Édition Tricot,
format .DOC, Académie de Montpellier →
Une propriété de la langue, néfaste pour la
fiabilité de l'action de penser, est sa propension à créer des noms propres
auxquels nul objet ne correspond. (…) Ainsi, une grande part du travail du
philosophe consiste — ou devrait du moins consister — en un combat avec la langue.
Frege. Écrits posthumes
Texte publié sous toutes réserves car la source dont je dispose maintenant (Wikisource) est très douteuse.
Entre crochet : réf. éd. Bekker ; en gras,
numérotation Bodéüs ; en bleu, numérotation Barthélemy Saint-Hilaire.
Livre V. La Justice. Chapitre
7 La justice distributive
[1331 a][6][10] 7.1. [§ 1]
Et puisque à la fois, l’homme injuste est celui qui manque à l’égalité et que
l’injuste est inégal, il est clair qu’il existe aussi quelque moyen entre ces
deux sortes d’inégal. Or, ce moyen est l’égal, car en toute espèce d’action
admettant le plus et le moins il y a aussi l’égal. [ § 2 ]
Par conséquent, si l’injuste est inégal, le juste est égal, et c’est là, sans
autre raisonnement, une opinion unanime. Et puisque l’égal est moyen, le juste
sera un certain moyen.
[15] 7.2. [
§ 3 ] Or, l’égal suppose au moins deux termes. Il s’ensuit
nécessairement, non seulement que le juste est à la fois moyen, égal, et aussi
relatif, c’est-à-dire juste pour certaines personnes mais aussi qu’en tant que
moyen, il est entre certains extrêmes (qui sont le plus et le moins), qu’en
tant qu’égal, il suppose deux choses : qui sont égales, et qu’en tant que
juste, il suppose certaines personnes : pour lesquelles il est juste. [ § 4 ] Le juste implique donc
nécessairement au moins quatre termes : les personnes pour lesquelles il
se trouve en fait juste, [20] et qui sont deux, et les choses dans les
quelles il se manifeste, au nombre de deux également.
7.3. [ § 5 ]
Et ce sera la même égalité
pour les personnes et pour les choses car le rapport qui existe entre ces dernières,
à savoir les choses à partager, est aussi celui qui existe entre les personnes.
[ Aristote commet une faute car les
personnes ne sont pas des grandeurs tandis qu’aux choses (et donc aussi
à cette « famille de corps », pour parler comme Lebesgue et
Lautréamont, que sont aussi les personnes) peuvent être associées des
grandeurs, plusieurs même pour chaque « famille de corps ». C’est le
propre des grandeurs d’être mesurables. Cette condition n’est pas suffisante,
elle est seulement nécessaire : ainsi la vitesse d’un corps est mesurable,
mais elle n’est pas une grandeur car elle viole le théorème de Lebesgue. Une
grandeur est un nombre. Mais tous les nombres ne sont pas des grandeurs. Cette
proposition d’Aristote prend un caractère d’humour noir à la Procuste ou à la
Mengele. Il ne faut pas confondre proportion et analogie. Voici une
proportion : a est à b comme c est à d où a,
b, c, d sont des nombres. Voici une analogie : les
pieds sont à la sueur ce que les sardines sont à l’huile. Dans les deux cas il
y a une constante. Dans le premier cas on a : a = kb
et c = kd et la constante est k, un
nombre. Dans le second cas, on a : Les pieds baignent dans
la sueur, les sardines baignent dans l’huile, la constante est baignent,
un verbe. ] Si, en effet, les personnes ne sont pas égales [ Comment des personnes pourraient être égales
puisqu’elles ne sont pas des grandeurs (solution ici)
[ Il s’agit aussi bien de la
traduction de Barthélemy Saint-Hilaire que de la traduction de Tricot. Les deux lisent :
« Si les personnes ne sont pas égales, elles ne devront pas non plus avoir
de parts égales ». Bodéüs
(V, 7, 3), par une rédaction habile et élégante élude un peu la question,
il est moins lourd que ses devanciers, mais il est bien obligé de parler
« de l’égalité qu’on observe entre les personnes ». Or la seule
égalité que l’on peut observer entre les personnes est celle du statut :
deux personnes égales ont le même statut (et non pas la même taille ou le même
poids). Il est seulement question de l’égalité des personnes et non pas
d’égalité des deux rapports des quatre termes d’une proportion, c’est à dire d’égalité
de rapports. Les deux rapports d’une proportion sont égaux parce que ces deux
rapports sont le même nombre. Les rapports numériques sont
le même nombre tandis que deux personnes égales ont le même statut. Lebesgue : « le rapport est le
nombre ». C’est une absurdité de traiter de la même manière l’égalité
entre personnes qui ne peut être qu’identité de statut : elles ont le même
statut ; et égalité entre des expressions numériques : deux
expressions dont le calcul donne le même nombre sont égales, car elles sont, en
fait, le même nombre. Ou bien, deux lots d’objets discrets qui ont le même
nombre d’éléments sont égaux parce que le nombre de leurs élément est le
même et unique nombre. Il est absurde de faire entrer dans une expression
mathématique, la proportion, des statuts et des nombres. Ailleurs, chez
Aristote, il est question non plus des personnes mais du travail ou du produit
des personnes selon les traducteurs. Mais l’absurdité demeure : on ne peut
faire entrer des une expression arithmétique des objets réel et des
nombres. D’où : le ver est dans le fruit, c’est de cette absurdité
que vient la pseudo nécessité de la valeur qui tourmentera les hommes pendant
deux millénaire. C’est pour faire disparaître cette absurdité qui
consiste à mettre en équation une égalité de statut et une égalité
numérique : deux personnes qui ont même statut avec deux rapports qui sont
le même nombre. Il faut, pour supprimer cette absurdité, associer coûte
que coûte aux objets réels des nombres, comme c’est le cas avec les différentes
grandeurs associées aux objets réels : longueur, volume, aire, masse etc.
Ces nombres seront fournis par les chronomètre (comme la vitesse, donc), ce
seront les temps de travail avec Smith et Marx. Mais c’est remplacer une
absurdité par une autre car ces temps de travail ne sont pas des grandeurs
associées aux objets puisqu’elles varient, au même titre que la vitesse de ces
objets. ]. Mais les grandeurs qui
leur sont associées peuvent l’être car ces grandeurs sont des nombres. Les
personnes peuvent être de taille égale, de poids égaux, de volumes égaux, de
fortunes égales. Mais la fortune n’est pas une grandeur, de même que la
vitesse, car elle viole l’unique théorème de la théorie des grandeurs de
Lebesgue : « Si plusieurs grandeurs sont associées à une famille de
corps, ces grandeurs sont proportionnelles ». Conséquence :
un nombre est une grandeur s’il satisfait le théorème de Lebesgue. Ainsi en
est-il du boudin, de la famille bien connue des corps cylindriques, avec sa
longueur et sa masse ce qui permet qu’on le vende au mètre aussi bien qu’au
poids. Coupons trois morceaux dans un grand boudin (non relativiste). Les
longueurs des morceaux L1, L2, L3 et les poids P1,
P2, P3 seront tels que : L1 = kP1,
L2 = kP2, L3 = kP3,
k étant une constante. Manifestement, la vitesse des morceaux de
boudin posés sur la table n’est pas une grandeur, car, dans notre exemple, la
vitesse étant égale (elle est nulle par rapport à la table et très grande par
rapport au soleil) pour les trois morceaux et les longueurs étant différentes
entre elles de même que les poids entre eux, il ne peut pas y avoir
proportionnalité. Il en est de même de la fortune des personnes et du prix des
marchandises. La fortune d’une personne, exprimée en millions de dollars, peut
grossir sans que la personne ne grossisse et sa fortune peut maigrir sans que
la personne ne maigrisse proportionnellement. Le poids de la personne peut
demeurer constant alors que la fortune de la personne fluctue ou sa fortune
demeurer constate et son poids varier. La grandeur de la fortune n’est pas
associée, mathématiquement parlant, à la personne riche mais au tas d’or, réel
ou virtuel. La fortune peut varier parce qu’elle est une grandeur
associée à une certaine famille de corps. Cette grandeur est associée à la
famille des tas d’or et non à la famille des Pic’sous (Walt Disney). Ni la
valeur, ni le prix, ni la vitesse des marchandises ne sont des grandeurs ;
des nombres, oui, des grandeurs, non. On dit cependant « Si Votre Grandeur
veut bien se donner la peine… » ], elles n’auront pas des
parts égales ; mais les contestations et les plaintes naissent quand,
étant égales, les personnes possèdent ou se voient attribuer des parts non
égales, ou quand, les personnes n’étant pas égales, leurs parts sont égales. [ § 6 ] On peut encore montrer cela en
s’appuyant sur le fait qu’on tient compte de la valeur propre des personnes.
Tous les hommes reconnaissent, en effet, que la justice dans la distribution
doit se baser sur un mérite de quelque sorte, bien que tous ne désignent pas le
même mérite, les démocrates le faisant consister dans une condition libre, les
partisans de l’oligarchie, soit dans la richesse, soit dans la noblesse de
race, et les défenseurs de l’aristocratie, dans la vertu.
7.4. [ § 7 ]
Le juste est, par suite, une sorte de proportion (car la proportion n’est pas
seulement une propriété d’un nombre formé d’unités abstraites, mais de tout
nombre en général) la proportion étant une égalité de rapports et supposant
quatre termes au moins
7.4.1. Que la proportion
discontinue implique quatre termes [ a/b = c/d ;
donc quatre termes a, b, c, d ], cela est évident, mais il en est
de même aussi pour la proportion continue puisqu’elle emploie un seul terme
comme s’il y en avait deux et qu’elle le mentionne deux fois par exemple, [1131 b]
ce que la ligne A est à la ligne B, la ligne l’est à la ligne G ; la ligne B
est donc mentionnée deux fois, de sorte que si l’on pose B deux fois, il y aura
quatre termes proportionnels [ a/b = b/c ;
donc quatre termes a, b, b, c ].
7.4.2. Et le juste, donc, implique
quatre termes au moins, et le rapport [ la
mesure donc : la mesure est le rapport ] entre la première
paire de termes est le même que celui qui existe entre la seconde paire, car la
division s’effectue d’une manière semblable entre les personnes et les choses [ Humour à la Procuste qui coupait les
personnes comme on coupe du boudin sous prétexte que leur longueur était trop
grande ]. Ce que le terme A, alors, est à B, le terme G le sera à D
; et, de là, par interversion, ce que A est à G, B l’est à D [ a/b = c/d ;
a/c = b/d ; ½ = 3/6 ; 1/3 = 2/6 ] ; et par
suite aussi le rapport est le même pour le total à l’égard du total. Or, c’est
là précisément l’assemblage effectué par la distribution des parts, et si les
termes sont joints de cette façon, l’assemblage est effectué conformément à la
justice.
[1132 b][8][21] Dans l’opinion de certains, c’est la réciprocité qui
constitue purement et simplement la justice : telle était la doctrine des
pythagoriciens, qui définissaient le juste simplement comme la réciprocité.
Mais la réciprocité ne coïncide ni avec la justice distributive ni même avec la
justice corrective (bien qu’on veuille ordinairement donner ce sens à la justice
de Rhadamanthe : « Subir ce qu’on a fait aux autres sera une justice
équitable. ») car souvent réciprocité et justice correctionnelle sont en
désaccord : par exemple, si un homme investi d’une magistrature a frappé
un particulier, il ne doit pas être frappé à son tour, et si un particulier a
frappé un magistrat, il ne doit pas seulement être frappé mais recevoir une
punition supplémentaire. En outre, entre l’acte volontaire et l’acte
involontaire, il y a une grande différence. Mais dans les relations d’échanges, le juste sous
sa forme de réciprocité est ce qui assure la cohésion des hommes entre eux, réciprocité toutefois basée sur
une proportion et non sur une stricte égalité. C’est cette
réciprocité-là qui fait subsister la cité : car les hommes cherchent soit
à répondre au mal par le mal, faute de quoi ils se considèrent en état
d’esclavage, [1133 a] soit à répondre au bien par le bien, −
sans quoi aucun échange n’a lieu, alors que c’est pourtant l’échange qui fait la cohésion des citoyens.
Voilà pourquoi un temple des Grâces se dresse sur la place publique : on
veut rappeler l’idée de reconnaissance, qui est effectivement un caractère
propre de la grâce, puisque c’est un devoir non seulement de rendre service
pour service à celui qui s’est montré aimable envers nous, mais encore à notre
tour de prendre l’initiative d’être aimable.
Or, la réciprocité, j’entends celle qui est proportionnelle, est
réalisée par le rapprochement des termes [ de
la proportion ] en diagonale. Soit par exemple A un architecte, B
un cordonnier, G une maison et D une chaussure : il faut faire en sorte
que l’architecte reçoive du cordonnier le produit du travail de ce dernier, et
lui donne en contrepartie son propre travail. [10] Par conséquent, si
tout d’abord on a établi l’égalité proportionnelle [ je suppose qu’il faut entendre l’égalité des rapports qui
constituent la proportion ] des produits et qu’ensuite seulement
l’échange réciproque ait lieu, la solution sera obtenue ; et faute d’agir
ainsi, le marché n’est pas égal et ne tient pas, puisque rien n’empêche que le
travail de l’un n’ait une valeur supérieure à celui de l’autre, et c’est là ce
qui rend une péréquation préalable indispensable. − Il en est de même
aussi dans le cas des autres arts car ils disparaîtraient [15] si ce que
l’élément actif produisait à la fois en quantité et qualité n’entraînait pas de
la part de l’élément passif une prestation équivalente en quantité et en
qualité. − En effet, ce n’est pas entre deux médecins que naît une
communauté d’intérêts, mais entre un médecin par exemple et un cultivateur, et
d’une manière générale entre des contractants différents et inégaux qu’il faut
pourtant égaliser. C’est pourquoi toutes les choses faisant objet de
transaction doivent être d’une façon quelconque commensurables entre elles [ Eh
bien non ! Erreur fatale d’Aristote. Ces choses ne sont pas
commensurables, ne le deviennent pas et n’ont pas à le devenir. Ce n’est pas
commensurable qu’il faut dire mais… échangeables. Plus simple tu meurs. Les grandeurs
seules sont commensurables. Ces choses ne sont pas plus commensurables que ne
le sont les personnes qui cependant peuvent être de taille égale. Aristote non
plus ne comprenait pas la grammaire et le docteur Wittgenstein n’était pas
encore né. ]. C’est à cette fin [20] que la monnaie a été
introduite, devenant une sorte de moyen terme, car elle mesure toutes choses [ Certainement pas. Fatale erreur. ]
et par suite l’excès et le défaut, par exemple combien de chaussures équivalent
à une maison ou à telle quantité de nourriture. Il doit donc y avoir entre un
architecte et un cordonnier le même rapport qu’entre un nombre déterminé de
chaussures et une maison (ou telle quantité de nourriture) [ Ça c’est de l’humour vache ],
faute de quoi il n’y aura ni échange ni communauté d’intérêts ; [25]
et ce rapport [ Hélas, ce
rapport n’est pas une proportion, ce rapport n’est pas une mesure, ce
rapport n’est pas un nombre, ce rapport est… un échange, c’est à dire une
institution. D’ailleurs, d’après Bodéüs,
c’est que qu’Aristote a écrit, Aristote ne parlerait pas de rapport mais d’échange ;
mais Tricot dit
« rapport » ! comme si des choses pouvaient avoir un rapport au
même titre que des nombres, ce qui est une pure sottise. Comment savoir ce que
les manuscrits copies de copies disent qu’Aristote a dit sans consulter les
éditions en grec, ce que je vais devoir faire. Tous les traducteurs modernes
parlent comme Adam Smith. Je ne peux donc leur faire confiance. Ils font les
mêmes fautes qu’Adam Smith, eux, et non pas Aristote, je le souhaite. Cela me
permet cependant de corriger ces fautes des modernes, encore une fois, je ne
m’en lasserai pas. L’idéologie anglaise a déjà fait son travail. Il est remarquable
que l’Anglais W. D. Ross,
traduction disponible sur Internet, n’emploie pas le terme
« besoin », lui ♦. Adam
Smith, il connaît, I presume. Bodéüs
élude élégamment le problème : « Or le
rapport du bâtisseur au cordonnier doit être tel nombre de chaussures pour une
maison ou de la nourriture, car sinon, il n’y aura pas d’échange ni
d’association entre eux. » C’est une manière alambiquée de dire que le rapport
du bâtisseur au cordonnier doit être un certain échange d’une certaine quantité
de chaussures pour une unité d’habitation. Je suppose que Bodéüs voit bien l’absurdité qui
consiste à dire qu’il doit y avoir le même rapport entre des personnes qu’entre
des nombres. Il est légitime de dire « les pieds sont à la sueur ce que
les sardines sont à l’huile » car les uns et les autres
« baignent » (c’est la constante de la proportion), qui dans la
sueur, qui dans l’huile ; mais il est illégitime de dire « Les pieds
sont à la sueur ce que trois est à quatre » ] ne pourra être établi que
si entre les biens à échanger il existe une certaine égalité. Il est donc
indispensable que tous les biens soient mesurés [ Certainement
pas mesurés ] au moyen d’un unique étalon, comme nous l’avons dit
plus haut. Et cet étalon n’est autre, en réalité, que le besoin qui est le lien
universel (car si les hommes n’avaient besoin de rien, ou si leurs besoins
n’étaient pas pareils, il n’y aurait plus d’échange du tout, ou les échanges
seraient différents) [ C’est très
curieux, voilà Polanyi avant la lettre ] ; mais la monnaie est
devenue une sorte de substitut du besoin [ Oui,
bravo, Aristote dit ce que dira Polanyi (et ce qu’a peut-être dit Marx, me
semble-t-il) : la monnaie se substitue à tous besoins, l’institution de la
monnaie substitue le besoin de monnaie à tout besoin particulier. Deux
mille ans plus tard, en 1840, l’humanité sombrera dans le besoin, c’est à
dire sous la domination totale de la monnaie, sous la domination totale du
besoin de monnaie. De prétendu moyen, la monnaie est devenu le
maître. ] et cela par convention, [30] et c’est d’ailleurs
pour cette raison que la monnaie reçoit le nom de nomisma [ Lat. numisma ou nomisma, pièce
de monnaie ; le terme grec (νόμισμα)
est dérivé du verbe signifiant régler
par la loi, qui vient de loi, nomos. Monnaie vient de Junon Moneta. Dans
son temple on battait monnaie (Littré).] parce qu’elle existe non pas
par nature, mais en vertu de la loi et qu’il est en notre pouvoir de la changer
et de la rendre inutilisable. [ Loi et
convention, ce n’est pas la même chose : convention is general
conforming, ce que n’est pas la loi : law is common conforming.
Là est la nuance. ]
♦ This is why all things that are exchanged must be somehow comparable ♦. It is for this [20] end that money has been introduced, and
it becomes in a sense an intermediate; for it measures all things, and
therefore the excess and the defect-how many shoes are equal to a house or to
a given amount of food. The number of shoes exchanged for a house (or for a given amount of
food) must therefore correspond to the ratio of builder to shoemaker. For if this
be not so, there will be no exchange and no intercourse. And this proportion
will not be effected unless the goods are somehow equal. All goods must
therefore be measured by some one thing, as we said before. Now this unit is in truth demand, which holds all things together (for
if men did not need one another's goods at all, or did not need them equally,
there would be either no exchange or not the same exchange); but money has
become by convention a sort of representative of demand; and this is why it has the
name “money” (nomisma) — because it exists not by nature but by law (nomos)
and it is in our power to change it and make it useless.
|
Cependant, j’aimerais bien voir le mot grec traduit par le moderne besoin
(Moyen-Âge, le mot est lié aux pauvres, au miséreux ; Académie,
1694 : Indigence, nécessité, manque de quelque chose dont on a
affaire : être dans le besoin. Vient de soin et d’une
préposition germanique bi « auprès », Littré). Je dispose
d’une traduction anglaise où le mot est traduit par demand et
non par need. Aristote parle comme Malthus. Il y a me
semble-t-il un anachronisme. Aristote a-t-il dit usage (utilité) ou besoin
(nécessité) ? Tricot a traduit par besoin me semble-t-il
(source Internet). Dans la Métaphysique, Δ, Aristote dit
de « Nécessaire » : « se dit de ce sans quoi, pris comme
condition, il n’est pas possible de vivre : par exemple la respiration
et la nourriture sont nécessaires à l’animal… » Vrin, Traduction Tricot,
1933. χρεία : I. usage, emploi ; II.
matière dont on fait usage ; III. profit qu’on retire de l’usage
d’une chose, profit, avantage ; IV. 1. besoin,
nécessité ; 2. résultat du besoin, pauvreté, nécessité. (Bailly) |
Il y aura dès lors réciprocité, quand les marchandises ont été égalisées
de telle sorte que le rapport entre cultivateur et cordonnier soit le même
qu’entre l’œuvre du cordonnier et celle du cultivateur [ Humour noir encore ]. Mais on ne doit pas les faire
entrer dans la forme d’une proportion [1133 b] une fois qu’ils ont
effectué l’échange (autrement, l’un des deux extrêmes aurait les deux excédents
à la fois), mais quand ils sont encore en possession de leur propre
marchandise. C’est seulement de cette dernière façon qu’ils sont en état
d’égalité [ Dans le troc, sans besoin
de monnaie donc, oui ils sont égaux ; dans l’échange marchand,
l’échange qui a besoin de la monnaie, non. L’acheteur et le vendeur ne
sont pas égaux puisque l’un est acheteur et l’autre est vendeur. Ils n’ont pas
même statut (Descombes). Réponse à la question
« Comment des personnes pourraient être égales ? » Des personnes
égales ont même statut et non même grandeur. ] et en
communauté d’intérêts, car alors l’égalité en question peut se réaliser pour
eux. Appelons un cultivateur A, une certaine quantité de nourriture F, un
cordonnier B, [5] et D le produit de ce dernier égalisé à F ; si au
contraire il n’avait pas été possible pour la réciprocité d’être établie de la
façon que nous venons de dire, il n’y aurait pas communauté d’intérêts. Que ce soit le besoin qui,
jouant le rôle d’étalon unique [ Oui,
bravo ! et certainement pas comme l’entendent les trous du culs
marginalistes : le besoin est une institution ], constitue le
lien de cette communauté d’intérêts, c’est là une chose qui résulte clairement
de ce fait que, en l’absence de tout besoin réciproque, soit de la part des
deux contractants, soit seulement de l’un d’eux, aucun échange n’a lieu [ Faux. Voici la contradictoire : La Kula.
Où est le besoin, en ce sens présent, dans la Kula ? Le motif de la Kula,
c’est le fun ], comme c’est le cas si quelqu’un a besoin d’une
marchandise qu’on possède soi-même, du vin par exemple, alors que les facilités
d’exportation n’existent que pour le blé. [10] − Par conséquent,
il convient de réaliser la péréquation.
Mais pour les échanges éventuels, dans l’hypothèse où nous n’avons
besoin de rien pour le moment, la monnaie est pour nous une sorte de gage
donnant l’assurance que
l’échange sera possible [ Bravo,
voilà, tout est dit ici. Le vendeur et l’acheteur n’ont pas même statut en
démocrachie commerciale ] si jamais le besoin s’en fait sentir, car
on doit pouvoir en remettant l’argent obtenir ce dont on manque. La monnaie, il
est vrai, est soumise aux mêmes fluctuations que les autres marchandises (car elle n’a pas toujours un
égal pouvoir d’achat) ; elle tend toutefois à une plus grande
stabilité. De là vient que toutes les marchandises doivent être [15]
préalablement estimées en argent, car de cette façon il y aura toujours
possibilité d’échange, et par suite communauté d’intérêts entre les hommes. La
monnaie, dès lors, jouant le rôle de mesure [ Erreur,
la monnaie ne joue pas le rôle de mesure mais le rôle de dictateur : c’est
la puissance de la multitude. Je me réjouis de lire Lordon et Orléan ],
rend les choses commensurables [ Non,
seulement échangeables ] entre elles et les amène ainsi à l’égalité
[ Non, à l’échangeabilité ] :
car il ne saurait y avoir ni communauté d’intérêts sans échange, ni échange
sans égalité, ni enfin égalité sans commensurabilité. Si donc, en toute
rigueur, il n’est pas possible de rendre les choses par trop différentes
commensurables entre elles, du moins, pour nos besoins courants, peut-on y
parvenir d’une façon suffisante. Il doit donc y avoir quelque unité de mesure,
fixée par convention, et qu’on appelle pour cette raison nomisma car
c’est cet étalon qui rend toutes choses commensurables, puisque tout se mesure
en monnaie [ Rien ne se mesure en monnaie,
autant dire que la chaleur, le rayonnement thermique, énergie cinétique
dégradée par choc (les corps heurtés rayonnent), se mesure en température et
pourtant à tout point de l’espace on peut associer un nombre dénommé
température. Mais ce nombre n’est pas une grandeur. L’on dit pourtant que l’on
mesure une température. Mais on mesure en fait, avec un thermomètre à mercure, une
longueur, la longueur d’une dilatation. Ce que l’on mesure,
c’est l’effet de l’énergie calorifique sur un métal en phase liquide.
L’énergie, comme la vitesse n’est donc pas une grandeur car elle viole aussi le
théorème de Lebesgue : l’énergie du boudin peut doubler dans la poêle à
frire sans que doublent sa longueur (quoique celle-ci diminue un peu) ni sa
masse (qui diminue aussi puisque de la graisse fond et s’écoule dans la poêle
et de l’eau s’évapore). ]. Appelons par exemple une maison A,
dix mines B, un lit L. Alors A est moitié de B désigne que
la maison vaut cinq mines, autrement dit est égale à cinq mines ; et le
lit L est la dixième partie de B on voit tout de suite combien de
lits équivalent à une maison, à savoir cinq. Qu’ainsi l’échange ait existé
avant la création de la monnaie cela est une chose manifeste, puisqu’il n’y a
aucune différence entre échanger cinq lits contre une maison ou payer la valeur
en monnaie des cinq lits. [ Encore une erreur :
non pas pour l’antériorité de l’échange qui est fossilement prouvée par
l’ethnographie, mais pour la différence entre le troc et l’échange marchand.
Troc et échange marchand sont des institutions totalement différentes, surtout
dans leurs conséquences. Ce n’est pas par le troc que l’humanité a sombré dans
le besoin en 1840. ]
En conclusion : d’où vient l’erreur persistant depuis deux mille cinq cents
ans ? Eh bien : c’est comme pour le Canada Dry ; ça a l’air
d’une grandeur, mais ce n’est pas une grandeur, ça a l’air d’une mesure mais
ce n’est pa une mesure, ça a l’air d’une égalité, mais ce n’est pas une
égalité. Le prix est comme la vitesse (la célérité plutôt qui est un scalaire
tandis que la vitesse est un vecteur mais je continuerai à dire vitesse) non
seulement il varie comme la vitesse varie (il suffit d’appuyer sur
l’accélérateur) mais il dépend du référentiel. L’or est au prix ce que le
mercure est à la température. Le prix est la température de la marchandise.
Le prix n’est pas une mesure. La monnaie ne mesure rien. La main invisible
n’est pas celle d’Adam Smith, mais celle de Boltzmann. |
À cette
époque, les distinctions entre approches formelles des divers domaines du
savoir n'existent pas. La notion de proportion (analogia), par
exemple, trouve à s'appliquer, non seulement en mathématiques, mais aussi en
musique, à la pratique du raisonnement chez de nombreux philosophes, et, par
Aristote, à d'autres domaines disparates comme la justice (Eth. Nic.)
ou la formation des prix (cf « Le prix comme
proportion chez Aristote », Jorion, Revue du Mauss, 1992). Rappelons qu'une
proportion (qu'elle soit discursive ou mathématique) se compose de quatre
termes disposés de la manière suivante : a est à b comme c est à d. Si
les quatre termes sont distincts, la proportion est dite discrète.
S'il existe un moyen terme, c'est-à-dire s'il n'y a que trois termes
distincts (a est à b comme b est à c), elle est dite continue. Dans
une proportion continue, le moyen terme est une moyenne (meson).
Deux exemples mathématiques illustrent ceci parfaitement : la moyenne
géométrique (6 est la moyenne géométrique entre 12 et 3, en effet, 12 / 6
= 6 / 3) et la moyenne arithmétique (9 est la moyenne arithmétique entre
12 et 6, en effet, 12 - 9 = 9 - 6). Bien que l'on puisse à
juste titre considérer la proportion comme un donné élémentaire, on
peut aussi l'envisager comme la mise en présence, en équivalence, de deux rapports.
Un rapport, c'est ce que le grec appelle logos, le latin ratio,
et le français, dans la même ligne, raison : c'est une relation
particulière entre deux entités. Si j'appelle enchaînement
associatif, la relation nue, c'est-à-dire la simple mise en présence de
deux entités symboliques, disons « a » et « b », leur
connexion: « a ET b » (« a » et « b » étant
tout ce que l'on veut et donc pas nécessairement des nombres). Entre ces deux
entités peut exister une relation symétrique, ce que j'ai appelé
ailleurs connexion simple (Jorion, Principes des systèmes
intelligents, Masson, 1990 : 52-54). La connexion simple
c'est « a et b » (sans présupposé de subordination), « a comme
b », « a = b », « a avec b », « a signale
b » (et donc « b signale a »), etc. En arithmétique, il s'agit
des opérations symétriques simples que le mathématicien appelle commutatives,
comme la multiplication ou l'addition. Dans le domaine discursif, il s'agit
de la conjonction, de l'apposition ou de la synonymie
(la définition est d'une nature plus complexe). Le rapport, raison,
logos, ratio, c'est au contraire la confrontation anti-symétrique
de deux entités, ce que Hegel caractériserait comme leur rapprochement en vue
de souligner leur séparation (Biard et al. 1987 : 91). Le rapport,
c'est « a cause b », « a divisé par b », « a est b »,
etc. En arithmétique, il s'agit des opérations simples qui sont
anti-symétriques, non-commutatives, comme la division ou la
soustraction: « pour Euclide un logos de deux nombres ou
grandeurs a et b est ce que nous désignons ordinairement par
a : b » (Szabo, Les débuts des mathématiques grecques,
[1969] 1977 : 163). Dans le discours, le rapport, c'est ce que les
philosophes appelèrent le jugement (Urteil). L'invention grecque, comme
chacun le sait, c'est précisément cela : le logos, la raison que
nous identifions à l'enchaînement associatif anti-symétrique .
La mise en présence de deux logon à des fins d'évocation, est une analogia,
c'est-à-dire, la proportion sous la forme qu'elle prend dans la pratique
discursive. Au sein du monde mathématique proprement dit, où ce sont des
nombres ou ce que nous appellerions aujourd'hui des symboles algébriques
qui constituent l'analogia, l'équivalent de l'enchaînement associatif
discursif est un rapport, un taux, ou encore, dans la langue
technique des mathématiciens, une raison. Voilà pourquoi logos
se traduit raison en mathématiques comme en philosophie. Une analogia
mathématique est ce à quoi nous renvoyons encore aujourd'hui comme à une proportion. Dans le mode discursif, il
existe quatre modes à l'analogia, selon que les enchaînements
associatifs mis en présence sont tous deux anti-symétriques, tous deux
symétriques, le premier anti-symétrique et le second symétrique, ou
l'inverse. Si l'analogia est discrète, si les quatre termes
sont distincts, elle correspond très exactement à ce que nous appelons
aujourd'hui une analogie, ce que les Grecs appelaient paradigme.
Comme telle, l'analogie possède certaines potentialités pour le raisonnement
qu'Aristote nota. Elle permet des rapprochements entre différentes
« choses » (appartenant au même genre ou à des genres
distincts) en mettant en évidence des rapports semblables (homomorphismes) et
à ce point de vue elle dispose d'un pouvoir heuristique : elle peut favoriser
la découverte. Ainsi, il peut être éclairant de considérer que « la vue
est à l’œil ce que la raison est à l'esprit ». Aristote note cependant
que l'analogie est un outil démonstratif faible (Lloyd, Polarity and
Analogy. Two types of argumentation in early Greek
thought, 1966 : 408-409). Par ailleurs, les termes
parallèles (majeure et seconde moyenne, première moyenne et mineure) peuvent
se représenter l'un l'autre pour un usage d'évocation figuratif, sous le nom
de métaphore. Dans la Métaphysique, Aristote affirme que
« la description par Empédocle de la mer comme sueur de la terre est
“peut-être adéquate à des fins poétiques”, mais “inadéquate pour la
compréhension de la nature de la chose” » (ibid. 403) . Si l'analogia est
continue, s'il n'existe que trois termes, elle permet, par l'intermédiare du
terme commun ou moyen terne, qu'une relation directe s'établisse entre
la majeure et la mineure sous la forme d'une « conclusion »
porteuse d'information. Nous avons alors affaire au syllogisme (ou à l'enthymème
si le contexte est dialectique et l'usage par conséquent rhétorique). Ce que le moyen terme
unique autorise ici, c'est la mise en rapport des extrêmes, au même titre
exactement que les moyennes arithmétique et géométrique dans la
proportion. Diverses figures sont alors possible, selon la nature symétrique
ou anti-symétrique des relations rapprochées. (Paul
Jorion, Le miracle grec : pouvoir de la pensée anti-symétrique.) |