sur une étiquette ou une ardoise pour parler comme Frege) avec une certaine quantité d’argent.

La détermination de cette quantité d’argent ne résulte pas d’une égalisation mais est le fait de la totalité du marché et même du monde. Le prix est un phénomène social total. Il suffit d’une rumeur soudaine d’épizootie pour que la valeur du boudin s’annule.

La lecture de Jorion me donne cette idée : le prix est une quantité d’argent mentionnée, la valeur est la mention elle-même, c’est à dire le sens de l’expression écrite sur l’étiquette. La valeur est la mention d’une quantité d’argent, quantité nommée prix quand elle est mentionnée. La généralisation de la mention est essentielle, sa lecture l’est autant. Le monde marchand  n’est pas basé sur l’égalisation des prix mais sur leur comparaison.

Définition

La définition de la valeur comme mention d’un échange plutôt que comme idée d’un échange est avantageuse. Idée d’un échange a un aspect éthéré, ce qui est la moindre des choses, même si cette idée est saisie dans le monde ; tandis que mention d’un échange est une chose du monde qui a lieu dans le monde. Ensuite elle indique ce qu’est l’idée d’un échange. Selon Frege, une idée est le sens d’une expression tandis que la dénotation de l’expression est le vrai ou le faux selon que l’idée est vraie ou fausse. Selon Frege, une idée est ce qui peut être vrai ou faux. Or la mention consiste dans une expression écrite sur une étiquette. L’idée de l’échange est le sens de cette expression. Et c’est bien dans le monde que cette idée est saisie puisque l’expression est écrite sur l’étiquette qui est dans le monde et l’étiquette attachée à une marchandise qui est dans le monde. (Notez cependant qu’il n’y a pas d’idées dans le monde mais seulement des expressions sur des étiquettes et que l’idée est saisie dans le monde, très facilement ici puisqu’elle est prémachée, il n’y a plus qu’à lire l’étiquette pour saisir la pensée.)

Que ce soit le besoin qui, jouant le rôle d’étalon unique , constitue le lien de cette communauté d’intérêts, c’est là une chose qui résulte clairement de ce fait que, en l’absence de tout besoin réciproque, soit de la part des deux contractants, soit seulement de l’un d’eux, aucun échange n’a lieu, comme c’est le cas si quelqu’un a besoin d’une marchandise qu’on possède soi-même, du vin par exemple, alors que les facilités d’exportation n’existent que pour le blé. — [10] Ainsi donc il convient de réaliser la péréquation.

♦ Contradiction : plus bas, ce sera la monnaie, cet étalon unique. Il faudrait savoir !

Mais pour les échanges éventuels, dans l’hypothèse où nous n’avons besoin de rien pour le moment, la monnaie est pour nous une sorte de gage, donnant 1’assurance que l’échange sera possible si jamais le besoin s’en fait sentir, car on doit pouvoir en remettant l’argent obtenir ce dont on manque. La monnaie, il est vrai, est soumise aux mêmes fluctuations que les autre marchandises (car elle n’a pas toujours un égal pouvoir d’achat ) ; elle tend toutefois à une plus grande stabilité. De là vient que toutes les marchandises doivent être préalablement estimées [15] en argent, car de cette façon il y aura toujours possibilité d’échange, et, par suite communauté d’intérêts entre les hommes. La monnaie, dès lors, jouant le rôle de mesure, rend les choses commensurables entre elles et les amène ainsi à l’égalité : car il ne saurait y avoir communauté d’intérêts sans échange, ni échange sans égalité ♦♦, ni enfin égalité sans commensurabilité. Si donc, en toute rigueur, il n’est pas possible de rendre les choses par trop différentes commensurables entre elles, du moins, pour nos besoins courants, peut-on y parvenir d’une façon suffisante. Il doit donc [20] y avoir quelque unité de mesure, fixée par convention, et qu’on appelle pour cette raison νόµισµα,  car c’est cet étalon qui rend toutes choses commensurables, puisque tout se mesure en monnaie. Appelons par exemple une maison A, dix mines B, un lit Γ. Alors A est moitié de B si la maison vaut cinq mines, autrement dit est égale à cinq mines ; et le lit Γ est la dixième partie de B : on voit tout de suite combien [25] de lits équivalent à une maison, à savoir cinq. Qu’ainsi l’échange ait existé avant la création de la monnaie cela est une chose manifeste, puisqu’il n’y a aucune différence ♦♦♦ entre échanger cinq lits contre une maison ou payer la valeur en monnaie des cinq lits.

Expression étonnamment smithienne !

♦♦ Les échanges marchand n’ont rien à voir avec l’égalité. Il est possible que la loi de Marx et de Ricardo : « les marchandises qui s’échangent ont demandé le même temps de travail » soit valable. Mais qu’elle le soit — cas où il y aurait une égalisation réalisée secrètement en sous main par la pratique de l’échange et par la ruine de ceux qui ne peuvent, pour une raison ou une autre, respecter cette loi — ou qu’elle ne le soit pas, de temps immémoriaux les échanges ont lieu dans l’ignorance parfaite de cette loi. Et la preuve de cette loi, par une modélisation par exemple, ne changerait rien à la pratique de l’échange marchand.

♦♦♦ Si cela était vrai, la monnaie n’aurait jamais eu lieu (je préfère dire ainsi plutôt que de parler d’invention de la monnaie). Comme le dit très justement Aristote, l’échange eut lieu avant que la monnaie n’existât. Si c’est la même chose pourquoi changer de manière de faire ?

 

 

Un exemple d’erreur sur le terme « équivalence »

 

Le principe du marché : l’équivalence

Le principe du marché, c’est l’équivalence entre les choses, indépendamment du lien entre les personnes (Simmel).

Pour les personnes, une chose est sacrifiée, perdue, cédée, abandonnée, une autre est gagnée, obtenue, acquise. Le premier aspect est entièrement négatif, le second entièrement positif, et la règle d’équivalence fait le lien entre les choses, l’équation est dé­terminée, à une inconnue. C’est une règle comptable, obéissant au calcul, à l’équilibre entre l’offre et la demande. (Godbout, « La circulation par le don », Revue du MAUSS  n° 15-16.)

 

 Le principe du marché n’est pas l’équivalence mais les prix, l’existence de prix mentionnés, autrement dit la valeur. Lors de la vente ou de l’achat d’une marchandise, il n’y a pas équivalence contrairement à ce qui se passe lors de l’échange de marchandise entre commerçants  : par exemple, le journal Le Figaro échange cent micro-calculateurs Compaq contre quelques pages de pub dans le journal (cas réellement observé dans le bureau du directeur de l’informatique, bureau encombré de piles de cartons, du plancher au plafond). De même, les chambres de compensation ne sont rien d’autre que des chambres d’égalisation : on échange d’abord, on égalise ensuite. Clearstream ! Courant d’égalisation.

♦ D’ailleurs, Godbout ajoute : « La première condition pour que ça marche : séparation étanche entre les deux gestes [céder, acquérir], condition préalable à l’établissement de l’équivalence. » Or c’est seulement lors de l’échange de marchandises (dans le troc proprement dit, il n’y pas du tout de valeur, de mention d’une quantité d’argent) que l’égalisation des prix est nécessaire, dans un échange où cession et acquisition, vente et achat, ne sont pas séparés. Sinon, dans la vente et dans l’achat, il y a échange d’une marchandise quelconque et de l’argent, qui, ainsi que le note Aristote est un gage. L’argent est le gage général, la garantie générale. L’argent a drainé toute la confiance du monde.

La règle étant que les marchandises s’échangent contre de l’argent, comment peut-il y avoir équivalence puisque telle marchandise vaut cent francs, telle autre cent cinquante etc. Il y a seulement valence, valeur, mais non pas équivalence. De même, l’expression « l’argent est l’équivalent général » est tout simplement dénuée de sens. L’expression correcte est « l’argent est le valant universel » puisque le prix des marchandises est toujours une quantité d’argent « mentionnée » sur une étiquette (Jorion). C’est cette mention elle-même que l’on nomme valeur. Et la mention est toujours la mention d’une quantité d’argent. Qu’est-ce que valoir ? Valoir c’est, pour une chose, être associée à la mention d’une quantité d’argent. Point final. Et cette quantité d’argent n’est jamais la même d’une famille de marchandises à une autre sans compter qu’elle varie, pour une même famille, comme le souligne Jorion, à tout moment et peut même subir une annulation. Et même, au cours du temps, pour une même famille de marchandises, la quantité d’argent mentionnée ne cesse de baisser : la baisse des prix est le credo du capitalisme. Valoir c’est « avoir » un prix [Littré] et qu’est-ce qu’avoir un prix : c’est, pour une marchandise, le mentionner, comment ? par une expression sur une étiquette. Il faut regarder l’usage.

Dans le cas de l’échange de marchandises, le seul qu’envisage Aristote, il y a bien égalisation, mais non pas égalisation des choses (fatale erreur d’Aristote) mais égalisation des prix. Plus simple, tu meurs. C’est le prix de cinq paires de chaussures et le prix d’une maison qui sont égaux. C’est les prix qui sont égaux dans le cas d’un échange de marchandises entre commerçants. Mais cela est impossible avec la vente et l’achat puisque la valence n’est autre que la mention d’une quantité d’argent. Deux marchandises équivalentes sont deux marchandises qui ont le même prix, de même que deux fractions équivalentes, 2/4 et 3/6 par exemple, sont deux fractions qui sont le même nombre décimal, chose que ne pouvaient pas deviner les Grecs puisqu’ils ne connaissaient pas la numération décimale (Lebesgue). Autrement dit, 2/4 et 3/6 sont les synonymes du nombre 0,5 — je ne mets pas de guillemets parce que, selon Lebesgue, le nombre 0,5 est ce qui est écrit sur le papier et qui est le compte rendu d’une opération manuelle de mesure. Le plaisantin Lebesgue dit, il me semble, que les mathématiques sont une science appliquée, tirée de l’expérience — de même que l’étoile du matin et l’étoile du soir sont les synonymes de Vénus qui n’est pas une étoile. Cinq paires de chaussures et une maison ont le même prix. C’est le prix de ces deux lots qui est égal puisque c’est, en fait, le même. Il faut regarder l’usage. Regarder l’usage soulage.

Résumé : l’équivalence n’a pas lieu entre les choses, elle a lieu entre les prix et cela, seulement dans le cas d’échange de marchandises. Fatale erreur d’Aristote et de Godbout. Je gage que, pour notre malheur, Adam Smith a lu Aristote. Comme pour le Canada dry, ça a l’air d’une équivalence, mais ce n’en est pas une ; ça a l’air d’une équation à une inconnue, mais ça n’en est pas une.

Le seul rapport entre cinq kilogrammes de viande et trois mètres de tissus c’est… l’échange, s’il a lieu. Quant au prix de cinq kilogrammes de viande et de trois mètres de tissus, il faut qu’il soient égaux pour que les choses soient échangeables. Mais, j’insiste encore une fois, ce cas de figure n’est pas la règle mais une exception qui a lieu entre commerçants. Quant au prix d’une marchandise, il ne mesure rien du tout sinon une certaine quantité d’argent, il est la mesure d’une certaine quantité d’argent. Il n’est en rien une grandeur attachée à la marchandise, sinon par une étiquette et non pas par une mesure. Je répète : le prix est la mesure d’une grandeur, mais cette grandeur n’est pas attachée à la marchandise par une mesure, mais par une étiquette. C’est simple il me semble. [depuis, grâce à Lebesgue, j’ai prouvé que le prix du boudin n’est pas une grandeur pour le boudin]

J’ai lu La Mesure des grandeurs de Lebesgue que j’avais reçu depuis un certain temps lorsque je suis arrivé lors de ma lecture systématique,  au chapitre 8 du livre de Fourquet : « Valeur et richesse », § 1. Nature et mesure de la richesse, car je ne voulais pas aller plus loin avant d’avoir tiré au clair cette question de mesure. Je reparlerai peut-être de Fourquet à ce sujet.

  

 

M. Ripley s’amuse